Introduction
La question des déficits publics et de la dette publique occupe, depuis les années 1990, une place cruciale dans le débat politique. L’importance des déficits touchant la plupart des pays industrialisés pose, en effet, la question de la soutenabilité des finances publiques, c’est-à-dire de la capacité des Etats à honorer leurs engagements financiers. Cette question a pris un relief particulier au sein de l’Union européenne (UE) avec la mise en place de la monnaie unique et l’instauration, subséquente, de règles de discipline budgétaire destinées à encadrer les finances nationales.
Il a, ainsi, été décidé que les règles conditionnant l’entrée au sein de l’Union économique et monétaire (déficit public et dette publique inférieurs à, respectivement, 3 % et 60 % du PIB) s’appliqueraient de manière permanente aux pays ayant adopté l’euro. La raison d’être de ce dispositif tient à la volonté de se prémunir contre le risque de ce que l’on appelle le comportement de « free rider » (passager clandestin) qui consiste pour un pays à profiter de son appartenance à la zone euro pour mener des politiques budgétaires laxistes provoquant, alors, des conséquences néfastes pour toute la zone. Toute politique monétaire commune fondée sur une monnaie unique exige, en effet, une convergence des politiques financières et des politiques économiques.
Deux grandes phases ont ponctué ce processus d’encadrement européen des finances nationales. La première pierre a été posée par le Pacte de stabilité et de croissance adopté en 1997. Son but : coordonner les politiques budgétaires nationales et éviter l’apparition de déficits budgétaires excessifs au travers de deux volets, l’un préventif, l’autre répressif. Puis, à la suite de la crise financière de 2008, trois séries de textes sont venus, de 2011 à 2013, réformer le Pacte de stabilité et de croissance dans le sens d’un durcissement des règles de discipline budgétaire.
Il convient donc d’étudier, dans une première partie, le Pacte de stabilité et de croissance (I) et d’analyser, dans une seconde partie, le durcissement des règles communautaires à compter de 2011 (II).
I - Le Pacte de stabilité et de croissance
Le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) a été adopté en 1997 et vise à coordonner les politiques budgétaires nationales afin d’éviter l’apparition de déficits publics excessifs (A). Sa rigueur n’a, toutefois, pas résisté à l’épreuve de la faible croissance économique qu’a rencontré l’Europe au début des années 2000 ; aussi a-t-il été assoupli (B).
A – Les principes
Le traité de Maastricht mettait en place la monnaie unique. A cette fin, il posait des critères d’entrée dans l’union économique et monétaire : le déficit public ne pouvait, ainsi, pas dépasser 3 % du PIB et la dette publique 60 % du PIB. Toutefois, aucune règle n’avait été fixée pour contrôler les finances publiques des États une fois qu’ils en étaient membres. Aussi, le risque était qu’une fois entrés dans la monnaie unique, certains pays profitent de leur appartenance à la zone euro pour mener des politiques laxistes. Il fallait, donc, adopter des règles visant à éliminer par avance les incompatibilités qui pourraient exister entre les politiques économiques nationales et la politique de stabilité monétaire dont la Banque centrale européenne a la charge.
Un Pacte de stabilité et de croissance a, alors, été adopté au Conseil européen d’Amsterdam du 17 juin 1997. Ce pacte se veut l’instrument dont les pays de la zone euro se sont dotés afin de coordonner leurs politiques budgétaires nationales et d’éviter l’apparition de déficits budgétaires excessifs. Il impose aux États de la zone euro d’avoir à terme des budgets proches de l’équilibre ou excédentaires. A cet fin, il comporte un volet préventif et un volet répressif.
