Introduction
Le droit de la filiation est un droit complexe, qui repose sur trois composantes difficilement conciliables : la biologie, la volonté et le vécu. Le modèle classique de la filiation biologique et hétéronormative est aujourd’hui bousculé par la recherche de son identité, recherche portée par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention EDH). Face à ces enjeux, la Cour de cassation tente de maintenir un équilibre entre le droit au respect de la vie privée et familiale des justiciables et les objectifs poursuivis par les règles en matière de filiation. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 5 octobre 2016, en est une parfaite illustration, au sujet des délais de prescription de l’action en contestation de paternité.
En l’espèce, une femme est née en 1946, son lien de filiation maternelle est établi. Son lien de filiation paternelle est établi le 30 juin 1965 à l’égard de son beau-père, par reconnaissance et par légitimation par mariage avec sa mère. Aucune contestation ne naît quant à cette filiation et ce jusqu’au décès de l’auteur de la reconnaissance en 2001, la requérante venant à sa succession.
Par acte du 25 novembre 2005, la requérante est reconnue par un autre homme, décédé par la suite en 2006.
La requérante a tenté, en vain, de contester la première reconnaissance datant de 1965. Un jugement, devenu irrévocable le 20 novembre 2007, a déclaré sa demande irrecevable comme prescrite. Ce même jugement a donc annulé la seconde reconnaissance réalisée en 2005.
Dans un second temps, la requérante a assigné, par acte du 29 juillet 2011, les descendants de l’auteur de la première reconnaissance sur le fondement de l’article 327 du code civil, aux fins de voir ordonner une expertise biologique, son souhait étant d’établir sa filiation avec l’auteur de la seconde reconnaissance.
Aucune information n’est donnée sur le sens de la décision de première instance. En appel, sa demande est rejetée par la cour d’appel de Rouen dans un arrêt du 13 mai 2015, au motif essentiel que la demande était irrecevable en raison de l’autorité de la chose jugée attachée au jugement irrévocable rendu en 2007, ce qui entraîne l’impossibilité d’établir une nouvelle filiation paternelle sans combattre la filiation paternelle déjà existante sur le fondement de l’article 320 du code civil.
La requérante forme alors un pourvoi en cassation. Au soutien de ce pourvoi, elle décline un moyen, divisé en trois branches.
D’une part, elle reproche à la cour d’appel d’avoir méconnu les exigence de l’article 8 de la Convention EDH, et plus particulièrement de son « droit à connaître ses origines et à voir établie la filiation correspondante ». Or, elle considère que les délais dans lesquels sont enfermés les actions en contestation de paternité (c. civ. art. 320 et 321) constituent une restriction excessive à son droit à connaître ses origines. Elle reproche ainsi aux dispositions internes de ne pas tenir compte de l’ignorance de sa filiation réelle, en fixant le point de départ de la prescription des actions en contestation au jour de la majorité de la requérante en 1967, et non au jour où elle a eu connaissance de l’existence de la réalité de sa filiation en 2005.
D’autre part, elle rappelle que les restrictions à un droit fondamental doivent satisfaire aux exigences de nécessité et de proportionnalité. Elle reproche ainsi à la cour d’appel d’avoir méconnu les exigences de l’article 8 de la Convention EDH en ne procédant pas à un contrôle concret de proportionnalité entre son intérêt à la connaissance de ses origines et à la reconnaissance de son lien de filiation, et l’intérêt de la famille de l’auteur prédécédé de la première reconnaissance.
Enfin, elle rappelle qu’en matière de filiation, l’expertise biologique est de droit, sauf motif légitime de ne pas y procéder. Elle reproche ainsi à la cour d’appel d’avoir méconnu l’article 146 du code de procédure civile et l’article 8 de la Convention EDH en ne précisant pas pour quel motif sa demande d’expertise biologique était rejetée, alors même que son géniteur avait manifesté le souhait, de son vivant, de procéder à une telle expertise et qu’il était dans le droit de la requérante de connaître ses origines et d’établir sa filiation.
La requérante interrogeait ainsi la Cour de cassation en ces termes : L’application du principe chronologique en matière de filiation est-elle conforme au droit de connaître ses origines garanti par l’article 8 de la Convention EDH ?
La Cour de cassation, en sa première chambre, répond par la positive à cette question. Elle rejette en conséquence le pourvoi en répondant en trois temps à la requérante.
D’une part, elle relève que l’arrêt d’appel n’a pas déclaré l’action irrecevable comme prescrite, mais qu’elle a constaté que la demande avait déjà été jugée par le jugement de 2007, lequel était devenu irrévocable et avait autorité de chose jugée. Dès lors, il existe déjà une filiation paternelle, qui fait obstacle à l’application de l’article 327 du Code civil.
D’autre part, elle relève que l’existence de délais de prescription et, partant, l’impossibilité qui peut en découler de faire reconnaître un lien de filiation est bien une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée de la requérante, garanti par l’article 8 de la Convention EDH. Cependant, la cour d’appel a parfaitement relevé que cette ingérence poursuivait un but légitime, à savoir « garantir la stabilité du lien de filiation et à mettre les enfants à l’abri des conflits de filiation ».
