Introduction
Il est un principe des plus établis dans la jurisprudence administrative selon lequel les missions de police administrative ne peuvent être confiées qu’à des autorités publiques. Il s’ensuit que ces autorités ne peuvent déléguer leurs prérogatives en la matière à une personne privée.
Ce principe a été affirmé par le Conseil d’Etat dès 1932 et continuellement rappelé depuis. Il a fait l’objet d’une consécration plus récemment par le Conseil constitutionnel. Il souffre, toutefois, des atteintes qui relèvent plus d’une logique d’atténuation que d’une logique de dérogation. Des personnes privées peuvent, en effet, exercer des pouvoirs de police administrative en cas de circonstances exceptionnelles ou si les taches qui leurs sont confiées se limitent à des tâches matérielles d’exécution.
Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, le principe selon lequel il est interdit de déléguer des pouvoirs de police administrative à des personnes privées (I) et d’analyser, dans une seconde partie, les atteintes dont ce principe fait l’objet (II).
I – Le principe : l'interdiction de déléguer des pouvoirs de police administrative à des personnes privées
L’interdiction pour une personne publique de déléguer un pouvoir de police administrative à des personnes privées est affirmée tant par le Conseil d’Etat (A) que par le Conseil constitutionnel (B).
A – Un principe constamment affirmé par le Conseil d'Etat
Le Conseil d’Etat a interdit, de longue date, la délégation d’un pouvoir de police administrative à une personne privée. Ainsi, dès 1932, le juge administratif suprême a considéré que « la police rurale, par sa nature, ne saurait être confiée qu’à des agents de police municipale » (CE, ass., 17/06/1932, Ville de Castelnaudary).
Cette prohibition de principe est, continuellement, rappelée depuis. Par exemple, le juge administratif suprême considère « que le service de la police du stationnement, par sa nature, ne saurait être confié qu'à des agents placés sous l'autorité directe du maire » (CE, 1°/04/1994, Ville de Menton). Or, dans cette affaire, la commune avait, par une convention, confié la gestion du stationnement payant sur la voirie à une société privée. Cette même convention plaçait, également, les agents municipaux chargés de la constatation des infractions au stationnement payant sur la voie publique à la disposition de la société qui devait en assurer l’encadrement. La Haute juridiction a, donc, jugé que cette convention avait « confié à la société … des prérogatives de police du stationnement sur la voie publique qui ne pouvaient légalement lui être déléguées. »
Dans le même sens, le Conseil d’Etat a considéré que le fait pour une commune de concéder l'exploitation d'une plage ne peut avoir pour effet de transférer de la commune au concessionnaire la pouvoir d'assurer l'ordre public sur cette plage (CE, sect., 28/05/1958, Cons. Amoudruz).
Dans une autre affaire, une municipalité avait confié à une société de gardiennage la charge de surveiller certaine zones de la ville. Le Conseil d’Etat a jugé « qu'il résulte de ces dispositions de la loi du 12 juillet 1983 [réglementant les activités privées de surveillance, de gardiennage et de transport de fonds] que les sociétés régies par ces dispositions ne peuvent se voir confier des tâches de surveillance de la voie publique, lesquelles, conformément aux dispositions précitées du code des communes, relèvent, dans les communes, de la police municipale » (CE, 29 déc. 1997, Commune Ostricourt). La Haute juridiction distingue, ainsi, la mission de surveillance de la voie publique et la mission de surveillance sur la voie publique. La première ne peut être assurée par une société privée. La seconde peut, en revanche, être, exceptionnellement, réalisée par une société de gardiennage : en effet, la loi du 12 juillet 1983 prévoit que ses agents peuvent exercer sur la voie publique des missions, même itinérantes, de surveillance contre les vols, dégradations et effractions visant les biens dont ils ont la garde.
B – Un principe confirmé par le Conseil constitutionnel
A compte des années 1990, le Conseil constitutionnel a affirmé le même principe que le Conseil d’Etat. Celui-ci a, ainsi, jugé que le législateur ne peut habiliter lui-même une personne privée à exercer une activité de police générale, ni autoriser les personnes publiques détentrices d’un tel pouvoir à en déléguer l’exercice (CC, 25/02/1992, n° 1992-307).
Le juge constitutionnel s’est, ensuite, attaché à donner un fondement constitutionnel à cette interdiction. Celle-ci a, d’abord, été rapportée à l’interdiction plus générale de privatiser les fonctions de souveraineté (CC, 26/06/2003, n° 2003-473). Puis, elle a été rattachée à l’article 12 de la Déclaration de 1789 selon lequel la garantie des droits doit être assurée par une force « publique », une disposition interprétée comme interdisant d’investir des personnes privées de compétences de police administrative générale inhérentes à ladite force (CC, 15/10/2021, n° 2021-940 QPC). Cette interdiction a même été considérée comme un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, ce qui la met à l’abri des atteintes que le droit de l’Union européenne pourrait lui porter.
Le Conseil constitutionnel a confirmé, également, certaines positions prises par le juge administratif. Il a, ainsi, jugé que la surveillance générale des voies publiques ne peut pas être confiée à des opérateurs privés (CC, 10/03/2011, n° 2011-625). En revanche, ces opérateurs peuvent exercer des missions de surveillance sur la voie publique, même itinérantes, aux abords immédiats des biens privés dont ils ont la garde (CC, 21/05/2021, n° 2021-817).
II – Les atteintes au principe de l'interdiction de déléguer des pouvoirs de police administrative à des personnes privées
Deux grandes atteintes au principe interdisant de déléguer des pouvoirs de police administrative à des personnes privées peuvent être constatées.
La première est temporelle. Le juge administratif admet, ainsi, que des personnes privées peuvent prendre en charge des missions de police administrative en cas de circonstances exceptionnelles. Sur cette base a été jugée valide la réquisition de denrées lors de l’invasion allemande de 1940 par des particuliers, ceux-ci agissant en tant que fonctionnaires de fait (CE, 05/03/1948, Marion).
La seconde concerne le champ de la délégation. Plus précisément, est admise la possibilité de déléguer à une personne privée des taches matérielles d’exécution, telles que l’enlèvement et la mise en fourrière des véhicules en stationnement irrégulier. Le Conseil d’Etat a, ainsi, jugé, à propos de la décision du Premier ministre de déléguer la conduite de voitures équipées de radars à des opérateurs privés, que celle-ci ne conduit à « déléguer à des personnes privées que la seule tâche matérielle de conduite de véhicules équipés de radars, accessoire aux missions de police qui restent dévolues aux forces de l'ordre » (CE, 8/07/2019, Association 40 millions d’automobilistes). Dans cette même décision, le juge administratif a rajouté : « Il ressort en outre des pièces du dossier que l'administration a prévu que les trajets effectués par les véhicules des prestataires seraient déterminés sous l'étroit contrôle des services de l'Etat et que les conducteurs n'auraient accès ni aux matériels de contrôle, ni aux données relatives à la constatation des infractions. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les décisions attaquées méconnaîtraient l'interdiction de déléguer une mission de police à une personne privée. »
