Introduction
L’accouchement sous X soulève, selon Jean Carbonnier, la question du « secret de la maternité, non pas de la naissance » (Droit civil. T.1, PUF, Quadrige Manuels, 2e éd., 2017, spé. p. 397, no 205). Ce secret concerne surtout l’enfant, privé de l’identité de sa mère (v. CEDH, 30 janv. 2024, n° 18843/20, Cherrier c/ France), mais il affecte aussi le père, pour qui la naissance peut être dissimulée. L’arrêt étudié du 11 septembre 2024 interroge les droits de ce dernier à l’égard de l’enfant.
En l’espèce, une enfant née sous X en octobre 2016 est déclarée pupille de l’État deux mois plus tard. Placée en janvier 2017, elle rejoint un foyer adoptif en février, avant qu’une demande d’adoption plénière soit déposée en mai. En juin 2017, un homme, désigné comme le « père de naissance » par la Cour de cassation, reconnaît l’enfant. Cette circonstance pousse les juges de première instance à rejeter la demande d’adoption plénière. La cour d’appel de Riom infirme ce jugement, jugeant irrecevable l’action du père de naissance faute de qualité à agir. La Cour de cassation casse cette décision le 27 janvier 2021, estimant que la cour aurait dû vérifier si cette irrecevabilité portait une atteinte disproportionnée aux droits du père de naissance. La cour d’appel de Lyon, saisie par renvoi, confirme l’irrecevabilité, cette fois après un contrôle de proportionnalité.
Le requérant forme un pourvoi contre cette décision. Il reproche à la cour d’appel d’avoir mal apprécié l’intérêt de l’enfant, en négligeant son droit à connaître ses géniteurs, ainsi que son propre droit d’établir des liens secondaires avec l’enfant (droit de visite, hébergement). Il critique aussi l’inaction du ministère public, pourtant sollicité deux fois.
La Cour de cassation devait se pencher sur la conventionnalité de l’irrecevabilité de l’action en opposition d’un géniteur à l’adoption plénière de son enfant né dans le secret. Cette analyse l’amène, dans l’arrêt soumis à étude, à réaliser un « contrôle du contrôle » (selon la formule, désormais célèbre, du professeur Fulchiron) réalisé par la cour d’appel de Lyon, aussi bien dans son volet abstrait que dans son volet concret.
S’agissant du contrôle in abstracto, la Cour rappelle que seul un tiers ayant un lien de filiation établi et intervenant avant le placement de l’enfant a qualité pour s’opposer à l’adoption, en application des articles 352-2 du Code civil et 329 du code de procédure civile (§ 10 à 12). En l’absence d’un tel lien, l’intervention est impossible. Il y a ici ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale du père de naissance (§ 21), mais elle est justifiée par les voies offertes au père de naissance pour se voir restituer l’enfant et établir son lien de filiation (§ 14 à 19).
S’agissant du contrôle in concreto, la Cour de cassation se fonde sur la balance des intérêts effectuée par les juges d’appel (§ 22) pour estimer que le père de naissance avait pu user de ces voies légales pour établir son lien de filiation avec l’enfant. Les démarches entreprises l’avaient été soit trop tardivement, soit de manière peu diligente. Par ailleurs, compte tenu des relations affectives nouées entre adoptée et adoptants et de l’importance pour l’enfant de ne pas subir une autre rupture de son lien maternel, la Cour confirme que l’irrecevabilité de l’action du père de naissance ne porte pas une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux.
Si l’arrêt étudié met fin à un contentieux long de près de huit ans, il laisse subsister des incertitudes sur sa portée. La justification pédagogique de la conformité abstraite de l’irrecevabilité de l’action du père de naissance (I), conjuguée à un contrôle concret tributaire des faits de l’espèce (II), montre que le débat est loin d’être clos.
I - La conventionnalité in abstracto de l'irrecevabilité de l'intervention du père de naissance à la procédure d'adoption de l'enfant né sous le secret
La Cour opère, de manière assez surprenante, car non soulevé par le pourvoi, un contrôle in abstracto de conventionnalité des règles entourant la possibilité, pour un père de naissance, de se voir restituer son enfant et d’établir un lien de filiation avec ce dernier. Il s’agit là, pour les hauts magistrats, de s’assurer que le droit actuel français est bien conforme aux droits fondamentaux, c’est-à-dire qu’il ne porte pas atteinte à un droit fondamental ou, s’il porte atteinte à un droit fondamental, que cette atteinte soit justifiée par la poursuite d’un but légitime. Il faut reconnaître à la Cour son honnêteté : les règles actuelles portent atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale du père de naissance en ce qu’elles rendent impossible toute restitution après le placement de l’enfant (B). Cependant, elle lui rappelle que des possibilités existent pour identifier l’enfant (A).
A - Le rappel des options offertes au père de naissance aux fins d'identifier l'enfant né sous le secret
La Cour commence son raisonnement en indiquant au père de naissance que le droit positif lui offre plusieurs voies pour se voir restituer son enfant (1) ou encore établir son lien de filiation à l’égard de ce dernier (2).
1 - La possibilité de demander la restitution de l’enfant
La pédagogie de l’arrêt formalise la volonté des juges de cassation de justifier leur décision auprès du père de naissance : le droit français (CASF, art. L. 224-4 à L. 224-8) lui offre différents moyens pour qu’il puisse valablement s’opposer à l’adoption de son enfant (§ 14).
