La jurisprudence Benjamin, pièce maîtresse du contrôle de la police administrative (CE, 19/05/1933, Benjamin)

Introduction

Pendant longtemps, le Conseil d’Etat a fait primer les exigences du maintien de l’ordre public lorsqu’il avait à apprécier la légalité d’une mesure de police administrative. L’affermissement d’un Etat libéral durant la première moitié du XX° siècle devait, cependant, le conduire à accorder une place croissante au respect des libertés publiques. C’est une conciliation entre ces deux impératifs, parfois contradictoires, que la Haute juridiction opère en l’espèce.

Dans cette affaire, M. René Benjamin devait donner une conférence publique sur Courteline et Sacha Guitry dans la ville de Nevers. L’intéressé était connu pour ses positions défavorables à l’école laïque. Aussi, divers syndicats d’enseignants annoncèrent la tenue d’une manifestation à l’occasion de sa venue. Par craintes des débordements, le maire de la ville prit, le 24/02/1930, un arrêté interdisant la tenue de la réunion. Le Syndicat d’initiative décida, alors, de substituer à la conférence publique une conférence privée. Cette dernière fut également interdite par le maire de Nevers le 11/03/1930. M. Benjamin, le Syndicat d’initiative de Nevers et la Société des gens de lettres saisirent le Conseil d’Etat afin de faire annuler ces deux arrêtés. Ce dernier fit droit à leurs requêtes le 19/05/1933 en jugeant que, si le risque de trouble à l’ordre public était avéré, les mesures d’interdiction prononcées allaient au-delà de ce qui était nécessaire.

Par cet arrêt, la Haute juridiction renforçait son contrôle des mesures de police administrative. Jusqu’à présent, en effet, le juge ne s’assurait que de la légalité du but poursuivi par l’autorité administrative, à savoir le maintien de l’ordre public, et de celle des motifs de la mesure, en l’occurrence l’existence d’une menace de trouble à cet ordre. Dorénavant, il exige, en plus, une proportionnalité entre la mesure prise et les faits qui l’ont motivée. Les atteintes aux libertés publiques ne sont, ainsi, jugées légales que dès lors qu’elles sont strictement nécessaires à la préservation de l’ordre public. Cette jurisprudence libérale sera continuellement appliquée par la suite, même si le Conseil d’Etat en atténuera l’intensité lorsque les temps se feront plus troublés. Le contrôle initié par l’arrêt Benjamin apparaît, alors, parfaitement à même d’offrir au juge administratif les moyens de réguler les désordres croissants que connaît la France du XXI° siècle. Certaines réponses qui celui-ci leurs apporte interrogent, cependant, quant au maintien de la pleine efficience du contrôle de proportionnalité instauré en 1933.

Il convient donc d’étudier, dans une première partie, le principe de la jurisprudence Benjamin (I) et d’analyser, dans une seconde partie, l’actualité de cette jurisprudence (II).

I – Le principe de la jurisprudence Benjamin

La règle posée par l’arrêt Benjamin intervient une fois le risque de trouble à l’ordre public établi : il s’agit, en effet, pour le juge de vérifier que la mesure de police administrative édictée est adaptée, par sa nature et sa gravité, à l’importance de ce risque. D’inspiration éminemment libérale (B), cette jurisprudence permet, ainsi, d’imposer aux autorités de police administrative de veiller à un juste équilibre entre les nécessités de l’ordre public et le respect des libertés publiques (A).

A – Un juste équilibre entre nécessités de l'ordre public et respect des libertés publiques

Par nature, toute mesure de police administrative porte atteinte à l’exercice d’une liberté publique. Le juge administratif est donc confronté à un dilemme : d’un côté, permettre à l’administration de prendre les mesures nécessaires au maintien de l’ordre public sans lequel aucune organisation sociale ne peut perdurer, de l’autre, garantir le respect des libertés publiques afin que ne s’instaure pas un Etat arbitraire. Avec l’arrêt Benjamin, le Conseil d’Etat résout ce conflit en imposant à l’autorité de police de respecter un juste équilibre entre les nécessités de l’ordre public et le respect des libertés publiques (la Haute juridiction emploie le verbe « concilier »). Les atteintes aux secondes ne sont, ainsi, jugées légales que dès lors qu’elles sont strictement nécessaires à la préservation du premier. Il doit donc exister une proportionnalité entre la mesure de police et les faits qui l’ont motivée. La conséquence de cette règle est que, chaque fois que l’ordre public peut être assuré par des mesures moins contraignantes que celle adoptée, l’autorité administrative verra sa décision annulée.

