L’assistance médicale à la procréation – AMP (Cass., Civ. 1re, 23 mai 2024, n° 22-20.069)

Introduction

La loi bioéthique n° 2021-1017 du 2 août 2021 a ouvert la possibilité aux couples de femmes et aux femmes célibataires de recourir à une assistance médicale à la procréation (ci-après AMP). La question de la filiation de la mère non gestatrice, et donc non protégée par l’article 311-25 du code civil et l’adage mater semper certa est, est réglée par l’instauration d’une reconnaissance conjointe anticipée des deux femmes auprès d’un notaire, aux termes du nouvel article 342-10 du code civil. Pour autant, demeurait le problème des couples de femmes ayant procédé à une AMP à l’étranger antérieurement à la loi de 2021. La loi n° 2022-219 du 21 février 2022 tend à remédier à ces situations, en prévoyant un dispositif transitoire d’adoption plénière de l’enfant par la mère non gestatrice. C’est sur l’interprétation des conditions de ce dispositif, prévu par l’article 9 de la loi de 2022, que la première chambre civile de la Cour de cassation a dû statuer, dans cet arrêt du 23 mai 2024.

Un couple de femmes, mariées depuis le 23 juin 2018, souhaite accueillir un enfant. Pour poursuivre ce projet parental commun, une AMP avec tiers donneur est réalisée en Belgique, donnant lieu à la naissance d’un enfant le 4 octobre 2018. L’épouse gestatrice de l’enfant consent, par un acte notarié du 23 octobre 2019, à l’adoption plénière de l’enfant par son épouse, mère d’intention de l’enfant, qui dépose une requête en adoption plénière de l’enfant le 30 novembre 2019. Cependant, la mère gestatrice avait retiré son consentement le 25 novembre 2019. 

L’arrêt n’indique pas la position du tribunal de première instance. Cependant, en appel, la cour d’appel de Lyon ordonne, par arrêt du 9 juin 2022, l’adoption plénière de l’enfant par sa mère d’intention et le changement du nom de famille de l’enfant en conséquence, laissant le JAF statuer sur les conséquences de cette adoption. 

Un pourvoi est formé par la mère gestatrice, qui se fonde sur l’article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022. 

En effet, elle rappelle que l’article 9 de la loi de 2022 autorise le juge à passer outre le consentement du parent biologique de l’enfant, à la condition d’une décision spécialement motivée dans laquelle il relève que le refus opposé par le parent biologique est contraire à l’intérêt de l’enfant et si sa protection l’exige. Or, en l’espèce, elle reproche à la cour d’appel de s’être placée du point de vue de la mère d’intention, et non de l’intérêt de l’enfant en cause. Plus encore, la cour d’appel avait relevé que la mère d’intention ne présentait pas une figure stable pour l’enfant, et qu’elle s’en était désintéressée à plusieurs reprises, ce qui était contraire à l’intérêt de ce dernier. Elle lui reproche aussi de ne pas avoir constaté en quoi le prononcé forcé de l’adoption plénière constituait une protection pour l’enfant, et de se borner à mettre en avant la nécessité pour l’enfant d’avoir un double lien de filiation établi. Enfin, et surtout, elle reproche au juge d’appel d’avoir pris en considération la situation hypothétique de l’enfant, qui aurait bénéficié de ce double lien de filiation maternelle, si les deux femmes avaient réalisé l’AMP après la loi bioéthique du 2 août 2021.

La Cour de cassation, réunie en sa première chambre, était donc amenée à statuer sur les dispositions transitoires de l’article 9 de la loi de 2022. Plus précisément, il lui était demandé comment apprécier les conditions tenant à l’intérêt de l’enfant et sa protection pour prononcer l’adoption forcée de l’enfant par la compagne de la mère légale (§10).

La première chambre civile de la Cour de cassation décide de suivre le raisonnement de la cour d’appel de Lyon et rejette en conséquence le pourvoi de la mère gestatrice légale. 

Elle rappelle, dans un premier temps (§8 et 9), la teneur des articles 6, IV, alinéa 1er de la loi bioéthique du 2 août 2021 et 9 de la loi du 21 février 2022. Le premier texte consacre la possibilité, pour un couple de femmes, de recourir à l’AMP lorsque cette dernière a eu lieu avant la publication de la présente loi. La filiation avec l’enfant né par AMP sera alors établie à l’égard de la mère non gestatrice par une reconnaissance conjointe des deux mères établie devant notaire. Le second texte est une disposition transitoire réglant le problème des couples de femmes ayant réalisé une AMP à l’étranger avant la loi bioéthique et dans lesquels la mère biologique et légale refuse de procéder à une telle reconnaissance conjointe. Dès lors, la mère non gestatrice est autorisée à demander l’adoption plénière de l’enfant, si elle ramène « la preuve du projet parental commun et de l’AMP réalisée à l’étranger avant la publication » de la loi bioéthique de 2021. Le juge est alors autorisé « à titre exceptionnel » à ordonner l’adoption forcée de l’enfant, s’il constate que le refus opposé par la mère biologique et légale « est contraire à l’intérêt de l’enfant et si la protection de ce dernier l’exige ».

Elle rappelle ensuite la raison d’être de ces dispositions transitoires : « régler la situation des couples de femmes ayant eu recours à une AMP à l’étranger avant la loi du 2 août 2021 et qui se sont séparées, de manière conflictuelle, depuis le projet parental commun » (§11).