Sur le terrain de la restitution de l’enfant, entendu au sens large, la Cour relève que le père de naissance disposait, tout d’abord, d’un délai de deux mois (à l’instar de la génitrice) pour reprendre l’enfant « immédiatement et sans aucune formalité » (§ 15). Ce délai, conforme à la Constitution (Cons. const. QPC, 7 févr. 2020, no 2019-826), court à partir de l’admission de l’enfant à l’ASE. En l’espèce, il courait donc à partir du lendemain de la naissance de l’enfant, soit le 24 octobre 2016, et avait expiré le 24 décembre 2016.
L’admission en qualité de pupille de l’État, qui n’est alors que provisoire, devient définitive à l’issue de ce délai par arrêté du président du conseil départemental. Le père de naissance n’était alors pas sans défense là encore, car il lui était possible de contester cet arrêté pendant trente jours à compter de la notification de cet arrêté. En l’absence de notification, la contestation judiciaire demeure possible jusqu’au placement de l’enfant (§ 16). Plus encore, le parent de naissance peut encore demander la restitution de l’enfant à l’expiration de ces délais. Mais alors, ce n’est plus le juge mais le tuteur, avec l’accord du conseil de famille, qui autorise ou non la restitution. Cette décision peut elle-même être contestée devant le tribunal judiciaire (§ 17).
Autrement dit, s’il existe une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale du père de naissance, à savoir l’impossibilité d’établir sa filiation avec son enfant, le droit français permet aux géniteurs d’interrompre le placement de l’enfant, à différentes étapes du processus. En l’espèce, le placement avait été décidé le 28 janvier 2017 et réalisé le 15 février suivant, ce qui avait laissé au père de naissance environ cinq mois pour agir. Les démarches pour demander la restitution de l’enfant s’accompagnent des démarches pour reconnaître l’enfant.
2 - La reconnaissance de l’enfant
La Cour évoque deux possibilités pour le père d’établir son lien de filiation, bien qu’ici la pédagogie de l’arrêt soit moins visible. Ces deux possibilités sont issues du droit commun de la filiation charnelle, prévoyant l’établissement de la filiation par reconnaissance (C. civ., art. 316).
D’une part, le géniteur peut reconnaître l’enfant avant sa naissance (§ 27). Cette possibilité est ouverte que l’enfant soit né dans le secret ou non. Par définition, l’enfant n’étant pas encore né, le père de naissance n’est pas au courant du secret qui entourera sa naissance. D’autre part, le parent de naissance peut reconnaître l’enfant après sa naissance. Dans les deux cas, il est exigé un comportement positif du père de naissance pour établir sa filiation.
La particularité de l’arrêt étudié est que la Cour rappelle au père de naissance que le droit français lui accorde une faveur. En effet, la difficulté rencontrée par le père de naissance sera que, si une reconnaissance est réalisée, elle doit encore être faite devant l’officier de l’état civil territorialement compétent. Ce dernier transposera alors l’acte sur les registres de l’état civil. Or, là encore, l’accouchement étant le plus souvent caché au père, ce dernier ne dispose pas des informations exigées par l’article 62 du Code civil pour établir une telle reconnaissance et le transcrire. C’est à cette fin que l’article suivant (C. civ., art. 62-1) permet au père de naissance de saisir le procureur de la République. Le ministère public dispose de moyens de recherche étendus, facilitant les démarches de transcription de l’acte.
Mais il faut alors comprendre que le père de naissance doit respecter une certaine temporalité dans l’utilisation de ces différents moyens mis à sa disposition. Avant le placement, le père peut agir. Après le placement en vue de l’adoption de l’enfant, toute démarche devient inutile.
B - L'impossibilité d'une intervention du père de naissance après le placement de l'enfant
L’énumération des voies légales offertes au père de naissance pour récupérer et établir un lien de droit avec son enfant prend toute son importance avec la règle rappelée par la Cour, selon laquelle toute intervention postérieure au placement de l’enfant suppose une qualité à agir (1), c’est-à-dire d’un lien de filiation avec l’enfant. C’est sur ce point que la Cour valide l’irrecevabilité de l’intervention du père de naissance (2).
1 - L’exigence d’une qualité à agir
Par la combinaison des articles 329 du Code de procédure civile et 352-2 du Code civil, la Cour de cassation rappelle que « l’intervention volontaire dans une procédure d’adoption plénière du père de naissance d’un enfant immatriculé définitivement comme pupille de l’État et placé en vue de son adoption plénière est irrecevable, faute de qualité à agir, dès lors qu’aucun lien de filiation ne peut plus être établi entre eux » (§ 12) (v. déjà : Civ. 1re, 8 juill. 2009, n° 08-20.153).
C’est sur ce point que se joue, en réalité, le cœur de l’arrêt. Les juges, d’appel comme de cassation, s’entendent sur le fait que l’action en intervention du père de naissance, pour s’opposer à l’adoption de sa fille, doit être déclarée irrecevable. Nous sommes ici non plus sur le terrain du droit substantiel de la famille, mais sur le terrain du droit procédural. La demande est jugée irrecevable en ce que le père de naissance n’a pas qualité à agir. Pour pouvoir agir en justice, des conditions doivent être réunies et remplies, aux termes notamment des articles 122 et suivants du Code de procédure civile. Notamment, l’action doit être introduite par une personne ayant un intérêt et une qualité à agir.
