Introduction
D’après une enquête réalisée par l’Ifop, les Français sont majoritairement favorables à l’autorisation de la gestation pour autrui, pour les couples hétérosexuels (75%) comme homosexuels (60%). Toutefois, cette pratique étant interdite à ce jour, les Français intéressés sont contraints d’y recourir à l’étranger, ce que fut le cas de M. E et M. Q dont l’affaire a été jugée par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 4 novembre 2020 (n°19-15.39).
M. E a donné naissance à l’enfant U, par gestation pour autrui, réalisée au Mexique, avec pour mère porteuse Mme L, grâce à un don d’ovocyte. M. Q, époux de M. E, après avoir obtenu l’accord de ce dernier, a demandé l’adoption plénière de cet enfant, le 11 juillet 2016.
Après une requête formée devant le Tribunal de 1ère instance compétent donnant lieu à un premier jugement, un appel a été interjeté.
Le 26 février 2019, la Cour d’appel de Paris a rejeté la demande d’adoption plénière, en considérant que la preuve n’était pas apportée de la renonciation de Mme L. à ses droits sur l’enfant au profit de M. Q, et de la connaissance qu’elle détenait sur les conséquences d’une telle renonciation dès lors qu’elle en avait accouché, quand bien même il ne s’agissait pas de son propre ovocyte.
M. Q forme alors un pourvoi en cassation, en énonçant que Mme L. n’était pas la mère biologique de l’enfant et n’avait donc aucun droit sur l’enfant. Par ailleurs, la convention de gestation pour autrui était conforme à la législation mexicaine, et tous les documents nécessaires étaient accessibles et communiqués, à commencer par l’acte de naissance établi par l’officier d’état civil mexicain.
La Cour de cassation a donc dû s’interroger sur la question suivante : L’époux dont le mari a recouru à la gestation pour autrui à l’étranger peut-il faire reconnaitre son lien de filiation par une adoption plénière ?
Au visa des articles 16-7, 353 alinéa 1er, 345-1 1° et 47 du Code civil, la Cour de cassation, après avoir rappelé l’interdiction de principe de la convention de gestation pour autrui, a cassé et annulé l’arrêt rendu par la Cour d’appel en accordant la possibilité à M. Q d’adopter l’enfant U par la voie de l’adoption plénière, puisqu’une telle convention est conforme au droit mexicain.
Ainsi, si la Cour de cassation maintient le principe d’interdiction de la convention de gestation pour autrui (I), elle en amenuise les effets en permettant que soit établi le lien de filiation entre le père de ce dernier et son mari, par la voie de l’adoption plénière (II).
I – Le maintien théorique du principe d'interdiction de la gestation pour autrui
La Cour de cassation réaffirme le principe d’interdiction de la gestation pour autrui (A) tout en en limitant le champ d’application (B).
A – La réaffirmation du principe d'interdiction de la gestation pour autrui
L’interdiction de la gestation pour autrui est un principe dont le fondement a évolué (1), mais dont la portée reste d’ordre public (2).
1 - Les fondements du principe : de la jurisprudence au législateur
L’interdiction de la convention de gestation pour autrui a d’abord fait l’objet d’une affirmation jurisprudentielle, avant l’intervention du législateur.
Dans un premier temps, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a jugé, le 13 décembre 1989, que la convention qui portait « sur la mise à disposition des demandeurs des fonctions reproductrices de la mère et sur l’enfant à naitre » était nulle (n°88-15.655). Elle fondait alors sa décision sur l’ancien article 1128 du Code civil, qui énonçait que « il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet des conventions ». Or précisément, les fonctions reproductrices de la femme, ainsi que l’enfant à naître, sont hors du commerce, en application du principe d’indisponibilité des personnes qui innerve le droit des personnes.
Dans un second temps, le législateur est intervenu à travers la loi bioéthique en date du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, qui a introduit l’article 16-7 du Code civil prévoyant explicitement le cas de la gestation pour autrui. En effet il dispose que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Dès lors, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation se fonde désormais sur cet article pour justifier l’interdiction d’une telle convention, comme cela est le cas dans l’affaire ici soumise aux juges au regard du visa retenu. En effet, M. E et M. Q ont conclu un contrat de gestation pour autrui avec Mme L., afin que cette dernière porte l’enfant des deux époux, grâce aux gamètes de M. E et d’une femme tierce. Or cette convention est interdite par le droit français, une femme ne pouvant mettre à disposition son corps, ni à titre gratuit, ni moyennant rémunération.
2 - La portée du principe : l’ordre public
L’interdiction de la convention de gestation pour autrui est une interdiction d’ordre public.
La 1ère chambre civile de la Cour de cassation énonce que l’article 16-9 du Code civil confère à l’interdiction de la gestation pour autrui la valeur d’ordre public. En effet, cet article dispose expressément que « les dispositions du présent chapitre sont d’ordre public ». Il s’agit d’un rare exemple où le caractère d’ordre public est affirmé par la loi, ce qui témoigne de l’importance que le législateur apporte à l’interdiction d’une telle convention. Cela s’explique par le fait que cet ordre public vise l’impératif de protection de l’intégrité de la personne
Il existe deux types d’ordre public : l’ordre public de protection et l’ordre public de direction. Le premier vise à assurer la protection des personnes, quand le second vise la protection de l’intérêt général. Les conséquences sont différentes, dans la mesure où s’agissant du premier seule une nullité relative sera retenue, quand s’agissant du second la nullité sera absolue. En d’autres termes, dans le premier cas, si la personne que le législateur entend protéger consent à l’atteinte qui lui est portée, celle-ci sera légalement admise. Or bien que ni la Cour de cassation, ni le législateur ne le précisent, il est bien évident qu’ici il est question d’un ordre public de direction, auquel personne ne peut contrevenir, peu importe qu’il y consente. En effet les seules limites ne tiennent pas à la volonté des personnes protégées, mais à certains éléments délimités.
