Introduction
Les économies des différents pays n’ont jamais été totalement isolées les unes des autres. Elles entretiennent, en effet, entre elles, des relations depuis de nombreux siècles. Ce constat a, toutefois, pris un relief particulier à l’époque contemporaine où l’économie mondiale est caractérisée par un phénomène de mondialisation qui rend les économies nationales de plus en plus dépendantes les unes des autres.
Ces changements n’ont pas manqué d’affecter les finances publiques nationales qui sont, par nature, dépendantes du contexte économique et qui se trouvent, à présent, particulièrement sensibles à l’économie, ainsi, mondialisée. Cette nouvelle donne a eu pour effet de placer les politiques budgétaires des Etats sous l’influence directe de l’environnement international, de sorte que si celui-ci peut, à certains égards, être une opportunité, il apparaît, le plus souvent, comme une contrainte, notamment pour les pays dont l’économie est ouverte et l’Etat très endetté. Tel est le cas de la France et de la plupart des pays occidentaux.
Ce phénomène de contrainte internationale résulte de différents facteurs. Certains sont d’ordre économique et tiennent à l’internationalisation des échanges commerciaux et à la dépendance vis-à-vis du marché des changes. D’autres sont d’ordre juridique et concernent, principalement, les pays de l’Union européenne du fait des règles de discipline budgétaire mises en place à la suite de l’adoption de l’euro.
L’ensemble de ces facteurs limitent les marges de manœuvre des Etats dans la détermination de leur politique budgétaire. Ils grèvent, en effet, l’autonomie de décision des Gouvernements en les plaçant sous la dépendance d’acteurs supranationaux. Et, ils privent les politiques budgétaires qu’ils mènent de leurs effets bénéfiques potentiels.
Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, les facteurs de contrainte résultant de l’environnement international (I) et d’analyser, dans une seconde partie, les effets de cette contrainte (II).
I - Les facteurs de contrainte résultant de l'environnement international
Les États sont, de nos jours, obligés d’intégrer dans leur politique financière les paramètres qui caractérisent l’environnement international. Deux grands types de facteurs expliquent cette situation : certains sont d’ordre économique (A), d’autres d’ordre juridique (B).
A - Les facteurs d'ordre économique
Ils sont au nombre de deux : il s’agit, d’une part, de l’internationalisation des échanges commerciaux (1) et, d’autre part, de la dépendance vis-à-vis des taux de change (2).
1 – L’internationalisation des échanges commerciaux
Les échanges commerciaux se sont considérablement développés depuis la seconde moitié du XX° siècle. C’est, ainsi, qu’en France la part des échanges extérieurs dans l’économie nationale est passée de 18 % du PIB en 1970 à plus de 30 % de nos jours. Cette ouverture sur l’étranger se retrouve, également, dans d’autres pays, comme l’Allemagne, la Chine, l’Italie ou, encore, les États-Unis. Elle est, en revanche, plus limitée au Japon et au Royaume-Uni.
Or, il est un fait constaté que plus une économie est ouverte sur les marchés internationaux, plus le poids de la contrainte extérieure est fort. La conséquence est que tout changement de conjoncture qui affecte l’environnement international impacte, immanquablement, les pays dont l’économie présente cette caractéristique. La France, par exemple, est, particulièrement vulnérable aux changements qui touchent les pays de l’Union européenne, dans la mesure où ceux-ci sont les destinataires de l’essentiel de ses exportations. Les même effets se produisent en cas de freinage économique aux États-Unis, en Chine ou bien dans les pays émergents.
2 – La dépendance vis-à-vis des taux de change
La contrainte internationale se traduit, également, par une dépendance vis-à-vis des taux de change. Celle-ci résulte de l’internationalisation croissante des mouvements de capitaux et de la transformation du marché des changes en marché financier.
Longtemps, la France a, ainsi, subi les variations des taux de change, le franc ayant, régulièrement, vu sa stabilité menacée par les crises spéculatives affectant le marché des changes. Tel n’est plus le cas depuis la mise en place de l’euro : la monnaie unique a, en effet, fait disparaître le facteur d’instabilité qui caractérisait les monnaies nationales puisqu’elle rend impossible de jouer les monnaies européennes les unes contre les autres. Toutefois, même ainsi réduit, le risque d’instabilité existe toujours, dans la mesure où l’euro reste une monnaie qui se négocie sur le marché des changes. A ce titre, il fluctue par rapport aux monnaies extérieures, notamment le dollar et le yen, de sorte que les relations économiques entre la France et l’étranger continuent à être affectées par les variations dont il fait l’objet. C’est, ainsi, que les exportations françaises sont défavorisées par la faiblesse du dollar par rapport à l’euro et inversement.