Elle précise alors l’intention du législateur dans la rédaction de cet article : il ne s’agissait pas ici de priver l’enfant issu de l’AMP de la protection offerte par un second lien de filiation du seul fait du conflit entre les deux femmes à l’origine du projet parental. Pour la Cour de cassation, l’ajout d’une condition tenant à prouver que l’adoption de l’enfant par la mère non gestatrice est une mesure indispensable pour protéger l’enfant d’un danger conduirait à atténuer la finalité recherchée par le législateur (§12 et 13). 

Dès lors, la Cour considère donc que les juges du fond doivent prononcer l’adoption « si, en dépit du refus, sans motif légitime, de la femme qui a accouché de procéder à la reconnaissante conjointe, elle est conforme à l'intérêt de l'enfant, souverainement apprécié par le juge en considération des exigences de sa protection » (§14).

Il lui faut ensuite appliquer cette nouvelle interprétation de l’article 9 de la loi de 2022 aux faits de l’espèce. Il ressort des constatations de la cour d’appel de Lyon que l’enfant issu de l’AMP nécessitait une attention importante et constante, qui avait pu « déstabiliser » le couple. C’est donc pour préserver l’enfant du contexte conflictuel, en sus de toute infection durant la pandémie de Covid-19, que la mère non gestatrice a souhaité s’en éloigner, sans que ce départ ne remette en cause sa place dans le projet parental ni dans l’appréhension de la mère non gestatrice comme le second parent de l’enfant (§15 et 16), ce qui était appuyé par le fait que l’enfant était intégré dans les familles des deux femmes (§18).

La cour d’appel a de plus relevé que la mère non gestatrice portait un grand intérêt à l’enfant, qu’elle voyait régulièrement dans un « cadre adapté », en employant toujours un comportement approprié tenant compte des liens de l’enfant avec sa mère biologique (§17).

Dès lors, la cour d’appel de Lyon a correctement et souverainement déduit que l’adoption plénière de l’enfant par sa mère non gestatrice devait être prononcée, car conforme à l’intérêt de l’enfant. 

Cet arrêt s’insère dans un contexte connu : celui de la filiation de la mère non biologique d’un enfant né par AMP à la suite d’un projet parental porté par un couple de femmes. Pour autant, il répond ici à une difficulté toute particulière : l’interprétation de l’article 9 de la loi du 21 février 2022, dispositif transitoire prenant fin au début de l’année 2025. L’interprétation proposée, loin de se limiter aux seules dispositions transitoires de la loi de 2022, invite à interroger plus largement la vision portée par la Cour sur l’adoption en matière d’AMP, et plus largement sur la filiation elle-même, l’AMP étant aux frontières des filiations charnelle et adoptive. Ainsi, l’interprétation des conditions de l’adoption forcée de l’enfant né par AMP, telle que proposée par la Cour de cassation (I) laisse entrevoir un certain nombre de conséquences quant aux fondements de la filiation et au rôle qu’elle entend jouer dans la refonte du droit de la filiation (II).  

I – Les conditions de l'adoption plénière de l'enfant né par AMP avant la loi du 2 août 2021

Tout l’enjeu de l’arrêt à commenter repose sur les conditions prévues par l’article 9 de la loi de 2022. La lettre de ce texte prévoit que l’adoption forcée de l’enfant né par AMP, avant l’entrée en vigueur de la loi bioéthique de 2021, peut être prononcée par le juge en cas de refus de la mère légale de procéder à l’adoption. À ce titre, la mère non gestatrice doit rapporter « la preuve du projet parental commun et de l'assistance médicale à la procréation réalisée à l'étranger », à la suite de quoi le juge prononce l’adoption s’il estime que « le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige ». La Cour de cassation reprend à son compte la condition préalable d’un projet parental commun (A). En revanche, elle se détache de la double condition légale de la conformité à l’intérêt de l’enfant et de la protection de l’enfant (B).

A – Le maintien de la condition préalable d'un projet parental commun

L’article 9 de la loi de 2022, reprise par la Cour de cassation, exige bien que la preuve d’un projet parental commun, construit autour d’une AMP, soit rapportée (2). Cette condition s’explique par le contexte particulier des situations présentées, qui concernent des enfants nés par AMP avant la loi bioéthique de 2021 d’un projet porté par un couple de femmes (1).

1 - Le cas particulier des enfants nés par AMP avant la loi bioéthique du 2 août 2021

L’ouverture à l’AMP à tous les couples de femmes et aux femmes seules constitue une réforme majeure de la loi bioéthique du 2 août 2021. Désormais, les couples de femmes peuvent donc recourir à une AMP en France. Outre les questions liées à l’aspect médical et éthique de cette ouverture, s’est posée la question de l’établissement du lien de filiation de l’enfant envers les deux femmes ayant porté le projet d’AMP.

L’application stricte des principes du droit de la filiation entraînerait l’établissement automatique du lien de filiation entre l’enfant et la femme ayant porté l’enfant (appelée ci-après la mère gestatrice), et ce en application de l’article 311-25 du code civil et de l’adage mater semper certa est. La Cour de cassation refuse actuellement qu’un double lien maternel « charnel » soit établi (Civ. 1re, 16 sept. 2020, n° 18-50.808), si bien que l’autre femme du couple, mère d’intention mais non gestatrice, devrait recourir à une adoption plénière de l’enfant, avec les difficultés que pose une telle procédure. 