B – Le champ de l'interdiction délimité territorialement
L’interdiction de la convention de la gestation pour autrui est applicable en France, et non à l’étranger (1), sauf fraude (2).
1 - La limite territoriale française de l’interdiction
L’interdiction de la gestation pour autrui ne s’applique qu’en France, ce qui explique que lorsqu’elle est valablement réalisée dans les pays qui le permettent, elle puisse être reconnue comme étant valable.
La Cour de cassation énonce ici que « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi ». Elle énonce donc le principe général selon lequel les officiers ministériels français n’ont pas le monopole de l’établissement des actes d’état civil, lesquels peuvent être réalisés par des agents étrangers, dans des pays tiers. En l’espèce, l’officier d’état civil mexicain a autorisé l’inscription de la naissance de l’enfant au registre d’état civil. En effet, au sens du droit mexicain, les conditions dans lesquelles avaient été remis l’enfant à son père était conforme, et l’enfant n’avait pas de mère, puisque la gestation pour autrui y est légalement admise.
Cette délimitation territoriale peut étonner dans la mesure où l’article 3 du Code civil dispose que « les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger ». Or précisément la Cour de cassation rappelle l’application de l’article 16-7 du Code civil aux époux E et Q. Cependant dès lors que la gestation pour autrui a été réalisée et reconnue à l’étranger, ses effets doivent admis sur le territoire national, et ce même si ce sont des ressortissants français qui y ont recourus.
2 - L’extension limitative de la limite territoriale
La Cour de cassation rappelle toutefois qu’il existe des limites à la reconnaissance des effets de la gestation pour autrui réalisée à l’étranger.
Les exceptions à la reconnaissance des actes établis à l’étranger sont ainsi mentionnées par la première chambre civile, à savoir les cas de l’irrégularité, de la falsification, ou de l’absence de correspondance à la réalité. Si l’acte n’est en effet pas conforme au droit étranger, il ne peut être reconnu en France. En l’espèce, ce n’est pas le cas puisque la Cour précise bien que l’acte est conforme au droit mexicain à travers la mention selon laquelle l’acte de naissance a été dressé « conformément à la législation étrangère ». Pour s’en assurer, les juges peuvent utiliser « des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même ». En d’autres termes, ils peuvent analyser, ou faire analyser, l’acte de naissance dressé, pour vérifier si celui-ci leur parait conforme.
Toutefois la Cour de cassation admet une autre exception, pour justifier que puisse être étendue l’interdiction de la convention de gestation pour autrui réalisée à l’étranger. Il s’agit de la fraude. La fraude est le fait d’utiliser des moyens déloyaux afin de détourner et de contrevenir à la loi. En l’espèce, la Cour de cassation ne reconnait pas la fraude réalisée par M. E et M. Q. Pourtant, tous deux sont volontairement allés conclure une convention de gestation pour autrui au Mexique, afin de détourner l’interdiction française. En effet ils n’habitent pas au Mexique et n’avaient aucun autre intérêt à aller là-bas, si ce n’est de mettre en œuvre leur projet. Cette exclusion de la fraude illustre l’ambivalence de la Cour de cassation qui a bien conscience des manœuvres de M. E et M. Q mais ne caractérise pour autant pas la fraude.
Cette ambivalence s’observe également à travers la reconnaissance des conséquences de la gestation pour autrui en France.
II – L'affaiblissement pratique du principe d'interdiction de la gestation pour autrui
La reconnaissance de l’adoption plénière suite à une convention de gestation pour autrui réalisée à l’étranger est explicitement retenue par la Cour de cassation (A), qui ne se prononce toutefois pas sur d’autres modes d’établissement de la filiation quant à eux plus problématiques (B).
A – L'admission explicite de l'adoption plénière
Contrairement à la Cour d’appel de Paris, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation considère que les conditions permettant de faire droit à la demande d’adoption plénière sont observées (1) et y fait donc droit sur le fondement de l’intérêt de l’enfant (2).
1 - Le respect des conditions : l’absence de droits de la mère
L’adoption plénière n’était en principe pas interdite mais subordonnée à l’existence du consentement de la mère.
La Cour de cassation applique le principe selon lequel « il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas », en considérant que « le droit français n’interdit pas le prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né à l’étranger de cette procréation ». En effet, puisque le législateur ne prévoit pas que l’adoption suite à une gestation pour autrui, est interdite, cela revient à considérer qu’elle est permise. Par ailleurs, M. E et M. Q étant mariés, ils pouvaient faire une demande en adoption plénière en application de l’article 343 du Code civil.
La Cour d’appel retenait toutefois qu’une telle adoption ne pouvait être accordée dans la mesure où l’une des conditions de l’adoption plénière, en application de l’article 348 du Code civil, n’était pas observée. En effet, il est nécessaire que toutes les personnes à l’égard desquelles il existe un lien de filiation consentent à l’adoption. Or si M. E avait consenti à M. Q le recours à une telle adoption, il n’en était pas de même de Mme L., dont les juges du fond ne pouvaient s’assurer de son consentement (n’étant pas partie au procès, et étant probablement restée au Mexique). Or la Cour de cassation relève que l’acte de naissance de l’enfant établi par l’officier d’état civil ne fait état que de M. E, et aucune mention ne fait apparaitre Mme L., qui n’est donc pas reconnue comme étant la mère de l’enfant, et n’a donc aucun droit à consentir ou non à l’adoption par M. Q. La Cour de cassation reste donc très pragmatique en se cantonnant aux actes produits devant elle.