A côté de ces facteurs d’ordre économique, les politiques budgétaires nationales sont, également, contraintes par des facteurs d’ordre juridique.
B - Les facteurs d'ordre juridique
Sur un plan juridique, les finances publiques nationales sont contraintes par les règles de discipline budgétaire imposées par l’Union européenne (1) et les différentes normes internationales à dimension fiscale (2).
1 – Les règles européennes de discipline budgétaire
Les finances publiques sont encadrées par un ensemble de règles européennes de discipline budgétaire. Celles-ci doivent leur existence à la mise en place de la monnaie unique. En effet, si le traité de Maastricht posait des critères d’entrée dans l’Union économique et monétaire - UEM (déficit public inférieur à 3 % du PIB et dette publique inférieure à 60 % du PIB), aucune règle n’avait été fixée pour contrôler les finances des États une fois qu’ils en étaient membres. Aussi, le risque était qu’une fois l’euro adopté, certains pays en profitent pour mener des politiques laxistes, provoquant, alors, des conséquences néfastes pour toute la zone. C’est, là, le risque de comportement de « free rider » (passager clandestin). Il a, donc, été décidé que les règles conditionnant l’entrée au sein de l’UEM s’appliqueraient de manière permanente aux pays membres de la zone euro.
Plusieurs textes ont été adoptés à cette fin. Le premier est le Pacte de stabilité et de croissance en 1997 : celui-ci prévoit une procédure d’examen et de surveillance mutuelle des politiques économiques et de l’évolution des finances publiques, ainsi qu’un volet répressif qui vise à sanctionner les Etats qui connaissent un déficit public excessif, c’est-à-dire supérieur à 3% du PIB. La crise économique et financière amorcée en 2008 et la crise de la dette souveraine qui s’en est suivi ont, par la suite, conduit les Etats membres de l’Union à adopter trois textes successifs destinés à mieux encadrer les finances nationales : il s’agit du « six pack » en 2011, du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l’Union économique et monétaire en 2012 et du « two pack » en 2013. Le « six pack » accroit les sanctions financières en cas de non-respect des règles de discipline budgétaire. Le TSCG instaure la célèbre « règle d’or » qui impose que le déficit structurel d’un pays ne dépasse pas 0,5 % de son PIB. Et, le « two pack » renforce les dispositifs de surveillance budgétaire au sein de la zone euro.
2 – Les normes internationales à dimension fiscale : le droit européen et les conventions fiscales bilatérales
L’article 55 de la Constitution de 1958 confère aux traités « une autorité supérieure à celle des lois ». Sur cette base, le droit européen et le droit conventionnel contraignent, significativement, la fiscalité française.
En premier lieu, certains domaines de la fiscalité font l’objet d’une harmonisation européenne. Tel est le cas de la fiscalité indirecte sur le fondement de l’article 113 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). La TVA est, ainsi, l’impôt le plus harmonisé : ses règles d’assiette ont été unifiées et ses règles de taux encadrées. La fiscalité directe est harmonisée dans une moindre mesure sur le fondement de l’article 115 du TFUE relatif au rapprochement des législations « qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du marché intérieur » : ont, ainsi, été adoptées les directives « mère-fille », « fusions », « intérêts et redevances » ou, encore, « anti-évasion fiscale ». Outre cette harmonisation, la législation fiscale française est, également, contrainte par les principes de non-discrimination et de libre circulation inscrits dans les traités européens et interprétés de manière très extensive par la Cour de justice de l’Union européenne.
En second lieu, la France a conclu des conventions fiscales internationales avec d’autres Etats (132 environ). Celles-ci ont pour but d’éviter les doubles impositions et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Ces conventions déterminent le pays compétent pour imposer un contribuable lorsque deux Etats revendiquent ce droit. En vertu de l’article 55 de la Constitution, elles priment sur la loi française.
Les facteurs de contrainte de l’environnement international apparaissent, ainsi, protéiformes. Leurs conséquences sur les finances publiques nationales sont toutes aussi variées.
II - Les effets des contraintes résultant de l'environnement international
L’environnement international impacte les politiques budgétaires nationales de deux façons : il les rend dépendantes des décisions d’acteurs supranationaux (A) et grève, considérablement, leur potentiel (B).
