La notion de démocratie constitutionnelle à la lumière de l'article 16 de la DDHC (dissertation)

Introduction

Aux termes de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC), « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Cet article met en exergue l’importance du respect de l’État de droit, de la garantie d’application des droits des citoyens et de la séparation des pouvoirs pour différencier un régime démocratique d’un régime despotique.

Une Constitution peut être appréhendée comme l’ensemble des lois fondamentales d’un Etat qui définissent les droits et les libertés des citoyens ainsi que l’organisation et les séparations du pouvoir politique. Dans l’ordre juridique interne d’un Etat, elle est considérée comme la norme suprême, elle est placée au sommet de la hiérarchie des normes et les normes de niveau inférieur doivent lui être conformes. La Constitution encadre l’exercice de sa souveraineté par l’État. En effet, si certains auteurs, comme Jean Bodin, ont pu définir la souveraineté comme la « puissance perpétuelle et absolue d’une République », celle-ci se voit être restreinte dans son exercice par les exigences du droit. La séparation des pouvoirs peut quant à elle se définir comme une théorie dont l’objectif est d’obtenir un équilibre entre les trois grands pouvoirs de l’Etat, le pouvoir de faire les lois (législatif), le pouvoir de les exécuter (exécutif) et le pouvoir de rendre les décisions de justice (judiciaire) qui doivent être exercés par trois autorités distinctes et indépendantes dans le but de limiter ces différents pouvoirs.

L’article 16 de la DDHC est édicté le 26 août 1789, pendant la Révolution française. Cet article est rédigé pour mettre fin à la monarchie absolue de droit divin et imposer à la fois l’abolition des privilèges et la séparation des pouvoirs. Cet article a été suivi par la mise en place d’une séparation stricte des pouvoirs, dans laquelle les trois pouvoirs sont organiquement distincts et ne peuvent partager aucune prérogative, contrairement à une séparation souple des pouvoirs qui impliquerait une collaboration entre les pouvoirs, qui sont distincts mais disposent de moyens d’actions réciproques permettant de faire contrepoids entre eux. Le régime de séparation des pouvoirs en France s’est depuis assez considérablement assoupli. Le respect des droits et la séparation des pouvoirs sont garantis en France par la mise en place d’une Constitution écrite en 1791 particulièrement difficile à réviser. L’article 16 de la DDHC acquiert une valeur constitutionnelle avec la décision du Conseil constitutionnel Liberté d’association de 1971, donnant valeur constitutionnelle à tout le bloc de constitutionnalité.

Au vu de ces éléments, il semble pertinent de s’interroger sur les garanties constitutionnelles offertes aux principes reconnus à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Pour répondre à cette problématique il convient de se pencher dans un premier temps sur la nature juridique de l’article 16 de la DDHC (I) avant d’analyser le contrôle juridictionnel permettant d’en garantir le respect (II).

I - La valeur constitutionnelle des principes de la séparation des pouvoirs et de la garantie des droits prévus à l'article 16 de la DDHC

L’article 16 de la DDHC apparaît comme le fondement constitutionnel de deux éléments fondamentaux d’une démocratie constitutionnelle : la garantie des droits (A) et la séparation des pouvoirs (B).

A - L'article 16 de la DDHC comme fondement constitutionnel de la protection des droits et libertés des citoyens

La protection des droits fondamentaux des citoyens, entérinée par la DDHC au moment de la Révolution française (1) est aujourd’hui un principe ayant une force constitutionnelle auxquelles toutes les lois de la République doivent se conformer (2).

1 - Une volonté de protéger les droits des citoyens née de la période révolutionnaire et des lumières

Cet article s’inscrit dans la droite ligne des idées des lumières, tant sur la garantie des droits que la séparation des pouvoirs. Il s’inscrit dans la pensée de Montesquieu, notamment en ce qui concerne la séparation des pouvoirs et l’encadrement de la souveraineté par le droit. Pour Montesquieu, les pouvoirs, principalement l’exécutif et le législatif, doivent se restreindre mutuellement. L’exercice du pouvoir par le monarque ou le Gouvernement républicain doit se faire dans le strict cadre des règles fixées par le droit.