Enfin, la Cour constate que la cour d’appel a relevé que l’auteur de la première reconnaissance était considéré par tous, y compris la requérante, comme son père de 1965 à 2001 (date de son décès). Cela signifie que le titre était bien conforté par la possession d’état. La requérante a, de plus, disposé d’un délai de 30 ans après sa majorité pour contester cette filiation, donc jusqu’en 1997. Or, elle n’avait pas contesté cette filiation et avait hérité de l’auteur de la première reconnaissance. La requérante avait disposé de procédures pour mettre en conformité sa situation juridique à la réalité biologique. Dès lors, la cour d’appel a, à bon droit, considéré qu’il n’y avait pas ici d’atteinte disproportionnée.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation était saisie d’un litige hautement symbolique, qui concernait la mise en œuvre du principe chronologique de l’article 320 du code civil. Après avoir, sur le fondement de ce principe chronologique, constaté l’irrecevabilité de l’action en contestation de paternité (I), les juges de cassation contrôlent qu’une telle irrecevabilité n’est pas disproportionnée eu égard au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante à établir sa filiation (II).
I - Le rappel de la portée du principe chronologique en matière de filiation
Dans le « premier lieu » de ses motifs, la Cour de cassation appuie la motivation développée par la cour d’appel de Rouen. L’action en établissement de la filiation paternelle, par le biais d’une expertise génétique devait effectivement être rejetée (B) dès lors que la filiation paternelle originelle n’avait pas été contestée (A).
A - La constatation de la fin de non-recevoir de l'action en contestation de paternité
La Cour de cassation approuve le rejet, par les juges d’appel, de la demande de la requérante d’obtenir une expertise biologique aux fins d’établir sa filiation paternelle. En effet, une telle action était impossible, en raison de l’autorité de la chose jugée touchant le premier jugement (1) ayant constaté la prescription de l’action en contestation de filiation paternelle (2).
1 - L’opposabilité de l’autorité de la chose jugée du jugement irrévocable
Les juges du Quai de l’Horloge abondent dans le sens des juges d’appel qui ont « constaté l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 20 novembre 2007 ». Il faut ici se replacer dans le contexte du litige pour comprendre ce point procédural.
L’autorité de chose jugée renvoie à la force qu’acquiert une décision de justice dès lors qu’elle tranche définitivement une contestation. En l’absence de recours dans les délais, cette décision ne peut plus être remise en cause. On dit alors que cette décision est revêtue de l’autorité de chose jugée. Dès lors, il n’est plus possible de saisir de nouveau une juridiction sur la même prétention (c. civ. art. 1355).
L’affaire ici étudiée n’est que l’acte 2 d’une pièce de théâtre plus large. L’acte 1 s’était joué sur une première saisine du juge par la requérante et sa mère, aux fins de voir annuler la reconnaissance effectuée en 1965 qui la liait à son père légal, mari de sa mère. Un jugement a été rendu le 20 novembre 2007, rejetant la demande en annulation. On comprend, à la lecture du présent arrêt, que ni la requérante, ni sa mère n’ont souhaité donner suite à cet échec, si bien qu’aucun appel n’a été interjeté. Cela signifie que la décision rendue en 2007 était devenue définitive : le rejet de l’action en contestation de la reconnaissance réalisée en 1965 ne pouvait plus être contesté. Plus encore, il n’était plus possible de saisir à nouveau le juge de cette question. C’est en ce sens que la demande est jugée irrecevable, car l’autorité de chose jugée est une fin de non-recevoir (c. proc. civ. art. 122).
Ainsi, la Cour de cassation abonde dans le sens des juges d’appel, qui ont correctement constaté que l’action diligentée par la requérante par acte du 29 juillet 2011 revenait, indirectement, à demander aux juges de statuer sur l’action en contestation de reconnaissance précédemment et irrévocablement rejetée en 2007. Pour autant, l’irrecevabilité de la demande en raison de l’autorité de chose jugée du jugement de 2007 permet habilement aux juges d’appel, et donc de cassation, d’éviter de statuer sur le fond du problème : la prescription de l’action.
2 - Le refus de se positionner sur la prescription de l’action
La Cour de cassation approuve le tour de passe-passe des juges d’appel : ces derniers ne déclarent pas l’action « irrecevable come prescrite », mais ont « constaté l’autorité de chose jugée attachée au jugement du 20 novembre 2007 ». Le raisonnement est implacable : les juges d’appel n’avaient pas à discuter de la prescription de l’action, car le jugement de 2007 avait déjà procédé à une telle discussion et en avait conclu à l’irrecevabilité de l’action en contestation de la reconnaissance de paternité.
Cet argument procédural explique le silence, dans les motifs de la Cour, de la référence aux dispositions relatives aux délais enfermant l’action en contestation de la filiation. Pour autant, ce point avait ici toute son importance et la Cour de cassation s’appuiera notamment sur cet aspect temporel pour en déduire qu’il n’y avait pas, en l’espèce, d’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante (v. infra, II – B – 1).