Dans l’appréciation de ce rapport de proportionnalité le juge tient largement compte des circonstances de temps et de lieu. Ainsi, une mesure censurée en période de paix sociale ou politique pourra être regardée comme parfaitement légale lorsque les temps deviennent plus troublés. Dans le même sens, le juge peut apprécier différemment des mesures au contenu identique prises dans deux villes distinctes, parce que les circonstances locales varient d’une commune à l’autre. 

Les faits de l’affaire Benjamin illustrent parfaitement cette règle. René Benjamin devait donner, dans la ville de Nevers, une conférence sur Courteline et Sacha Guitry. En raison de ses positions défavorables à l’école laïque, divers syndicats d’enseignants annoncèrent une manifestation lors de sa venue. Craignant les débordements, le maire de la ville prit un arrêté interdisant la conférence. Le Syndicat d’initiative de la ville annonça, alors, la substitution à la conférence publique d’une conférence privée. Cette dernière fut également interdite par le maire de Nevers. Le Conseil d’Etat regarda les deux conférences comme des réunions publiques, puis constata la réalité du risque de trouble à l’ordre public, mais jugea que « l’éventualité de troubles, alléguée par le maire de Nevers, ne présentait pas un degré de gravité tel qu’il n’ait pu, sans interdire la conférence, maintenir l’ordre en édictant les mesures de police qu’il lui appartenait de prendre ». Il faut comprendre par là que l’ordre public pouvait être sauvegardé par des mesures moins sévères que l’interdiction, telles que, par exemple, le renforcement des effectifs de police pour encadrer les manifestants. Les deux arrêtés furent, donc, regardés comme portant à la liberté de réunion une atteinte allant au-delà de ce que les faits de l’affaire pouvaient autoriser. Était, ainsi, posé un principe des plus libéral auquel le juge administratif n’a, jusqu’à aujourd’hui, jamais renoncé. 

B – Une jurisprudence d'essence libérale

La jurisprudence Benjamin ne peut être lue indépendamment de l’opiniâtreté avec laquelle le Conseil d’Etat a, depuis la fin du XIX° siècle, parfait le mouvement de soumission de l’administration au droit. Le respect des libertés publiques qui y est posé n’est, en effet, rien d’autre que le complément indispensable de l’accroissement de la garantie des droits des administrés qui caractérise chacun de ses grands arrêts sous la III° République. Avec cette solution, le Conseil d’Etat applique, ainsi, la vieille maxime selon laquelle « la liberté est la règle et la restriction de police l’exception » et contribue, ce faisant, à l’affermissement d’un Etat libéral.

Pour s’assurer du respect de ce principe, le juge administratif soumet les mesures de police administrative à un contrôle poussé, dit maximum, qui le conduit à vérifier l’adéquation de la mesure avec le trouble à l’ordre public qu’elle vise à prévenir. Il en va, ainsi, en matière de police administrative générale lorsque les libertés sont définies et protégées par la loi, telles que la liberté de la presse, la liberté du culte, la liberté d’association ou, comme en l’espèce, la liberté de réunion (qui peut s’exercer sans autorisation ni déclaration préalable : loi du 30/06/1881 et loi du 28/03/1907). En pareille hypothèse, les pouvoirs de l’administration sont strictement encadrés et toute mesure d’interdiction doit être justifiée par une menace exceptionnellement grave. 

Le contrôle s’avère, cependant plus ténu parfois. C’est le cas lorsque le cadre légal régissant la liberté affectée est plus souple, comme pour la liberté de manifester ou les simples facultés. C’est aussi le cas en ce qui concerne certaines polices administratives spéciales. Ainsi, en matière de police des étrangers, le Conseil d’Etat n’acceptait, au départ, d’examiner que l’exactitude matérielle des faits. Dans le dernier quart du XX° siècle, il devait, cependant, faire évoluer sa jurisprudence : il accepta, d’abord, d’exercer un contrôle restreint limité à l’erreur manifeste d’appréciation (CE, 3/02/1975, M. Pardov) puis, opéra, quelques années plus tard, un contrôle maximum des mesures d’expulsion (CE, ass., 19/04/1991, M. Belgacem).

