Introduction
L’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Il précise également que « Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret ». Cet article de la Constitution éclaire sur les modalités de désignation des représentants du peuple sous la Ve République et sur les différents modes d’expression de la souveraineté nationale. Cet article est à appréhender à la lumière du texte “Les systèmes électoraux”, issu de l’Encyclopedia Universalis, dans lequel Christophe Voillot revient les conséquences en termes de représentativité du choix d’un mode de scrutin.
Le concept de souveraineté nationale implique que la souveraineté, c’est à dire l’autorité suprême, est détenue par le peuple constitué en corps politique. Le peuple exerce cette souveraineté de manière déléguée en désignant des représentants élus dont les décisions devront exprimer la volonté générale. De ce point de vue, il faut distinguer cette notion de souveraineté nationale de la souveraineté populaire, qui fait quant à elle référence à des mécanismes de démocratie directe (référendum, mandat impératif, assemblées citoyennes…). Concernant les modalités de désignation des représentants du peuple, il est nécessaire de distinguer les notions de suffrage et de scrutin. Le type de suffrage permet de désigner les personnes ayant le droit de voter. Le suffrage peut ainsi être universel (tous les citoyens peuvent voter) ou restreint (limité à une catégorie de population), direct (le peuple vote directement pour un candidat) ou indirect (le candidat est élu par un collège électoral). Le scrutin désigne la façon de départager les votes dans le cadre d’une élection. Le scrutin peut être uninominal (on vote pour un seul candidat) ou de liste (on vote pour une liste de candidats), majoritaire à un ou deux tours, proportionnel, mixte…
Historiquement les modalités de désignation des représentants du peuple ont connu un certain nombre d’évolutions sous la Ve République. L’une des évolutions les plus marquantes concerne l’élection du Président de la République. En 1958, lors de l’instauration de la Ve République, il était élu au suffrage universel indirect. Depuis un référendum de 1962, et à la suite de la volonté de Charles de Gaulle, l’élection du chef de l’Etat se fait au suffrage universel direct. Cette modification du mode de suffrage a eu pour effet de renforcer considérablement le prestige et l’importance du chef de l’Etat, désormais élu par le peuple tout entier. Concernant les députés, ils sont élus pour 5 ans au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Ce mode d’élection a également connu des évolutions sous la Ve République puisque les députés ont été désignés au scrutin proportionnel lors de l’élection de 1986. Ce mode de scrutin a ensuite été abrogé pour revenir au scrutin majoritaire. Concernant les sénateurs, ils sont élus au suffrage indirect avec un mode de scrutin majoritaire dans les départements comptant jusqu’à deux sénateurs et proportionnel pour les départements comptant 3 sénateurs ou plus. La Ve République connaît ainsi des modes de suffrage et de scrutin divers et ayant évolués au fil du temps.
Il apparaît ainsi pertinent de se demander en quoi le choix du mode d’expression de la souveraineté nationale est-il déterminant dans la représentativité du corps politique ?
Afin de répondre à cette problématique, il conviendra d’étudier le fait qu’il existe une crise de la représentativité sous la Ve République, système fondé sur la souveraineté nationale, (I) pour se pencher sur les solutions avancées concernant les modes de scrutins pour améliorer la représentativité du corps politique (II).
I - L'existence d'une crise de la représentation dans un système constitutionnel fondé sur le modèle de la souveraineté nationale
S’il est à noter que la Constitution de la Ve République consacre le suffrage universel comme celui de la République (A), l’expression de la souveraineté nationale reste imparfaite, laissant sourdre une crise de la représentation croissante (B).
A - Une représentativité fondée sur le modèle de la souveraineté nationale et le suffrage universel
Dans son texte Christophe Voillot évoque les “suffrages obtenus par les différents candidats ou listes en présence” qui seront traduits par l’effet du mode de scrutin en “sièges à pourvoir”. Les représentants ayant été élus selon le mode de suffrage idoine représenteront alors le peuple qui exercera sa souveraineté par leur intermédiaire. Ces éléments consacrent l’exercice par le peuple d’une souveraineté nationale (1), et non populaire, et, à la lumière de l’article 3 de la Constitution, du suffrage universel pour l’exprimer (2).
1 - La Ve République, un régime caractérisé par un mode de suffrage consacrant l’exercice par le peuple d’une souveraineté nationale
Si la Ve République est un régime représentatif fondé sur le principe de souveraineté nationale, il est à noter qu’elle intègre certains mécanismes de démocratie directe qui relèvent de la souveraineté populaire. Le premier d’entre eux est le referendum. Ce mécanisme de démocratie directe est en principe caractéristique de la souveraineté populaire. La Constitution de la Ve République dispose toutefois en son article 3 que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum », classant ce mécanisme comme un élément d’exercice de la souveraineté nationale.