Ces valeurs découlent également de la pensée de Rousseau qui défendait l’idée de donner des pouvoirs accrus au peuple dans Le Contrat Social. L’équilibre des pouvoirs et la répartition des pouvoirs au peuple sont des idées qui se sont développées dans l’évolution de la démocratie constitutionnelle depuis 1789. Montesquieu voyait en effet la démocratie comme un régime libre où le peuple est souverain et sujet et la République comme un régime où le peuple, par ses représentants, détient la « souveraine puissance ». Ces idées, bien qu’elles n’étaient à ce moment-là pas conçues pour défendre la mise en place d’un État de droit, sont celles qui ont sous-tendu la rédaction de l’article 16 de la DDHC et le développement de notre démocratie moderne. Ce texte est aujourd’hui toujours bien présent dans le corpus juridique français et possède depuis 1971 une valeur constitutionnelle.

2 - Des droits ayant aujourd’hui valeur constitutionnelle

Le préambule de la Constitution de 1958 définit le contenu du bloc de constitutionnalité. Il cite en effet les droits de l’homme et les principes de la souveraineté nationale définis par la DDHC de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946 ainsi que les droits et devoirs définis par la Charte de l’environnement de 2004.

La DDHC de 1789 avait à l’origine une valeur uniquement déclarative. Toutefois, par une décision Liberté d’association du 16 juillet 1971, le Conseil constitutionnel donne valeur constitutionnelle au bloc de constitutionnalité. Grâce à cette décision majeure, les principes défendus par l’article 16 de la DDHC, aux côtés du préambule de la Constitution de 1946, puis plus tard de la Charte de l’environnement, sont au sommet de la hiérarchie des normes. Du fait de cette valeur constitutionnelle, les lois doivent se conformer à ces principes, sans quoi celles-ci seraient frappées d’inconstitutionnalité par le Conseil constitutionnel, chargé du contrôle de constitutionnalité des lois.

B - La séparation des pouvoirs comme limite à l'exercice de ses compétences par le souverain

Le principe de la séparation des pouvoirs a été reconnu par la DDHC de 1789 et repris par la plupart des constitutions que la France a connues avec un respect variable selon les périodes (1). Aujourd’hui le principe de la séparation des pouvoirs est un principe à valeur constitutionnelle dont le respect est assuré par le Conseil constitutionnel (2).

1 - Une volonté de séparation des pouvoirs née de l’époque des lumières ayant bénéficié d’un respect à géométrie variable à travers le temps

L’article 16 de la DDHC exprime le fait que les trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, ne doivent pas être réunis entre les mains d’une seule personne. Ainsi qu’exprimé plus haut, cette idée de cloisonnement, plus ou moins rigide, des pouvoirs a été exprimée par un certain nombre d’auteurs. Montesquieu, a par exemple exprimé cette idée au sein de son ouvrage De l’Esprit des Lois ainsi que John Locke dans le Traité du Gouvernement civil. Ces auteurs n’avaient pas nécessairement en tête d’aboutir à un État de droit ni à une République. Ils souhaitaient néanmoins lutter contre l’absolutisme des pouvoirs royaux pour donner davantage de libertés aux citoyens.

Cette idée de séparation des pouvoirs, a été retranscrite dans la DDHC de 1789 pour répartir les compétences du Parlement et du Gouvernement de manière à éviter toute possibilité d’absolutisme. Cette disposition n’a pas toujours eu la force obligatoire qu’elle possède aujourd’hui. La Constitution de la IIe République de 1848 était ainsi marquée par une séparation absolue des pouvoirs, dans laquelle le Président ne pouvait dissoudre l’Assemblée. Elle n’a toutefois pas pu empêcher quatre ans plus tard le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte et la mise en place de la Constitution de 1852 qui était à l’inverse marquée par une concentration des pouvoirs exécutif et législatif entre les mains de Napoléon III. Cette nouvelle Constitution de la IIe République a ainsi par la suite conduit à la mise en place du Second Empire. L’article 16 offre toutefois aujourd’hui des garanties supérieures dans la démocratie constitutionnelle qu’est la France à ce jour du fait de son statut de norme à valeur constitutionnelle.