Quelles que soient les réserves que l’on puisse émettre à son encontre, la jurisprudence Benjamin laisse, malgré tout, à la disposition du juge administratif un outil particulièrement efficace pour protéger les libertés publiques. En atteste l’exemple des interdictions générales et absolues que l’on peut définir comme des interdictions totales d’une activité dont le champ d’application dans l’espace et dans le temps est relativement large. En application de la règle posée par l’arrêt Benjamin, ces interdictions sont, la plupart du temps, jugées illégales, car peu de circonstances exigent d’aller aussi loin dans la restriction des libertés publiques, la préservation de l’ordre public pouvant, le plus souvent, être assurée par des mesures moins radicales (par exemple CE, 4/05/1984, M. Guez : annulation de l’interdiction prononcée par le préfet de police de Paris des activités musicales et attractions de toute nature sur l’ensemble des voies et places de la capitale réservées aux piétons, tant durant le nuit qu’en journée). Mais, si, dans une affaire donnée, il n’est pas possible de prévenir le trouble à l’ordre public par une mesure moins rigoureuse, alors la mesure sera jugée légale (par exemple CE, 13/03/1968, Epx. Leroy :  interdiction faite aux photofilmeurs d’exercer leur profession sur la route nationale menant au Mont Saint-Michel pendant la saison touristique).

Depuis 1933, la jurisprudence Benjamin a démontré sa plasticité pour réguler tant les troubles ordinaires que les soubresauts de l’Histoire. Elle apparaît parfaitement adaptée pour encadrer les tensions qui caractérisent la France de nos jours.

II – L'actualité de la jurisprudence Benjamin

L’époque actuelle est marquée par de profondes tensions dont on peine à voir l’issue. Par son caractère flexible, la jurisprudence Benjamin apparaît en mesure d’offrir au juge administratif la capacité de réguler les désordres qui pourraient en résulter (A). Certaines réponses apportées par le Conseil d’Etat à ces problèmes posent, cependant, question quant au maintien de la pleine efficience du contrôle de proportionnalité des mesures de police administrative (B).

A – Une jurisprudence à même de répondre aux maux d'aujourd'hui …

Loin de voir la France faire face à des problèmes longtemps tus et trouver la voie de la concorde pour les résoudre, les 30 dernières années ont vu la multiplication des tensions : tensions politiques avec la recrudescence d’idéologies extrémistes, tensions religieuses avec une crispation autour de la place de l’Islam en France, tensions sociales du fait des réformes mettant en cause le modèle social français ou, encore, tensions sécuritaires avec la vague d’attentats débutée en 2012. Dans ce contexte, l’expression de la désespérance d’un peuple peut vite déboucher sur des situations de nature à justifier l’intervention des autorités de police administrative. L’actualité est, là, pour en attester.

La question est, alors, de savoir si la jurisprudence Benjamin telle qu’elle a été, initialement, conçue est à même de garantir la libre expression de ces mouvements tout en évitant les débordements auxquels ils peuvent donner lieu. L’application que le Conseil d’Etat en a faite depuis 1933 permet de penser que oui. En effet, si le juge administratif a confirmé son approche libérale immédiatement après l’arrêt fondateur (par exemple CE, 05/02/1937, Bujadoux : à propos de l’annulation de l’interdiction d’un banquet à Lyon présidé par Charles Maurras), il a, lorsque les tensions politiques se sont exacerbées à l’approche de la Seconde guerre mondiale, retenu de cette jurisprudence une conception plus restrictive au regard des libertés publiques et fait prévaloir les exigences de l’ordre public : c’est, ainsi, que de nombreuses interdictions de réunions, qui auraient, en temps de paix, été censurées, furent jugées légales avant et pendant le conflit mondial (par exemple : CE, ass., 23/12/1936, Bucard : validation de l’interdiction de réunions privées organisées en de multiples endroits d’un département frontière). Ce n’est qu’une fois la paix revenue que le Conseil d’Etat a renoué avec son libéralisme originel (par exemple CE, 29/07/1953, Damazière et autres : annulation de l’interdiction de réunions organisées par le parti communiste contre la guerre d’Indochine). Une position qu’il n’a jamais délaissée depuis.