2 - Le fondement : l’intérêt de l’enfant
L’intérêt de l’enfant est un argument évoqué par la Cour d’appel mais éludé par la Cour de cassation, alors qu’il aurait pu être employé pour justifier davantage sa décision.
La Cour d’appel fondait son refus de reconnaitre à M. Q l’adoption plénière sur « l’intérêt de l’enfant ». Cette notion, très largement utilisée en matière de droit de la filiation, est issue de la Convention de New-York en date du 20 novembre 1989, dont l’article 3§1 trouve une application directe en France (1ère civ., 18 mai 2005, n°02-20.613, affaire Lejeune). La Cour d’appel considérait en effet que priver l’enfant de toute réalité biologique en excluant définitivement sa mère biologique de sa filiation porterait atteinte à son intérêt supérieur. En effet l’enfant risquerait de ne jamais connaitre celle qui l’a mis au monde, et d’être plus tard soumis à une quête de ses origines préjudiciable.
La Cour de cassation au contraire ne reprend pas cet argument, éludant ici l’atteinte à l’intérêt de l’enfant. A fortiori il est possible de considérer que la décision ici rendue garantit en réalité l’intérêt de l’enfant. En effet, d’abord, Mme L. n’était pas véritablement la mère biologique de l’enfant, dans la mesure où ce n’était pas son ovocyte qui a été fécondé. Elle était seulement la porteuse de l’enfant, et n’avait donc pas de lien de sang avec l’enfant, pas plus que M. Q. La quête des origines possiblement réalisée par l’enfant ne porterait donc probablement pas sur Mme L. Par ailleurs, M. Q, contrairement à Mme L., avait vocation à s’occuper de l’enfant, puisqu’il est le mari de M. E. Bien qu’il ne réponde pas à une vérité biologique, il répond à tout le moins à une vérité sociologique, en endossant le rôle de père, dont la reconnaissance du lien participe de l’intérêt de l’enfant.
B – L'adoption plénière comme seule voie de reconnaissance du lien de filiation
La Cour d’appel, comme la Cour de cassation, admettent l’adoption plénière et restent muettes sur d’autres moyens de reconnaissance du lien de filiation (1), et ce notamment parce que l’un de ces moyens, plus précisément la transcription de l’acte d’état civil, aurait été rejetée (2).
1 - La généralisation de la reconnaissance de l’adoption plénière
La reconnaissance des effets de la gestation pour autrui en France a été imposée par la réalité sociale et a trouvé une application à travers l’adoption.
La reconnaissance d’un lien de filiation entre un parent non biologique et un enfant issu d’une gestation pour autrui a longtemps fait débat, tant il était difficile de trouver un équilibre entre l’interdiction de principe d’une telle convention, et la prise en compte de cette réalité sociale, qui ne pouvait continuer d’être ignorée par le droit. En effet les frontières étant de plus en plus facilement franchissables, et le nombre de pays autorisant la gestation pour autrui grandissant, il n’était pas possible, ni pour les juges, ni pour le législateur, de continuer de ne reconnaitre aucun effet à la gestation pour autrui, alors que nombreux étaient les citoyens français à y recourir chaque année.
Une telle reconnaissance a toutefois été le fruit d’une longue réflexion, qui a conduit à la sollicitude de la Cour européenne des droits de l’Homme, à travers la retentissante affaire Mennesson. Dans cette affaire, la Cour européenne des droits de l’Homme a validé la position française qui consiste à admettre l’adoption comme seule et unique mode d’établissement d’un lien de filiation entre un parent non biologique et un enfant né de gestation pour autrui (CEDH, 26 juin 2014, Mennesson c. France, n°65192/11). Il n’est dès lors pas étonnant que la 1ère chambre civile de la Cour de cassation ait ici admis l’adoption comme mode d’établissement du lien de filiation entre M. Q et l’enfant, cette possibilité étant ouverte et validée depuis plusieurs années en France.
2 - Le rejet définitif de la transcription
La Cour de cassation n’a pas à statuer sur ce qui ne lui est pas demandé, mais il est intéressant de noter le choix réalisé par les parties de ne demander que l’adoption plénière afin d’obtenir la reconnaissance d’un lien de paternité avec l’enfant.
M. Q a pris soin de demander l’adoption plénière, et non un autre mode d’établissement du lien de filiation, qui aurait quant à lui pu être refusé. En effet, la tentation était forte, au regard de l’assouplissement de la jurisprudence concernant les effets de la gestation pour autrui, de demander la transcription du lien de filiation sur l’acte de naissance en France (ass. plén., 4 octobre 2019, n°10-19.053). Or, si la jurisprudence a pu hésiter sur une telle possibilité, le législateur est intervenu pour mettre fin au doute.
La loi bioéthique du 2 août 2021 a introduit une nouvelle phrase à l’article 47 du Code civil au titre duquel la reconnaissance de la filiation à l’étranger est appréciée « au regard de la loi française », afin de ne retenir la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né d’une gestation pour autrui qu’au profit du seul parent biologique. Le parent non biologique n’a donc d’autres choix que de recourir à l’adoption. Cette nouvelle précision n’aurait en l’espèce pas changé la portée de la décision rendue par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation puisque M. Q avait pris soin de ne demander que l’adoption plénière, et non la retranscription de son lien de filiation en France, et ce pour une bonne raison : ce lien n’était pas établi au Mexique.