Il semble étonnant que la Cour indique que le père de naissance n’ait pas d’intérêt à agir, car il est concerné personnellement par la procédure d’adoption. Mais c’est le défaut de qualité à agir qui rend l’action irrecevable : la qualité est le titre juridique en vertu duquel une personne est recevable à agir. Il existe en effet des cas dans lesquels la loi exige une qualité particulière pour agir. C’est le cas en matière d’intervention volontaire dans une procédure d’adoption de l’enfant pupille de l’État : seuls peuvent agir les parents légaux de l’enfant. Or, le père de naissance n’a pas de lien de filiation établi avec sa fille. Il souhaitera établir ce lien en juin 2017. Mais les juges font ici une application littérale de l’alinéa 1er de l’article 352-2 du Code civil : « Le placement […] fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance » postérieure, application au demeurant jugée constitutionnelle (Cons. const. QPC, 7 févr. 2020, no 2019-826). Le placement de l’enfant a donc rendu nulle la reconnaissance réalisée en juin 2017, ce qui explique notamment que l’arrêt mentionne que le demandeur au pourvoi fait grief à l’arrêt « d’annuler l’acte de reconnaissance du 12 juin 2017 » (§ 9).
2 - La justification de l’impossibilité de l’intervention
La Cour de cassation relève que la décision d’irrecevabilité opposée au père de naissance constitue, sans doute possible, une ingérence dans son droit au respect de la vie privée et familiale tel que garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention EDH).
Cependant, cette ingérence est justifiée à plusieurs égards. Avant le placement de l’enfant, le parent de naissance dispose de moyens pour s’introduire dans le processus de placement de l’enfant. Les moyens offerts sont suffisants pour la Cour de cassation, d’autant plus qu’ils tendent, dans le même temps, à ce que l’adoption de l’enfant intervienne « dans un délai qui ne soit pas de nature à compromettre son développement » (§ 19). Après le placement, l’impossibilité pour le parent de naissance de s’interposer à l’adoption poursuit quant à elle « les buts légitimes de protection des droits d’autrui en sécurisant, dans l’intérêt de l’enfant et des adoptants, la situation de celui-ci à compter de son placement en vue de l’adoption et en évitant les conflits de filiation » (§21).
La Cour de cassation ne se fait plus ici pédagogue, mais porte-parole du législateur. Elle rejoint ici le Conseil constitutionnel, qui rappelle régulièrement qu’il ne lui appartient pas « de substituer son appréciation à celle du législateur » sur les questions de société (Cons. const., 16 mai 2012, n° 2012-248 QPC). Cette posture de la Cour de cassation est intéressante, car elle aurait pu également admettre, au terme de ce contrôle abstrait, que le droit français actuel n’était pas conforme aux droits fondamentaux du père de naissance. En effet, les moyens offerts au père de naissance sont limités, voire inexistants après le placement de l’enfant, si bien que des réformes sont proposées (II. B. 2).
On peut d’ailleurs s’interroger sur les raisons pour lesquelles la Cour de cassation opère un tel contrôle in abstracto. Le demandeur au pourvoi ne se plaçait que sur le terrain du contrôle concret de conventionnalité, la cour d’appel de Lyon n’ayant été saisie par renvoi que de ce seul contrôle. Surtout, la portée de l’arrêt est floue. La méthodologie du contrôle est brouillonne (par exemple, le contrôle de la balance des intérêts (§ 19) est mentionné avant le constat d’une ingérence dans les droits du géniteur (§ 21). Sur ce point l’article de J. Boisson à la RJPF, n°294, 1er nov. 2024, p. 38 et s.) et la publication de l’arrêt est faible (inédit). À se demander pourquoi la Cour de cassation opère un tel contrôle, sauf à se justifier auprès du père de naissance d’une décision qui peut apparaître, somme toute, comme sévère à son égard.
II - La conventionnalité in concreto de l'irrecevabilité de l'intervention du père de naissance à la procédure d'adoption de l'enfant né sous le secret
Afin de répondre aux arguments du pourvoi, la Cour annonce qu’elle réalise un contrôle de la balance des intérêts effectuée par les juges d’appel (§ 22). Elle confirme que l’ingérence subie par le père de naissance dans son droit au respect de la vie privée et familiale n’est pas disproportionnée par rapport aux autres intérêts en présence. Pour statuer en ce sens, elle s’appuie sur deux séries d’éléments : le manque de diligence du père de naissance (A) et la primauté à accorder à l’intérêt de l’enfant (B).
A - Les occasions manquées du père de naissance à faire valoir ses droits
Sept des paragraphes qui composent les motifs de la Cour abordent le contrôle factuel opéré par les juges du fond. La Cour fait siennes les constatations d’appel : elle reproche au père de naissance sa négligence (1) et son manque de célérité (2) dans la manière dont il a exercé les différentes options qui lui étaient offertes.
1 - Les négligences dans les démarches accomplies
Les juges d’appel comme de cassation reprochent tout d’abord au père de naissance ses négligences dans les démarches qu’il a pu accomplir. Il est d’abord fait état de la prise de contact avec un avocat (§23), sans que cela ne débouche sur une action en justice. Il est ensuite mentionné que le père de naissance a sollicité l’aide du ministère public en février 2017 aux fins d’identifier son enfant, sur le fondement de l’article 62-1 du Code civil précédemment mentionné. Cependant, aucune information essentielle n’a été communiquée au ministère public, à savoir l’identité de la mère de l’enfant ou encore la date et le lieu présumé de la naissance. Cette absence d’informations constitue une négligence de la part du géniteur, si bien que le ministère public avait été dans l’impossibilité de retrouver l’enfant (§ 24 et 26).
