L'adoption (Cass., Civ. 1re, 26 mars 2025, n° 22-22.507 (B))

Introduction

L’adoption d’un enfant dans le cadre d’un couple de femmes a connu de nombreux rebondissements ces dernières années. Les lois du 17 mai 2013, ouvrant l’adoption aux couples mariés de même sexe, du 2 août 2021, autorisant l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes, ou encore du 21 février 2022, allégeant la procédure d’adoption pour les couples ayant procédé à une AMP antérieurement à 2021, rendent difficilement lisible le droit applicable. L’arrêt soumis à étude est rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation en 2025 mais concerne une adoption demandée en 2019, soit avant la reconnaissance d’un droit à l’AMP pour les couples de femmes. Elle interrogeait la portée de la rétractation de son consentement, par la mère légale, à l’adoption de son enfant par sa conjointe.

Une femme donne naissance à un enfant en 2016. Se fondant sur un acte notarié du 3 juin 2019, par lequel la mère légale avait consenti à l’adoption, l’épouse de la mère légale introduit une requête en adoption plénière de l’enfant en septembre 2019. Le couple se sépare et la mère légale s’oppose à une telle adoption. Les juges du fond rejettent la demande en opposition de la mère légale et prononce l’adoption plénière de l’enfant par l’épouse, tout en modifiant le nom de famille de l’enfant pour y faire apparaître le nom de ses deux parents.

La mère légale forme un pourvoi en cassation contre cette décision. Son pourvoi est formé d’un moyen, avec deux arguments principaux.

D’une part, la requérante estime que l’opposition faite à la demande d’adoption plénière de son enfant tient lieu de demande de restitution de l’enfant. Cette demande doit être accueillie de plein droit dans le cas où l’enfant n’a pas été placé ou recueilli par le conjoint. Or, en l’espèce, la cour d’appel n’a pas relevé que l’opposition, certes formulée au-delà du délai de deux mois, devait tout de même produire des effets dès lors que l’enfant continuait à résider chez sa mère légale, violant ainsi l’article 348-3 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010.

D’autre part, la requérante estime que la demande d’opposition s’analyse en une demande de restitution. Dès lors, la cour d’appel a violé le même article 348-3 en conditionnant l’accueil de cette demande à l’appréciation de l’intérêt de l’enfant.

La mère légale peut-elle, au-delà du délai légal de deux mois, demander la restitution de son enfant dans le cas où ce dernier ne réside pas avec sa conjointe, requérante à l’adoption ?

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la mère légale. Elle rappelle d’abord qu’aux termes des articles 345-1, 1° (nouv. 370-1-3, 1°), 348-1 et 348-3 du Code civil, l’adoption plénière de l’enfant du conjoint est permise lorsque l’enfant n’a de filiation établie qu’à l’égard de ce conjoint. Une telle adoption requiert le consentement de son parent légal, qui peut être rétracté dans un délai de deux mois.

La Cour de cassation pose ensuite les modalités de l’opposition par le parent légal. L’alinéa 3 de l’article 348-3, mobilisé par la demanderesse au pourvoi, précise effectivement que, quand bien même le délai de rétractation de deux mois serait expiré, les parents légaux peuvent encore demander la restitution judiciaire de l’enfant, à la condition que l’enfant n’ait pas été placé en vue de l’adoption. La restitution rend alors caduc le consentement donné à l’adoption de l’enfant. Mais la Cour de cassation précise le champ d’application de cette disposition : elle n’est applicable que dans le cas d’une adoption plénière par un tiers, et non dans le cas d’une adoption intraconjugale.

Dès lors, la demande d’opposition formulée par le parent légal doit être faite, à peine d’irrévocabilité, dans le délai de rétractation de deux mois. Au-delà, elle ne lie pas le juge. Ce dernier doit donc poursuivre la procédure d’adoption : vérifier si les conditions légales de l’adoption sont remplies et si une telle adoption de l’enfant est conforme à son intérêt.