C. Cass., 1ère civ., 4 novembre 2020, n°19-15.39
1°/ M. R... Q...,
2°/ M. I... E..., agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de U... E...,
domiciliés [...] ,
ont formé le pourvoi n° A 19-15.739 contre deux arrêts rendus les 27 novembre 2018 et 26 février 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige les opposant au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, 34 quai des Orfèvres, 75055 Paris cedex 01, défendeur à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Cotty, conseiller référendaire, les observations écrites et les plaidoiries de la SCP Colin-Stoclet, avocat de M. Q... et de M. E..., et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, à la suite duquel le président a demandé à l'avocat s'il souhaitait présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 15 septembre 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Le Cotty, conseiller référendaire rapporteur, M. Hascher, conseiller le plus ancien faisant fonction de doyen, M. Vigneau, Mme Bozzi, M. Acquaviva, Mme Poinseaux, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Gargoullaud, Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Déchéance du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt avant dire droit du 27 novembre 2018
Vu l'article 978 du code de procédure civile :
1. MM. Q... et E... se sont pourvus en cassation contre l'arrêt du 27 novembre 2018 mais leur mémoire ne contient aucun moyen à l'encontre de cette décision.
2. Il y a donc lieu de constater la déchéance partielle du pourvoi.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 février 2019), l'enfant U... E... est né le [...] 2015 à Villahermosa (Etat de Tabasco, Mexique) de M. E.... Celui-ci, né le [...] à Tarbes, de nationalité française, a eu recours à une convention de gestation pour autrui au Mexique. La transcription de l'acte de naissance établi à l'étranger ne mentionne que le nom du père.
4. Par requête du 11 juillet 2016, M. Q..., né le [...] à Guayaquil (Equateur), de nationalité française, époux de M. E..., a formé une demande d'adoption plénière de l'enfant de son conjoint. M. E... a consenti à cette adoption le 4 mai 2016.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. MM. Q... et E... font grief à l'arrêt du 26 février 2019 de rejeter la demande d'adoption plénière de l'enfant U... par M. Q..., alors « que M. Q... faisait valoir, avec offre de preuve, qu'il était impossible de produire un document démontrant le consentement de Mme L... à l'adoption de U... par M. Q... ni la renonciation de cette dernière à des droits sur l'enfant dont elle avait accouché dans la mesure où, conformément au droit mexicain alors en vigueur dans l'état de Tabasco, Mme L... n'étant pas biologiquement le parent de l'enfant, conçu avec un don d'ovocyte, elle n'avait juridiquement aucun lien avec U... ni aucun droit sur ce dernier de sorte que l'enfant n'avait juridiquement pas de mère, ni au sens du droit mexicain, ni au sens du droit français ; que M. Q... versait notamment aux débats un document de la direction générale du registre civil de l'Etat de Tabasco du 10 décembre 2015 attestant que le contrat de gestation pour autrui conclu était conforme aux exigences de la loi" de sorte que l'officier d'Etat civil autorisait l'inscription de la naissance de l'enfant au registre d'état civil, l'original du contrat étant annexé au registre ; qu'il ressortait de ces écritures et de ce document que les conditions dans lesquelles Mme L... avait accouché de l'enfant U... et les conditions dans lesquelles ce dernier avait été remis à son père, M. E..., étaient parfaitement décrites et conformes à la loi mexicaine ; que M. Q... n'avait pas refusé de livrer à la cour d'appel des éléments d'information essentiels sur la naissance de U... mais démontrait au contraire que cette naissance avait eu lieu conformément aux dispositions de la loi mexicaine alors en vigueur et dans le respect des droits de Mme L... , le contrat de gestation pour autrui ayant été examiné par les autorités mexicaines et annexé au registre de l'état civil ; que la cour d'appel, pour débouter M. Q... de sa demande, s'est bornée à énoncer que rien ne permet en l'espèce d'appréhender les modalités dans lesquelles la femme ayant accouché de U... aurait renoncé à l'établissement de la filiation maternelle et ce de manière définitive, notamment si elle a été informée des conséquences juridiques de son acte et de l'importance pour toute personne de connaître son nom et son histoire, ni dans quelles conditions et dans quelle intention l'enfant U... a été remis à son père. Il en est de même, a fortiori, du consentement de cette femme à l'adoption de l'enfant dont elle a accouché, par le mari du père, dans des conditions qui viendraient, s'agissant d'une adoption plénière, à rendre impossibles à l'avenir, et de manière complète et irrévocable, tout établissement légal d'un lien de filiation maternelle et toute relation avec l'enfant. Dans ces conditions, et face au refus de l'appelant de livrer les éléments d'information essentiels sur la naissance de U..., en particulier ceux contenus dans le contrat de gestation pour autrui lequel détermine les conditions dans lesquelles Mme L... s'est abstenue de toute reconnaissance de l'enfant, la cour ne peut en conclure que l'adoption sollicitée, exclusivement en la forme plénière, et avec les effets définitifs qui s'attachent à cette dernière, soit conforme à l'intérêt de l'enfant lequel ne peut s'apprécier qu'au vu d'éléments biographiques suffisants" ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'il le lui était demandé, si les documents produits, et notamment l'autorisation donnée à l'officier de l'état civil de la commune de Centro, Etat de Tabasco, en date du 10 décembre 2015, pour établir l'acte de naissance mexicain, ne démontrait pas que l'acte de naissance comportant le seul nom du père était conforme à la loi mexicaine, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 345-1 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 16-7, 353, alinéa 1, 345-1, 1°, et 47 du code civil :
6. Aux termes du premier de ces textes, toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle, l'article 16-9 du même code précisant que cette disposition est d'ordre public.