La position des juges de cassation est compréhensible : bien que le père ait agi en informant le ministère public des circonstances de la naissance de sa fille, on peut supposer que le procureur lui ait demandé des informations qui semblent, somme toute, assez sommaires. L’identité de la mère était nécessairement connue. Si la date et le lieu peuvent être plus difficiles à établir, de premières pistes peuvent être données par le père de naissance aux fins de faciliter le travail d’investigation. Or, aucune information essentielle n’avait été communiquée par le père de naissance. C’est d’ailleurs pour cela que la Cour de cassation indique que l’argument d’une faute du ministère public est surabondant (§ 31 in fine), dès lors que la supposée faute du ministère public découle de la négligence première du père de naissance.
La solution peut ici paraître assez sévère du point de vue du père de naissance. En effet, sa négligence émane d’abord de la génitrice elle-même, qui lui a menti sur les circonstances de l’accouchement (§23). Il ne s’agit pas de faire peser la faute sur la génitrice, qui est dans son droit d’accoucher dans le secret. Il s’agit plutôt de constater, du côté du géniteur, que si, en théorie, des voies lui sont ouvertes, encore faut-il que les conditions juridiques et matérielles soient réunies pour les réaliser. Par ailleurs, les derniers chiffres font état d’environ 600 à 700 enfants nés sous X chaque année. La recherche ne paraît donc pas irréalisable compte tenu des moyens dont dispose le ministère public. Mais cela supposerait qu’il existe un fichier dématérialisé des enfants nés sous X, ou encore de réformer les pouvoirs du ministère public en la matière, comme le propose le professeur Hilt (P. Hilt, « Et le père ? », D. 2020. 2463).
2 - Le manque de célérité dans les démarches accomplies
Au-delà des négligences, c’est surtout « l’inertie judiciaire » du père de naissance qui scelle le destin de cette saga judiciaire. La première démarche judiciaire accomplie par le père de naissance est la sollicitation du concours du ministère public, en février 2017, soit cinq mois après la naissance de l’enfant. Pourquoi un tel délai ?
La Cour de cassation souligne en effet que le père de naissance avait eu les moyens juridiques d’identifier l’enfant avant son placement, d’autant plus que ses doutes sont concomitants à la naissance de l’enfant (§ 23). Or, aucune reconnaissance prénatale n’avait été réalisée alors même qu’il était informé de la grossesse de son ancienne compagne (§ 27). Plus encore, aucune reconnaissance n’avait été réalisée avant juin 2017, alors même que le ministère public avait été sollicité en février 2017. On peine à comprendre cette lenteur de la part du père de naissance, d’autant plus si, comme il l’indique, il était accompagné d’un conseil.
Toute la complexité de l’arrêt réside dans cette temporalité mal calculée par le père de naissance. Il semble que, à en lire la Cour, si le père avait reconnu l’enfant antérieurement à sa remise au foyer adoptif, c’est-à-dire le même jour que la saisie du ministère public, les choses auraient pu être différemment considérées (§ 25). Cette lecture est d’ailleurs dans la continuité de l’arrêt Benjamin, dans lequel la Cour de cassation avait considéré que l’adoption de l’enfant, qui avait pu être identifié par son père de naissance avant le placement, devait être consentie par le père de naissance (Cass. 1re civ., 7 avr. 2006, n° 05-11.285).
Le père de naissance est cependant obligé de réaliser ces démarches seul, parfois contre la génitrice (ce qui est relevé à juste titre par la Cour, § 28). À ce titre, peut-on lui reprocher de ne pas avoir réalisé de reconnaissance prénatale, alors qu’il n’était pas au courant de la décision de la génitrice d’accoucher dans le secret ? Certains auteurs réclament l’introduction d’une obligation, pour la génitrice, d’indiquer le nom du géniteur aux services compétents. Ces derniers devront alors informer le géniteur de ces droits, sur le modèle de ce qui est proposé ici par la Cour (v. l’article de P. Porche Koster Vel Kotlarz, in Les Petites affiches, n° 12, 31 déc. 2024, p. 70).
B - La primauté donnée à l'intérêt de l'enfant né dans le secret
C’est, en définitive, l’intérêt de l’enfant qui guide la solution de la Cour de cassation. Les relations affectives, établies dès le placement de l’enfant au foyer adoptif, priment le droit du père de naissance à voir sa filiation établie (1), d’autant plus que la Cour prend le soin de préciser que des alternatives existent pour conserver le lien avec l’enfant (2).
1 - L’existence de relations affectives stables entre l’adoptée et les adoptants
La Cour de cassation ne retient pas la même conception de l’intérêt de l’enfant que le demandeur au pourvoi. Pour les juges, l’intérêt de l’enfant placé est de rester au sein du foyer adoptif. Les relations nouées avec le couple d’adoptants constituent un élément essentiel au bon développement de l’enfant. À cela s’ajoute, pour la Cour de cassation, la circonstance particulière que, l’enfant étant pupille de l’État, elle n’a aucune filiation maternelle et paternelle. Cette absence de cadre est palliée par l’environnement offert par les adoptants.