En conséquence, en constatant que la mère légale n’avait pas rétracté son consentement dans le délai légal de deux mois, et en l’absence d’application des dispositions de l’alinéa 3 de l’article 348-3 du Code civil, la cour d’appel n’avait pas à ordonner d’office la restitution de l’enfant. Il lui restait à apprécier les conditions légales de l’adoption, et c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation qu’elle a pu considérer que l’adoption était conforme à l’intérêt de l’enfant, malgré la séparation de l’adoptante et de la mère légale et l’opposition formée par cette dernière.

Bien que rendu en 2025, l’arrêt soumis à étude se place sur le terrain du droit commun de l’adoption d’un enfant par son conjoint. Cependant, des parallèles peuvent être réalisés entre droit commun de l’adoption et règles actuelles d’établissement de la filiation entre un enfant né par AMP et la conjointe de sa mère légale. Nous tenterons d’établir ces liens, tout en suivant le raisonnement binaire de la Cour qui posent d’abord les conditions de rétractations du consentement par le parent légal (I), pour en détailler ensuite les conséquences (II).

I – Le rappel des conditions de rétractation du consentement à l'adoption intraconjugale

La Cour de cassation rappelle dans un premier temps les modalités de rétractation du consentement à l’adoption intraconjugale par la mère légale. Dès lors que la mère légale donne son consentement à l’adoption (A), elle dispose d’un délai légal de deux mois pour le rétracter (B).

A - La condition préalable d'un consentement donné à l'adoption intraconjugale

Pour rétracter un consentement, encore faut-il qu’un tel consentement existe au préalable. En matière d’adoption, le principe est celui du consentement à l’adoption par la personne ayant le pouvoir de représenter l’enfant (1). Cette exigence existe également en matière d’adoption au sein d’un couple de femmes (2), bien qu’elle connaisse des exceptions qui doivent être explicitées pour comprendre toute l’importance de la décision ici rendue.

1 - Le consentement du parent légal, condition commune à toutes les adoptions

Qu’elle soit simple ou plénière, l’adoption consiste en la création d’un lien de filiation, qui n’est fondé ni sur une réalité biologique, ni sur une réalité affective, contrairement à la filiation dite carnelle. Elle entraîne soit l’adjonction, soit la substitution d’un lien de filiation à celui déjà existant. Les conséquences importantes de l’adoption justifient que l’adopté, en tant que premier concerné, puisse consentir à son adoption.

Cependant, l’adoption vise majoritairement – et exclusivement lorsqu’elle est plénière (C. civ., art. 345 al. 1er) – une personne mineure et donc considérée juridiquement comme incapable. Dès lors, c’est à ses représentants légaux de consentir à l’adoption (C. civ., art. 344), avec la précision que les mineurs âgés de plus de treize ans doivent également consentir à leur adoption (C. civ., art. 349). L’importance de l’adoption est consacrée par la forme particulière que doit prendre l’instrumentum recueillant le consentement : c’est un notaire qui recueille le consentement aux termes de l’article 348-3 du Code civil.

Cette règle est transposée dans le cas de l’adoption dite intraconjugale, c’est-à-dire l’adoption de l’enfant d’une personne par le conjoint, le partenaire ou le concubin de cette dernière. L’ancien article 345-1 du Code civil, cité dans l’arrêt par la Cour et repris désormais à l’article 370-1-3 du Code civil précise, dans son 1°, que « l’adoption plénière de l’enfant du conjoint […] est permise […] lorsque l’enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de ce conjoint ». C’est en ce sens que la Cour de cassation rappelle, de manière classique, que « l'adoption plénière de l'enfant du conjoint, permise lorsque l'enfant n'a de filiation établie qu'à l'égard de ce conjoint, requiert le consentement de celui-ci ».

Pour autant, cette règle doit être contextualisée au regard des règles spécifiques entourant l’adoption au sein d’un couple de femmes.

2 - Le consentement spécifique aux adoptions au sein des couples de femmes

La Cour de cassation ne fait aucune référence à une règle spécifique touchant l’adoption intraconjugale dans le cas où la requête émane de la conjointe de la mère légale. Pour autant, cela ne doit pas éclipser le contexte juridique particulier de cette adoption.