Le volet préventif prévoit une procédure d’examen et de surveillance mutuelle des politiques économiques et de l’évolution des finances publiques. A cette fin, chaque Gouvernement conçoit, chaque année, un programme de stabilité qu’il transmet à la Commission européenne. Celui-ci développe la stratégie à moyen terme du Gouvernement en matière de croissance et d’emploi, et définit l’équilibre de l’ensemble des finances publiques, à savoir l’Etat, les collectivités locales et la Sécurité sociale. La Commission européenne examine, ensuite, le programme en comparant la trajectoire budgétaire choisie avec les prévisions économiques et les objectifs poursuivis. Puis, le Conseil Ecofin, conseil qui réunit les ministres du budget de l’Union, rend un avis sur chaque programme de stabilité et adresse une recommandation à l’État en cas de dérapage budgétaire.
Le volet répressif vise à sanctionner les Etats qui connaissent un déficit public excessif, c’est-à-dire supérieur à 3% du PIB. En pareille hypothèse, la Commission adresse un avertissement à l’État concerné, puis suggère au Conseil Ecofin d’adresser à ce dernier une recommandation. Celle-ci doit être approuvée à la majorité qualifiée. Si l’État ne met pas fin à la situation de déficit excessif dans les délais impartis, le Conseil peut prendre des sanctions : dépôt non porteur d’intérêt auprès de la Banque centrale européenne, qui peut devenir une amende (de 0,2 à 0,5 % du PIB de l’État en question) si le déficit excessif n’est pas comblé dans les deux années qui suivent. Le PSC prévoit, cependant, des exemptions en cas de circonstances exceptionnelles. Il en va, ainsi, en cas de circonstance inhabituelle indépendante de la volonté de l'Etat membre concerné et ayant des effets sensibles sur la situation financière de ses administrations publiques ou lorsque le déficit est consécutif à une grave récession économique (d’au moins 2 %).
B – Les assouplissements
En novembre 2003, le déficit public de la France et de l’Allemagne se trouvait durablement au-dessus de la barre des 3% du PIB. La Commission européenne voulait soumettre les deux États à la procédure des déficits excessifs, mais ses recommandations ne purent recueillir une majorité au Conseil de l’UE qui opta pour une recommandation plus souple que celle prévue par la Commission. L’application automatique des articles du PSC se trouvait, ainsi, neutralisée par des considérations politiques.
Face à cette situation, la commission a décidé de saisir la Cour de justice des Communautés européennes qui, dans un arrêt de 13 juillet 2004, a annulé les conclusions du Conseil. La position prise par la CJCE a constitué un signal clair en direction des États et leur a signifié que même si les règles du Pacte de stabilité et de croissance s’avèrent gênantes, ils ne peuvent les enfreindre pour autant. Par conséquent la seule voie possible était celle d’une réforme de ce Pacte. Ce fut la voie choisie par le Conseil européen de mars 2005 qui décida d’en assouplir les règles.
La réforme a maintenu les objectifs de déficit inférieur à 3% du PIB et de dette inférieure à 60% du PIB, mais a élargi les exemptions. Ainsi, alors que seule une situation de récession sévère (diminution de 2% du PIB ou plus) autorisait un État à s’affranchir momentanément des règles, le nouveau pacte lui permet de s’en exonérer dès lors qu’il est en récession. Par ailleurs, la procédure de déficit excessif ne peut être mise en œuvre qu’après l’examen des facteurs pertinents (tels que le potentiel de croissance, la qualité des dépenses publiques ou, encore, la volonté de l’Etat de mettre en œuvre des réformes structurelles) démontrant qu’il est justifié de la suspendre et les délais pour retrouver un déficit sous la barre des 3 % font également l’objet d’un allongement (deux années au lieu d’une pour réduire le déficit).
En 2011, le PSC a fait l’objet d’une nouvelle réforme. Les mesures adoptées constituent une étape importante pour garantir la discipline budgétaire, mais n’ont, toutefois, pas permis une application stricte des règles, la Commission appliquant de manière très souple les procédures pour déficit excessif.
Et, le 23 mars 2020, face à la pandémie de Covid-19, les ministres européens des finances ont décidé, sur proposition de la Commission, d'activer la clause dérogatoire générale prévue par le Pacte de stabilité et de croissance depuis la réforme de 2011. Le recours à cette clause fait suite à la crise de 2008 et permet aux États membres se trouvant face à une crise généralisée provoquée par une grave récession économique frappant la zone euro ou l’ensemble de l’Union européenne de s’écarter de manière coordonnée et ordonnée de leurs obligations ordinaires. Autrement dit, les États peuvent suspendre les obligations qui concernent la limitation de leur déficit public à 3 % du PIB et de leur dette publique à 60 % du PIB.
II - Le durcissement du cadre communautaire à partir de 2011
La crise économique et financière amorcée en 2008 et la crise de la dette souveraine qui s’en est suivi ont conduit les Etats membres de l’UE à adopter trois réformes successives destinées à mieux encadrer les finances publiques des Etats : il s’agit du « six pack » (B), du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (C) et du « two pack » (D). Par ailleurs, l’ensemble de ces nouveaux dispositifs sont mis en œuvre dans la cadre du semestre européen dont l’objet est d’organiser la discussion budgétaire entre les Etats et l’Union (A).
A - Le semestre européen
Avant la crise de 2008, la planification des politiques économiques et budgétaires dans l'UE relevait de différentes procédures : des rapports étaient émis séparément et des décisions étaient prises tout au long de l'année. Il n'y avait pas de vision globale et organisée des efforts déployés au niveau national, et les États membres n'avaient pas la possibilité de débattre d'une stratégie collective pour l'économie de l'Union.
La crise économique de 2008 a démontré la nécessité d'une gouvernance économique plus forte et d'une meilleure coordination des politiques entre les États membres de l'UE. En effet, dans une Union caractérisée par une forte intégration des systèmes, une coordination renforcée des politiques économiques et sociales peut aider à prévenir les divergences et contribuer à garantir convergence et stabilité dans l'ensemble de l'UE, ainsi que dans les États membres.
Aussi, a été instauré, en 2010, ce qu’on appelle le semestre européen qui oblige les États à présenter leurs programmes nationaux au printemps. Cette procédure permet aux États membres de débattre de leurs plans budgétaires et économiques avec leurs partenaires de l’UE à des moments précis de l’année. Ainsi, ces plans peuvent être examinés de façon collégiale et la Commission peut proposer des orientations politiques aux États membres en temps utile, avant qu'ils n'arrêtent leurs décisions au niveau national.
B – Le « six pack »
Le « six pack » ou « paquet de six » est issu de règlements et de directives adoptés par le Parlement européen le 28 septembre 2011 après concertation avec les États et confirmé par le Conseil Ecofin du 4 octobre 2011. Ces textes visent à accroître la discipline budgétaire dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance de l’Union et à faire, ainsi, baisser les déficits publics et le niveau d’endettement public des États membres. Ils ont, également, pour ambition de consolider la surveillance des politiques budgétaires en introduisant des mesures plus coercitives.
Il est, ainsi, prévu que le respect, dans la durée, de l’objectif budgétaire à moyen terme peut être assuré par l’obligation provisoire imposée à un État membre dont la monnaie est l’euro et qui n’enregistre pas de progrès suffisants en matière d’assainissement budgétaire de constituer un dépôt portant intérêt. Ce peut être le cas lorsqu’un État membre, même s’il enregistre un déficit au-dessous de la valeur de référence de 3 % du PIB, s’écarte significativement de l’objectif budgétaire à moyen terme ou de la trajectoire d’ajustement propre à permettre la réalisation de cet objectif et ne réussit pas à rétablir cette trajectoire. D’une manière générale, pour les États dont la monnaie est l’euro le non-respect des règles du Pacte de stabilité est susceptible d’entraîner des amendes pouvant aller jusqu’à 0,2 % du PIB s’ils ne respectent pas les règles du volet préventif, ou 0,5 % du PIB s’ils enfreignent les règles du volet correctif. La proposition de sanction est applicable sauf si, au Conseil, une majorité qualifiée est défavorable et la rejette. C'est la procédure de vote à la « majorité qualifiée inversée » qui rend l'application des règles plus stricte et plus automatique et, partant, plus dissuasive et plus crédible.
C – Le TSCG
Cette évolution vers un encadrement plus strict s’est poursuivie avec le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG) signé le 2 mars 2012 par les chefs d’État ou de gouvernement de tous les États membres de l’Union, à l’exception du Royaume-Uni et de la République tchèque.
L’objectif de ce traité est d’assurer la stabilité de la zone euro grâce à la constitutionnalisation de la discipline budgétaire. Le TSCG prévoit, ainsi, que les budgets des États doivent être en équilibre ou en excédent et que cette règle est considérée comme respectée si le solde structurel annuel des administrations publiques correspond à l’objectif à moyen terme spécifique à chaque pays, tel que défini dans le Pacte de stabilité et de croissance révisé, avec une limite inférieure de déficit structurel de 0,5 % du produit intérieur brut aux prix du marché.
En France, la transcription de cette obligation a été effectuée par la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Cette loi a confié aux lois de programmation pluriannuelles des finances publiques le soin de mettre en œuvre la « règle d'or » fixée par TSCG. Les lois de programmation devront, ainsi, désormais fixer un objectif de déficit structurel (corrigé des variations de la conjoncture) qui ne pourra pas dépasser 0,5 % du PIB, ainsi qu’une trajectoire pour y parvenir. Elle a, par ailleurs, introduit un mécanisme de correction qui devra être mis en œuvre en cas d’écart important par rapport à l’objectif de solde structurel constaté en exécution au moment de la loi de règlement.
D – Le « two pack »
Le « two pack » ou « pack de deux » a adopté les 12 mars et 13 mai 2013 par deux règlements. Ce nouveau dispositif vise à compléter la nouvelle gouvernance budgétaire déjà réformée avec le « six pack » et avec le TSCG.
Le premier règlement institue un régime de surveillance renforcée pour ceux des États de la zone euro qui connaissent ou risquent de connaître de sérieuses difficultés du point de vue de leur situation financière. Ce dispositif suppose un vote des États membres à la majorité qualifiée.
Le second règlement approfondit le dispositif de surveillance budgétaire au sein de la zone euro au moyen d’une harmonisation de la gouvernance budgétaire des États et d’un contrôle accru des budgets nationaux par les institutions européennes. Outre l’obligation de publier chaque année avant le 30 avril un plan budgétaire national à moyen terme qui doit être communiqué à la Commission et au Conseil, les États de la zone euro doivent, également, avant le 15 octobre, transmettre à la Commission leur projet de loi de finances de l’année suivante, celle-ci donnant, alors, un avis qui doit impérativement intervenir au plus tard à la fin du mois de novembre, avant l’adoption du projet par le Parlement national.
Ce règlement prévoit, également, la mise en place, dans chaque État, d’autorités budgétaires indépendantes chargées d’apprécier la qualité des prévisions macroéconomiques sous-jacentes au programme de stabilité et aux projets de lois financières, ainsi que de surveiller le respect des règles budgétaires posées par le TSCG. La France a anticipé cette obligation avec la création du Haut Conseil des finances publiques par la loi organique du 17 décembre 2012.
Le nouveau dispositif renforce, enfin, la surveillance des États sous procédure de déficit public excessif. Ceux qui font l’objet d’une recommandation au titre de cette procédure doivent présenter à la Commission et au Conseil un programme de partenariat économique qui décrit les mesures structurelles prévues pour assurer une correction effective et durable du déficit excessif. La Commission dispose, également, d’un pouvoir d’alerte autonome qui lui permet, lorsqu’elle identifie un risque de non-respect de la correction du déficit excessif fixée par la recommandation du Conseil, d’adresser une recommandation publique à l’État membre concerné pour qu’il engage des mesures correctives.