La loi bioéthique de 2021 simplifie cette situation en instaurant une procédure particulière : la reconnaissance conjointe anticipée (ci-après RCA). Avant de débuter le processus de l’AMP, les couples ou la femme seule doivent donner leur consentement auprès d’un notaire, aux termes du nouvel article 342-10 du code civil. La filiation de l’enfant est donc établie d’une part sur le fondement de l’article 311-25 vis-à-vis de sa mère gestatrice, et d’autre part sur le fondement de l’article 342-11 du code civil vis-à-vis de sa mère non gestatrice. Cette procédure est plus simple en ce qu’elle ne nécessite pas de passage devant le juge et n’est pas dépendante du bon vouloir du parent légal de l’enfant. Elle est, de plus, sécurisante en ce que le consentement donné à l’AMP devant le notaire rend irrecevable toute action en établissement ou en contestation de la filiation issue de l’AMP, sauf à démontrer une fraude ou un vice du consentement. 

Le législateur a prévu une « session de rattrapage » - ayant pris fin en août 2024, au bout de 3 ans d’application – pour les couples de femmes ayant recouru à l’AMP avant la loi bioéthique de 2021. Le couple peut donc recourir à la reconnaissance conjointe, qui n’est plus anticipée dès lors qu’elle intervient postérieurement à la naissance de l’enfant. Le couple peut également toujours se tourner vers l’adoption, bien que la procédure soit plus longue. Le danger vient du conflit pouvant naître entre les deux femmes au cours de ces procédures (§11 de la décision commentée). Il est alors possible pour la mère gestatrice et légale de s’opposer à l’établissement d’un lien de filiation entre son enfant et son ancienne compagne, soit en refusant de procéder à la reconnaissance conjointe, soit en ne donnant pas son consentement à l’adoption. La mère non gestatrice et donc ignorée par la loi est alors bloquée dans son processus, alors même qu’elle avait porté le projet parental. C’est pour remédier à ce problème que l’article 9 de la loi de 2022 a été pensé. Pendant une durée de trois ans, c’est-à-dire jusqu’en février 2025, le juge peut prononcer l’adoption plénière de l’enfant né par AMP, lorsque la mère gestatrice refuserait sans motif légitime de donner son consentement à la reconnaissance conjointe. 

C’est ce dispositif qui était ici au cœur des débats. En effet, en l’espèce, un conflit était bien né entre les deux femmes, qui s’étaient séparées peu après la naissance de l’enfant. La mère gestatrice, inscrite comme mère légale de l’enfant, avait donné son consentement à l’adoption, qui a été rétracté dans le délai de 2 mois (§4). Il fallait donc, pour les juges du fond et les juges de cassation, s’intéresser aux conditions posées par l’article 9 de la loi de 2022 et vérifier si, en l’espèce, la mère non gestatrice pouvait voir établi son lien de filiation envers l’enfant.

2 - Un projet parental construit autour d’une AMP

Une série de conditions est posée par l’article 9 de la loi de 2022. La Cour de cassation reprend à son compte la première de ces conditions, à savoir que l’adoption peut être prononcée « au regard du projet parental commun dont a procédé l'assistance médicale à la procréation réalisée » (§14). En d’autres termes, il est nécessaire pour la mère non gestatrice qui souhaite établir son lien de filiation avec l’enfant d’apporter la preuve que ce dernier est né d’une AMP portée par le couple de femmes. 

En effet, la Cour de cassation considère que tout l’enjeu de la procédure transitoire de l’article 9 de la loi de 2022 est de permettre à l’enfant d’être lié aux deux femmes qui ont, chacune, conçu un projet parental autour de lui et ont permis sa naissance. La condition paraît évidente : en l’absence de projet parental, la compagne de la mère légale ne présente aucun lien affectif ou sociologique avec l’enfant, soit parce qu’elle s’est désintéressée de ce projet qui n’a été porté que par sa compagne, soit parce qu’elle est entrée dans la vie de sa compagne en cours de processus d’AMP. La condition du projet parental commun se distingue alors de la condition de l’existence d’un couple parental. En effet, il faut rappeler que les dispositions de l’article 9 viennent régler une situation de tension et de conflit entre le couple. Il est alors probable que la mère légale, seule juridiquement rattachée à l’enfant, ne souhaite pas que son ancienne compagne soit également rattachée à l’enfant. Il est donc opportun que la Cour de cassation revienne expressément sur cette condition du projet parental, en précisant bien qu’il ne s’agit pas de la preuve d’un couple qui est demandé (et qui n’existe plus, par définition). 

En l’espèce, on le comprend bien, il n’existe plus de couple parental. Pour autant, la mère non gestatrice apporte la preuve de ce projet parental, qui peut être prouvé par tous moyens (documents signés, documents de naissance, des photographiques, des témoignages…). La cour d’appel relève en effet que « Mme [D] n'en considérait pas moins Mme [W] comme l'autre parent de l'enfant auquel elle avait donné naissance » (§15) et conclut que l’enfant « était né d'un projet parental commun » (§18).

Cette condition fait par ailleurs écho aux débats sur la loi bioéthique de 2021 et à la solution trouvée de la RCA. La reconnaissance est conjointe en ce sens que les deux membres du couple portent, ensemble, un projet parental. Ils reconnaissent ainsi vouloir être rattachés à l’enfant au moment de sa naissance, mais ils reconnaissent aussi la place de l’autre membre du couple dans cette démarche et leur volonté de donner des effets juridiques à ce projet.

B - La relecture jurisprudentielle des conditions tenant à l'intérêt de l'enfant

L’article 9 de la loi de 2022 prévoit également que l’adoption doit être prononcée par le juge si ce dernier estime que « le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige ». En d’autres termes, il ne peut prononcer l’adoption « forcée » de l’enfant né par AMP par la mère non gestatrice que si cette adoption est conforme à son intérêt, mais plus encore que si la protection de l’intérêt de l’enfant exige le prononcé d’une telle adoption. La Cour de cassation ne fait pas une application littérale du texte. Rejetant la condition de l’adoption comme protection de l’enfant (1), elle enjoint les juges du fond à ne vérifier que si le prononcé de l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant (2).