7. Selon le deuxième, l'adoption est prononcée à la requête de l'adoptant par le tribunal judiciaire qui vérifie si les conditions de la loi sont remplies et si l'adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant.
8. Aux termes du troisième, l'adoption plénière de l'enfant du conjoint est permise lorsque l'enfant n'a de filiation légalement établie qu'à l'égard de ce conjoint.
9. Aux termes du quatrième, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.
10. Il résulte de ces textes que le droit français n'interdit pas le prononcé de l'adoption, par l'époux du père, de l'enfant né à l'étranger de cette procréation lorsque le droit étranger autorise la convention de gestation pour autrui et que l'acte de naissance de l'enfant, qui ne fait mention que d'un parent, a été dressé conformément à la législation étrangère, en l'absence de tout élément de fraude.
11. Pour rejeter la demande d'adoption plénière, l'arrêt retient que rien ne permet d'appréhender les modalités selon lesquelles la femme ayant accouché de U... aurait renoncé de manière définitive à l'établissement de la filiation maternelle et qu'il en est de même du consentement de cette femme à l'adoption de l'enfant, par le mari du père. Il estime que, dans ces conditions, il ne peut être conclu que l'adoption sollicitée, exclusivement en la forme plénière et avec les effets définitifs qui s'attachent à cette dernière, soit conforme à l'intérêt de l'enfant, qui ne peut s'apprécier qu'au vu d'éléments biographiques suffisants.
12. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les documents produits, et notamment l'autorisation donnée le 10 décembre 2015, par la direction générale du registre civil, à l'officier de l'état civil de la commune de Centro (Etat de Tabasco) afin qu'il établisse l'acte de naissance de l'enfant, ne démontraient pas que cet acte de naissance, comportant le seul nom du père, était conforme à la loi de l'Etat de Tabasco, de sorte qu'en l'absence de lien de filiation établi avec la femme ayant donné naissance à l'enfant, l'adoption plénière était juridiquement possible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :
CONSTATE la déchéance partielle du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt avant dire droit du 27 novembre 2018 ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Colin-Stoclet, avocat aux Conseils, pour MM. Q... et E...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué du 26 février 2019 d'avoir débouté M. R... Q... de sa demande d'adoption plénière de l'enfant U... P... D... E... ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'il résulte de l'article 370-3 du code civil que les conditions de l'adoption sont soumises à la loi nationale de l'adoptant, en l'espèce la loi française ; qu'aux termes de l'article 345-1 du code civil, l'adoption plénière de l'enfant du conjoint est permise : « 1° lorsque l'enfant n'a de filiation légalement établie qu'à l'égard de ce conjoint » ; que selon l'article 348-1 du même code, lorsque la filiation d'un enfant n'est établie qu'à l'égard d'un de ses auteurs, celui-ci donne le consentement à l'adoption ; que le 8 décembre 2015 est né à Villahermosa, Etat de Tabasco (Mexique), U... P... D... E... de I... E... ; qu'il est avéré que cet enfant est né grâce à une convention de gestation pour autrui contractée par M. I... E... dans l'Etat de Tabasco au Mexique avec Mme L... qui a accouché de l'enfant ; que le recours à la gestation pour autrui à l'étranger ne fait pas, par lui-même, obstacle au prononcé de l'adoption, par l'époux du père, de l'enfant né de cette procréation ; que pour autant, le prononcé de l'adoption plénière suppose, outre que les conditions légales soient remplies, qu'une telle mesure soit conforme à l'intérêt de l'enfant ; qu'or, rien ne permet en l'espèce d'appréhender les modalités selon lesquelles la femme ayant accouché de U... aurait renoncé à l'établissement de la filiation maternelle et ce de manière définitive, notamment si elle a été informée des conséquences juridiques de son acte et de l'importance pour toute personne de connaître son nom et son histoire, ni dans quelles conditions et dans quelle intention l'enfant U... a été remis à son père ; qu'il en est de même, a fortiori, du consentement de cette femme à l'adoption de l'enfant dont elle a accouché, par le mari du père, dans des conditions qui viendraient, s'agissant d'une adoption plénière, à rendre impossibles à l'avenir, et de manière complète et irrévocable, tout établissement légal d'un lien de filiation maternelle et toute relation avec l'enfant ; que dans ces conditions, et face au refus de l'appelant de livrer les éléments d'information essentiels sur la naissance de U..., en particulier ceux contenus dans le contrat de gestation pour autrui lequel détermine les conditions dans lesquelles Mme L... s'est abstenue de toute reconnaissance de l'enfant, la cour ne peut en conclure que l'adoption sollicitée, exclusivement en la forme plénière et avec les effets définitifs qui s'attachent à cette dernière, soit conforme à l'intérêt de l'enfant lequel ne peut s'apprécier qu'au vu d'éléments biographiques suffisants ;
AUX AUTRES MOTIFS QUE l'acte de naissance dressé au Mexique, pays de naissance de l'enfant, n'est pas produit mais qu'est versé aux débats la copie d'acte de naissance transcrit à Mexico le 7 janvier 2016 par l'officier d'état civil, par empêchement du conseil général de France, à la demande de M. I... E..., sur la production d'une copie de l'acte original dûment légalisée, qui mentionne qu'est né le [...] 