Ce bref historique atteste que la jurisprudence Benjamin n’est pas figée. Tout au contraire, le juge administratif peut, selon les circonstances du moment, donner la priorité tantôt au respect des libertés publiques, tantôt aux nécessités de l’ordre public. Les premières priment en temps de paix, quand les secondes s’imposent lorsque les temps deviennent plus troublés. L’application que le juge administratif en a faite lors de la pandémie de Covid-19 l’a prouvé une nouvelle fois, notamment quant à la conciliation entre la liberté de manifester et les exigences sanitaires.

Cette jurisprudence a même fait l’objet d’un renouveau, inspiré par le droit allemand et le droit de l’Union européenne, au travers de l’instauration d’un triple test de proportionnalité (CE, ass., 26/10/2011, Ass. pour la promotion de l’image et autre ; CC, 21/02/2008, n° 2008-562). Le Conseil d’Etat exige, en effet, que les atteintes aux libertés publiques soient « adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis ». Adapté, cela signifie pertinent par rapport au but recherché, qu’elle doit permettre d’atteindre. La condition de nécessité veut dire que la décision ne doit pas excéder ce qu’exige la réalisation du but poursuivi : ainsi, cette condition est satisfaite quand il apparaît que cet objectif ne pouvait être atteint par d’autres moyens, moins attentatoires aux libertés. Enfin, la proportionnalité exige que la mesure ne soit pas, par les charges qu’elle crée, hors de proportion avec le résultat recherché, ce qui conduit à mettre en balance ses effets négatifs et ses effets bénéfiques. Pour l’heure, l’état de la jurisprudence administrative semble indiquer que cette nouvelle approche de la proportionnalité constitue plus un changement de vocable qu’une réelle modification du mode de raisonnement traditionnel du juge administratif.

Quoi qu’il soit, l’ensemble de ces solutions atteste de la vigueur de la jurisprudence Benjamin. Cette dernière apparaît, en effet, en mesure de saisir les troubles qui caractérisent la période actuelle, à condition, toutefois, que le juge administratif ait le courage de regarder la situation pour ce qu’elle est réellement.

B - … à moins que ces maux ne la neutralisent

Bien qu’il puisse voir son intensité varier selon les circonstances, le contrôle de proportionnalité d’une mesure de police administrative est classique en droit administratif depuis 1933. La consécration récente du respect de la dignité de la personne humaine comme but des autorités de police administrative générale est, cependant, de nature à remettre en cause son efficience.

C’est à l’occasion d’une affaire portant sur un arrêté municipal interdisant le spectacle de « lancer de nains » que cette notion a été intégrée à l’ordre public (CE, ass., 27/10/1995, Commune de Morsang-sur-Orge). En l’espèce, le Conseil d’Etat a validé l’interdiction, malgré les atteintes à la liberté du travail et à la liberté du commerce et de l’industrie. Il a également jugé que ce motif pouvait légalement fonder une mesure d’interdiction même en l’absence de circonstances locales particulières. Cette solution fut très critiquée par la doctrine en raison de la dépendance qu’elle instaurait entre l’exercice des libertés publiques et une notion au contenu éminemment subjectif. Pendant de longues années, elle est restée isolée. Un coup de théâtre a, cependant, eu lieu en 2014 lorsque, sur l’invitation du ministre de l’intérieur, plusieurs préfets et maires ont interdit la tenue du spectacle de l’humoriste Dieudonné en raison des propos antisémites qui y étaient tenus. Et, c’est en se fondant sur l’atteinte à la dignité humaine que le juge des référés du Conseil d’Etat a validé cette restriction à la liberté d’expression (CE, ord., 09/01/2014, Ministre de l’intérieur c/ M. Dieudonné M’Bala M’Bala).

Au-delà des critiques sur l’appréciation forcément subjective qui peut en être faite, cette notion pose question quant à la capacité pour le juge administratif de conserver intacte l’efficacité de son contrôle de proportionnalité. En pareille hypothèse, en effet, aucun juste milieu n’est possible : lorsqu’une activité porte atteinte à la dignité humaine, la seule mesure envisageable est l’interdiction. Aucune conciliation entre ordre public et libertés publiques ne peut être recherchée. Le contrôle initié par l’arrêt Benjamin se trouve, alors, mis hors-jeu.

En intégrant cette notion à l’ordre public, le Conseil d’Etat a, certes, poursuivi un objectif louable, mais il a rendu inopérant l’un de ses plus importants instruments de protection des libertés publiques. Dans le cadre de l’affaire Dieudonné, cet écueil aurait pu être évité et l’action de l’autorité administrative confirmée en faisant varier l’application de la jurisprudence Benjamin dans le sens d’un accroissement des exigences de l’ordre public. Mais, c’était, là, dire (les commentateurs l’auraient forcément noté) que les temps avaient changé. La notion de dignité humaine permettait, alors, de satisfaire le plus grand nombre : la classe politique et l’opinion publique qui voyaient l’action des autorités de police administrative enveloppée par le symbolisme de ladite notion et le juge administratif qui trouvait, là, pour un temps encore, un moyen de ne pas faire entrer sa jurisprudence dans une nouvelle ère.

CE, 19/05/1933, Benjamin

Vu les requêtes et les mémoires ampliatifs présentés pour le sieur Benjamin Y... , homme de lettres, demeurant ... et pour le Syndicat d'initiative de Nevers Nièvre représenté par son président en exercice, lesdites requêtes et lesdits mémoires enregistrés au Secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 28 avril, 5 mai et 16 décembre 1930 tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler deux arrêtés du maire de Nevers en date des 24 février et 11 mars 1930 interdisant une conférence littéraire ;

Vu la requête présentée pour la Société des gens de lettres, représentée par son délégué général agissant au nom du Comité en exercice, tendant aux mêmes fins que les requêtes précédentes par les mêmes moyens ;

Vu les lois des 30 juin 1881 et 28 mars 1907 ; Vu la loi du 5 avril 1884 ; Vu les lois des 7-14 octobre 1790 et 24 mai 1872 ;

Considérant que les requêtes susvisées, dirigées contre deux arrêtés du maire de Nevers interdisant deux conférences, présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;

En ce qui concerne l'intervention de la Société des gens de lettres :

Considérant que la Société des gens de lettres a intérêt à l'annulation des arrêtés attaqués ; que, dès lors, son intervention est recevable ;

Sur la légalité des décisions attaquées :

Considérant que, s'il incombe au maire, en vertu de l'article 97 de la loi du 5 avril 1884, de prendre les mesures qu'exige le maintien de l'ordre, il doit concilier l'exercice de ses pouvoirs avec le respect de la liberté de réunion garantie par les lois des 30 juin 1881 et 28 mars 1907 ;

Considérant que, pour interdire les conférences du sieur René X..., figurant au programme de galas littéraires organisés par le Syndicat d'initiative de Nevers, et qui présentaient toutes deux le caractère de conférences publiques, le maire s'est fondé sur ce que la venue du sieur René X... à Nevers était de nature à troubler l'ordre public ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'éventualité de troubles, alléguée par le maire de Nevers, ne présentait pas un degré de gravité tel qu'il n'ait pu, sans interdire la conférence, maintenir l'ordre en édictant les mesures de police qu'il lui appartenait de prendre ; que, dès lors, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen tiré du détournement de pouvoir, les requérants sont fondés à soutenir que les arrêtés attaqués sont entachés d'excès de pouvoir ;

DECIDE :
Article 1er : L'intervention de la Société des Gens de Lettres est admise.
Article 2 : Les arrêtés susvisés du maire de Nevers sont annulés.
Article 3 : La ville de Nevers remboursera au sieur René X..., au Syndicat d'initiative de Nevers et à la Société des Gens de Lettres les frais de timbre par eux exposés s'élevant à 36 francs pour le sieur X... et le Syndicat d'initiative et à 14 francs 40 pour la Société des Gens de Lettres, ainsi que les frais de timbre de la présente décision.
Article 4 : Expédition ... Intérieur.