Permettre au père de naissance d’intervenir dans la procédure d’adoption, c’est courir le risque que l’enfant se voit, de nouveau, arracher à une figure maternelle, près de huit ans après son placement au foyer adoptif. Il faut néanmoins approuver la Cour de cassation qui ne fait pas du temps judiciaire un argument en faveur des parents adoptifs. En effet, l’enfant a naturellement tissé des liens forts avec les adoptants durant le temps de la procédure, tandis que le lien avec le père de naissance paraît inexistant. La Cour prend le soin de constater cependant que l’enfant a établi des liens avec les adoptants « dès son placement en vue de son adoption, intervenu alors qu’elle était âgée de trois mois et trois semaines » (§ 29).
On peut regretter que l’argument du père de naissance sur l’intérêt dans le temps long ait été si rapidement écarté par la Cour (§ 31). Il relève aussi de l’intérêt de l’enfant de connaître et d’établir des liens avec ses géniteurs, en vertu de l’article 8 de la Convention EDH (par ex. : CEDH, 16 juin 2011, n° 19535/08, Pascaud c/ France). Or, le père de naissance n’établit-il pas ici qu’il souhaite établir et faire perdurer des liens avec son enfant ? N’y aurait-il pas la place ici pour un débat sur le projet parental, même postérieur, à la naissance ? Mais aller sur ce terrain est alors risqué, car le projet parental du père de naissance serait nécessairement un projet de quelques mois, et qui se trouverait en conflit avec celui des adoptants.
On en revient donc à la question de l’équilibre entre vérité biologique et intérêt de l’enfant : ici, les deux ne coïncident pas, et la Cour prend le parti de préférer l’intérêt de l’enfant à rester dans le cadre du foyer adoptif. Bien que l’établissement d’un lien de filiation, fondé sur la biologie, soit irrémédiablement écarté par les juges, la Cour prend le soin de donner des garanties au père de naissance aux fins de perpétuer les liens à l’égard de sa fille.
2 - La mise en place prospective de liens entre le père de naissance et l’enfant
La sévérité de la présente décision appelle à la mise en œuvre de palliatifs, d’alternatives pour que les liens ne soient pas rompus entre l’enfant et son géniteur. Cela relève, d’ailleurs, nous l’avons vu, de son intérêt que d’entretenir des relations avec ses ascendants.
Le premier palliatif est la possibilité légale de saisir le juge aux affaires familiales aux fins qu’il fixe les modalités des relations entre un tiers et l’enfant, selon l’intérêt de ce dernier (C. civ., art. 371-4, § 20). Le juge appréciera notamment si ce tiers, qu’il soit un parent ou non, a résidé avec l’enfant de manière stable, s’il a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, ou encore s’il a noué avec lui des liens affectifs durables. Le problème ici pourrait être que le père de naissance n’ait pas noué de liens suffisants pour justifier la mise en place de telles modalités, bien que l’article 8 de la Convention commande le contraire.
Le second palliatif est l’engagement des parents adoptifs à donner à l’enfant les réponses « correspondant à son âge » quant à la vérité sur ses origines (§ 30). Louable sur le principe, un tel engagement demeure flou quant à sa nature et son régime juridiques (quelle sanction en cas de non-respect ?). Plus généralement, l’enfant pourra demander au CNAOP des informations sur sa génitrice et les conditions de sa naissance, conformément à son droit fondamental à la connaissance de ses origines garanti par l’article 8 de la Convention.
Mais de tels palliatifs demeurent insuffisants comparativement à l’atteinte causée par l’irrémédiabilité de l’impossibilité d’établir un lien de filiation avec l’enfant.
La solution de la Cour laisse donc un goût doux-amer : elle est conforme aux textes et à l’intérêt de l’enfant. Mais elle demeure incontestablement sévère pour le père de naissance. Ce n’est donc pas l’application du droit, mais le droit lui-même qui doit être repensé. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause l’accouchement sous X, qui a ses vertus et garde un sens fort dans notre droit (rappelé au § 13), mais de le penser avec le géniteur.
À ce titre, plusieurs pistes sont proposées, notamment par le professeur Hilt (P. Hilt, art. préc.) : substituer l’adoption simple de l’enfant à l’adoption plénière, faire peser sur la mère une obligation d’information sur l’identité du géniteur présumé, accorder des droits parentaux au géniteur dans le cadre de la parentalité, jusqu’à aller vers une parenté non plus binaire mais trinaire ou multiple. Les idées existent, au législateur de s’en saisir désormais.
Cass., Civ. 1re, 11 sept. 2024, n° 22-14.490, Inédit
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Lyon, 10 février 2022), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 27 janvier 2021, n° 19-24.608, 20-14.012, 19-15.921, publié), [V] [R] [P] est née le 23 octobre 2016.
2. Sa mère a demandé le secret de son accouchement.
3. Le lendemain, l’enfant a été admise, à titre provisoire, comme pupille de l’État puis, à titre définitif, le 24 décembre suivant.
4. Le conseil de famille des pupilles de l’État a consenti à son adoption le 10 janvier 2017 et une décision de placement a été prise le 28 janvier.
5. L’enfant a été remise au foyer de M. et Mme [I] le 15 février.
6. Après avoir, le 2 février 2017, entrepris des démarches auprès du procureur de la République pour retrouver l’enfant, et ultérieurement identifié celle-ci, M. [M], père de naissance, l’a reconnue le 12 juin. M. et Mme [I] ont, le 9 mai 2017, déposé une requête aux fins de voir prononcer l’adoption plénière de l’enfant, qui a été rejetée par un jugement du 17 mai 2018, M. [M] étant intervenu volontairement à l’instance.