2015 à Villahermosa, Etat de Tabasco (Mexique), U... P... D... E... M... O... E... né le [...] à Tarbes (Hautes-Pyrénées) ; qu'aucune indication n'est donnée dans l'acte de naissance de l'enfant concernant sa mère ; que le requérant produit un certificat de loi et de coutume en date du 1er octobre 2018 établi par Me Damaris Sanchez Coria, avocate de nationalité mexicaine, laquelle certifie que « le contrat de gestation pour autrui entre M. I... E... et la mère porteuse est totalement valable et qu'au moment de la gestation et de la naissance du mineur, le code civil en vigueur dans la juridiction de l'Etat de Tabasco permettait d'exercer ces droits à toute personne, célibataire ou mariée, de nationalité mexicaine ou étrangère, sans distinction d'ethnie, de race ou de préférence sexuelle » ; que s'il est acquis que le recours à la gestation pour autrui ne fait pas obstacle en lui-même à l'adoption, par l'époux du père, de l'enfant né de cette procréation, il incombe au requérant de produire les éléments permettant à la cour d'apprécier si les conditions d'adoptabilité sont remplies et si l'adoption plénière sollicitée est conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant ; que le seul certificat de coutume produit ne contient pas les éléments d'information utiles sur la naissance de l'enfant et sur la mère ainsi que sur les modalités selon lesquelles la mère ayant accouché de l'enfant aurait renoncé à l'établissement de sa filiation maternelle, et ce de manière définitive ; que les seules affirmations contenues dans ce certificat ne peuvent suppléer ni l'absence de production des dispositions légales applicables au jour de la naissance de l'enfant et notamment des textes cités dans ce certificat de loi et de coutume, ni l'absence de production de l'acte par lequel la mère a renoncé à voir figurer son nom dans l'acte de naissance de l'enfant (arrêt avant-dire droit du 27 novembre 2018) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'aux termes de l'article 353 du code civil, l'adoption est prononcée à la requête de l'adoptant par le tribunal de grande instance qui vérifie si les conditions de la loi sont remplies et si l'adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant ; qu'aux termes de l'article 345-1 du code civil, l'adoption plénière de l'enfant du conjoint est permise lorsque l'enfant n'a de filiation légalement établie qu'à l'égard de ce conjoint ; qu'en l'espèce, il résulte de la copie d'acte de naissance de l'état civil de Nantes que l'enfant U..., P..., D... E... né le [...] 2015 à Villahermosa, Etat de Tabasco (Mexique) n'a de filiation établie qu'à l'égard de son père, M. I... E... ; que l'enfant a dès lors été conçu par contrat de gestation pour autrui, ce qui a été confirmé par M. E... lors de l'audience ; que cette naissance a donc procédé d'une violation par M. E... des dispositions de l'article 16-7 du code civil qui dispose que toute convention portant sur la procréation ou la gestion pour le compte d'autrui est nulle ; que cette nullité est d'ordre public, en application de l'article 16-9 du code civil ; que la première chambre civile de la Cour de Cassation, dans un arrêt du 6 avril 2011, avait jugé qu'il est contraire au principe de l'indisponibilité de l'état des personnes de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour autrui, qui, fût-elle licite à l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ; que la première chambre civile de la Cour de Cassation a récemment admis, dans un arrêt du 5 juillet 2017, que le recours à la gestation pour autrui à l'étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l'adoption par l'époux du père, de l'enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l'adoption sont réunies et si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant ; que toutefois, cette instance concernait une demande d'adoption simple et non pas plénière de l'enfant du conjoint ; que l'état du droit positif français contient toujours l'interdiction de la gestation pour autrui en France ; qu'ainsi, il convient d'étudier l'incidence de la violation de la prohibition française de la gestation pour autrui au regard de l'intérêt de l'enfant, conformément à la jurisprudence en vigueur de la CEDH ; qu'en effet, dans toutes décisions qui le concernent, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale, en application de l'article 3 §1 de la Convention de New-York relative aux droits de l'enfant ; que selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, le juge doit vérifier au cas par cas si le refus de faire droit à une demande au motif d'une telle violation représente ou non une atteinte disproportionnée à l'intérêt de l'enfant, notamment à son droit au respect de sa vie familiale et de sa vie privée ; qu'en l'espèce l'enfant U... E... a une filiation paternelle établie à l'égard de son père biologique, M. I... E..., qui l'élève depuis sa naissance ; que M. R... Q... s'occupe également de U... depuis sa naissance et est reconnu comme un second père par l'entourage, ainsi que le montrent les nombreuses attestations et photographies versées au dossier ; qu'il existe de nombreux moyens juridiques pour donner un statut à M. R... Q... vis-à-vis de l'enfant (délégation d'autorité parentale, tuteur testamentaire, enfant légataire successoral, droit de visite d'un tiers en cas de séparation du couple) ; que l'absence de lien juridique de filiation entre M. R... Q... et l'enfant âgé de 18 mois n'est aucunement préjudiciable à l'enfant ; qu'ainsi, refuser en l'espèce d'accorder l'adoption plénière de l'enfant U... par M. R... Q... ne représente pas une atteinte disproportionnée à l'intérêt de l'enfant, notamment à son droit au respect de sa vie familiale et de sa vie privée ; qu'il est contraire au principe de l'indisponibilité de l'état des personnes de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour autrui, qui, fût-elle licite à l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ; que M. R... Q... sera donc débouté de sa demande ;