La loi bioéthique n° 2021-1018 du 2 août 2021 a ouvert la possibilité, pour les couples de femmes, de réaliser une AMP. Dans ce cadre, le couple souhaitant accueillir un enfant doit établir son consentement à ce projet parental au sein d’un acte notarié, appelé reconnaissance conjointe (c. civ., art. 342-10). La loi n° 2022-219 du 21 février 2022 a pris en compte la situation des couples de femmes ayant procédé à une AMP à l’étranger antérieurement à la loi de 2021, en octroyant à la conjointe de la mère biologique, partie au projet parental, la possibilité de demander au juge l’adoption de l’enfant, lequel pourra l’accorder dans certaines conditions, nonobstant le refus opposé par la mère biologique. Mais pour les couples de femmes ayant procédé à une AMP antérieurement à ces deux lois, il faut en passer par le droit commun de l’adoption.

A la lecture de cet arrêt, on pourrait penser que la Cour opère une application rétroactive des lois de 2021 et de 2022. En effet, la mère légale, bien qu’ayant donné son consentement à l’adoption, a souhaité par la suite le rétracter. Les juges, qu’ils soient d’appel ou de cassation, passent effectivement outre cette rétractation et in fine l’opposition de la mère légale à l’adoption. La finalité est donc la même : écarter la mère légale du processus de décision dans l’adoption de son enfant. Mais les deux situations sont fondamentalement différentes. D’une part, dans l’affaire soumise à étude, la mère légale avait bien, en premier lieu, donné son accord pour l’adoption plénière de son enfant. D’autre part, si elle avait la possibilité de rétracter son consentement, encore fallait-il le faire dans les conditions prévues par la loi.

B - Le respect de la condition temporelle de la rétractation

Le consentement donné à l’adoption intraconjugale n’est pas automatiquement irrévocable. Un délai est laissé pour que la mère légale puisse revenir sur sa décision première (1). Cependant, ce délai ne saurait être indéfini : la rétractation doit intervenir dans un délai de deux mois. Or, en l’espèce, le délai était dépassé : cette constatation devait entraîner le rejet de la demande d’opposition (2).

1 - Le rappel de la possible rétractation pendant le délai légal

Tout en indiquant que le consentement du représentant légal de l’enfant à adopter est nécessaire, la Cour encadre immédiatement la portée d’un tel consentement : le consentement « peut être rétracté pendant deux mois », conformément à l’article 348-3 du Code civil, désormais codifié à l’article 348-5.

La portée de ce délai légal doit être comprise. L’absence de délai, et donc la possibilité pour la mère légale de rétracter indéfiniment son consentement, conduirait à placer le conjoint adoptant et a fortiori l’enfant dans une situation de dépendance vis-à-vis de la mère légale. En effet, cette dernière aurait la possibilité de rétracter son consentement, même au dernier moment et alors que la procédure d’adoption est sur le point d’aboutir. On peut douter d’ailleurs de la conformité de cette rétractation avec l’intérêt de l’enfant. En effet, la rétractation suppose, nous l’avons vu, l’existence d’un consentement. La mère légale a donc, à un moment de la procédure, considéré que l’adoption était la bonne solution pour l’enfant. Il ne faudrait pas que, dans un but dilatoire ou de vengeance vis-à-vis du conjoint dans le cadre d’une séparation difficile, la rétractation soit trop facile à réaliser.

Pour autant, l’importance de l’adoption, pour la vie et de l’enfant adopté et de sa mère légale, appelle à ce que le représentant légal dispose d’un délai de réflexion qui lui permette de prendre conscience de ce que ce consentement implique. L’absence de possibilité de rétracter son consentement, ou a minima un délai trop court, entraînerait la conséquence inverse : forcer la mère légale à subir l’adjonction d’un lien de filiation au sien, et toutes les conséquences en découlant, sans avoir eu la possibilité de se dédire.

Il faut noter qu’encore une fois, l’enfant à adopter âgé de plus de treize ans peut rétracter son consentement « à tout moment jusqu’au prononcé de l’adoption » (C. civ., art. 349, al. 3). Pour autant, une telle issue de secours n’était pas applicable ici : l’enfant à adopter était né en 2016, et avait donc 9 ans au jour du rendu de l’arrêt soumis à étude.

