Introduction
Dans une économie mondialisée et libérale, la question des aides d’Etat aux entreprises donne souvent lieu à des controverses politico-juridiques. C’est le cas entre zones économiques, mais aussi à l’intérieur de celles-ci. L’Union européenne est l’archétype de cette situation, puisque son droit prévoit une règlementation communautaire des aides d’Etat. Cette règlementation s’applique aux seules entreprises au sens du droit de l’Union européenne, ces dernières étant définies comme les entités qui, indépendamment de leur statut juridique ou de leur mode de financement, exercent une activité économique, c’est-à-dire une activité qui consiste à offrir des biens ou des services sur un marché donné.
Au sein de l’Union européenne, ces aides sont, en principe, soumises à une obligation de notification préalable à la Commission européenne afin de vérifier qu’elles ne faussent pas le libre jeu de la concurrence. Cette obligation est, toutefois, exclue pour les aides de minimis. Celles-ci demeurent des aides étatiques aux entreprises et débouchent, par exemple, sur des allègements ou des exonérations d’impôt, mais, du fait de leur faible montant, elles sont considérées comme n’étant pas de nature à fausser ou menacer la concurrence entre les entreprises.
Pour être éligibles au dispositif de minimis, les aides doivent, toutefois, respecter une série de conditions. Parmi celles-ci, la plus importante est la nécessité qu’elles ne dépassent pas un plafond global, qui dépend du secteur d’activité de l’entreprise, sur une période glissante de trois exercices fiscaux. Ce plafond correspond à un montant d’impôt et non à une base d’imposition. En cas de non-respect de ce plafond, l’aide ne peut plus être considérée comme de minimis et l’entreprise n’est plus éligible à l’allègement ou à l’exonération d’impôt correspondante. En d’autres termes, une même entreprise ne peut recevoir, au titre du régime de minimis, que des aides d’un montant inférieur ou égal au plafond sur une période de trois exercices fiscaux.
Il convient, donc, de tenter, dans une première partie, de définir les aides de minimis (I) et de poursuivre, dans une seconde partie, par l’examen des règles qui gouverne leur mise en œuvre (II).
I – La définition des aides de minimis
L’existence des aides de minimis s’explique par une limite qui est apportée à un principe européen essentiel (A). Ces aides peuvent être classées en trois grands secteurs (B).
A – La logique qui sous-tend les aides de minimis
Le droit de l’Union européenne est, fondamentalement, un droit d’essence libérale au sein duquel le libre jeu de la concurrence apparaît comme une règle essentielle. Cette règle peut être remise en cause lorsqu’un Etat accorde des aides à des entreprises. Aussi, afin de vérifier que ces aides ne faussent, ni ne menacent de fausser le libre jeu de la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions, les Etats doivent, en principe, les notifier préalablement à la Commission européenne.
Toutefois, le droit européen admet qu’il existe des aides qui ne sont pas de nature à fausser ou menacer la concurrence entre les entreprises, car, du fait de leur faible montant, elles n’ont pas d’impact sur la concurrence et sur le commerce au sein du marché intérieur de l’Union européenne. C’est ce que l’on appelle les aides de minimis ou « aides d'importance mineure ». Ainsi s’explique que ces aides puissent être accordées sans être soumises à la procédure fastidieuse de notification préalable à la Commission européenne.
Toutefois, pour être qualifiées d’aides de minimis, ces aides doivent respecter un ensemble de conditions. La première impose, de minimis oblige, que les aides ne dépassent pas un certain plafond (voir I B et II). La deuxième conduit à ne regarder comme éligibles que les aides « transparentes », c’est-à-dire les aides pour lesquelles il est possible de déterminer précisément le montant préalablement à leur octroi. A ce sujet, les règlements de minimis précisent, pour certaines aides, les conditions dans lesquelles celles-ci sont considérées comme transparentes : tel est, notamment, le cas pour les prêts lorsque leur montant est calculé sur la base des taux d'intérêts du marché en vigueur au moment de l'octroi de l'aide ou pour les apports en capitaux lorsque le montant total de l'apport en capitaux publics est inférieur au plafond de minimis. Enfin, le dispositif interdit le cumul des aides de minimis avec d'autres aides d'Etat pour les mêmes dépenses admissibles si ce cumul conduit à une « intensité d'aide » qui excède le niveau fixé soit par le règlement d'exemption sur le fondement duquel l'aide d'Etat est accordée, soit par la décision de la Commission autorisant le régime.