1 - Le rejet de la condition de l’adoption comme protection de l’enfant

L’article 9 de la loi de 2022 exige, pour que l’adoption puisse être prononcée, que la protection de l’enfant l’exige. C’est ici que se joue le cœur de la solution et la Cour ne s’y trompe pas en posant clairement le problème juridique de l’arrêt : « le pourvoi pose la question de savoir si le législateur a entendu subordonner le prononcé de l'adoption à une condition autonome tenant à l'exigence de protection de l'enfant » (§10). 

En effet, la lettre de l’article 9 de la loi de 2022 semble exiger deux vérifications actives et motivées de la part du juge. D’une part, il doit vérifier si le refus opposé par la mère légale est « contraire à l’intérêt de l’enfant » ; d’autre part, il doit vérifier si la protection de l’enfant exige le prononcé de l’adoption. En d’autres termes, au-delà de la conformité de l’adoption à l’intérêt de l’enfant, il faudrait que le juge justifie en quoi le prononcé de l’adoption est impératif pour assurer la protection de l’enfant. Si la protection de l’enfant ne nécessite pas le prononcé de l’adoption, le juge devrait donc en toute logique rejeter la demande en adoption. 

En procédant à une interprétation dynamique de l’article 9 de la loi de 2022 (qui sera développée en II – B – 1), la Cour de cassation estime qu’ « il y a lieu de considérer que […] l'adoption de l'enfant peut être prononcée si, en dépit du refus, sans motif légitime, de la femme qui a accouché de procéder à la reconnaissante conjointe, elle est conforme à l'intérêt de l'enfant, souverainement apprécié par le juge en considération des exigences de sa protection » (§14). 

La Cour de cassation occulte totalement la condition de la protection, la ramenant dans le sillage de l’intérêt de l’enfant, comme une composante de ce dernier. Elle suit en cela l’interprétation déjà retenue par certains juges du fond (CA Amiens, 22 févr. 2024, n° 23/01605). La position des juges du Quai de l’Horloge peut être comprise en ce sens que cette condition de la protection de l’enfant était assez contreproductive et floue.

Contreproductive, d’abord, car la Cour de cassation considère que les dispositions transitoires de l’article 9 ont pour objectif principal de permettre à la femme non gestatrice d’établir un lien de filiation avec l’enfant issu du projet parental commun. Or, subordonner cet objectif à la nécessité d’apporter la preuve que l’adoption est nécessitée par la protection de l’enfant « conduirait à limiter considérablement la possibilité d'adoption plénière alors même que le refus de reconnaissance conjointe serait injustifié » (§13). Une interprétation trop littérale du texte reviendrait alors à restreindre drastiquement la possibilité pour la femme non gestatrice d’établir son lien de filiation. 

Floue, ensuite, car le texte de l’article 9 de la loi de 2022 ne précise pas quelle portée donner à cette « protection ». S’agit-il de protéger l’enfant pour le présent, contre un danger physique, psychologique, un danger dans son développement moral ou éducatif ? Dans ce cas, l’application du dispositif serait marginale car la mère biologique et légale s’occupe, sauf cas particuliers, de l’enfant correctement. S’agit-il de protéger l’enfant pour l’avenir, en lui assurant un double lien de filiation ? Ce point d’appréciation n’est pas anodin et est repris par l’une des branches du moyen du pourvoi. La mère légale reproche à la cour d’appel lyonnaise de s’être uniquement placée du point de vue de la mère non gestatrice, « sans rechercher, en se plaçant du côté de l'adopté, s'il était de l'intérêt de [F] que l'adoption plénière au profit de Mme [W] soit prononcée ». Plus encore, elle reproche à la cour d’appel d’avoir prononcé l’adoption alors qu’elle avait relevé que son ancienne compagne ne constituait pas une figure stable d’attachement pour l’enfant. La cour d’appel de Lyon avait, de son côté, opté pour la protection au sens de la nécessité d’un double lien de filiation : l’adoption devait être prononcée car l’établissement d’un « double lien de filiation constituait une protection pour l'enfant » (§7). Mais une telle interprétation vide de sa substance la condition de la protection de l’enfant. L’adoption aboutira toujours à la création d’un double lien de filiation. Enfin, quand bien même la protection s’entendrait par rapport à un danger, on perçoit mal la distinction à opérer entre la protection de l’enfant et la conformité à son intérêt.

2 - La condition suffisante de l’adoption conforme à l’intérêt de l’enfant

La Cour de cassation considère que le juge doit simplement vérifier, avant de prononcer l’adoption d’un enfant issu d’une AMP procédant d’un projet parental commun, si cette adoption est « conforme à l'intérêt de l'enfant », qui sera « souverainement apprécié […] en considération des exigences de sa protection » (§14). Elle ne reprend donc pas, comme condition autonome, la condition de la protection. La protection devient un des éléments à prendre en « considération » lors de l’appréciation souveraine de la conformité de l’adoption à l’intérêt de l’enfant. Mais le juge n’aura plus à démontrer que la protection de l’enfant nécessite le prononcé d’une adoption. L’appréciation de la Cour de cassation est donc assouplie, pour remplir plus largement l’objectif poursuivi par l’article 9.

Cela signifie, dès lors, que le juge ne pourra prononcer l’adoption qu’après avoir justifié en quoi une telle mesure est conforme à l’intérêt de l’enfant, nonobstant le refus de la mère légale de consentir à l’adoption ou la reconnaissance conjointe. C’est donc donner aux juges du fond un pouvoir d’appréciation souveraine des éléments factuels apportés au débat, aux fins de relever ceux pertinents pour prononcer ou refuser l’adoption. Cette appréciation souveraine est contrôlée par la Cour de cassation, comme elle l’illustre dans notre arrêt. 