2 - L’existence d’une rétractation du consentement hors délai

La Cour de cassation ne s’attarde pas expressément sur l’appréciation du délai de rétractation. Elle fait ici une application littérale, et donc stricte, des dispositions de l’ancien article 348-3, nouveau article 348-5, du Code civil. Elle se retranche derrière les constatations de la cour d’appel de Douai, selon laquelle « Mme [F] […] n'avait pas rétracté son consentement dans le délai prévu par la loi ».

Pour autant, une discussion aurait pu s’amorcer ici, au regard de la temporalité des faits. En effet, la mère légale avait consenti à l’adoption par un acte notarié en juin 2019. Le requête a été introduite en septembre 2019. Si aucune indication n’est donnée quant à la date à laquelle la rétractation a été opposée, on peut raisonnablement penser qu’elle a été consécutive à la requête en adoption, soit quelques mois à peine après le consentement à l’adoption.

L’un des arguments de la mère légale aurait pu être de s’attaquer à l’appréciation même de ce délai, avec une interrogation légitime : est-ce que la rétractation réalisée hors délai, mais dans un délai jugé raisonnable, ne devrait-elle pas produire des effets ? Plus encore, est-ce que le délai de deux mois, prévu par le législateur, n’est-il pas un délai trop court pour que la mère légale prenne conscience de la portée de ce consentement ?

Ni la demanderesse, ni la Cour de cassation ne partent sur ce raisonnement. Il s’agit d’asseoir le caractère intangible de ce délai, qui est classiquement considéré comme un délai raisonnable, prenant en compte à la fois les intérêts du parent légal, de l’enfant et de l’adoptant. Par ailleurs, il nous semble que cette défense aurait été bancale. En effet, la chronologie des faits nous apprend que la rétractation n’aurait eu lieu qu’après que la conjointe de la mère légale a introduit la requête en adoption, et donc, vraisemblablement, après leur séparation de fait. La rétractation semble donc être motivée pour faire échec à la requête de la conjointe, dans un but probablement étranger à l’intérêt de l’enfant. La Cour de cassation ne s’encombre donc pas d’une telle argumentation.

II – Les conséquences de l'absence de rétractation du consentement à l'adoption intraconjugale

La rétractation du consentement à l’adoption intraconjugale, intervenue au-delà du délai légal de deux mois, entraîne l’irrévocabilité du consentement de la mère légale (A) et, par conséquent, la poursuite de la procédure d’adoption de l’enfant (B).

A - L'irrévocabilité du consentement au-delà du délai légal

L’argument selon lequel la loi permet à ce que l’enfant non placé soit restitué à son parent légal ne convainc pas la Cour, qui écarte toute autre échappatoire en cas de rétractation du consentement hors délai (1). Passé le délai légal, la Cour de cassation considère que le consentement est irrévocable et octroie toute latitude au juge pour reprendre la main sur la procédure d’adoption (2).

1 - L’inapplicabilité de la caducité pour absence de placement en matière d’adoption intraconjugale

Si la mère légale, demanderesse au pourvoi, ne s’aventure pas sur le terrain de l’appréciation du délai légal, pour les raisons évoquées précédemment, elle tente un autre raisonnement encore plus hasardeux. En effet, elle se fonde sur le mécanisme de l’ancien article 348-3, alinéa 3, désormais codifié à l’article 348-5, alinéa 2 du Code civil. Une issue de secours est offerte au représentant légal n’ayant pas rétracté dans les délais : il peut « encore demander la restitution de l'enfant à condition que celui-ci n'ait pas été placé en vue de l'adoption ». La restitution, qu’elle soit volontaire ou forcée par décision de justice, « rend caduc le consentement à l’adoption ».

L’argumentaire était alors implacable. La mère légale n’avait pas rétracté dans les temps, mais elle considérait que l’enfant n’ayant pas été placé chez la conjointe de la mère légale, elle disposait encore de la faculté de demander la restitution de l’enfant.

