Introduction

Comme le rappelle Jean-Jacques ROUSSEAU, dans Du Contrat social, « toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle, ce n’est pas une loi ».  Attaché à sa conception de la souveraineté populaire, l’auteur voit dans le référendum une véritable garantie démocratique à même de laisser au peuple, sans que des élus s’y substituent, le choix de valider ou non une législation. Aussi, pour Maurice HAURIOU, le référendum « est la plus importante des manifestations du gouvernement direct » (M. HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, 2ème Ed., Dalloz, 2015, p. 547). La France utilise largement le référendum durant les périodes révolutionnaire et napoléonienne. Cet outil réapparait ensuite après la Libération et plus largement sous la Vème République.

La doctrine constitutionnaliste est venue, de longue date, distinguer plusieurs types de référendums (v. Philippe ARDANT et Bertrand MATHIEU, Droit constitutionnel et institutions politiques, 27e Ed., LGDJ, 2015, p. 171 et s.). Tous n’existent pas en France à l’heure actuelle, à l’image du référendum abrogatif qui permet que les citoyens demandent l’abrogation d’un texte en vigueur : c’est le cas en Italie. Le référendum se distingue, en principe, clairement du plébiscite qui de son côté vise davantage à ce que le peuple face part de sa confiance ou non en un homme providentiel. Pour autant, l’usage du référendum au début de la Vème République a pu être largement plébiscitaire, le Général de gaulle mettant en jeu sa place à la tête dans la France en fonction du résultat de la consultation sur tel ou tel projet. En 1969, cela conduira à son départ après que les Français aient rejeté la réforme du Sénat et des régions qu’il proposait.

Faisant le choix de la démocratie semi-directe, l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Mais le référendum tient-il une place telle, dans l’organisation constitutionnelle française, qu’il correspondrait à l’heure actuelle à un véritable pouvoir du peuple face aux dirigeants politiques ?

Le référendum apparaît effectivement comme un outil démocratique garanti et encadré en France (I), mais il reste largement à l’initiative des dirigeants politiques (II) ce qui a pour conséquence une utilisation pleinement nuancée.

I - Le référendum : un outil démocratique garanti et encadré en France

Le référendum est un outil très précisément prévu dans la Constitution du 4 octobre 1958 (A). Pour autant, son usage reste relativement limité au cours de la Vème République (B).

A - Le référendum prévu par la Constitution du 4 octobre 1958

La Constitution du 4 octobre 1958 prévoit à la fois des référendums constitutionnels et législatifs au niveau national (1), mais aussi des consultations plus locales (2).

1 - Les référendums constitutionnels et législatifs

L’article 89 prévoit la procédure ordinaire de révision constitutionnelle et l’utilisation du référendum dans un tel cadre. Il précise notamment qu’après que le projet de révision ait été adopté par les deux assemblées en des termes identiques, il devient définitif seulement après son approbation par référendum. Toutefois, l’alinéa 3 du même article précise une autre voie qui exclue le référendum : « le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n'est approuvé que s'il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés ».

De son côté, l’article 11 prévoit la procédure du référendum législatif. En effet, il précise que « le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux Assemblées, (…) peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ». La Constitution encadre ainsi les thématiques sur lesquelles un tel référendum peut être organisé. Toutefois, les termes restent suffisamment larges et le Conseil constitutionnel ne se risque pas à écarter le résultat d’un référendum organisé dans le cadre de l’article 11 alors même qu’il ne porterait pas sur les thématiques prévues (v. notamment : Décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Loi relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962). Le résultat du référendum est important puisqu’il entraine la promulgation de « la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation ». Si le peuple répond négativement, « aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date du scrutin ».

2 - Les consultations locales

L’alinéa 2 de l’article 72-1 de la Constitution prévoit notamment que « dans les conditions prévues par (…) une loi organique, les projets de délibération ou d'acte relevant de la compétence d'une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité ». En effet, les collectivités territoriales peuvent ainsi organiser des consultations référendaires, sur un sujet entrant dans leurs compétences, à l’échelle de la collectivité en question. Ces référendums locaux ne peuvent être décisionnels que lorsqu’ils réunissent au moins 50% de participation et s’ils recueillent la majorité des suffrages exprimés.