7. M. et Mme [I] ont formé appel de ce jugement.
Examen des moyens
[…]
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. M. [M] fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevable son intervention volontaire pour défaut de qualité à agir, d’annuler l’acte de reconnaissance du 12 juin 2017, de dire et juger que les procédures d’admission de l’enfant en qualité de pupille de l’État et de placement en vue de son adoption étaient régulières, de prononcer l’adoption plénière de l’enfant par M. et Mme [I], de dire que l’enfant portera les prénoms [H], [V] et le nom [I] et d’ordonner les formalités subséquentes, alors :
« 1°/ qu’aux termes de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ; selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la vie familiale s’étend à la relation potentielle qui aurait pu se développer entre un père biologique et son enfant et la vie privée protège le droit d’établir sa descendance ; qu’il résulte de la combinaison des articles 352, alinéa 1er et 329 du code civil que l’intervention volontaire dans une procédure d’adoption plénière du père de naissance d’un enfant immatriculé définitivement comme pupille de l’État et placé en vue de son adoption est irrecevable, faute de qualité à agir, dès lors qu’aucun lien de filiation ne peut plus être établi entre eux ; ces dispositions, qui constituent une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale du père de naissance, poursuivent les buts légitimes de protection des droits d’autrui en sécurisant, dans l’intérêt de l’enfant et des adoptants, la situation de celui-ci à compter de son placement en vue de l’adoption et en évitant les conflits de filiation ; il appartient cependant au juge, lorsqu’il est saisi de conclusions en ce sens, de procéder, au regard des circonstances de l’espèce, à une mise en balance des intérêts en présence, celui de l’enfant, qui prime, celui des parents de naissance et celui des candidats à l’adoption, afin de vérifier que les dispositions de droit interne, eu égard à la gravité des mesures envisagées, ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du père de naissance ; selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il échet de déterminer, en fonction des circonstances de chaque espèce et notamment de la gravité des mesures à prendre, si les parents ont pu jouer dans le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour leur accorder la protection requise de leurs intérêts et ont été en mesure de faire valoir pleinement leur droit ; que pour dire que l’irrecevabilité de l’intervention volontaire de M. [M] dans la procédure d’adoption plénière de sa fille ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, l’arrêt retient que bien que M. [M] ait le sentiment d’être lésé dans son statut de père biologique, il n’en demeure pas moins que l’intérêt qui pourrait être le sien pour s’opposer à l’adoption de [V] doit s’effacer devant l’intérêt supérieur de l’enfant qui au stade actuel de son développement est de ne pas être séparée des parents qui l’ont recueillie, qui ont veillé sur elle en lui offrant la sécurité et la stabilité d’un foyer harmonieux, que l’attachement de l’enfant à ses parents adoptifs est devenu irréversible, que le rejet de la demande d’adoption et la restitution de l’enfant demandée par M. [M] plongeront dans le désespoir les époux [I] qui considèrent l’enfant comme leur fille et que le lien biologique qui unit M. [M] à [V] ne doit pas conduire à un arrachement de l’enfant à une cellule famille protectrice ; en se déterminant ainsi aux termes d’une analyse des intérêts en présence dont il ne ressort pas que la cour d’appel ait recherché si concrètement, la fin de non-recevoir opposée à l’intervention volontaire de M. [M] dans la procédure d’adoption de sa fille biologique alors même qu’il n’avait pu en temps utile sans que cela puisse lui être reproché faire valoir ses droits au cours de la phase administrative qui interdisait l’examen de ses demandes, dont sa demande subsidiaire de droit de visite, ne portait pas une atteinte disproportionnée au respect de sa vie privée et familiale en ce que M. [M] n’a pu jouer le moindre rôle et faire valoir ses droits dans le processus décisionnel l’ayant complètement exclu de la vie de sa fille, la cour a violé l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 352, alinéa 1er du code civil et l’article 329 du code de procédure civile ;
2°/ que selon l’article 3 § 1 de la Convention de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant, applicable directement devant les tribunaux français, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ; que selon l’article 7§1 de la même convention, l’enfant a dès sa naissance et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevés par eux ; en matière de filiation, qui concerne un aspect particulièrement important de l’existence et de l’identité d’un individu, l’intérêt de l’enfant ne se résume pas à la seule satisfaction immédiate des besoins de l’enfance mais doit être apprécié à long terme en prenant en considération les répercussions, tout au long de sa vie, d’une rupture irréversible de tout lien avec son père biologique ; que pour dire que la mise en balance des intérêts de l’enfant, du parent de naissance et des parents adoptifs permettait de juger que l’intervention de M. [M] dans la procédure d’adoption était irrecevable sans que cela ne porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, l’arrêt retient que l’intérêt supérieur de l’enfant au stade actuel de son développement est de ne pas être séparée des parents qui l’ont recueillie, qui ont veillé sur elle en lui offrant la sécurité et la stabilité d’un foyer harmonieux pour en conclure que le lien biologique qui unit M. [M] à [V] ne devait pas conduire à un arrachement de l’enfant à une cellule familiale protectrice ; qu’en se déterminant ainsi, par des motifs tirés d’un intérêt immédiat de l’enfant à rester dans son environnement actuel, sans prendre en considération pour apprécier l’intérêt de l’enfant, comme elle était invitée à le faire, les effets à long terme d’une éradication de sa filiation biologique et d’une rupture irréversible de tout lien avec son père biologique qui revendique sa paternité depuis la naissance de sa fille, la cour d’appel a violé l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 352, alinéa 1er du code civil et l’article 329 du code de procédure civile et des articles 3 § 1 et 7§1 de la convention de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant ;