La cour d’appel comme la Cour de cassation ne sont pas sensibles à ce raisonnement. Elles distinguent bien le champ d’application de ce mécanisme. Dès lors que la condition de la restitution de l’enfant repose sur l’absence de placement, cela suppose que l’adoption soit demandé par un tiers à la situation familiale. Dès lors, pour la Cour de cassation, la restitution rendant caduc le consentement à l’adoption, « qui présuppose que l’enfant a été remis à un tiers, n’est pas applicable à l’adoption de l’enfant du conjoint ».

Le professeur Lemouland critique la « logique textuelle » à l’œuvre car ici, la Cour de cassation applique l’alinéa 1er de l’article 348-5 du Code civil, tout en excluant l’application de son alinéa 2… (J.-J. Lemouland, Adoption plénière de l'enfant par l'épouse de la mère : un contentieux persistant, Dalloz actualité, 7 avr. 2025). Pour autant, la logique téléologique est ici assez claire. Dans le cadre d’une adoption non intraconjugale, l’enfant doit effectivement être placé chez un tiers pour procéder à l’adoption. Le législateur considère donc qu’en l’absence de placement, l’enfant n’a pas encore pu nouer de lien avec l’adoptant. Pour autant, dans cette configuration, l’adoptant est un tiers. Dans le cadre d’une adoption intraconjugale, comme en l’espèce, l’adoptant est la conjointe de la mère légale. La condition du placement de l’enfant est donc peu compatible car soit l’adoptante vit avec la mère légale et dans ce cas, l’enfant est de facto « placé » chez l’adoptant en raison du principe de communauté de vie entre époux ou partenaires ; soit l’adoptante est séparée de la mère légale, laquelle ne souhaitera pas dans les faits placer l’enfant chez son ancienne compagne. Si un tel mécanisme avait été appliqué, cela aurait amené la mère légale à pouvoir factuellement empêcher l’adoption de son enfant, revenant à la situation dénoncée précédemment. Cette solution est d’ailleurs conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation (Civ. 1re, 12 juill. 2023, n° 21-23.242 ; Civ. 1re, 11 mai 2023, n° 21-17.737).

2 - L’importance appuyée de la liberté du juge

En écartant du champ d’application de l’alinéa 2 de l’article 348-5 du Code civil, la situation de l’adoption intraconjugale, la Cour de cassation rappelle donc qu’en dehors d’une rétractation dans le délai légal, le consentement donné par la mère légale à l’adoption est irrévocable. Autrement dit, à l’expiration du délai légal de rétractation, le consentement de la mère légale produit ses effets juridiques.

Tirant les conséquences de cette règle, la Cour de cassation indique de manière opportune que « l'opposition du conjoint ne lie pas le juge ». Il s’agit pour elle de rappeler qu’une fois le délai expiré, la procédure d’adoption n’est plus entre les mains du couple, et, plus précisément, de la mère légale, mais uniquement du juge. Là encore, il y a le rappel de la solennité du consentement donné devant notaire. Il est donc essentiel de rappeler tout l’importance du conseil à prodiguer aux parents légaux souhaitant consentir à l’adoption.

Le rappel de la liberté accordée au juge dans la procédure d’adoption nous semble particulièrement opportun de la part des juges du quai de l’Horloge. En effet, il s’agit d’un rappel clair que la procédure d’adoption est avant tout une procédure s’inscrivant dans le droit de la famille. Dans ce cadre, l’intérêt à rechercher n’est pas celui du couple, ou même celui d’une famille, mais bien avant tout celui de l’enfant. Il serait préjudiciable à l’enfant, au cœur de la procédure d’adoption, que l’opposition de la mère légale puisse l’empêcher d’établir un lien de droit avec une personne qui a noué un lien affectif avec l’enfant, d’autant plus qu’en matière d’AMP, la conjointe a pleinement participé au projet parental ayant conduit à la naissance de l’enfant.

Bien que la solution d’espèce puisse sembler, de prime abord, être une énième « victoire » de la conjointe sur la mère légale, c’est bien davantage une victoire de l’intérêt de l’enfant qui s’opère ici. C’est en cela que le parallèle avec la loi du 21 février 2022 n’est pas totalement pertinent. Pour autant, l’arrêt de 2025 démontre bien que la mère légale ne doit pas prendre en otage la procédure d’adoption, simplement en raison de l’état de crise du couple ou de son évolution.  