2 - Un principe de séparation des pouvoirs ayant aujourd’hui valeur constitutionnelle

Cet article conduit aujourd’hui à une répartition des compétences entre le pouvoir exécutif, détenu par le Gouvernement, et le pouvoir législatif, détenu par le Parlement. Les deux pouvoirs possèdent sous la Ve République des mécanisme de responsabilité mutuels afin de s’équilibrer. Aux termes de l’article 12 de la Constitution, le Président de la République peut dissoudre l’Assemblée nationale. L’article 49 de la Constitution donne de son côté à l’Assemblée nationale le pouvoir d’engager la responsabilité du Gouvernement.

Le Parlement et le Gouvernement ont des compétences qui leurs sont propres et sur lesquelles chaque pouvoir ne peut empiéter pour éviter tout risque de dérive autoritaire. De manière plus anecdotique, une des matérialisations de ce principe réside par exemple dans le fait que le Président de la République n’est pas autorisé à pénétrer dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Le principe de la séparation des pouvoirs a valeur constitutionnelle depuis la décision du Conseil constitutionnel Liberté d’association en 1971 donnant ce statut à la DDHC. Le Conseil constitutionnel a pu ainsi rappeler l’importance de ce principe dans sa décision de 2009 Loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision lorsqu’il exprime dans un de ses considérants « qu’aux termes de l’article XVI de la Déclaration de 1789 : “ Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution” ; que la Constitution attribue au gouvernement, d’une part, et au Parlement, d’autre part, des compétences qui leur sont propres ». Le Conseil constitutionnel a ainsi la charge de faire respecter ce principe constitutionnel et de contrôler son application.

II - Le contrôle juridictionnel des principes de l'article 16 de la DDHC

Le contrôle juridictionnel des principes prévus à l’article 16 de la DDHC est assuré dans un premier temps grâce à la séparation des pouvoirs elle-même, garantissant l’indépendance des juridictions (A) et grâce au contrôle de constitutionnalité des lois, garantissant le respect des principes édictés par l’article 16 de la DDHC par les normes inférieures à la Constitution (B).

A - L'indépendance des juridictions, une condition impérative à la garantie des droits et libertés

L’indépendance des juridictions en particulier, et la séparation des pouvoirs en général, est indispensable pour assurer un jugement impartial dans lequel le souverain ne peut s’immiscer (1) et garantir la force exécutoire de la décision de justice (2).

1 - Une indépendance des juridictions indispensable à un jugement juste et impartial

Le principe de la séparation des pouvoirs implique une indépendance des pouvoirs législatif et exécutif pour éviter que le souverain puisse à la fois édicter le droit et le faire appliquer. Celui-ci implique toutefois également une indépendance du pouvoir judiciaire pour que l’exécutif ne puisse contrôler les décisions de justice. L’indépendance du juge judiciaire, en charge de contrôler les relations entre les individus et entre les individus et la société est reconnue par l’article 64 de la Constitution.

Si l’indépendance du juge judiciaire est fondamentale pour éviter des peines politiques et une justice inique, l’indépendance du juge administratif, qui régule les relations entre l’administration et les individus n’en est pas moins importante. Cette indépendance a fait l’objet d’un moindre consensus au sein du pouvoir politique. L’indépendance des juridictions administratives a dû attendre 1980 pour être reconnue par le Conseil constitutionnel comme étant un principe à valeur constitutionnelle et 2008 pour être intégrée à la Constitution. Celle-ci est pourtant fondamentale en ce que la justice administrative peut être amenée à condamner des organes de l’État. Cela a par exemple été le cas dans la très médiatique « Affaire du siècle » au terme de laquelle le tribunal administratif de Paris avait condamné l’État français pour inaction climatique et enjoint le Premier ministre de prendre toutes les mesures utiles pour réparer le préjudice climatique. De la même manière, toujours en matière climatique, le Tribunal administratif de Paris avait condamné l’État français, pour sa gestion de la pollution de l’air, à indemniser deux enfants asthmatiques ayant subi de lourds préjudices du fait de cette pollution. De telles condamnations ne pourraient avoir lieu sans une justice administrative libre, élément fondamental de tout État de droit.