3°/ qu’en postulant que l’intervention volontaire de M. [M] dans la procédure d’adoption de sa fille biologique aboutirait nécessairement à un arrachement de l’enfant à une cellule familiale protectrice » sans aucunement envisager, dans la mise en balance des intérêts, la possibilité de prendre des mesures permettant de maintenir un lien de filiation entre M. [M] et [V] tout en aménageant les relations de la fillette avec les époux [I], la cour d’appel a violé l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 352, alinéa 1er du code civil et l’article 329 du code de procédure civile et des articles 3 § 1 et 7§1 de la convention de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant ;
4°/ qu’en reprochant à M. [M], boulanger de profession et âgé de 24 ans lors de la naissance de sa fille, de ne pas avoir effectué une reconnaissance de paternité prénatale afin de préserver ses droits de père alors qu’il s’agit d’une formalité usuelle, accessible à un non juriste et sur laquelle il pouvait facilement se renseigner puisque, de son propre aveu, il communique sur les réseaux sociaux », la cour d’appel, qui a statué par un motif impropre à justifier les carences du Parquet sollicité à deux reprises par M. [M] et l’irrecevabilité de son intervention volontaire à la procédure d’adoption de sa fille, a privé son arrêt de base légale au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 352, alinéa 1er du code civil et l’article 329 du code de procédure civile et des articles 3 § 1 et 7§1 de la convention de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant. »
Réponse de la Cour
10. Aux termes de l’article 329 du code de procédure civile, l’intervention est principale lorsqu’elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n’est recevable que si son auteur a le droit d’agir relativement à cette prétention.
11. Selon l’article 352, devenu 352-2, du code civil, le placement en vue de l’adoption plénière met obstacle à toute restitution de l’enfant à sa famille d’origine. Il fait échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance.
12. Il résulte de la combinaison de ces textes que l’intervention volontaire dans une procédure d’adoption plénière du père de naissance d’un enfant immatriculé définitivement comme pupille de l’État et placé en vue de son adoption plénière est irrecevable, faute de qualité à agir, dès lors qu’aucun lien de filiation ne peut plus être établi entre eux.
13. L’immatriculation définitive en qualité de pupille de l’État concerne notamment les enfants sans filiation établie après que la mère a, en application de l’article 326 du code civil, demandé lors de l’accouchement, que le secret de son admission et de son identité soit préservé. Ce droit à l’anonymat de la mère, en ce qu’il tend à éviter le déroulement de grossesses et d’accouchements dans des conditions susceptibles de mettre en danger la santé tant de la mère que de l’enfant et prévenir les infanticides ou des abandons d’enfants, poursuit l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé (Cons. const., 16 mai 2012, décision n° 2012-248 QPC).
14. Cette immatriculation définitive en qualité de pupille de l’État, qui précède le placement en vue de l’adoption, ne peut intervenir qu’à l’issue d’une procédure administrative prévue aux articles L. 224-4 à L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles (CASF), laquelle ouvre au père de naissance plusieurs possibilités pour obtenir la restitution de l’enfant avant son placement aux fins d’adoption.
15. D’abord, l’enfant né d’un accouchement sous le secret qui est recueilli par l’Aide sociale à l’enfance et admis et qualité de pupille de l’État à titre provisoire, peut être repris immédiatement et sans aucune formalité par ses parents de naissance pendant un délai de deux mois suivant cette admission.
16. Ensuite, à l’issue de ce délai, l’enfant est admis définitivement en qualité de pupille de l’État par un arrêté du président du conseil départemental qui peut être contesté devant le tribunal judiciaire par le père de naissance pendant un délai de trente jours si cet arrêté lui a été notifié et, en l’absence de notification, jusqu’au placement aux fins d’adoption (1re Civ., 5 décembre 2018, n° 17-30.914, publié), l’action n’étant recevable que si le requérant demande à assumer la charge de l’enfant. S’il juge la demande conforme à l’intérêt de l’enfant, le tribunal prononce l’annulation de l’arrêté et confie l’enfant au demandeur. S’il rejette le recours, le tribunal peut autoriser le demandeur, dans l’intérêt de l’enfant, à exercer un droit de visite dans les conditions qu’il détermine.
17. Enfin, après l’expiration de ce délai de deux mois, la décision d’accepter ou de refuser la restitution d’un enfant pupille de l’État, qui peut intervenir jusqu’au placement de l’enfant en vue de son adoption, est prise par le tuteur, avec l’accord du conseil de famille. En cas de refus, le demandeur peut saisir le tribunal judiciaire.
18. En outre, afin de rendre effectif la mise en œuvre par le père de naissance de ses droits à la suite d’un accouchement sous le secret, l’article 62-1 du code civil dispose que : « Si la transcription de la reconnaissance paternelle s’avère impossible, du fait du secret de son identité opposé par la mère, le père peut en informer le procureur de la République. Celui-ci procède à la recherche des date et lieu d’établissement de l’acte de naissance de l’enfant. »
19. Ces dispositions concilient ainsi l’intérêt des parents de naissance à disposer d’un délai raisonnable pour reconnaître l’enfant et en obtenir la restitution et celui de l’enfant dépourvu de filiation à ce que son adoption intervienne dans un délai qui ne soit pas de nature à compromettre son développement.