Les mécanismes de mise en place du referendum permettent d’ailleurs de relativiser cette introduction d’une certaine souveraineté populaire au sein de la Constitution de la Ve République. Tout d’abord il est à noter que la procédure de révision de la Constitution établie par son article 89 prévoit la mise en place d’un referendum pour amender la Constitution. Toutefois, l’exécutif n’a en réalité presque jamais fait usage du referendum pour réviser la Constitution, préférant faire appel aux représentants du peuple en soumettant la révision à un vote du congrès à la majorité des 3/5e. En outre, le referendum de l’article 11 est également rarement mis en place et son utilisation a souvent été critiquée, notamment lorsque le Général de Gaulle en a fait usage pour réviser la Constitution en 1962 et en 1969. Cette pratique serait d’ailleurs aujourd’hui considérée comme inconstitutionnelle, ainsi que l’a rappelé Laurent Fabius, Président du Conseil constitutionnel, lors de son discours à l’occasion du 65e anniversaire de la Constitution, le 4 octobre 2023.
Ces éléments conduisent à nuancer cette introduction d’une dose de souveraineté populaire dans le régime de la Ve République bien que d’autres mécanismes de démocratie directe ou semi-directe existent comme le referendum d’initiative partagée, dont la procédure très complexe n’a jamais abouti, ou par exemple la Convention citoyenne pour le climat. Autre élément caractérisant pleinement la Ve République comme un régime de souveraineté nationale, l’article 27 de la Constitution précise bien que « tout mandat impératif est nul ». Les représentants du peuples sont élus pour un mandat représentatif par un mode de suffrage aux caractéristiques pouvant être variables mais étant toujours universel.
2 - La consécration du suffrage universel par la Constitution de la Ve République
Concernant le mode de suffrage sous la Ve République, l’article 3 de la Constitution dispose qu’en France le suffrage est « toujours universel, égal et secret ». Le suffrage universel signifie que l’ensemble des citoyens majeurs ont le droit de voter sans aucune distinction. Le suffrage égal signifie que tous les votes ont la même valeur. Enfin le suffrage secret signifie que le vote s’effectue dans un isoloir avec un bulletin anonyme afin de libérer l’électeur de toute pression ou manipulation.
Le suffrage, comme le précise l’article 3 de la Constitution, « peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution ». Le suffrage est notamment direct pour l’élection du Président de la République - l’article 7 de la Constitution prévoit en effet que « Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés » - ainsi que pour l’élection des députés, l’article 24 de la Constitution disposant que « les députés […], dont le nombre ne peut excéder cinq cent soixante-dix-sept, sont élus au suffrage direct ». Le suffrage est en revanche indirect concernant les sénateurs. Aux termes de l’article 24 de la Constitution, en effet, « le Sénat, dont le nombre de membres ne peut excéder trois cent quarante-huit, est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Ainsi, les élus de la Ve République peuvent l’être selon un mode de suffrage très divers mais toujours universel. Cette grande diversité se retrouve également dans le mode de scrutin, tout à fait déterminant pour la représentativité des citoyens en démocratie.
En outre, si des mécanismes de démocratie directe sont d’ores et déjà présents dans la Constitution, leur mise en place est rare et complexe. Les modes de suffrage et de représentation sous la Ve République peinent dès lors à répondre à cette demande de représentativité des citoyens.
B - L'existence d'une crise de la représentation du fait de modes imparfaits d'expression de la souveraineté nationale
Si, comme Christophe Voillot l’expose dans son article « Les systèmes électoraux », « le choix d'un mode de scrutin n'est jamais neutre au regard des luttes politiques et des positions de pouvoir », lui conférant une importance indéniable (1), celui-ci n’est pas le seul mécanisme se devant d’être adapté pour améliorer la représentation de la société au sein du corps politique (2).
1 - L’importance relative du mode de scrutin sur la représentativité
Il peut être aisément constaté que chaque mode de scrutin a ses défauts : représentativité imparfaite de la société, instabilité plus ou moins grande, nécessité d'alliances, soumission à des contingences politiques, multipartisme ou bipartisme... Le choix d'un mode de scrutin n’est ainsi jamais sans conséquences, et peut causer un certain mécontentement de la population, pouvant conduire à une crise de la représentativité.
À l’occasion d’une conférence de presse, le 16 mars 1950, le Général de Gaulle exprime à ce sujet le fond de sa pensée sur la loi électorale : « Je crois, en effet, à l’importance du mode de scrutin. Mais, à mon sens, cette importance est tout à fait secondaire par rapport à celle du régime. Nous avons expérimenté, nous Français, tous les systèmes électoraux possibles et aucun n’a jamais pu compenser la malfaisance du régime des partis ».