Une fois posée l’interprétation à appliquer, la Cour revient sur les éléments factuels repris par la cour d’appel. Cette dernière a relevé que des liens forts existaient entre la femme non gestatrice et l’enfant (§17) et que ces liens prenaient eux-mêmes place au sein de relations familles plus larges (§18), bien qu’ils se soient distendus en raison de la séparation du couple (§15) ou encore en raison du risque de contamination de l’enfant au début de l’épidémie du Covid-19 (§16). La Cour de cassation approuve le raisonnement suivi par la cour d’appel, qui a « souverainement déduit que l’adoption plénière […] était conforme à l’intérêt de l’enfant » (§19). On peut néanmoins regretter que la Cour de cassation ne procède pas à un contrôle plus approfondi de la motivation de la cour d’appel, motivation exigée par l’article 9… Il semble ici que la Cour de cassation valide le raisonnement selon lequel l’enfant trouve soin intérêt dans l’établissement d’un double lien de filiation (§12).

La Cour de cassation fait donc de l’intérêt de l’enfant la seule boussole de la pertinence de l’adoption plénière de l’enfant né par AMP par sa mère non gestatrice. Cette solution repose avant tout sur une interprétation critiquable de l’article 9 de la loi de 2022. Ainsi, cette application souple de l’article 9 n’est pas sans conséquence.

II – Les conséquences de l'adoption plénière de l'enfant né par AMP avant la loi du 2 août 2021

L’application des conditions de l’article 9 de la loi de 2022, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, n’est pas sans incidence sur la question de l’AMP. D’une part, elle aboutit, temporairement, à forcer l’adoption plénière de l’enfant né par AMP par la mère non gestatrice, et ce nonobstant le refus opposé par la mère légale (A). D’autre part, elle aboutit, durablement, à construire un nouvel horizon en matière de filiation adoptive, et, pourquoi pas, asseoir son rôle en matière de refondation du droit de la filiation (B).

A - Une conséquence temporaire : l'adoption plénière forcée de l'enfant

L’une des conséquences de cette application assouplie des dispositions de l’article 9 de la loi de 2022 est la possibilité élargie pour le juge de prononcer l’adoption plénière « forcée » de l’enfant né par AMP. Ainsi, et contrairement au droit commun de l’adoption, la Cour de cassation entrevoit un droit spécial, certes temporaire (2), mais assoupli par lequel l’enfant pourra être adopté de manière plénière par l’ancienne compagne de sa mère légale, et ce même en cas de refus de cette dernière (1).

1 - L’absence d’incidence du refus de la mère légale 

C’est la conséquence principale de la solution appliquée par la Cour de cassation : le « refus, sans motif légitime, de la femme qui a accouché » (§14) est sans incidence sur le prononcé de l’adoption de l’enfant par l’ancienne compagne. L’adoption est donc, en quelque sorte, « forcée ». 

Il faut cependant nuancer ce premier constat car tout l’intérêt du dispositif prévu par l’article 9 de la loi de 2022 est justement de passer outre le refus non justifié de la mère légale nécessaire à l’adoption ou à la reconnaissance conjointe, aux fins de débloquer une situation de tension, au profit de la mère non gestatrice. Mais ce remède était conditionné par plusieurs exigences, précédemment rappelées. La lecture assouplie de ces conditions par la Cour de cassation entraîne, par voie de conséquence, une application extensive de l’adoption forcée de l’enfant par la mère non gestatrice.

Ce dispositif est pourtant en contradiction directe avec le droit commun de l’adoption des articles 348 et suivants du code civil. Ces dispositions imposent, lors de l’adoption d’un mineur dont la filiation est établie à l’égard d’au moins un parent, que ce parent consente à l’adoption. Il s’agit même de la condition principale en matière de consentement à l’adoption : la filiation étant un lien juridique unissant deux personnes, et en principe indisponible voire immuable, il s’impose aux parties concernées, mais également aux tiers. Il n’est donc pas possible d’imposer à une personne une filiation (sauf dans certains cas d’actions en établissement forcée) ni de la détruire sans l’en informer. Le juge est autorisé à prononcer l’adoption si le refus est jugé abusif, et notamment si le parent s’est désintéressé de l’enfant « au risque d’en compromettre la santé ou la moralité » aux termes de l’article 348-7 du code civil. 

En l’espèce, la mère légale avait, dans un premier temps, donné son consentement à une telle adoption, le 23 octobre 2019. Elle s’était néanmoins rétractée dans le délai légal de deux mois, le 25 novembre (pour une espèce différente, dans laquelle la mère ne s’était pas rétractée : Civ. 1re, 11 mai 2023, n° 21-17.737 ; Civ. 1re, 12 juill. 2023, n° 21-23.242). De plus, son refus ne pouvait pas être jugé abusif, car il ressort des éléments factuels qu’elle s’occupe de l’enfant et ne compromet donc pas sa santé ou sa moralité. Le motif de son refus se situe davantage dans l’animosité démontrée envers son ancienne compagne. 

En assouplissant les conditions de l’article 9, la Cour de cassation ne fait en réalité que perpétuer une jurisprudence constante établie avant l’entrée en vigueur de l’article 9 de la loi de 2022. En effet, elle avait déjà pu dire que « l’intérêt de l’enfant [est] de connaître ses origines et sa filiation [et] faire disparaître [la mère non gestatrice] de l’histoire familiale des petites filles aurait des conséquences manifestement excessives pour celles-ci » (Civ. 1re, 3 nov. 2021, n° 20-16.745). La solution, quoique non exempte de critiques, est salutaire en ce qu’elle ne laisse pas l’établissement de la filiation de l’enfant aux seules mains de la mère gestatrice.