1°) ALORS QU'en application de l'article 345-1 du code civil, l'adoption plénière de l'enfant du conjoint est permise lorsque l'enfant n'a de filiation légalement établie qu'à l'égard de ce conjoint ; que le recours à la gestation pour autrui à l'étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l'adoption, par l'époux du père, de l'enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l'adoption sont réunies et si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant ; que l'enfant a droit au respect de sa vie privée et familiale et, dans toutes les décisions qui le concernent, son intérêt supérieur doit être une considération primordiale ; que l'intérêt supérieur de l'enfant comprend l'identification en droit des personnes qui ont la responsabilité de l'élever, de satisfaire à ses besoins et d'assurer son bien-être, ainsi que la possibilité de vivre et d'évoluer dans un milieu stable ; que l'impossibilité d'obtenir la reconnaissance du lien entre un enfant né d'une gestation pour autrui pratiquée à l'étranger et le parent d'intention n'est pas conciliable avec l'intérêt supérieur de l'enfant ; que le droit au respect de la vie privée, au sens de l'article 8 de la Convention, d'un enfant né à l'étranger à l'issue d'une gestation pour autrui, requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d'un lien de filiation entre cet enfant et le parent d'intention ; qu'en conséquence, les conditions dans lesquelles la femme enceinte de substitution a refusé de faire reconnaitre son lien de filiation et a renoncé à reconnaître l'enfant n'ont pas à être prises en compte pour apprécier l'intérêt supérieur de l'enfant lorsque l'existence d'une vie familiale et de liens affectifs a été constatée entre l'enfant et le parent d'intention ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les conditions légales pour l'adoption plénière de l'enfant U... E... par M. R... Q..., conjoint de M. I... E..., père de U..., étaient remplies (arrêt, p. 4) ; que la cour d'appel a encore constaté que M. Q... s'occupait de U... depuis sa naissance et était reconnu comme un second père par l'entourage (jugement, p. 3) ; qu'en déboutant néanmoins M. Q... de sa demande d'adoption plénière de U... E..., par des motifs inopérants tirés notamment de ce qu'il demandait l'établissement d'un lien de filiation par une adoption plénière, et non une adoption simple (jugement, p. 3), ou encore de ce que rien ne permettait d'appréhender les modalités selon lesquelles la femme ayant accouché de U... aurait renoncé à l'établissement de la filiation maternelle de manière définitive, notamment si elle avait été informée des conséquences juridiques de son acte et de l'importance pour toute personne de connaître son nom et son histoire, ni dans quelles conditions et dans quelle intention l'enfant U... avait été remis à son père, ni des conditions dans lesquelles le consentement de cette femme à l'adoption de U... avait été donné (arrêt, p. 4), la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser le fait que la mesure d'adoption plénière n'était pas conforme à l'intérêt supérieur de U... et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 345-1 du code civil ainsi que des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3 § 1 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant ;
2°) ALORS QUE le législateur a limité l'établissement d'un double lien de filiation à l'égard de deux personnes du même sexe à la voie de l'adoption de l'enfant de son conjoint, de sorte que seule la voie de l'adoption est ouverte au parent d'intention de même sexe que le parent biologique pour faire reconnaitre son lien de filiation avec ledit enfant ; que les mécanismes de délégation partage de l'autorité parentale, de désignation de tuteur testamentaire et le droit des libéralités ne sont pas suffisants pour garantir à l'enfant, à l'égard de son parent d'intention, les mêmes droits que ceux résultant de l'établissement d'une filiation par adoption ; qu'en énonçant par motifs adoptés, pour considérer qu'il n'était pas dans l'intérêt supérieur de U... de voir établi un lien de filiation avec M. Q..., qu'il existait de nombreux moyens juridiques pour donner à ce dernier un statut vis-à-vis de l'enfant et que l'absence de lien de filiation n'était aucunement préjudiciable à celui-ci, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser le fait que la mesure d'adoption plénière n'était pas conforme à l'intérêt supérieur de U... et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 345-1 du code civil ainsi que des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3 § 1 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant ;
3°) ALORS QUE, en tout état de cause, M. Q... faisait valoir, avec offre de preuve, qu'il était impossible de produire un document démontrant le consentement de Mme L... à l'adoption de U... par M. Q... ni la renonciation de cette dernière à des droits sur l'enfant dont elle avait accouché dans la mesure où, conformément au droit mexicain alors en vigueur dans l'état de Tabasco, Mme L... n'étant pas biologiquement le parent de l'enfant, conçu avec un don d'ovocyte, elle n'avait juridiquement aucun lien avec U... ni aucun droit sur ce dernier de sorte que l'enfant n'avait juridiquement pas de mère, ni au sens du droit mexicain, ni au sens du droit français (concl, p. 7 à 9) ; que M. Q... versait notamment aux débats un document de la direction générale du registre civil de l'Etat de Tabasco du 10 décembre 2015 attestant que le contrat de gestation pour autrui conclu était « conforme aux exigences de la loi » de sorte que l'officier d'Etat civil autorisait l'inscription de la naissance de l'enfant au registre d'état civil, l'original du contrat étant annexé au registre ; qu'il ressortait de ces écritures et de ce document que les conditions dans lesquelles Mme L... avait accouché de l'enfant U... et les conditions dans lesquelles ce dernier avait été remis à son père, M. E..., étaient parfaitement décrites et conformes à la loi mexicaine ; que M. Q... n'avait pas refusé de livrer à la cour des éléments d'information essentiels sur la naissance de U... mais démontrait au contraire que cette naissance avait eu lieu conformément aux dispositions de la loi mexicaine alors en vigueur et dans le respect des droits de Mme L... , le contrat de gestation pour autrui ayant été examiné par les autorités mexicaines et annexé au registre de l'état civil ; que la cour d'appel, pour débouter M. Q... de sa demande, s'est bornée à énoncer que « rien ne permet en l'espèce d'appréhender les modalités dans lesquelles la femme ayant accouché de U... aurait renoncé à l'établissement de la filiation