A - Des politiques budgétaires sous la dépendance d'acteurs supranationaux
Deux grands acteurs supranationaux sont en mesure de peser sur les choix financiers faits dans chaque Etat : les marchés financiers (1) et différentes instances européennes (2).
1 – La dépendance vis-à-vis des marchés financiers
Sous l’effet de l’accumulation des déficits budgétaires, ainsi que, plus récemment, des mesures prises pour faire face à la crise sanitaire de 2020, la dette publique a considérablement augmenté. Elle est, ainsi, de 90,7 % en moyenne dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. En France, elle est passée de 20 % du PIB en 1980 à 78,1 % en 2009, puis plus de 120 % en 2020.
Cette dette publique, sans cesse croissante, impose de faire appel aux prêteurs internationaux pour la financer, de sorte que les États se sont mis sous la dépendance des marchés qui détiennent désormais, à l’égard de leur gestion, un redoutable pouvoir de jugement et de sanction. Toute absence de rigueur, tout laxisme dans leur politique économique et financière se traduit par une défiance vis-à-vis du pays emprunteur. Aussi, la règle est, désormais, pour les Etats, la recherche de la crédibilité auprès des investisseurs. L’autonomie des gouvernements en matière de politique économique, et par conséquent la souveraineté des États, s’en trouve, alors, fortement réduite.
2 – La dépendance vis-à-vis des instances exécutives de l’Union européenne et de la BCE
Les politiques budgétaires nationales sont, également, sous la dépendance d’acteurs européens : les instances exécutives de l’Union d’une part et la Banque centrale européenne (BCE) d’autre part.
En premier lieu, les Etats de la zone euro doivent rendre compte chaque année de leur politique budgétaire devant les instances exécutives de l’Union européenne qui peuvent imposer des mesures correctives aux Etats, voire des sanctions financières, en cas de non-respect des règles de discipline budgétaire. Ainsi, les Gouvernements doivent concevoir, chaque année, un programme de stabilité que la Commission européenne examine en comparant la trajectoire budgétaire choisie avec les prévisions économiques et les objectifs poursuivis. Le Conseil Ecofin, conseil qui réunit les ministres du budget de l’Union, rend, ensuite, un avis sur chaque programme de stabilité et adresse une recommandation aux Etats qui connaissent un dérapage budgétaire. En cas de déficit public excessif non corrigé par un Etat, le Conseil Ecofin peut imposer un dépôt auprès de la BCE ou des amendes.
En second lieu, les Etats de la zone euro sont, également, sous la dépendance de la BCE. Cette dernière a pour mission de mettre en œuvre la politique monétaire au sein de la zone, avec pour principal objectif la stabilité des prix. En raison de la crise économique provoquée par la crise financière de 2008, la BCE a eu recours à deux instruments pour soutenir l’activité économique. Elle a, d’abord, abaissé ses taux d’intérêts jusqu’à 0 %. Elle a, ensuite, à l’instar de la FED, mis en place, en 2015, la politique d’assouplissement quantitatif (« quantitative easing » en anglais). Il s’agit d’un outil de politique monétaire qui consiste, pour une banque centrale, à intervenir de façon massive, généralisée et prolongée sur les marchés financiers en achetant des actifs (notamment des titres de dette publique) aux banques commerciales et à d’autres acteurs. Ces achats massifs entrainent une baisse des taux d’intérêt, ce qui permet aux ménages, aux entreprises et aux États de continuer à se financer à de bonnes conditions, favorisant la croissance économique et la remontée du taux d’inflation à un niveau compatible avec la stabilité des prix.
Ces deux leviers ont permis aux Etats européens de financer leurs déficits publics dans des conditions très favorables. Toutefois, ils ont rendu leur politique budgétaire très dépendante de la politique monétaire menée par la BCE. Aussi, les changements annoncés par cette dernière, à savoir l’arrêt du « quantitative easing » et la hausse des taux d’intérêts d’ici la fin de l’année 2022, risquent de peser sur leur situation financière. Cette nouvelle donne va, en effet, leurs imposer soit de réduire leurs déficits faute de ne plus pouvoir les financer aussi favorablement que par le passé, soit d’encourir un coût de financement plus élevé, ce qui augmentera de facto le poste intérêts de la dette dans leurs budgets. Dans les deux cas, leurs marges de manœuvre budgétaires s’en trouveront limitées.
La contrainte internationale rend donc les politiques budgétaires nationales dépendantes des décisions d’acteurs supranationaux. Elle grève aussi leur potentiel.