2 - Les limites temporelles de la solution

Les dispositions de l’article 9 de la loi de 2022 ont une durée de vie limitée à 3 ans, et s’appliqueront donc jusqu’au 23 février 2025. On peut regretter la brièveté de la procédure, bien qu’il soit nécessaire de régulariser rapidement les situations des couples de femmes ayant procédé à une AMP à l’étranger sans qu’un lien de filiation ne soit établi vis-à-vis de la mère non gestatrice. Cette temporalité s’explique également par la nécessité d’éviter que les situations ne s’enveniment par l’écoulement d’un temps trop long. 

La solution appliquée par la Cour de cassation pourrait ainsi s’expliquer par la nécessité, voire l’urgence, de statuer rapidement sur une question importante en matière d’adoption d’un enfant issu d’une AMP.

Le positionnement de la Cour de cassation à peine moins d’un an avant la cessation d’un tel mécanisme est donc particulier, car sa portée sera nécessairement limitée aux dispositions de l’article 9. Nous sommes ainsi amenés à nous demander si la volonté de se positionner sur cette question, et d’autant plus avec une motivation enrichie, ne témoigne pas d’une portée plus grande donnée par la Cour de cassation à cette décision.

B - Une conséquence durable : la transformation du droit de l'adoption

L’autre conséquence de cette application assouplie des dispositions de l’article 9 de la loi de 2022 réside dans la portée à donner à cette solution temporaire. Quel intérêt pour la Cour de cassation de forcer ainsi l’interprétation de dispositions purement transitoires de l’article 9 de la loi de 2022 (1) ? C’est bien que réside ici un enjeu plus large : celui de la refonte progressive du droit de l’adoption, au nom de l’intérêt de l’enfant (2).

1 - La relecture prétorienne des conditions de l’article 9 de la loi de 2022

L’un des traits saillants du raisonnement de la Cour de cassation dans l’arrêt à commenter réside dans l’interprétation qu’elle propose de l’article 9 de la loi de 2022. Nous avons dit précédemment (I – B – 1) que la Cour de cassation écartait l’autonomie de la condition de la protection de l’enfant pour en faire une condition corrélée à la condition de la conformité de l’intérêt de l’enfant. 

Une telle interprétation n’a rien d’évident. En effet, une interprétation littérale du texte aurait dû amener la Cour de cassation à considérer que la condition de la protection de l’enfant était une condition autonome, et que la cour d’appel n’avait pas correctement caractérisé une telle protection en ne recherchant pas en quoi l’adoption était nécessaire pour protéger l’enfant. 

Ce n’est cependant pas à une interprétation littérale mais à une autre méthode d’interprétation que recourt la Cour de cassation : la recherche de l’intention du législateur. Après avoir rappelé quel était l’objectif poursuivi par le législateur par l’article 9 de la loi de 2022 (§11), la Cour de cassation se fonde sur « l’exposé des motifs de l’amendement à l’origine de l’article 9 précité » (§12). Selon cet amendement, la protection exigée de l’article 9 résiderait dans la volonté « de ne pas priver l’enfant issu de ce projet parental de la protection qu’offre un second lien de filiation du seul fait de la séparation conflictuelle de ses parents et du refus consécutif » de la mère légale (§12). Il ne peut donc pas s’agir d’une condition supplémentaire, sauf à priver l’enfant de la possibilité d’une adoption plénière par sa mère non gestatrice, ce qui apparaît contraire à l’objectif législatif (§13).

En opportunité, la justification de la Cour de cassation est convaincante : dès lors que le prononcé de l’adoption a pour objet d’établir ce double lien de filiation, la condition de la protection sera toujours réalisée. Mais cela suppose d’entendre la protection de l’enfant comme l’établissement d’un double lien de filiation, ce qui n’est pas indiqué dans l’article 9 et ce qui fait perdre de sa substance l’exigence même de la protection de l’enfant. 

En droit, la solution est bancale. En effet, la Cour de cassation ne se concentre que sur « l’exposé des motifs de l’amendement à l’origine de l’article 9 ». Le professeur Gouëzel, reprenant les discussions sur l’amendement, relève que jamais n’est précisée la teneur de cette protection de l’enfant. Dès lors, le rejet de « toute interprétation maximaliste de la condition de la protection de l’enfant » de la part de la Cour de cassation est confortée. Cependant, il relève également que le Sénat était contre ce rajout, qui a d’ailleurs fait échouer la commission mixte paritaire, et que le texte final de l’article 9 est « plus strict, plus exigeant » (A. Gouëzel, « Premier arrêt de la Cour de cassation sur l’adoption forcée, ou la question des limites de l’interprétation », RJPF, n° 292, 1er sept. 2024, p. 22 et s.). Le problème se situe donc plus certainement dans la difficulté d’interpréter des travaux parlementaires, qui constituent par définition des discussions et non une voix unique et unanime du législateur. 

Cela se répercute sur le choix opéré par la Cour quant à la méthode d’interprétation. En choisissant non pas d’interpréter une partie imprécise d’un texte (voie certes difficile, mais qui entre dans la mission même du juge), mais de supprimer purement et simplement cette partie, la Cour de cassation ne va-t-elle pas au-delà de son rôle de « bouche de la loi » ? Plus qu’une réinterprétation, on pourrait même parler d’une réécriture de l’article 9 de la loi de 2022, et même des travaux parlementaires, qui se sont cristallisés sur cette question de la protection de l’enfant.