B - La poursuite de la procédure d'adoption de l'enfant

Le juge, en redevant l’acteur principal de la procédure d’adoption de l’enfant, se voit assigner deux missions principales : celle d’apprécier souverainement l’existence des conditions légales à l’adoption (1) et celle, in fine, d’apprécier que l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant (2).

1 - Appréciation souveraine des conditions légales

La Cour finit son raisonnement par un rappel des missions du tribunal dans le cadre d’une procédure d’adoption. Si le juge retrouve une liberté quasi-totale dans la conduite de la procédure d’adoption intraconjugale, cela ne signifie pas que le juge n’est pas soumis à certains devoirs. La procédure continue son cours, ce qui signifie que le juge « doit seulement vérifier que les conditions légales de l'adoption de l'enfant sont remplies et si celle-ci est conforme à son intérêt », conformément aux dispositions de l’article 353-1 alinéa 1er du Code civil.

S’agissant des conditions légales de l’adoption de l’enfant, elles sont nombreuses. Le professeur Lemouland les énumère : « il y a l'existence et la survivance du couple dans le cadre duquel l'adoption est envisagée. L'adoption de l'enfant de l'autre membre du couple suppose qu'au moment de prononcer l'adoption, le couple existe toujours. Autant dire que pour les partenaires et plus encore pour les concubins, le délai de rétractation n'a pas grande signification, puisqu'il suffit que le couple se sépare et plus clairement que la mère rompe, pour que les conditions de l'adoption ne soient plus remplies » (J.-J. Lemouland, Adoption plénière de l'enfant par l'épouse de la mère : un contentieux persistant, Dalloz actualité, 7 avr. 2025).

Il faut donc noter que l’absence de rétractation dans le délai légal ne signifie pas nécessairement que l’adoption sera prononcée au profit de la conjointe de la mère légale. Mais particulièrement, le juge devra vérifier si une telle adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant.

2 - Appréciation souveraine de l’intérêt de l’enfant

La décision rendue par la Cour de cassation apparaît in fine comme fondamentalement protectrice de l’intérêt de l’enfant. 

Le juge conserve en effet la possibilité de jauger, quand bien même les conditions légales seraient remplies, si l’adoption est compatible avec l’intérêt de l’enfant. Or, cette appréciation relève de l’appréciation souveraine des juges. C’est dans ce cadre que la Cour de cassation indique ici que « la cour d'appel a estimé que, malgré la séparation de l'adoptante et de la mère de l'enfant, […] l'adoption demandée était conforme à l'intérêt de l'enfant et a, en conséquence, prononcé celle-ci ».

On remarque donc ici que la cour d’appel a bien pris en compte la situation de séparation de fait du couple à l’origine du projet parental ayant donné lieu à la naissance de l’enfant. Mais cette situation de séparation n’apparaît pas, pour les juges du fond, contraire au prononcé de l’adoption. En effet, la séparation ne doit pas rejaillir sur l’enfant et être un prétexte au rejet de la demande. La demanderesse à l’adoption, même si elle n’est pas la mère biologique et légale de l’enfant, demeure sa mère « d’intention », ayant participé à l’élaboration du projet parental. Cette remarque vaut aussi pour la mère légale : le projet ayant été porté par les deux femmes, il est aussi du devoir de la mère légale que de respecter l’engagement pris en 2016. Plus encore, la demande d’adoption a été formalisée en septembre 2019, soit trois ans après la naissance de l’enfant, et à une période où la mère légale et sa conjointe étaient vraisemblablement en bons termes. Dès lors, des liens affectifs se sont créés entre l’enfant et la conjointe de sa mère, liens qui ne doivent pas être minimisés.

Enfin, la portée de cet arrêt doit être comprise : le contentieux devrait se raréfier, avec la consécration de l’AMP par la loi de 2021. Désormais, il ne devrait concerner que les couples de femmes ayant procédé à une AMP avant la loi de 2021 et n’ayant pas bénéficié du mécanisme de la loi de 2022, soit une part toujours plus faible des couples de femmes en France.

Cass., Civ. 1re, 26 mars 2025, n° 22-22.507 (B)

A. Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 25 août 2022), Mme [U] et Mme [F] se sont mariées le 3 septembre 2016.
2. Le 11 décembre 2016, Mme [F] a donné naissance à l'enfant [G].
3. Par requête du 3 septembre 2019, Mme [U] a sollicité le prononcé de l'adoption plénière de [G] à laquelle Mme [F] avait consenti par acte notarié du 3 juin 2019.
B. Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris ses deux premières branches
Enoncé du moyen
5. Mme [F] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir retenir la rétractation de son consentement et, par conséquent, de prononcer l'adoption plénière de [G] [F] par Mme [U] et dire que l'adoptée portera le nom de [F] [U], alors :
« 1°/ que l'opposition, par le parent biologique, à l'adoption de son enfant par son conjoint équivaut à une demande de restitution de l'enfant, laquelle doit être accueillie de plein droit, bien que formulée postérieurement au délai de rétractation de deux mois, lorsque l'enfant n'a été ni placé en vue de l'adoption, ni recueilli par le conjoint qui refuse de le rendre ; qu'en se fondant, pour prononcer l'adoption plénière de [G] [F], sur la circonstance que le consentement donné par Mme [F] en qualité de mère de l'enfant n'avait pas été rétracté dans le délai de deux mois, qu'il était en effet produit une attestation du notaire certifiant l'absence de rétractation et qu'aucune rétractation tacite résultant de la remise de l'enfant ne saurait être retenue s'agissant de l'enfant du conjoint après séparation de sorte qu'aucune caducité du consentement ne saurait être prononcée, laquelle circonstance n'était pourtant pas de nature à exclure l'existence d'une opposition formulée par Mme [F] postérieurement au délai de rétractation de deux mois, laquelle devait être accueillie de plein droit dès lors que l'enfant n'avait pas été placée en vue de l'adoption, ni recueilli par le conjoint qui refusait de la rendre, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants et a, dès lors, violé l'article 348-3 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 ;
2°/ qu'en énonçant qu'à supposer même que la présente action de Mme [F] fut considérée comme une demande de restitution de l'enfant, il conviendrait que soit apprécié l'intérêt de l'enfant, la cour d'appel, qui devait accueillir cette demande de plein droit dès lors que l'enfant n'avait pas été placée en vue de l'adoption, ni recueillie par le conjoint qui refusait de la rendre, a violé l'article 348-3 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte de l'article 345-1, 1°, devenu 370-1-3, 1°, du code civil et des articles 348-1 et 348-3 du même code, dans leur version alors applicable, que l'adoption plénière de l'enfant du conjoint, permise lorsque l'enfant n'a de filiation établie qu'à l'égard de ce conjoint, requiert le consentement de celui-ci, lequel peut être rétracté pendant deux mois.
7. L'alinéa 3 de l'article 348-3 du code civil, dans sa version alors applicable, prévoyant que « Si à l'expiration du délai de deux mois, le consentement n'a pas été rétracté, les parents peuvent encore demander la restitution de l'enfant à condition que celui-ci n'ait pas été placé en vue de l'adoption. Si la personne qui l'a recueilli refuse de le rendre, les parents peuvent saisir le tribunal qui apprécie, compte tenu de l'intérêt de l'enfant, s'il y a lieu d'en ordonner la restitution.
La restitution rend caduc le consentement à l'adoption », qui présuppose que l'enfant a été remis à un tiers, n'est pas applicable à l'adoption de l'enfant du conjoint.
8. Il s'en déduit qu'à défaut de rétractation de son consentement à l'adoption de son enfant dans le délai légal, l'opposition du conjoint ne lie pas le juge, qui doit seulement vérifier que les conditions légales de l'adoption de l'enfant sont remplies et si celle-ci est conforme à son intérêt.
9. Ayant constaté que Mme [F] avait consenti à l'adoption de [G] par Mme [U] et n'avait pas rétracté son consentement dans le délai prévu par la loi, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a estimé que, malgré la séparation de l'adoptante et de la mère de l'enfant, et l'opposition de celle-ci, l'adoption demandée était conforme à l'intérêt de l'enfant et a, en conséquence, prononcé celle-ci.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.