De même, son alinéa 3 précise que « lorsqu'il est envisagé de créer une collectivité territoriale dotée d'un statut particulier ou de modifier son organisation, il peut être décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits dans les collectivités intéressées. La modification des limites des collectivités territoriales peut également donner lieu à la consultation des électeurs dans les conditions prévues par la loi ». Ce fût notamment le cas pour la création d’une collectivité unique d’Alsace, en avril 2013. Le référendum n’a cependant pas pu déboucher sur un résultat positif, notamment en raison d’une participation trop faible dans les deux départements alsaciens.

Un droit de pétition existe également mais ses conséquences demeurent très marginales en termes d’expression populaire. La population peut ainsi seulement, dans les conditions déterminées par la loi, « demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée délibérante de cette collectivité d'une question relevant de sa compétence », mais pas l’organisation d’une consultation en tant que telle par la suite.

B - Un usage référendaire relativement limité sous la Vème République

Malgré les différents outils référendaires prévus par la Constitution du 4 octobre 1958, l’usage particulièrement large qui en est fait au début de la Vème République (1) laisse la place à une utilisation très marginale par les pouvoirs publics par la suite (2).

1 - Les débuts prometteurs de la Vème République en matière de référendums

Le Général de Gaulle demeurait particulièrement attaché à l’usage du référendum, qui lui permettait de donner la parole au peuple français mais aussi de contourner les oppositions d’autres institutions politiques. En effet, le Général donne une force importante aux référendums : il en organise cinq entre 1958 et 1969 sur différents sujets et engage, le plus souvent, sa responsabilité sur le résultat du vote. Il organise ainsi des référendums dans des moments de crises ou de contestation du pouvoir : au début de la Vème République, avec l’approbation de la nouvelle Constitution en 1958, mais aussi sur la politique algérienne (1961) et les accords d’Évian (1962) un an plus tard. Cherchant une nouvelle légitimité, il consulte aussi les français sur l’élection du président de la République au suffrage universel direct en 1962, avant de les consulter sur la réforme des régions et du Sénat en 1969.

Depuis l’utilisation du référendum en France s’est largement réduite, si bien qu’il faut aujourd’hui faire état d’une utilisation plus que marginale de cet outil démocratique.

2 - L’utilisation récente et marginale du référendum

Après la présidence de Gaulle, ses successeurs ont organisé quelques référendums à un rythme moins soutenu que le premier président de la Vème République. Nombre d’entre eux porteront d’ailleurs sur des questions européennes hormis le référendum sur le statut de la Nouvelle-Calédonie (1988) et le référendum constitutionnel sur le quinquennat (2000). Le dernier référendum national en date est celui de 2005, sur la Constitution européenne, et contre laquelle les français se sont prononcés majoritairement, avec une participation très large qu’il faut souligner. Aucun autre référendum n’a donc été organisé, depuis une quinzaine d’année, au niveau national. Cette « sous-utilisation » peut s’expliquer par différents motifs : l’exécutif craint notamment la contestation populaire ou l’utilisation démagogique qui pourrait résulter du référendum. Aussi, dans un grand pays comme la France, l’organisation de référendums réguliers demande du temps, de l’organisation et de l’argent.

Enfin, la révision constitutionnelle de 2008 est venue ajouter une dérogation à l’article 88-5 de la Constitution qui prévoit que « tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union européenne est soumis au référendum par le Président de la République ». La voie parlementaire, prévue par son alinéa 2 et introduite à l’occasion de cette révision, permet de contourner ce référendum qui demeurait auparavant obligatoire.

Cette méfiance des dirigeants vis-à-vis de la voie référendaire a pour conséquence que le référendum reste exclusivement à l’initiative des dirigeants.

II - Le référendum : un outil restant à l’initiative des dirigeants

L’initiative exclusive des dirigeants, dans le cadre du référendum, résulte notamment d’un refus du référendum d’initiative citoyenne (A) et d’une mise en œuvre très limitée du référendum d’initiative partagée (B).

A - Le refus du Référendum d’initiative citoyenne (RIC)

L’initiative exclusive des dirigeants est prévue par les textes constitutionnels (1), malgré une demande légitime et délicate d’initiative citoyenne (2).

1 - L’initiative des dirigeants prévue par la Constitution

Les articles 11 et 89 laissent pleinement l’organisation des référendums à l’initiative des gouvernants et plus particulièrement à l’initiative de l’exécutif. En effet, c’est le Président de la République, « clef de voûte des institutions », qui est pleinement compétent. Il l’est pour organiser un référendum législatif, sur proposition du gouvernement qu’il a nommé ou des deux chambres. Il l’est également pour choisir de recourir ou non au référendum dans le cadre de la procédure de révision constitutionnelle de l’article 89.

Localement l’organisation d’un référendum, dans le cadre de l’article 72-1, reste aussi à l’initiative des dirigeants de la collectivité territoriale concernée. À aucun moment, la Constitution du 4 octobre 1958 ne fait mention d’une initiative citoyenne ou populaire directe. En Suisse, cette voie existe pleinement avec le recueil d’un certain nombre de signatures qui permet ensuite l’organisation d’une consultation.

En France, la demande apparaît tout à fait légitime, mais aussi compliquée à mettre en œuvre.

2 - Une demande légitime d’initiative citoyenne

Le mouvement des « gilets jaunes » a dernièrement fait figurer parmi ses propositions la tenue de référendum d’initiative citoyenne ou populaire. En effet, les manifestants nombreux dans les premiers mois de l’automne 2018 réclamaient qu’on donne davantage – qu’on redonne  – la parole au peuple (https://www.huffingtonpost.fr/2018/12/06/les-gilets-jaunes-reclament-le-ric-le-referendum-dinitiative-citoyenne_a_23610454).

La demande a pu apparaître légitime, la Constitution laissant l’initiative du référendum entre les mains des dirigeants politiques et ceux-ci organisant de moins en moins de consultations ces dernières décennies.

Cette demande s’est heurtée toutefois aux réticences de l’exécutif et des dirigeants politiques pour plusieurs raisons : la peur de la démagogie où le référendum serait utilisé pour des questions délicates et pouvant opposer violemment les français ; le coût et les difficultés d’organisation ; le risque de remettre largement en cause la démocratie représentative et « la loi expression de la volonté générale » dans le cadre purement législatif. L’instauration du référendum d’initiative partagée (RIP) en 2008 n’aura pas empêché l’émergence de cette demande populaire profonde tant sa mise en œuvre apparaît impossible.

B - La mise en œuvre limitée du Référendum d’initiative partagée (RIP)

L’introduction du RIP dans la Constitution en 2008 avait donné un espoir (1), mais sa très difficile mise en œuvre et le manque d’initiative citoyenne qui y est attaché le remet largement en cause (2).

1 - La réforme constitutionnelle de 2008 : l’introduction du RIP

La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 est venue inscrire un référendum législatif d’initiative partagée aux alinéas 3 et 4 de l’article 11. En effet, ces dispositions précisent qu’un référendum législatif, sur les questions prévues au premier alinéa de l’article 11, « peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an ». Ainsi, il est nécessaire tout d’abord qu’au moins 185 parlementaires se mettent d’accord pour présenter une telle motion, puis qu’ils soient soutenus par près de 4, 5 Millions d’électeurs.

L’introduction de ces dispositions a été vécue, dans un premier temps, comme un véritable espoir par les partisans du référendum. Ce dispositif a mis déjà près de 5 ans avant de pouvoir être appliqué, la loi organique le régissant ayant été seulement adoptée en 2013. Ensuite, il a pu démontrer ses points faibles : les difficultés de sa mise en œuvre qui est quasiment impossible et le manque d’initiative citoyenne dans la procédure prévue.

2 - De l’impossible RIP au manque d’initiative citoyenne

En effet, le dispositif du RIP a démontré ses nombreux points faibles. Le périple est particulièrement difficile avant de pouvoir espérer que le peuple se prononce. Le Conseil constitutionnel est d’abord amené à contrôler le respect des conditions du RIP prévues par la Constitution et par la loi organique. Aussi, seule l’absence d’examen du projet par les deux assemblées dans un délai de six mois permettrait au Président de la République d’organiser un référendum. Aucun RIP n’a d’ailleurs encore été organisé à ce jour en France…

Quant à elle, l’initiative citoyenne est relativement limitée dans cette procédure. L’initiative est avant tout parlementaire, c’est seulement par la suite que les citoyens peuvent se porter signataires. La procédure mise en œuvre contre la privatisation des aéroports de Paris a montré des faiblesses et des difficultés dans la récolte des nombreuses signatures à obtenir : signatures uniquement en ligne, formulaire de renseignements très long à remplir etc. (v. https://www.franceinter.fr/politique/privatisation-d-aeroports-de-paris-le-rip-reste-en-plan).