2 - L’intérêt de l’enfant comme fondement de la filiation ?

Le choix de la méthode d’interprétation de la Cour de cassation aboutit à un résultat : celui de placer l’intérêt de l’enfant comme « alpha et oméga en matière d’adoption » (L. Gareil-Sutter, Dalloz Actualité, 6 juin 2024). En effet, nous avons déjà relevé que la Cour de cassation statuait déjà en ce sens avant l’entrée en vigueur de la loi de 2022, n’hésitant pas ainsi à « forcer » l’adoption de l’enfant malgré le refus de sa mère légale. Pourtant, un tel refus, s’il peut être motivé par la seule animosité de la mère légale vis-à-vis de l’ex-compagne et mère non gestatrice de l’enfant, témoigne du conflit existant entre les deux membres du couple. 

De là un constat : la Cour de cassation semble faire primer l’existence d’un double lien de filiation et donc l’existence originaire d’un projet parental commun perçu comme producteur d’effets juridiques (en l’absence même de toute reconnaissance conjointe en l’espèce - I – A – 2) sur la réalité vécue par les membres du couple « parental » et donc sur l’existence d’une cellule familiale stable pour le développement de l’enfant. 

L’accent n’est donc pas mis sur la cellule familiale dans sa globalité, mais bien sur l’intérêt de l’enfant à ce que chaque parent puisse établir son lien de filiation. En ce sens, le refus de la mère légale n’est donc plus perçu un obstacle dirimant. En se plaçant du point de vue de la femme non gestatrice, la cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation, ne fait que relever les éléments entrant en compte pour se conformer à l’intérêt de l’enfant. 

Le professeur Leroyer y voit la recherche pure et simple d’une possession d’état (c. civ., art. 311-1 et s.) : la cour d’appel ne relève-t-elle pas que la femme non gestatrice traite l’enfant comme le sien et lui témoigne de l’intérêt (tractatus) et que les tiers (la mère légale, les familles des membres du couple…) s’accordent à la reconnaître comme sa mère (fama) ? Or, la possession d’état est un mode autonome d’établissement de la filiation, qui ne se préoccupe pas de l’autre parent (A.-M. Leroyer, RTD Civ. 2024. 631). La possession d’état présume en revanche l’existence d’un lien biologique entre le prétendu parent et l’enfant, lien qui n’existe pas en l’espèce. D’où l’impossibilité, en l’état des textes, de se fonder sur ce mode d’établissement de la filiation. 

Mais l’on perçoit bien que l’ouverture de la filiation adoptive aux couples homosexuels, et les prochains enjeux à venir (parenté transgenre, GPA…) obligent déjà la Cour de cassation à déborder de son office traditionnel pour porter la voix d’un nouveau paradigme en droit de la filiation. 