20. Par ailleurs, l’adoption plénière de l’enfant ne prive pas le père de naissance de la possibilité de solliciter du juge aux affaires familiales qu’il fixe les modalités des relations avec l’enfant conformément à l’article 371-4 du code civil, si tel est l’intérêt de l’enfant.
21. Les articles 352 du code civil et 329 du code de procédure civile précités, en ce qu’ils rendent irrecevable l’intervention volontaire du père de naissance qui n’a pas reconnu l’enfant avant le placement de celui-ci en vue de son adoption, constituent une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale du père de naissance garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ils poursuivent les buts légitimes de protection des droits d’autrui en sécurisant, dans l’intérêt de l’enfant et des adoptants, la situation de celui-ci à compter de son placement en vue de l’adoption et en évitant les conflits de filiation.
22. Il appartient cependant au juge, lorsqu’il est saisi de conclusions en ce sens, d’apprécier, si, concrètement, dans l’affaire qui lui est soumise, l’application des règles de droit interne conduisant à l’irrecevabilité de l’intervention volontaire du père de naissance à la procédure d’adoption plénière de l’enfant, eu égard à la gravité des mesures envisagées, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et, en particulier, si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts en présence, celui de l’enfant qui prime, celui des candidats à l’adoption et celui du père de naissance. Le juge doit notamment rechercher si celui-ci a pu jouer, dans le processus décisionnel considéré comme un tout, un rôle assez grand pour assurer la protection requise de ses intérêts (CEDH, arrêt du 10 avril 2012, K.A.B c. Espagne, n° 59819/08 ; CEDH, arrêt du 10 septembre 2019, Strand Lobben c. Norvège, n° 37283/13).
23. Dans la présente affaire, la cour d’appel a constaté que si, le jour de la naissance, la mère avait annoncé à M. [M] que l’enfant était décédée, il avait immédiatement émis des doutes sur ce point et avait indiqué avoir engagé un avocat.
24. Elle a relevé que, dans la lettre du 2 février 2017 adressée à un procureur de la République et lui faisant part de sa situation, seule démarche effectuée par M. [M] avant le placement de l’enfant en vue de son adoption, celui-ci n’avait mentionné ni l’identité de la mère de l’enfant, ni la date et le lieu présumé de la naissance dont il avait connaissance depuis le 23 octobre 2016 et qu’il lui avait été répondu, par lettre du 13 février suivant, qu’en l’absence de toute précision en ce sens, il n’était pas possible de l’orienter vers une quelconque procédure judiciaire.
25. Elle a constaté que les autres démarches entreprises par celui-ci pour se manifester auprès des autorités compétentes l’avaient été après le placement de l’enfant en vue de son adoption, notamment sa seconde lettre au procureur de la République faisant état d’un accouchement sous X et du fait que l’enfant avait été confié à un tiers, qu’il lui avait adressé le 23 février 2017.
26. Elle a ainsi retenu que le procureur de la République n’avait pu procéder utilement à la recherche des dates et lieu d’établissement de l’acte de naissance de l’enfant, conformément à l’article 62-1 du code civil.
27. Elle a également observé que M. [M], qui était informé de la grossesse de son ex-compagne, n’avait pas, comme il en avait la possibilité, afin de préserver ses droits de père, reconnu l’enfant avant sa naissance, et qu’en dépit des informations dont il disposait, il ne l’avait fait que le 12 juin 2017, soit presque huit mois après la naissance.
28. Contrairement aux énonciations du moyen, pris en sa première branche, la cour d’appel a ainsi fait ressortir que malgré l’information trompeuse donnée par la mère relative au décès de l’enfant à sa naissance, M. [M] avait été en mesure de faire valoir ses droits au cours de la procédure, décrite aux paragraphes 14 à 18, qui a précédé le placement de l’enfant en vue de son adoption.
29. Par ailleurs, la cour d’appel a constaté que l’enfant avait établi, dès son placement en vue de son adoption, intervenu alors qu’elle était âgée de trois mois et trois semaines, une relation d’attachement avec M. et Mme [I] qui lui offraient un cadre de vie sécurisant, stable et harmonieux et la considéraient comme leur fille. Elle a retenu que M. [M] ne pouvait affirmer que l’intérêt de l’enfant était de lui être confiée, ce qui la priverait de mère une seconde fois et que le lien biologique unissant celui-ci à l’enfant ne devait pas conduire à l’arrachement de celle-ci à une cellule familiale protectrice où elle était heureuse.
30. Elle a relevé que l’adoption plénière sollicitée par M. et Mme [I] n’interdirait pas à l’enfant, si elle en exprimait le désir, de connaître la vérité sur ses origines, ceux-ci s’étant engagés à lui donner les réponses correspondant à son âge.
31. Ayant ainsi mis en balance les intérêts en présence et fait primer l’intérêt de l’enfant demeurée sans filiation maternelle et paternelle établie avant son placement en vue de son adoption, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder de manière abstraite à une appréciation des effets à long terme d’une procédure d’adoption plénière conçue dans l’intérêt de l’enfant et régulièrement mise en œuvre, a pu en déduire que l’irrecevabilité de l’intervention volontaire de M. [M] à cette procédure, en dépit de l’irréversibilité de ses effets sur la filiation de l’enfant, ne portait pas, au regard du but légitime poursuivi rappelé au paragraphe 21, une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, et a, de la sorte, abstraction faite des motifs inopérants mais surabondants critiqués par la quatrième branche, légalement justifié sa décision.
32. Le moyen, manquant en fait en sa première branche et étant inopérant en sa quatrième branche, n’est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