Le droit actuel de la prescription des actions en matière familiale a été modifié par l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, qui a modifié les articles 320 et suivants du code civil. Désormais, le délai de droit commun de prescription est porté à dix ans. L’action en contestation d’un titre (reconnaissance, acte de naissance…) corroboré par la possession d’état constitue une exception et est enfermée dans un délai de cinq ans « à compter où la possession d'état a cessé ou du décès du parent dont le lien de filiation est contesté » (c. civ. art. 333). Le délai est suspendu durant la majorité de l’enfant, qui ne peut alors agir que jusqu’à ses 23 ans. Ces délais raccourcis tranchent avec les délais applicables avant 2005. L’ancien article 311-7 du code civil prévoyait ainsi une prescription trentenaire de droit commun, courant à compter de la majorité de l’enfant à son égard.
La requérante, née en 1946, était soumise à la prescription trentenaire, au bénéfice des dispositions transitoires posées par l’article 20 de l’ordonnance du 4 juillet 2005. Ce délai était d’ailleurs calculé à partir de ces 21 ans, la requérante étant devenue majeure avant la loi n° 74-631 du 5 juillet 1974 portant l’âge de la majorité à 18 ans. Devenue majeure en 1967, la requérante avait pu agir jusqu’à ses 51 ans pour contester la reconnaissance établie en 1965, c’est-à-dire jusqu’en 1997. Elle a cependant agi après le décès de son géniteur présumé, en 2005. La prescription était acquise depuis plusieurs années.
L’action en contestation de la reconnaissance paternelle était donc « doublement » irrecevable, car prescrite et déjà jugée irrévocablement. Pour autant, on peut se demander quel était ici le besoin des juges d’aller sur le terrain de l’action en contestation de filiation paternelle, dès lors que la demande introduite concernait une action en recherche de paternité avec demande d’expertise génétique. La raison se trouve dans l’impossibilité, édictée par le droit français de la filiation, d’établir deux liens de filiation paternelle simultanés. Il était donc nécessaire, avant d’envisager la demande en établissement de filiation, de vérifier que la filiation paternelle de la requérante était vacante : c’est l’application du principe chronologique de l’article 320 du code civil. La précédente action en contestation ayant échoué, les juges d’appel, confirmés par la Cour de cassation, ne pouvaient que rejeter l’action en recherche de paternité.
B - La confirmation subséquente du rejet de l'action en recherche de paternité
La Cour de cassation approuve les juges d’appel d’avoir fait une application rigoureuse du principe chronologique de l’article 320 du code civil (1). En l’absence de contestation réussie de la filiation paternelle originelle, la demande d’expertise génétique aux fins d’établir un nouveau lien de filiation paternelle devait être rejetée (2).
1 - L’application nécessaire du principe chronologique
En suivant le raisonnement des juges d’appel et en déclarant l’action en contestation de paternité comme irrecevable, la Cour de cassation devait, sans surprise, confirmer la conséquence d’une telle irrecevabilité : « par suite, l'existence d'une filiation définitivement établie entre Mme Y... et Roger X..., faisant obstacle, en application de l'article 320 du code civil, à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait ».
Il s’agit ici de la mise en œuvre d’un pilier du droit français de la filiation, posé à l’article 320 du code civil : le principe chronologique. Le texte prévoit que « tant qu'elle n'a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait ». En d’autres termes, l’existence préalable d’une filiation, maternelle ou paternelle, fait obstacle à tout établissement d’un autre lien de même nature. L’idée est ici de prévenir les conflits de filiation en stabilisant les filiations, mais également d’asseoir la vraisemblance biologique de la filiation, pour laquelle un enfant ne peut avoir une double filiation maternelle ou paternelle.
Cela signifie donc que si une personne souhaite établir un nouveau lien de filiation – par reconnaissance, par possession d’état ou par action judiciaire –, une telle opération supposera que le lien de filiation soit vacant. S’il ne l’est pas, la personne devra, au préalable, contester la filiation faisant obstacle à l’établissement du nouveau lien projeté.
En l’espèce, le principe chronologique se déploie dans toute sa vigueur. Quand bien même la demande était ici fondée sur une action en recherche et en établissement de paternité, le préalable nécessaire à cette action est la vérification de l’absence de filiation paternelle déjà établie. Or, la requérante n’était pas parvenue à convaincre les juges de première instance, en 2007, du bien-fondé de sa demande en annulation de la reconnaissance établie en 1965. Il existait donc toujours un lien de filiation paternelle, qui n’avait pas été combattu et qui fait obstacle à la demande en recherche de paternité, qui devait donc être rejetée par voie de conséquence.
2 - L’impossibilité d’ordonner une expertise génétique
Le raisonnement prend fin avec le rejet, implicite mais sans appel, de la demande en recherche de paternité et en expertise biologique. Depuis un arrêt du 28 mars 2000, la Cour de cassation admet que l’expertise biologique est de droit en matière de filiation afin de rapporter la preuve d’un lien biologique entre une personne et son présumé enfant (Civ. 1re, 28 mars 2000, n° 98-12.806). Ce principe ne cède que si un motif légitime existe pour ne pas procéder à une telle expertise. La Cour de cassation fait de l’existence préalable d’un lien de filiation paternelle, un motif légitime de ne pas ordonner l’expertise biologique.