B – Les secteurs concernés par les aides de minimis
Les aides de minimis concernent trois grands secteurs qui font chacun l’objet d’une règlement européen spécifique : la généralité des entreprises (1), le secteur de la production primaire de produits agricoles (2) et le secteur de la production primaire de produits de la pêche et de l’aquaculture (3). Pour apprécier les conditions d’éligibilité des entreprises exerçant dans ces secteurs, il convient de se placer au niveau de chaque entité considérée comme bénéficiaire de l'avantage ou de l'allégement fiscal. Celle-ci peut se définir comme l'entreprise qui dispose effectivement d'un allégement de sa charge fiscale ou d'un avantage procuré par une mesure d'incitation fiscale.
Lorsqu’une entreprise exerce des activités relevant de deux ou des trois secteurs, le bénéfice de l'aide est subordonné à la condition qu'elle garantisse par des moyens appropriés, tels que la tenue d'une comptabilité séparée, que l'aide accordée au titre de chacune des activités soit placée sous le règlement dont cette activité relève. À défaut, l'aide est soumise au plafond le plus faible.
1 – Le secteur général : le règlement de minimis 2023/2831 du 13 décembre 2023
Jusqu’à présent, la généralité des entreprises étaient régies par le règlement de minimis 1407/2013 (modifié par les règlements 2020/972 du 2-7-2020 et 2023/2391 du 4-10-2023). Ce règlement autorisait les allégements fiscaux dont le montant total accordé à une entreprise unique n'excédait pas 200 000 € apprécié sur une période glissante de trois exercices fiscaux.
Le règlement de minimis 2023/2831 du 13 décembre 2023 est venu modifier ce plafond. Désormais, celui-ci est fixé à 300 000 €, ici aussi, sur une période glissante de trois ans. Ce plafond est, toutefois, fixé à 100 000 € pour les entreprises de transport routier de marchandises pour le compte d'autrui (hors achat de véhicules). Ces deux plafonds s’appliquent, quels que soient la forme et l'objectif des allégements, pour les aides accordées du 1er janvier 2024 jusqu’au 31 décembre 2030.
Ce règlement s'applique à toutes les catégories d’entreprises, quelle que soit leur taille, autres que celles couvertes par les deux autres règlements de minimis. Sont, toutefois, spécifiquement exclues, d’une part, les aides en faveur d'activités liées à l'exportation vers des pays tiers ou des Etats membres, c’est-à-dire les aides directement liées aux quantités exportées, à la mise en place et au fonctionnement d'un réseau de distribution ou à d’autres dépenses courantes liées à l'activité d'exportation et, d’autre part, les aides subordonnées à l'utilisation de produits et de services nationaux de préférence aux produits et services importés.
A titre d’exemples d’aides de minimis relevant de ce règlement, l’on peut citer, pour l’année 2022, les dispositifs d’aide aux zones de restructuration de la défense et aux zones franches urbaines – territoires entrepreneurs, les mesures en faveur des zones d’aide à finalité régionale, les mesures en faveur des zones de revitalisation rurale, les exonérations bénéficiant aux jeunes entreprises innovantes, le crédit d’impôt en faveur des entreprises exerçant un métier d’art, le crédit d’impôt recherche pour les entreprises du textile, de l’habillement et du cuir ou, encore, certaines mesures en faveur de la création artistique (https://www.europe-en-france.gouv.fr/fr/aides-d-etat/les-aides-de-minimis). Ces mesures d’allègement ou d’exonération d’impôt sont valables dans la limite du plafond prévu par le règlement de minimis.
2 – Le secteur de la production primaire de produits agricoles : le règlement de minimis 1408/2013 du 18 décembre 2013
Ce règlement (modifié par les règlements 2019/316 du 21-2-2019, 2022/2046 du 24-10-2022 et 2023/2391 du 4-10-2023) concerne les activités dans le secteur de la production primaire de produits agricoles. Il autorise les aides à une entreprise unique dans la limite d'un plafond fixé à 20 000 €, apprécié sur une période glissante de trois exercices fiscaux. Ce plafond s'applique quels que soient la forme et l'objectif des aides.
Sont exclusivement concernées les entreprises du secteur de la production de produits agricoles, c'est-à-dire les entreprises actives dans la production primaire de produits agricoles. Certaines activités proches sont exclues car elles relèvent du règlement de minimis non agricole : il en va ainsi des entreprises exerçant une activité de transformation et de commercialisation des produits agricoles qui relèvent du règlement de minimis 2023/2831 en raison de leur similitude avec les activités industrielles. Sont, également, exclues, comme pour la généralité des entreprises, les aides en faveur d'activités liées à l'exportation vers des pays tiers ou des Etats membres et les aides subordonnées à l'utilisation de produits nationaux de préférence aux produits importés.
Relèvent, notamment, de ce règlement les crédits d'impôt en faveur des dépenses de remplacement pour congés, en faveur de l'agriculture biologique, en faveur des exploitations agricoles certifiées de haute valeur environnementale, et en faveur des entreprises agricoles n'utilisant pas de glyphosate, la déduction pour épargne de précaution, l'option pour le blocage de la valeur des stocks à rotation lente, la déduction pour augmentation de la valeur du stock de vaches ou encore l'étalement de l'impôt sur le revenu en cas de passage à l'impôt sur les sociétés.
3 – Le secteur de la production primaire de produits de la pêche et de l’aquaculture : le règlement de minimis 717/2014 du 27 juin 2014
Ce règlement (modifié par les règlements 2020/2008 du 8-12-2020, 2022/2514 du 14-12-2022 et 2023/2391 du 4-10-2023) vise les entreprises exerçant une activité de production primaire de produits de la pêche et de l'aquaculture. Le plafond d'aides à une entreprise unique est fixé à 30 000 €, apprécié sur une période glissante de trois exercices fiscaux.
Il ne s’applique, toutefois, pas à certaines opérations spécifiques. Il en va, d’abord, comme pour les deux autres règlements, des aides en faveur d'activités liées à l'exportation vers des pays tiers ou des Etats membres et des aides subordonnées à l'utilisation de produits nationaux de préférence aux produits importés. D’autres aides exclues sont spécifiques à ce secteur : ainsi en va-t-il des aides à l’achat de navires de pêche, des aides aux opérations qui augmentent la capacité de pêche d'un navire ou aux équipements qui augmentent la capacité d’un navire à détecter le poisson ou, encore, des aides à la pêche expérimentale. Enfin, il convient de noter que les entreprises exerçant une activité de transformation et de commercialisation des produits de la pêche et de l'aquaculture relèvent, sauf exceptions, depuis le 1er janvier 2024, du règlement de minimis 2023/2831.
II – La mise en œuvre du régime des aides de minimis
Pour être éligibles au régime des aides de minimis, les aides doivent respecter un plafond qui est fonction du secteur d’activité de l’entreprise (voir I B). Le respect de ce plafond s’apprécie en totalisant l'ensemble des aides de minimis octroyées à une entreprise au cours d'une période glissante de trois exercices fiscaux.
La période à prendre en compte comprend l'exercice en cours à la date de l'octroi de l'aide et les deux exercices fiscaux précédents. Aussi, pour chaque nouvelle aide dont une entreprise est susceptible de bénéficier, il convient de vérifier si elle n’a pas pour effet d’entraîner un dépassement du plafond autorisé : par exemple, si l’aide est accordée au titre de l’exercice 2023, il faut, alors, prendre en compte toutes les aides octroyées au titre de cet exercice et toutes les aides octroyées au titre des exercices 2021 et 2022.
Les aides devant être rattachées à cette période glissante de trois exercices fiscaux sont les aides qui ont été octroyées au cours de celle-ci. L’octroi d’une aide est considéré comme établi lorsque sont remplies l'ensemble des conditions légales pour bénéficier de l’aide. La date de versement de l’aide est sans incidence. Par exemple, pour l’impôt sur les sociétés, la date d'octroi de l'aide est la date légale limite de dépôt du relevé de solde de liquidation (soit au 15 avril pour les entreprises dont les exercices coïncident avec l'année civile). Pour les impôts qui sont recouvrés par voie de rôle (impôt sur le revenu, taxe foncière, par exemple), la date d'octroi correspond à la date de mise en recouvrement du rôle mentionnée sur l'avis d'imposition.
Une fois identifiées les aides à prendre en compte, il convient de les évaluer. La règlementation communautaire impose de retenir toutes les aides, quelle que soit leur nature (aides fiscales, exonérations de cotisations sociales, subventions), qu’elles soient directes ou indirectes. Ces aides sont prises en compte à hauteur de l'équivalent subvention brut (ESB), c'est-à-dire du montant de l'aide avant tout prélèvement (impôts ou autres). Par exemple, s’il s’agit d’une aide fiscale, c’est-à-dire d’un allégement ou d’une exonération d'impôt, le montant de l'aide est égal au montant de l'économie brute d'impôt dont bénéficie l'entreprise du fait de l'allégement accordé, en d’autres termes à la différence entre la charge d'impôt que l’entreprise aurait supporté si elle n’avait pas bénéficié du dispositif et celle après prise en compte de la mesure d'aide.
A ce moment, le total des aides sur l’exercice en cours et les deux exercices précédents est établi. Si la dernière aide accordée ne porte pas le total des aides sur les trois exercices fiscaux au-delà du plafond applicable au secteur d’activité de l’entreprise, la nouvelle aide sera éligible au dispositif de minimis. En revanche, si cette aide porte le montant total des aides au-delà du plafond, elle ne pourra être regardée comme une aide de minimis, y compris pour la fraction n'excédant pas le plafond. En d’autres termes, l'aide qui conduit au dépassement du seuil doit être écartée de l’application du dispositif pour la totalité de son montant.