maternelle et ce de manière définitive, notamment si elle a été informée des conséquences juridiques de son acte et de l'importance pour toute personne de connaître son nom et son histoire, ni dans quelles conditions et dans quelle intention l'enfant U... a été remis à son père. Il en est de même, a fortiori, du consentement de cette femme à l'adoption de l'enfant dont elle a accouché, par le mari du père, dans des conditions qui viendraient, s'agissant d'une adoption plénière, à rendre impossibles à l'avenir, et de manière complète et irrévocable, tout établissement légal d'un lien de filiation maternelle et toute relation avec l'enfant. Dans ces conditions, et face au refus de l'appelant de livrer les éléments d'information essentiels sur la naissance de U..., en particulier ceux contenus dans le contrat de gestation pour autrui lequel détermine les conditions dans lesquelles Mme L... s'est abstenue de toute reconnaissance de l'enfant, la cour ne peut en conclure que l'adoption sollicitée, exclusivement en la forme plénière, et avec les effets définitifs qui s'attachent à cette dernière, soit conforme à l'intérêt de l'enfant lequel ne peut s'apprécier qu'au vu d'éléments biographiques suffisants » (arrêt, p. 4) ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'il le lui était demandé (conclusions, p. 7), si les documents produits, et notamment l'autorisation donnée à l'officier de l'état civil de la commune de CENTRO, Etat du TABASCO, en date du 10 décembre 2015, pour établir l'acte de naissance mexicain, ne démontrait pas que l'acte de naissance comportant le seul nom du père était conforme à la loi mexicaine, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 345-1 du code civil ;
4°) ALORS QUE, en outre, en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'il le lui était demandé, si l'impossibilité de produire un document attestant de la renonciation de Mme L... à ses droits sur l'enfant et l'absence de reconnaissance par cette dernière d'un lien de filiation avec l'enfant dont elle avait accouché étaient dues à l'état du droit en vigueur dans l'état de Tabasco au Mexique, lieu de naissance de l'enfant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 345-1 du code civil ;
5°) ALORS QUE toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, en application de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le fait d'interdire à un père d'intention d'adopter l'enfant de son conjoint, alors même que les conditions légales pour le faire sont remplies, constitue une ingérence disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du parent d'intention lorsque ce dernier ne dispose d'aucun autre mécanisme lui permettant d'établir un lien de filiation avec l'enfant d'intention et que les mécanismes juridiques lui permettant de mener une vie privée et familiale à l'égard de l'enfant sont précaires ; qu'au cas présent, il est constant que seule la voie de l'adoption était ouverte à M. Q... pour faire reconnaître son lien de filiation avec U... E..., le législateur ayant limité l'établissement d'un double lien de filiation à l'égard de deux personnes du même sexe à la voie de l'adoption de l'enfant de son conjoint ; que pour débouter M. Q... de sa demande d'adoption, la cour d'appel a estimé que les mécanismes juridiques autres que l'adoption, tels la « délégation de l'autorité parentale, tuteur testamentaire, enfant légataire successoral, droit de visite d'un tiers en cas de séparation du couple », permettaient de donner un statut à M. Q... vis-à-vis de l'enfant (jugement, p. 3) ; qu'en statuant ainsi, sur le fondement de mécanismes précaires en ce qu'ils sont, pour la plupart, conditionnés à l'accord exprès du parent dont le lien de filiation a été reconnu, et donc subordonnés à la bonne entente du couple, la cour d'appel s'est fondée sur des motifs impropres à écarter une ingérence disproportionnée de l'Etat dans le droit au respect de la vie privée et familiale de M. Q..., violant l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
6°) ALORS QU'en application de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe ; que cette disposition interdit de traiter de manière différente, sans justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables et prohibe les discriminations liées notamment à l'orientation sexuelle des personnes ; qu'en application de l'article 356 du code civil, l'adoption plénière a pour effet de conférer à l'enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d'origine ; que l'adopté cesse d'appartenir à sa famille par le sang et l'adoption ne laisse subsister la filiation d'origine qu'à l'égard du conjoint et de sa famille dans le cas de l'adoption de l'enfant du conjoint ; qu'en l'espèce, il n'était pas contesté que toutes les conditions légales permettant l'adoption plénière de l'enfant par M. Q... étaient réunies ; que cette adoption devait avoir pour effet de substituer la filiation maternelle d'origine de l'enfant à la filiation de M. Q... tout en laissant subsister la filiation d'origine à l'égard de M. E... ; que, pour débouter M. R... Q... de sa demande d'adoption plénière de l'enfant U... P... D... E..., la cour d'appel s'est fondée sur le fait que M. Q... et M. E... avaient eu recours à une convention de gestation pour autrui à l'étranger et que l'adoption plénière par M. Q... aurait pour effet de rendre impossible tout établissement légal d'un lien de filiation maternelle et toute relation avec l'enfant ; qu'en statuant ainsi, tandis que l'adoption plénière a nécessairement pour effet de substituer la filiation de l'adoptant à la filiation d'origine de l'adopté, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et a en réalité débouté M. Q... de sa demande en raison de son orientation sexuelle ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a créé une différence de traitement non justifiée entre l'adoption plénière au sein d'un couple hétérosexuel et un couple homosexuel, violant l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et l'article 356 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2020:C100641