Cass., Civ. 1re, 23 mai 2024, n° 22-20.069

Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 9 juin 202
2), Mme [D] et Mme [W] se sont mariées le 23 juin 2018. En couple depuis plusieurs années, elles poursuivaient un projet parental commun.
3. Le 4 octobre 2018, Mme [D] a donné naissance à [F], né d'une assistance médicale à la procréation pratiquée en Belgique avec un donneur anonyme.
4. Par acte notarié du 23 octobre 2019, elle a consenti à l'adoption plénière de l'enfant par Mme [W]. Ce consentement a été rétracté le 25 novembre suivant, après la séparation du couple.
5. Le 30 novembre 2020, Mme [W] a déposé une requête en adoption plénière de [F].
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches
Enoncé du moyen
7. Mme [D] fait grief à l'arrêt de prononcer l'adoption plénière de [F] [D] par Mme [W] et, en conséquence, de dire qu'il portera les noms [D] [W], de transmettre l'arrêt en vue de sa transcription et mention sur les registres de l'état civil et de dire qu'il appartiendra au juge aux affaires familiales de statuer sur les modalités de l'autorité parentale, alors :
« 2°/ qu'à titre exceptionnel, le tribunal peut prononcer l'adoption forcée d'un enfant, sans le consentement du parent biologique, s'il relève, par une décision spécialement motivée, que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige ; qu'en se bornant à relever les difficultés de Mme [W] après la séparation, les qualités de cette dernière et l'affection qu'elle portait à [F], sans rechercher, en se plaçant du côté de l'adopté, s'il était de l'intérêt de [F] que l'adoption plénière au profit de Mme [W] soit prononcée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 ;
3°/ qu'à titre exceptionnel, le tribunal peut prononcer l'adoption forcée d'un enfant, sans le consentement du parent biologique, s'il relève, par une décision spécialement motivée, que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige ; qu'en relevant, d'une part, que seule Mme [D], la mère biologique, avait représenté une figure stable d'attachement pour [F], ce qui n'avait pas été le cas de Mme [W] dans les mois ayant suivi la séparation, d'autre part, que Mme [W] s'était désintéressée de [F] à deux reprises, au moment de la séparation et au moment de la pandémie de Covid, la cour d'appel ne pouvait retenir qu'il était de l'intérêt de [F] de faire l'objet d'une adoption plénière au profit de Mme [W] ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 ;
4°/ qu'à titre exceptionnel, le tribunal peut prononcer l'adoption forcée d'un enfant, sans le consentement du parent biologique, s'il relève, par une décision spécialement motivée, que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige ; qu'en se bornant à affirmer qu'un « double lien de filiation constituait une protection pour l'enfant », sans s'expliquer sur la protection dont aurait bénéficié [F] par l'adoption plénière par rapport à sa situation actuelle, la cour d'appel, qui n'a pas spécialement motivé sa décision, a violé l'article 9 de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 ;
5°/ que le juge ne peut statuer pas des motifs hypothétiques ; qu'en affirmant que, si [F] était né après en vigueur de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, il aurait bénéficié de ce double lien de filiation, cependant qu'aucun élément n'établissait que Mme [W] et Mme [D] auraient, à ce moment, souscrit la reconnaissance conjointe anticipée prévue par cette loi, les circonstances démontrant qu'au moment où elle pouvait adopter [F], Mme [W] avait choisi de quitter le domicile conjugal, la cour d'appel, qui a statué par des motifs hypothétiques, a méconnu l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. Selon l'article 6, IV, alinéa premier, de la loi nº 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, « Lorsqu'un couple de femmes a eu recours à une assistance médicale à la procréation à l'étranger avant la publication de la présente loi, il peut faire, devant le notaire, une reconnaissance conjointe de l'enfant dont la filiation n'est établie qu'à l'égard de la femme qui a accouché. Cette reconnaissance établit la filiation à l'égard de l'autre femme ».
9. L'article 9 de la loi nº 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l'adoption dispose :
« À titre exceptionnel, pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi lorsque, sans motif légitime, la mère inscrite dans l'acte de naissance de l'enfant refuse la reconnaissance conjointe prévue au IV de l'article 6 de la loi nº 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, la femme qui n'a pas accouché peut demander à adopter l'enfant, sous réserve de rapporter la preuve du projet parental commun et de l'assistance médicale à la procréation réalisée à l'étranger avant la publication de la même loi, dans les conditions prévues par la loi étrangère, sans que puisse lui être opposée l'absence de lien conjugal ni la condition de durée d'accueil prévue au premier alinéa de l'article 345 du code civil. Le tribunal prononce l'adoption s'il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige. Il statue par une décision spécialement motivée. L'adoption entraîne les mêmes effets, droits et obligations qu'en matière d'adoption de l'enfant du conjoint, du partenaire d'un pacte civil de solidarité ou du concubin.»
10. Le pourvoi pose la question de savoir si le législateur, en prévoyant que « Le tribunal prononce l'adoption s'il estime que le refus de la reconnaissance conjointe est contraire à l'intérêt de l'enfant et si la protection de ce dernier l'exige », a entendu subordonner le prononcé de l'adoption à une condition autonome tenant à l'exigence de protection de l'enfant.
11. Ce dispositif transitoire a été créé pour régler la situation des couples de femmes ayant eu recours à une assistance médicale à la procréation à l'étranger avant la loi du 2 août 2021 et qui se sont séparées, de manière conflictuelle, depuis le projet parental commun.
12. Il ressort de l'exposé des motifs de l'amendement à l'origine de l'article 9 précité que celui-ci a pour objectif de ne pas priver l'enfant issu de ce projet parental de la protection qu'offre un second lien de filiation, du seul fait de la séparation conflictuelle de ses parents et du refus consécutif de la femme inscrite dans l'acte de naissance d'établir la reconnaissance conjointe prévue au IV de l'article 6 de la loi relative à la bioéthique. Selon ce même exposé, l'adoption ne sera prononcée que si ce refus n'est pas légitime et si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant.
13. Admettre que le législateur ait posé une exigence supplémentaire supposant de démontrer concrètement que la mesure d'adoption est indispensable pour protéger l'enfant d'un danger, conduirait à limiter considérablement la possibilité d'adoption plénière alors même que le refus de reconnaissance conjointe serait injustifié. Une telle interprétation s'inscrirait ainsi en contradiction avec l'objectif recherché par le législateur.
14. Dès lors, il y a lieu de considérer qu'au regard du projet parental commun dont a procédé l'assistance médicale à la procréation réalisée, l'adoption de l'enfant peut être prononcée si, en dépit du refus, sans motif légitime, de la femme qui a accouché de procéder à la reconnaissante conjointe, elle est conforme à l'intérêt de l'enfant, souverainement apprécié par le juge en considération des exigences de sa protection.
15. La cour d'appel a relevé que la naissance de [F], sa grande fragilité et l'attention constante qui lui était nécessaire, avaient pu déstabiliser le couple que formaient depuis plusieurs années Mme [D] et Mme [W], laquelle avait préféré s'éloigner pour ne pas exposer l'enfant à des disputes incessantes, mais que Mme [D] n'en considérait pas moins Mme [W] comme l'autre parent de l'enfant auquel elle avait donné naissance.
16. Elle a retenu que le fait que Mme [W] ait refusé tout contact avec celui-ci au début de la crise sanitaire, au mois de mars 2020, ne traduisait pas un désintérêt de sa part mais la volonté de le protéger de tout risque de contamination, dès lors qu'elle exerçait la profession d'aide-soignante.
17. Elle a souligné que celle-ci portait un grand intérêt à [F] qu'elle considérait comme son fils, le recevait dans un cadre adapté à son bien-être, sans vouloir se l'approprier de façon exclusive, et était en capacité de repérer ses besoins et d'y répondre.
18. Elle a estimé que l'enfant, qui était né d'un projet parental commun, devait pouvoir être adopté par Mme [W], afin de s'inscrire dans deux familles qui le considéraient comme leur petit-fils.
19. De l'ensemble de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a souverainement déduit que l'adoption plénière de [F] par Mme [W] était conforme à l'intérêt de l'enfant. Elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
20. Le moyen, inopérant en sa cinquième branche, qui critique des motifs surabondants, et ne tend pour le surplus qu'à remettre en cause le pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond, n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi […]