Introduction
Les prélèvements obligatoires, c’est-à-dire les impôts et les cotisations sociales, sont, de nos jours, l’objet d’enjeux importants. En effet, à l’instar des dépenses publiques, ils impactent l’environnement socio-économique d’un pays. Leur poids n’a, par ailleurs, jamais cessé d’augmenter au cours du temps : ceux-ci sont, ainsi, passés, en France, de 30,3 % du PIB en 1960 à 44,5 % du PIB en 2021.
D’un point de vue socio-politique, le poids des prélèvements obligatoires permet de déterminer le rôle que la société accorde aux interventions de la puissance publique. Un niveau élevé révèle le choix d’un modèle d’Etat très protecteur des administrés : celui de l’Etat-providence. Outre les prestations qu’ils permettent de fournir, les prélèvements obligatoires peuvent, aussi, viser un objectif de redistribution des richesses en différenciant le niveau de ponction en fonction des revenus.
D’un point de vue économique, les prélèvements obligatoires sont, au même titre que la dépense publique, un outil essentiel des politiques publiques. Traditionnellement, en effet, la politique fiscale est un vecteur de régulation conjoncturelle de l’économie. De nos jours, toutefois, ce rôle semble céder la place à un objectif d’efficacité économique.
Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, les enjeux socio-politiques des prélèvements obligatoires (I) et d’analyser, dans une seconde partie, leurs enjeux économiques (II).
I - Les prélèvements obligatoires au cœur d'un enjeu socio-politique
D’un point de vue socio-politique, l’analyse des prélèvements obligatoires permet de déceler deux grands choix dans les trajectoires suivies par les Etats : celui de l’Etat-providence (A) et celui d’un système redistributif (B).
A - Prélèvements obligatoires et modèle socio-politique : le choix de l'Etat-providence
Le poids des prélèvements obligatoires dans les pays industrialisés révèle le rôle que ceux-ci assignent aux interventions de la puissance publique, c’est-à-dire celui d’un Etat-providence (1). Les moyens d’y parvenir varient, toutefois, d’un pays à l’autre, comme en atteste l’exemple de la protection sociale (2).
1 – Un choix que traduit la hausse des prélèvements obligatoires
Le niveau des prélèvements obligatoires est mesuré par la part que ceux-ci occupent dans la richesse nationale (le PIB). Il permet de déterminer le rôle que la société alloue aux collectivités publiques dans les gestion des besoins des individus.
La tendance sur le long terme est à l’augmentation du taux de prélèvements obligatoires (TPO). Il en est, allé, de la sorte dès le début du XX° siècle. En effet, les deux Guerres mondiales et la crise économique de 1929 ont justifié des interventions croissantes des autorités publiques, ce qui a nécessité de trouver de nouvelles sources de financement. Face à ces phénomènes, et alors que les théories politiques favorables à l’Etat connaissaient un regain d’intérêt, le choix est fait, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, principalement en Europe, d’un modèle d’Etat interventionniste et très protecteur pour les citoyens : l’Etat-providence. Ce choix ne cessera d’être confirmé depuis dans nombre de pays, comme en atteste le TPO moyen constaté dans les pays de l’OCDE en 2019 : 34 %.
Ce chiffre masque, toutefois, de grandes disparités d’un pays à l’autre. Ainsi, les pays scandinaves connaissent un TPO situé entre 40 et 45 %. A l’opposé, des pays comme les Etats-Unis et le Japon affichent un TPO oscillant entre 25 et 30 % : cette situation s’explique par le poids des théories libérales dans ces pays et par le choix qui y est fait de faire assumer une large part de la protection sociale par des mécanismes d’assurance privée. Entre ces deux modèles, les pays européens, comme l’Allemagne, connaissent un TPO compris entre 30 et 40 %.
La France est, quant à elle, dans une situation atypique. Son TPO est d’environ 12 points au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, soit un peu plus de 45 % du PIB en 2019. Elle se situe, ainsi, en deuxième position derrière le Danemark, est proche des pays scandinaves, mais devance tous les autres pays de l’Union européenne qui se situent pour la plupart entre 30 et 40 % du PIB. Ce différentiel s’explique par les larges compétences dont sont titulaires les administrations publiques en France, ainsi que par le mode de financement de la protection sociale qui est, essentiellement, basé sur les cotisations sociales.
2 – Un choix qui s’appuie sur des moyens variables : l’exemple de la protection sociale
Les moyens de réaliser l’Etat-providence, c’est-à-dire les ressources à mobiliser, ne sont pas uniformes. Ils peuvent, en effet, varier d’un pays à l’autre. Tel est le cas des systèmes de protection sociale des pays ayant fait le choix de prélèvements obligatoires élevés.
Certains pays, comme la France et l’Allemagne, ont, ainsi, adopté un modèle bismarckien : dans ce système, la protection sociale est financée par des cotisations sociales, c’est-à-dire des prélèvements qui sont opérés sur les salaires et qui offrent, en contrepartie, droit à des prestations. D’autres, comme les pays scandinaves, ont opté pour le modèle beveridgien : la protection sociale y est, ici, financée par des impôts d’Etat, c’est-à-dire des prélèvements assis sur des bases multiples et sans contrepartie directe. Ainsi, s’explique que, dans le premier cas, la part des cotisations sociales dans l’ensemble des prélèvements obligatoires soit plus élevée que dans le second.
Le système bismarckien présente, toutefois, l’inconvénient de faire peser sur le travail des coûts importants, ce qui défavorise les pays concernés en termes de compétitivité. C’est, notamment, le cas de la France. Aussi, le choix a été fait, à compter des années 1990, d’assurer le financement d’une partie de la protection sociale à partir de recettes fiscales : ont, ainsi, été créées la Contribution sociale généralisée (CSG) et la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS). Depuis ces réformes, le système français est, donc, un système mixe, à mi-chemin entre le modèle bismarckien et le modèle beveridgien.
Parallèlement à ce choix, les prélèvements obligatoires ont, également, été perçus comme un moyen d’assurer une certaine redistribution.
B - Prélèvements obligatoires et équité : le choix de la redistribution
Tout comme les dépenses publiques, la fiscalité peut être un vecteur de redistribution (1). Ce rôle connaît, toutefois, des limites (2).
1 – La fiscalité : un vecteur de redistribution
L’impôt concourt à la redistribution des richesses entre citoyens de deux manières. Indirectement, il permet la redistribution par la voie de la dépense publique (aides sociales, allocations familiales, …) qu’il finance. Directement, il modifie la répartition des revenus en différenciant le niveau de prélèvement en fonction desdits revenus. En France, les prestations allouées aux citoyens assurent les trois quarts de cette redistribution et les impôts directs assurent le quart restant, essentiellement à travers l’impôt sur le revenu.
La fonction redistributive de la fiscalité conduit à opposer les impôts proportionnels pour lesquels le taux est constant quelle que soit la base d’imposition et les impôts progressifs dont le taux croît plus que proportionnellement à la base d’imposition.
A l’origine, les impôts étaient proportionnels, car l’on estimait qu’il s’agissait d’une manière juste de déterminer le montant de la dette fiscale : l’on faisait donc primer le principe d’une égalité arithmétique devant la loi fiscale. Puis, la progressivité de l’imposition s’est affirmée en prenant appui sur l’idée qu’il paraissait juste de moins imposer la partie des revenus servant à satisfaire les besoins vitaux par rapport à la partie la plus haute, le but étant de rechercher une plus grande équité entre les contribuables. Avec cette méthode, qui conduit à taxer plus lourdement les plus fortunés, s’imposait, ainsi, l’idée d’un impôt servant d’outils à une politique de redistribution. L’exemple de la fiscalité française est à cet égard très instructif.
2 - L’exemple de la fiscalité française ou les limites de la redistribution
La possibilité de taxer les contribuables en fonction de leurs revenus est posée, en France, par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Celui-ci prévoit, en effet, que « pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
La fonction redistributrice, que permet cette différence de taxation, est, principalement, assurée par l’impôt sur le revenu. Il s’agit, là, d’un impôt qui est progressif et qui tient compte de la situation et des charges de famille des contribuables. Sa redistributivité est, toutefois, limitée dans la mesure où moins d’un français sur deux paie cet impôt.
A l’inverse, il est un impôt qui constitue la principale ressource de l’Etat et qui est loin d’être un facteur de redistribution : la TVA. Cet impôt indirect présente, en effet, un taux constant quel que soit le revenu des ménages. Or, à l’inverse des ménages les plus aisés, les ménages les plus modestes consacrent la plus grande partie de leurs revenus à la consommation, ce qui conduit à ce que la TVA payée par les seconds soit, en proportion, plus importante que celle payée par les premiers. Ainsi, s’explique que nombre de citoyens dénoncent le caractère inéquitable de cet impôt.
Les prélèvements obligatoires recèlent, ainsi, de multiples implications socio-politiques. Il arrive, parfois, que ces dernières entrent en contradiction avec des impératifs d’ordre économique.
II - Les prélèvements obligatoires au cœur d'un enjeu économique
Traditionnellement, les prélèvements obligatoires ou, plus spécifiquement, les impôts jouent un rôle de régulation conjoncturelle (A). De nos jours, toutefois, cet aspect des choses tend à laisser sa place à un objectif d’efficacité économique (B).
A - Fiscalité et régulation conjoncturelle
La fiscalité peut être un vecteur de régulation conjoncturelle de l’économie (1). Cet outil a été utilisé aux Etats-Unis dans les années quatre-vingt (2).
1 – La fiscalité : un vecteur de régulation conjoncturelle
La politique fiscale peut jouer un rôle de régulation conjoncturelle de l’économie de deux façons.
En premier lieu, l’impôt participe, naturellement, à la stabilisation de l’économie par le jeu des stabilisateurs automatiques. Dans une logique keynésienne, les finances publiques dans leur ensemble atténuent, en effet, les conséquences des chocs conjoncturels sur l’économie. Ainsi, en phase de haut de cycle conjoncturel, qui se caractérise par une croissance, un emploi et une consommation élevés, les recettes fiscales augmentent et les prestations sociales diminuent, ce qui a un effet contra-cyclique de ralentissement de l’activité. La situation est symétriquement inverse en phase de bas de cycle conjoncturel, l’effet contra-cyclique de la baisse des recettes fiscales et de la hausse des prestations sociales conduisant à relancer l’économie moyennant un déficit budgétaire conjoncturel.
En second lieu, l’Etat peut décider de diminuer ses recettes fiscales pour relancer l’activité économique. En effet, le coefficient multiplicateur keynésien joue, également, de ce côté-ci des finances publiques. Toutefois, les différentes théories élaborées démontrent que la relance fiscale est moins efficace que la relance par la dépense publique. Par ailleurs, certaines théories contestent l’efficacité de ce type de relance. La plus importante est la théorie de l’équivalence néo-ricardienne. Selon cette théorie, une baisse des impôts à un moment donné a pour conséquence un alourdissement de la dette. Face à cette situation, les agents économiques anticipent une hausse future des impôts et augmentent leur épargne. Il s’ensuit que les ménages consomment moins et mettent de l’argent en réserve afin de faire face à l’augmentation des impôts inéluctable pour rembourser la dette, ce qui annihile les effets de la relance. Ces théories doivent, toutefois, être nuancées en raison de la réussite de la politique fiscale menée aux Etats-Unis dans les années quatre-vingt.
2 - La relance fiscale américaine dans les années 1980
La politique de relance fiscale menée aux Etats-Unis dans les années quatre-vingt a été décidée par le président républicain d’alors : Ronald Reagan. Lorsqu’il arrive au pouvoir, le taux de chômage s’élève à 7,7 %, le taux d’inflation atteint les 13 % et la croissance de la productivité est particulièrement décevante. R. Reagan décide alors d’adopter une politique de l’offre caractérisée par une forte baisse des impôts, notamment ceux des entreprises, une réduction des dépenses publiques (hors dépenses militaires) et la dérèglementation de l’activité économique.
La baisse des impôts, ainsi, décidée a un effet certain sur la situation financière des entreprises. Cette baisse allège, en effet, les charges qui pèsent sur elles, ce qui permet la hausse des profits et, par voie de conséquence, la reprise de l’investissement facteur de croissance. Cette relance fiscale conjugue, de plus, ses effets avec ceux liés au maintien, contrairement à ce qui avait été annoncé, d’un haut niveau de dépenses publiques. La combinaison des deux coefficients multiplicateurs est d’autant plus importante que la propension à consommer est plus élevée aux Etats-Unis qu’en Europe. Cette politique, dénommée « Reaganomics », a permis la relance de l’activité : les Etats-Unis ont, ainsi, vu leur taux de croissance passer de 2,7 % en 1986 à 4,4 % en 1988.
Si le rôle de régulation conjoncturelle des prélèvements obligatoires occupe encore une place importante dans les politiques budgétaires, ces dernières tendent, de nos jours, à privilégier un objectif d’efficacité économique.
B - Fiscalité et efficacité économique
De nos jours, les politiques en matière de prélèvements fiscaux se doivent de respecter un objectif d’efficacité économique : celui-ci se décompose en un objectif de neutralité économique (1) et un objectif d’orientation structurelle de l’économie (2).
1 - Un objectif de neutralité économique
De nos jours, les politiques fiscales visent un objectif de neutralité économique. En effet, tous les impôts ont une incidence sur le comportement des agents : ces incidences, appelées distorsions fiscales, ont pour conséquence des pertes de bien-être et se traduisent par des modifications des prix des biens et des facteurs de production. Elles peuvent être plus ou moins importantes.
Ainsi, lorsque l'élasticité aux prix de l'offre et de la demande est faible, les distorsions fiscales sont moins importantes. En pareille hypothèse, la consommation n'est pas affectée par une hausse des prix (par exemple, biens de première nécessité, tabacs). Il faut donc taxer en priorité ces produits. Mais, une telle politique entre, alors, en conflit avec l’objectif de redistribution.
En revanche, lorsque l’élasticité aux prix de l’offre et de la demande est forte, les impacts sur l’activité économique peuvent être négatifs. Ainsi, le facteur lourdement taxé peut être remplacé par un facteur moins taxé. C’est ce qui explique la tendance qui consiste à remplacer le facteur travail par le facteur capital ou à recourir aux délocalisations. De nos jours, la plupart des débats concernent, principalement, l’impôt sur le revenu pour lequel les distorsions fiscales sont relativement importantes. En effet, cet impôt peut être de nature à réduire l’incitation à travailler, à favoriser l’optimisation fiscale ou la fraude. L’idée est donc de trouver des prélèvements entrainant des distorsions fiscales faibles : en la matière, la plupart des économistes s’accordent pour dire que ce résultat est atteint par un impôt dont l’assiette est large et le taux faible. Ainsi, en France, la CSG apparait comme générant moins de distorsion que l’impôt sur le revenu.
2 – Un objectif d’orientation de l’économie
A l’inverse des distorsions évoquées au point précédent qui ne sont pas choisies, certaines distorsions peuvent être volontaires. Le pouvoir politique utilise, ici, en effet, sciemment, le levier fiscal pour influer sur l’activité économique. Le but des prélèvements n’est, alors, rien d’autre que de modifier le comportement des agents économiques dans le sens souhaité par l’Etat. Il peut, ainsi, s’agir, de favoriser l’épargne, l’investissement ou encore la consommation.
Mais, l’usage des distorsions volontaires concerne, principalement, les externalités. La fiscalité peut, ainsi, être utilisée pour générer des externalités positives, par exemple en incitant à investir dans la recherche-développement (objet du crédit d’impôt recherche en France). Elle peut, dans le sens contraire, viser à corriger des externalités négatives : ces dernières se traduisent par une influence négative sur l'ensemble de la société. La fiscalité apparait, alors, comme le moyen de faire peser sur l’auteur de la « nuisance » les conséquences de son comportement : l’on parle de taxes pigouviennes, ainsi nommées d’après l’économiste Arthur Pigou. Par exemple, la taxe pollueur-payeur a pour conséquence de mettre à la charge du propriétaire d’une usine polluante les conséquences de la pollution. Cet impôt se différencie des autres, car il vise plus à provoquer un changement de comportement qu'à créer des ressources pour l'Etat, objectif traditionnel des impôts.
La fiscalité peut, enfin, avoir pour objet de rendre des territoires attrayant : en effet, la baisse des impôts dans un pays est de nature à attirer les investissements au détriment des autres Etats. L’inconvénient d’une telle politique est qu’elle aboutit à une concurrence fiscale dommageable entre Etats. Il s’ensuit un mouvement généralisé de baisse des impôts et donc des recettes fiscales, dans le but de rétablir une certaine égalité fiscale entre les Etats. C’est pour éviter de tels effets qu’a été conclu, en 2021, au sein de l’OCDE un accord prévoyant un taux d’imposition des sociétés minimum de 15 %.
Le rôle d’orientation joué par la politique fiscale atteste, ainsi, que les impôts et, plus généralement, les prélèvements obligatoires ne sauraient être perçus comme un tout homogène répondant aux mêmes finalités. Bien au contraire, celles-ci s’entremêlent et s’opposent parfois. La question n’est, donc, pas celle d’un choix à sens unique, mais bien plutôt celle d’une combinaison de différents choix en fonction des contraintes, des circonstances et des idéologies dominantes, notamment.