La solution est juridiquement convaincante car elle s’appuie sur une application rigoureuse du principe chronologique de l’article 320 du code civil. Dès lors qu’une filiation paternelle préexistait, il n’était pas possible pour les juges d’appel d’ordonner une expertise biologique, qui aurait potentiellement permis de révéler que la reconnaissance, établie en 1965, était mensongère car ne retranscrivant pas la réalité biologique. Mais même dans ce cas de figure, la requérante n’aurait pas pu contester la validité de la reconnaissance frauduleuse, l’action étant irrévocable et prescrite. Les juges d’appel, confortés par les juges de cassation, semblent admettre qu’ils sont tenus par les résultats de l’expertise biologique. En ne procédant pas à une telle expertise, en application du principe chronologique, ils évitent une contradiction qui aurait pu s’avérer fâcheuse.
Pour autant, la solution en l’espèce n’est pas totalement idéale. Si la requérante demandait bien ici à établir son lien de filiation avec son présumé géniteur, en requérant une expertise biologique, est-ce qu’une expertise biologique seule n’aurait pas pu être diligentée ? Une telle mesure ferait alors la part des choses entre l’établissement de la filiation, ici impossible en raison du principe chronologique, et la connaissance de ses origines, droit fondamental de tout individu et décorrélé de la filiation. On sait que la Cour de cassation a pu aller dans le sens d’une « action tendant à la reconnaissance d’une ascendance génétique » (Civ. 1re, 13 nov. 2014, n° 13-21.018). On sait aussi que la requérante, en l’espèce, souhaitait voir établir ce lien de filiation paternelle. Mais la solution posée laisse tout de même des interrogations en suspens. Notamment, en constatant que l’action en contestation était irrévocable et prescrite, la Cour de cassation rend impossible toute modification de la filiation paternelle de la demanderesse, mais également toute expertise biologique judiciairement diligentée. Cela signifie que la requérante est déboutée aussi bien du point de vue de sa filiation que de la connaissance de ses origines. N’y a-t-il pas ici atteinte trop importante à son droit fondamental à la connaissance de son ascendance et à l’établissement de sa filiation paternelle ? L’atteinte à un droit fondamental oblige à déployer une autre technique juridique : celle de la proportionnalité.
II - La proportionnalité du principe chronologique en matière de filiation
Depuis quelques années, la Cour de cassation vérifie si l’application stricte des règles de droit interne n’entraîne pas une atteinte trop grande aux droits fondamentaux du requérant lésé. La Cour suit donc le pourvoi et est amenée à réaliser un contrôle abstrait (A) et concret (B) de proportionnalité entre l’application des dispositions générales de l’article 320 du code civil et le droit au respect de la vie privée de la demanderesse.
A - La proportionnalité abstraite de l'ingérence
Au terme du contrôle abstrait de proportionnalité, la Cour de cassation considère que si l’application de l’article 320 du code civil constitue une ingérence au droit au respect de la vie privée de la demanderesse au pourvoi (1), une telle ingérence est justifiée par le but légitime que l’article poursuit en droit français (2).
1 - L’existence d’une ingérence
Dans le « second lieu » de ses motifs, la Cour suit les demandes du moyen du pourvoi en réalisant un contrôle de proportionnalité. Le contrôle de proportionnalité est une des étapes d’un contrôle plus large, qui est le contrôle de conventionnalité du droit interne, réalisé par la Cour de cassation depuis l’arrêt de chambre mixte du 24 mai 1975, dit Jacques Vabre. La proportionnalité suppose qu’au sein de ce contrôle, le juge interne vérifie que l’application des dispositions internes litigieuses ne porte pas une atteinte injustifiée aux droits fondamentaux des requérants. Il s’agit de vérifier que notre droit interne se conforme bien aux exigences supranationales.
La réalisation de ce contrôle abstrait suppose la mise en évidence d’un droit fondamental qui serait atteint, ainsi que l’existence d’une atteinte, aussi appelée ingérence, dans la réalisation de ce droit fondamental.
En l’espèce, la requérante invoque, dans son moyen, une ingérence dans son droit au respect de la vie privée. La Cour de cassation admet qu’une telle ingérence est effectivement constituée en relevant que « l'impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien de filiation paternelle constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».
Le droit fondamental en cause est ici le droit au respect de la vie privée et familiale, droit garanti par l’article 8 de la Convention EDH. L’article est succinct dans son contenu, mais la Cour EDH a eu plusieurs fois l’occasion de rappeler que l’article 8 comprend à la fois le droit de connaître ses origines et son ascendance, mais également le droit de voir reconnaître judiciairement cette filiation (CEDH, 7 févr. 2002, req. n° 53176/99, Mikulic c. Croatie ; CEDH, 16 juin 2011, req. n° 19535/08, Pascaud c. France ; CEDH, 26 juin 2014, req. n° 65192/11, Mennesson c. France).
Dans le cas présent, le constat, par la Cour de cassation, d’une ingérence constituée dans le droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante est logique. Le rejet de l’action en établissement de filiation paternelle introduite par la requérante constitue nécessairement pour elle une ingérence. D’une part, la demanderesse se retrouve privée d’une partie de son identité en ce qu’elle n’a pas pu avoir accès à l’expertise biologique et donc confirmer le lien biologique la reliant à son présumé géniteur. D’autre part, et surtout, elle se trouve dans l’impossibilité d’établir ce lien de filiation, le principe chronologique s’appliquant de manière implacable en raison de l’irrecevabilité de l’action en contestation de paternité. C’était donc ici l’application du principe chronologique lui-même qui causait une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante. Or, la Cour EDH a déjà affirmé que l’autorité de la chose jugée attachée à un jugement ne peut pas, dans certaines hypothèses, être opposée à la contestation d'une paternité dont la fausseté biologique a été démontrée (CEDH, 10 oct. 2006, req. n° 10699/05, Paulik c. Slovaquie).
Cependant, la seule constatation d’une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante n’est pas suffisante pour constituer une inconventionnalité et écarter la disposition litigieuse. Il fallait encore vérifier si cette ingérence était justifiée par la recherche d’un but légitime.
2 - L’existence d’une ingérence justifiée
L’article 8 précise, dans son second alinéa, que le droit au respect de la vie privée et familiale peut être limité si l’atteinte est prévue par la loi et qu’elle poursuit un but légitime. La Cour de cassation reprend ces deux critères pour les opposer à la requérante et conclure qu’il n’existe pas, en l’espèce, d’ingérence injustifiée à son droit au respect de la vie privée et familiale.
S’agissant de l’atteinte prévue par la loi, la Cour est assez évasive. Elle indique que « l'obstacle opposé à Mme Y... est prévu à l'article 320 du code civil ». L’ingérence est ainsi prévue par un texte, ici un texte à valeur législative contenu dans le code civil. Le point ne fait pas ici difficulté, ce qui explique son caractère allusif.
S’agissant du but légitime poursuivi par l’atteinte, la Cour de cassation précise que l’article 320 du code civil, et donc le principe chronologique, ont pour objet de « garantir la stabilité du lien de filiation et [de] mettre les enfants à l'abri des conflits de filiations ». C’est ici l’occasion, pour les juges du Quai de l’Horloge, d’asseoir la raison d’être du principe chronologique et, avec lui, des délais de prescription en matière de filiation. Les règles posées en matière d’actions relatives à la filiation doivent permettre d’éviter une remise en cause des liens de filiation après un temps trop long et ainsi assurer la paix des familles et des foyers. La solution n’est, une fois de plus, pas étonnante ici car elle est dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation.
En filigrane, la Cour de cassation rappelle bien que le droit de la filiation ne peut être réduit à un aspect biologique. Si le droit de la filiation se repose en premier lieu sur une vraisemblance biologique, l’écoulement du temps et des relations vécues transforme ce premier aspect biologique jusqu’à le faire passer au second plan. Comme le note le professeur Égéa, « parce qu'elle constitue une construction juridique et intellectuelle, qui s'inscrit dans un contexte social et culturel donné, la filiation ne saurait se réduire à sa dimension strictement biologique. Les délais de prescription participent à cette construction, laquelle doit ménager aussi la sécurité juridique, les droits des tiers ou encore la stabilité des liens en plaçant l'enfant à l'abri des conflits de filiations » (V. Egéa, « Un semestre de droit procédural de la famille (juillet 2016 – janvier 2017) », Dr. fam., n° 3, 1er mars 2017, chron. 1).
La Cour de cassation aurait pu s’arrêter à ce premier niveau de contrôle. Or, depuis quelques années, elle vérifie également la conventionnalité concrète des textes de droit interne, c’est-à-dire si l’application des textes au cas particulier n’entraîne pas une atteinte disproportionnalité au droit fondamental protégé.
B - La proportionnalité concrète de l'ingérence
Bien que l’atteinte soit justifiée, elle n’en reste pas moins une ingérence dans le droit de la requérante à voir établi un élément essentiel de son identité. Depuis un arrêt retentissant (Civ. 1re, 4 déc. 2013, n° 12-26.066), la Cour de cassation s’attache à réaliser un contrôle concret et à vérifier si l’application des dispositions litigieuses n’entraîne pas dans le cas d’espèce une atteinte disproportionnée au regard du but légitime poursuivi. La technique divise en doctrine, entre partisans (B. Louvel, « Réflexions à la Cour de cassation », D. 2015, p. 132), observateurs pragmatiques (H. Fulchiron, « Le juge judiciaire et le contrôle de proportionnalité », D. 2015 p. 2365 ; J.-P. Marguénaud, « La mise en œuvre du principe de « proportionnalité privatisée » par la première chambre civile de la Cour de cassation », RTD civ. 2015, p. 825) et détracteurs (F. Chénédé, « Contre-révolution tranquille à la Cour de cassation ? », D. 2016 p. 796). En l’espèce, elle refuse d’y voir une atteinte disproportionnée, en s’attachant aux aspects temporels (1) et sociologiques (2) de la filiation de la requérante.
1 - La prise en compte de la durée de l’action
Pour considérer qu’il n’existe pas d’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante, la Cour de cassation répond d’abord aux arguments du pourvoi. Pour la requérante, en effet, « la restriction procédant de la prescription de l'action en contestation de la paternité prévue par les articles 320 et 321 du code civil » devait être regardée comme « excessive », notamment parce que le délai de l’action commence dès la majorité de l’enfant à son égard, et non dès que l’enfant a eu connaissance, une fois adulte, de l’existence d’une discordance entre sa filiation légale et sa filiation réelle.
Le raisonnement de la requérante n’est pas nouveau et prend notamment appui sur la jurisprudence de la Cour EDH. De manière générale, la Cour EDH considère que, lorsque le requérant n’a pas eu la possibilité de contester son lien de filiation (CEDH, 8 déc. 2016, req. n° 7949/11 et 45522/13, L.D et P.K. c. Bulgarie), ou dans des conditions trop rigides (CEDH, 20 déc. 2007, req. n° 23890/02, Phinikaridou c. Chypre, en l’espèce délai de trois ans), voire arbitraires (CEDH, 18 mai 2006, req. n° 55339/00, R. c. Pologne ; CEDH, 6 juill. 2010, req. n° 17038/04, Grönmark c. Finlande et req. n° 36498/05, Backlund c. Finlande), la législation interne devait être considérée comme contraire à l’article 8 de la Convention. Cette jurisprudence est constante de la part de la Cour EDH (CEDH, 16 juin 2020, req. n° 47443/14, Boljevic c. Serbie ; CEDH, 30 juin 2020, req. n° 58240/14, Bocu c. Roumanie).
Sur le caractère excessif du délai de prescription de l’action en contestation de paternité, la Cour de cassation relève que la filiation paternelle de la requérante a été établie en 1965, soit près de 20 ans après sa naissance. Cette filiation n’avait pas été contestée jusqu’au début des années 2000, alors même que la requérante avait « disposé d'un délai de trente ans à compter de sa majorité pour contester la paternité de Roger X..., ce qu'elle n'a pas fait ». La requérante avait jusqu’au 9 février 1997 pour contester cette filiation (v. supra, I – A – 2). Or, la Cour relève également que l’intéressée avait eu tout le loisir de contester sa filiation paternelle depuis 1965, aux fins de la « mettre en conformité avec la réalité biologique », ce qu’elle n’a pas fait. La Cour de cassation approuve donc la cour d’appel d’avoir considéré que sur ce point, il n’existait aucune disproportion.
La Cour de cassation ne revient pas, en revanche, sur l’argument tenant à la remise en cause du point de départ de ce délai. En effet, à la lecture de l’article 321 du code civil, le point de départ des délais en matière d’actions relatives à la filiation se situe, à l’égard de l’enfant, au jour de sa majorité. La requérante soutient qu’un tel point de départ est contraire à son droit à l’établissement effectif de sa filiation en concordance avec ses origines. Elle n’a eu connaissance de l’existence de son présumé géniteur qu’après l’écoulement du délai de prescription.
L’argument est de poids, notamment car la Cour EDH a pu sembler exiger que les justiciables aient eu une connaissance effective de leur filiation biologique pour vérifier si l’atteinte opposée par les délais internes n’était pas disproportionnée. Il ne s’agirait que de la mise en œuvre de l’adage Contra non valentem agere non currit praescriptio contenu à l’article 2234 du code civil : « contre celui qui ne peut valablement agir, la prescription ne court pas ». À partir de là, deux approches pouvaient être défendues sur cette connaissance effective de la filiation biologique : le délai doit-il courir au jour où l’enfant a eu connaissance de l’absence de lien biologique avec son parent, ou au jour où l’enfant a eu connaissance de l’identité de son véritable géniteur ?
La Cour de cassation ne répond pas explicitement à cet argumentaire. Mais elle semble toutefois admettre que la requérante avait eu connaissance de l’absence de lien biologique avec son père légal (l’établissement d’une reconnaissance près de 20 ans après sa naissance permet d’accréditer cette hypothèse). Dès lors, la requérante était face à un choix : soit contester sa filiation paternelle, quitte à demeurer avec une filiation paternelle vacante dans l’hypothèse d’une découverte postérieure de l’identité de son géniteur ; soit demeurer dans cette filiation, avec le risque assumé de ne pas pouvoir la contester si son géniteur refait surface.
D’un point de vue plus général, la question du point de départ de l’action en contestation de filiation n’est pas sans intérêt. Si, dans l’arrêt du 5 octobre 2006, la question est éludée en raison des délais longs dont avait bénéficié la requérante, la réduction des délais de prescription par l’ordonnance du 4 juillet 2005 pourrait rabattre les cartes et remettre les articles 320 et 321 du code civil sous le coup d’un nouveau contrôle de proportionnalité. Les délais de prescription étant désormais de 5 à 10 ans, le décalage du point de départ de ces délais pourrait être une ligne de défense des prochains justiciables en quête d’un infléchissement de la part de la Cour de cassation. Comme le relève le professeur GARE, « l'enfant qui n'a appris que de manière tardive qui est son géniteur pourrait parfaitement se prévaloir de ce texte, qui lui permettrait de saisir le tribunal dans les dix années suivant le jour où il a fini par percer ce secret. L'article 2234 confère ainsi aux délais offerts pour engager les actions en établissement de la filiation la souplesse qui aurait pu leur manquer en son absence » (Th. Garé, « Irrecevabilité de l’action en recherche de paternité et contrôle de proportionnalité », JCP G. n° 48, 28 nov. 2016, act. 1276). La question est cependant discutée en doctrine (F. Terré., C. Goldie-Genicon. et D. Fenouillet, La famille, Dalloz, Précis, 9e éd., 2018, no 576 ; en sa faveur : J. Garrigue, « Prescription, forclusion et filiation », in Mélanges Payet, Dalloz, 2012, p. 237 et s., no 28).
2 - La prise en compte de la réalité vécue
La Cour de cassation ne se limite pas à la prise en compte de l’aspect temporal de la vie familiale de la requérante. Elle constate ensuite que la filiation litigieuse, établie en 1965, avait perduré jusqu’au décès de son auteur, en 2001. Or, deux éléments ressortent de l’exercice de cette première filiation paternelle.
D’une part, le lien de filiation n’avait jamais été remis en cause, ni par la requérante, ni par ses parents, ni par un tiers intéressé. La filiation paternelle était donc vraisemblablement fondée sur une réalité biologique, à tout le moins sociologique, car la Cour rappelle que le lien était « conforté par la possession d’état ». On en revient ici au but légitime poursuivi par les délais en matière de filiation : la stabilité de la filiation et la paix des familles prennent le pas, au fil du temps, sur la réalité biologique elle-même. Le droit français fait ici le choix, conscient, de préférer une filiation stable et vécue à une filiation conforme à la biologie.
D’autre part, la requérante avait attendu le début des années 2000 pour agir en contestation de sa filiation paternelle. Si cette date s’explique par la découverte de l’existence de son géniteur, la chronologie est particulière, car le père légal de la requérante était décédé quelques années plus tôt. La requérante avait donc « hérité de ce dernier à son décès », mais souhaitait désormais se défaire de ce lien pour établir un nouveau lien de filiation paternelle au profit de l’auteur de sa seconde reconnaissance et géniteur présumé. Une question se pose alors : n’y a-t-il pas ici davantage qu’une recherche d’origines ? L’assignation des héritiers du géniteur prétendu, au terme d’une seconde action en établissement de la filiation, ne prend-t-elle pas ici la forme de la recherche d’un intérêt pécuniaire ? N’y aurait-il pas un risque pour la sécurité des filiations à admettre une remise en cause dans ce genre de situations ? L’admission des deux actions en contestation de paternité et en recherche de paternité aurait dû amener la requérante à « restituer » la succession de son « premier » père, et à rouvrir la succession de son géniteur, « second » père, plus de 10 ans après son décès.
C’est bien ici que le bât blesse. On peut ici comprendre la recherche et la reconnaissance du lien biologique qui lie la requérante à son géniteur présumé. Mais la requérante avait, en conscience, choisi de préférer la filiation paternelle originelle, et donc de laisser couler le délai de prescription, avec les conséquences juridiques et financières d’un tel statu quo. Il apparaît alors pour le moins hypocrite de la part de la requérante de renier une relation paternelle stable, vieille de 40 ans, pour privilégier un lien biologique hypothétique.
En déclarant que l’atteinte était proportionnée et que la cour d’appel n’avait « pas méconnu les exigences résultant de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales » en déclarant l’action irrecevable, la solution de la Cour de cassation doit être approuvée.
Toujours est-il que l’arrêt laisse en suspens certaines questions. Pourquoi la Cour de cassation n’a pas saisi l’occasion pour rediscuter ici de l’interdiction de l’expertise post-mortem, qu’elle a refusée dans l’affaire dite Montand et qui trouve aujourd’hui une assise textuelle au sein de l’article 16-11, alinéa 2 du code civil ? La requérante aurait pu, sur le fondement de la reconnaissance réalisée par son géniteur présumé, demander à s’assurer de la réalité du lien biologique qui les unissait. Une telle action n’aurait pas nécessairement eu pour conséquence d’établir la filiation entre la requérante et son géniteur, en raison du principe chronologique. Mais la connaissance des origines et l’établissement de la filiation étant deux phases distinctes dans la construction personnelle de tout individu, une telle piste aurait pu être envisagée aux fins de ne pas laisser la requérante dans l’incertitude. Perdante du point de vue successoral, elle aurait cependant pu se réconforter par le résultat de l’expertise biologique.
Enfin, cet arrêt marque véritablement le tournant méthodologique de la Cour de cassation. Traditionnellement qualifiée de juge « du droit », à l’inverse des juges du fond qui sont juges « du droit et du fait », la Cour de cassation trouve l’opportunité, avec le contrôle concret de proportionnalité, de se confronter directement aux éléments factuels du litige. Cet arrêt du 5 octobre 2016 (ainsi qu’un autre arrêt de la fin d’année 2016 : Civ. 1re, 9 nov. 2016, n° 15-25.068) devrait ainsi rassurer les juristes qui avaient pu penser que le droit français de la famille allait disparaître à la suite de l’arrêt du 4 décembre 2013 précité, au profit du droit mou qu’est le droit de la Convention EDH. Il n’en est cependant rien, au contraire. Cependant, la mise en œuvre de ce contrôle concret de proportionnalité continue de faire parler : assiste-t-on réellement à une restructuration du rôle de la Cour de cassation, à une illustration de sa crise de légitimité, ou tout simplement à la mise en œuvre d’une nouvelle technique juridique ? Seul l’avenir nous le dira. En tout état de cause, la Cour de cassation refuse – mais jusqu’à quand ? – d’écarter les délais de prescription en matière de filiation au terme d’un contrôle concret de proportionnalité (v. Civ. 1re, 7 nov. 2018, n° 17-25.938).
Cass., Civ. 1re, 5 oct. 2016, n° 15-25.507
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 13 mai 2015), que Mme X... épouse Y... est née le 9 février 1946 de Mme Z... et a été reconnue le 30 juin 1965 par Roger X..., qui l'a légitimée par son mariage avec sa mère le même jour ; que ce dernier est décédé le 12 juillet 2001 ; que, le 25 novembre 2005, Mme Y... a été reconnue par Robert A..., lequel est décédé le 13 mai 2006 ; qu'un jugement irrévocable du 20 novembre 2007 a déclaré irrecevable comme prescrite la contestation de la reconnaissance de Roger X... formée par Mme Y... et sa mère et a annulé la reconnaissance de paternité effectuée par Robert A... ; que, par acte du 29 juillet 2011, Mme Y... a assigné les enfants de Robert A... (les consorts A...) sur le fondement de l'article 327 du code civil, afin que soit ordonnée une expertise biologique et que sa filiation avec Robert A... soit établie ;
Attendu qu'elle fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :
1°/ que l'effectivité du droit de connaître ses origines et de voir établie la filiation correspondante, garantis par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales commande au juge national de délaisser les restrictions posées par des dispositions internes dès lors que celles-ci portent une atteinte substantielle au droit revendiqué ; qu'est à cet égard excessive la restriction procédant de la prescription de l'action en contestation de la paternité prévue par les articles 320 et 321 du code civil quand le délai de prescription ne peut commencer à courir avant que l'enfant, devenu adulte, n'ait eu connaissance de l'identité de son père biologique ; qu'en retenant pour point de départ de la prescription de l'action en contestation de paternité le 9 février 1967, date de la majorité de la requérante, sans tenir compte de l'ignorance de sa filiation réelle, qui ne sera découverte qu'en 2005, la cour a méconnu les exigences de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que toute restriction au droit à la connaissance de ses origines doit être nécessaire et proportionnée ; qu'en retenant que l'intérêt de la famille du père légitime, décédé avant la révélation des origines de la requérante, justifiait une restriction au droit à la connaissance de ses origines, sans autre examen de la position propre du père biologique qui, de son vivant, souhaitait voir reconnaître ledit lien de filiation, la cour n'a pas opéré la balance proportionnée des intérêts en présence et méconnu de ce chef encore les exigences de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ qu'aux termes des articles 146 du code de procédure civile et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder ; qu'en refusant d'examiner la demande d'expertise biologique formulée par la requérante, lors même que le père biologique avait consenti de son vivant à la réalisation d'un test génétique et souhaitait voir reconnaître le lien de filiation dont s'agit, sans s'expliquer autrement sur l'éventuelle légitimité d'interdire à la requérante de connaître ses origines et d'établir sa filiation, la cour a derechef méconnu les textes susvisés ;
Mais attendu, en premier lieu, que, contrairement aux énonciations de la première branche du moyen, la cour d'appel n'a pas déclaré l'action en contestation de paternité de Mme Y... irrecevable comme prescrite, mais a constaté l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 20 novembre 2007 et, par suite, l'existence d'une filiation définitivement établie entre Mme Y... et Roger X..., faisant obstacle, en application de l'article 320 du code civil, à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait ;
Attendu, en second lieu, d'abord, que si l'impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien de filiation paternelle constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'obstacle opposé à Mme Y... est prévu à l'article 320 du code civil et poursuit un but légitime en ce qu'il tend à garantir la stabilité du lien de filiation et à mettre les enfants à l'abri des conflits de filiations ;
Attendu, ensuite, que l'arrêt relève que Roger X... a reconnu Mme Y... en 1965 et a été son père aux yeux de tous jusqu'à son décès en 2001, sans que personne ne remette en cause ce lien de filiation conforté par la possession d'état ; qu'il ajoute que Mme Y..., elle-même, a disposé d'un délai de trente ans à compter de sa majorité pour contester la paternité de Roger X..., ce qu'elle n'a pas fait, et qu'elle a hérité de ce dernier à son décès ; qu'ayant ainsi constaté que l'intéressée avait disposé de procédures lui permettant de mettre sa situation juridique en conformité avec la réalité biologique, la cour d'appel a pu en déduire que l'atteinte portée au droit au respect de sa vie privée n'était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ; qu'en déclarant irrecevable l'action en recherche de paternité et, par suite, la demande d'expertise biologique, elle n'a donc pas méconnu les exigences résultant de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi […]