B - Des politiques budgétaires privées de leur potentiel
La contrainte internationale est de nature à limiter les bienfaits des politiques budgétaires. Elle induit, en effet, une concurrence fiscale qui handicape les politiques publiques (1) et elle rend difficile les politiques de relance (2).
1 – Des politiques publiques contraintes par la concurrence fiscale
L’attractivité économique constitue un enjeu majeur pour l’ensemble des pays de nos jours. Elle peut résulter de la qualité de la main d’œuvre, de celle des infrastructures, de la densité des services public ou bien du cadre de vie. Mais, parmi ces facteurs, la fiscalité constitue, sans aucun doute, un élément déterminant. Ainsi, s’explique qu’un certain nombre de pays appliquent une fiscalité faible, notamment en baissant leurs taux d’imposition, pour gagner en compétitivité et, ainsi, attirer des facteurs de production. Ces politiques sont bien connues des grandes entreprises multinationales qui définissent leurs choix d’implantation en tenant compte de l’ensemble de ces éléments.
Cette concurrence fiscale, puisque cela n’est rien d’autre, est rendue possible par l’économie mondialisée où marchandises, services, personnes et capitaux circulent assez librement. Elle emporte, toutefois, des conséquences dommageables pour les Etats. En effet, la menace de délocalisation oblige les Etats à veiller à ce que leur politique fiscale et leur politique budgétaire attirent les entreprises au lieu de les inciter à s’installer ailleurs. Cette situation se vérifie, notamment, en Europe à propos de l’imposition des bénéfices. Or, s’engager dans une course à la baisse des impositions est une stratégie coûteuse et peu efficace pour les États. En effet, un Etat qui s’engagerait dans cette voie verrait ses recettes fiscales diminuer et pourrait ne plus pouvoir financer les équipements et services publics indispensables à sa population. Sur un plan purement économique, il ne pourrait plus, de surcroît, soutenir efficacement les secteurs en difficulté et financer les investissements porteurs de croissance à long terme, tels que l’éducation ou la recherche.
2 - La difficulté des politiques de relance
La démonstration de l’utilité des politiques de relance économique par le biais de la dépense publique est, principalement, le fait de l’économiste britannique Keynes. Pour le célèbre économiste, la dépense publique, outre ses bienfaits en termes de solidarité sociale, joue le rôle de stabilisateur économique et peut même insuffler des gains de croissance par son soutien à la demande en période de crise. Le résultat de cette stimulation est égal au montant des dépenses publiques associées à un coefficient multiplicateur : la dépense publique stimule, en effet, la production, ce qui entraine une hausse des revenus des ménages et donc une hausse de la consommation, ce qui stimule à nouveau la production.
Dans un environnement mondialisé, ce type de politiques peut s’avérer soit impossible à mettre en œuvre, soit contreproductif.
D’une part, ces politiques sont, de nos jours, difficiles à mener en Europe du fait du poids des règles de discipline budgétaire. En effet, ces dernières visent à limiter les déficits publics. Or, les politiques de relance mises en œuvre dans un contexte de crise économique sont financées par le recours à l’emprunt, de sorte que ce levier n’apparaît plus à la portée des pouvoirs publics aujourd’hui.
D’autre part, ces politiques peuvent avoir des effets contreproductifs. En effet, une politique budgétaire de relance, menée dans un contexte économique défavorable (notamment, une stagnation ou une récession de la demande étrangère), se traduit, presque inévitablement, par un supplément d’importations, un déficit extérieur important et des tensions sur la monnaie nationale. Le pays s’appauvrit parce qu’il doit, alors, financer à crédit le supplément d’importations non gagé par des exportations. La politique économique française des années 1981- 1982 a constitué l’exemple typique de telles conséquences.
Aussi, si les politiques keynésiennes de relance ont pu, par le passé, avoir des effets bénéfiques, elles apparaissent inadaptées à des économies contemporaines caractérisées par leur ouverture sur l’extérieur et leur soumission, pour les économies européennes, à des contraintes budgétaires strictes.
Qu’il s’agisse, ainsi, du choix des politiques publiques, de la liberté de décision des Gouvernements, le poids croissant de la contrainte externe limite, considérablement, les marges de manœuvre dont disposent les finances publiques nationales. Cette situation présente un caractère structurel et est appelée à perdurer, dans la mesure où les causes qui expliquent cette perte d’autonomie (économie ouverte et endettement important, notamment) paraissent ne pas devoir perdre en intensité à court et moyen terme.