2 - Une indépendance des juridictions indispensable à l’exécution de la peine

La séparation des pouvoirs conduit à faire intervenir tous les pouvoirs à différents niveaux d’une décision de justice. Le pouvoir judiciaire va condamner une infraction à une norme émise par le pouvoir législatif. Le pouvoir exécutif va quant à lui faire exécuter cette condamnation. Chacune de ces étapes implique une indépendance totale de chaque organe. L’État, en matière administrative, peut être amené à exécuter une peine à son encontre même ou à l’encontre d’un individu lié à certains organes de l’État sans qu’aucune pression politique ne puisse être exercée ni sur la décision de justice ni sur son exécution.

L’indépendance de la justice est ainsi fondamentale à la force obligatoire de la décision de justice. Toute décision émise par le pouvoir judiciaire revêt une force exécutoire. Le pouvoir exécutif doit s’y conformer et exécuter la peine (amende, dommages et intérêts, peine de prison, obligation d’agir pour faire cesser le préjudice ou y remédier…), peu importe la personne, l’entreprise ou l’organe subissant la peine. Cette force exécutoire découle directement du principe de séparation des pouvoirs et est reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1998 Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions.

B - Le contrôle de constitutionnalité comme garantie de protection des droits et principes prévus par la DDHC

Le contrôle de constitutionnalité est laissé à la charge du Conseil constitutionnel (1), une institution dont le rôle a grandement évolué pour aboutir à son rôle actuel de gardien des droits et libertés fondamentaux (2).

1 - Le Conseil constitutionnel, institution chargée du contrôle de constitutionnalité

Le Conseil constitutionnel est une juridiction constitutionnelle indépendante ayant la charge du respect de la Constitution. Celui-ci œuvre principalement à cette tâche par le contrôle de constitutionnalité des lois. Les lois étant inférieures à la Constitution dans la hiérarchie des normes, elles doivent respecter la Constitution. Le contrôle de constitutionnalité des lois est un des principes fondamentaux de la démocratie constitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel peut effectuer un contrôle a priori des lois en étant saisi avant la promulgation de la loi par le Président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat ou 60 députés ou 60 sénateurs. Depuis la révision constitutionnelle de 2008, le Conseil constitutionnel peut également effectuer un contrôle a posteriori des lois. Tout citoyen peut désormais saisir le Conseil par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée pour vérifier la constitutionnalité d’une loi dont le prévenu estimerait qu’elle porte atteinte à ses droits et libertés dans le cadre d’un litige en cours.

2 - Une institution au rôle majeur dans la défense des droits et libertés fondamentaux

Le Conseil constitutionnel, en étendant les textes à valeur constitutionnelle en 1971 par sa décision Liberté d’association, a élargi le champ de son contrôle aux droits et libertés fondamentaux reconnus par le préambule de 1946, la DDHC et les Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR). L’institution se pose dès lors comme un acteur majeur de la défense des droits fondamentaux. Le Conseil a évolué d’un contrôle formel de constitutionnalité des lois à un contrôle bien plus poussé portant sur le respect des droits fondamentaux défendus par un corpus de textes élargi. La QPC, introduite par la réforme de 2008, marque une deuxième étape majeure dans la protection des droits des citoyens reconnus par la DDHC ou considérés comme des PFRLR en permettant de contrôler la constitutionnalité de lois parfois anciennes au regard des droits fondamentaux des citoyens comme par exemple sur la question de la présence d’un avocat pendant la garde à vue, ou sur le contrôle d’un juge en cas d’internement psychiatrique.

L’évolution du rôle du Conseil constitutionnel permet ainsi de protéger de nombreux droits comme la liberté d’association, la liberté de conscience ou les droits de la défense grâce au contrôle de constitutionnalité des lois. Le système judiciaire interne dans son ensemble participe également à la garantie du respect de ces droits. De plus, une institution supranationale a également un rôle accru dans la protection de certains droits fondamentaux visés par l’article 16 de la DDHC : la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). La CEDH est en charge de faire respecter les droits prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) dont sont signataires les pays membres du Conseil de l’Europe (dont fait partie la France). Tout citoyen peut saisir la CEDH s’il a épuisé ses droits de recours internes pour faire défendre ses droits. L’institution peut condamner le pays concerné pour le pousser à faire évoluer sa législation et mieux protéger les droits de ses citoyens.