La période actuelle est marquée en France par la violence des conflits sociaux, la méfiance envers les institutions et un sentiment de blocage politique. La France traverse une certaine crise des institutions représentatives et des corps intermédiaires (Parlement, partis, syndicats, etc.), une forte abstention, une moindre adhésion aux partis, une méfiance généralisée à l'égard des élites accentuée par l'accroissement des inégalités économiques et sociales. Ainsi que le souligne le Général de Gaulle, une telle crise ne peut se résoudre uniquement en modifiant le mode de scrutin. Les affaires politico-judiciaires ont ainsi par exemple miné durablement la confiance des français vis à vis des élus et des institutions. Un tel problème ne peut pas seulement se résoudre par une réforme de ces dernières. Une modification des modes de scrutin peut constituer une partie de la réponse à cette crise mais n’en est en aucun cas une réponse unique et absolue. L'introduction d'une part de proportionnelle permettrait potentiellement une meilleure représentation des opinions de la société dans leur diversité. La mise en place d’un septennat unique pour le président de la République a également été avancée, permettant un plus grand renouvellement des personnalités se présentant pour cette fonction ainsi que le retour d’une potentielle cohabitation en permettant un vote en cours de mandat pour élire les députés.
2 - Une demande récurrente de mécanismes de démocratie directe de la part des citoyens
Un manque de représentativité des élus est souvent pointé du doigt. L'élu type serait pour certains citoyens un « mâle blanc de plus de 50 ans ». Les femmes, les jeunes, les minorités, les catégories sociales les moins diplômées sont peu représentés parmi les élus. Pour améliorer la représentativité et l’inclusion dans le processus de décision politique d’une plus grande diversité d’acteurs, nombre d’observateurs appellent à la mise en place de mécanismes de démocratie directe au sein de la Ve République.
En premier lieu, il est possible de considérer que la mise en avant de procédures relevant de la souveraineté populaire, notamment le référendum, n’est pas contraire à l’esprit de la Ve République puisque l’article 3 de la Constitution semble mettre sur le même plan le système représentatif et la démocratie directe avec le référendum. Il faut néanmoins noter qu’en pratique le référendum a été très peu utilisé par les successeurs du général de Gaulle. Il faut également distinguer le référendum tel que conçu par le général de Gaulle, à l’article 11 pour les lois ordinaires et 89 concernant les lois constitutionnelles, et le référendum d’initiative citoyenne (RIC) tel que réclamé par le mouvement des gilets jaunes. Benjamin Morel qualifie d’ailleurs ce dernier “d’antigaullien” et d’incompatible avec la Ve République dans une interview donnée au journal Libération en 2019 sur la question. Cela oblige à réfléchir à des procédures innovantes pour répondre à la crise de la représentativité. Des conventions citoyennes ad hoc telles que la convention citoyenne pour le climat peuvent constituer une réponse. Certains observateurs et représentants politiques ont également mis en avant une plus grande ouverture du referendum d’initiative partagée, déjà prévu par la Constitution, pour permettre à cette procédure d’aboutir davantage.
II - Un mode de scrutin en constante recherche d'une meilleure représentativité
S’il existe une multiplicité de modes de scrutin sous la Ve République, ceux-ci pouvant être majoritaire, proportionnel, mixte, uninominal ou encore de liste, (A) le scrutin proportionnel est bien souvent avancé comme une solution à la crise de la représentation, dont il faudra pourtant montrer les imperfections (B).
A - L'existence d'une multiplicité de modes de scrutin pour élire la représentation nationale
Christophe Voillot, dans le texte qui nous est donné à commenter, définit le mode de scrutin comme « un ensemble de règles de droit visant à traduire, dans le cadre d’une élection, les suffrages obtenus par les différents candidats ou listes en présence en sièges à pourvoir ». Il précise également que les règles relatives au mode de scrutin figurent dans « des textes de loi ou dans les constitutions nationales ». La Constitution de la Ve République prévoit une grande multiplicité de scrutins possibles pour élire les représentants du peuple au niveau local comme national. Ces scrutins peuvent être majoritaires ou proportionnels (1). Ces modes de scrutins peuvent également dans certains cas être alternativement de liste ou uninominaux (2).
1 - La dichotomie entre scrutins majoritaire et proportionnel
L’élection des représentants politiques sous la Ve République peut se faire au scrutin majoritaire, au scrutin proportionnel ou au scrutin mixte. Chacun de ces scrutins présente des caractéristiques mais également des forces et faiblesses qu’il convient d’étudier tour à tour. Le scrutin majoritaire se caractérise par la désignation d’un candidat victorieux ayant, au terme de l’élection, remporté le plus de suffrages. Il présente l’avantage d’apporter des résultats électoraux parfaitement lisibles, une absence de coalition gouvernementale, une grande stabilité gouvernementale et une politique claire. Il engendre toutefois, notamment lorsqu’il est à un tour, une disproportion entre le pourcentage des voix obtenus et celui des sièges remportés et donc une surreprésentation du parti vainqueur pouvant conduire à des questionnements quant à la représentativité du candidat élu. Ce mode de scrutin est en vigueur pour l’élection du Président de la République ainsi que des députés.
Le scrutin proportionnel attribue, à l’issue du vote, à chaque formation politique un nombre de sièges proportionnel aux voix obtenues. La représentation proportionnelle engendre naturellement le multipartisme car elle favorise l'existence de petites formations politiques auxquelles elle permet d'obtenir des sièges. Elle est à ce titre considérée comme plus représentative que le scrutin majoritaire et permet généralement à chaque citoyen de voter selon son choix et de faire moins usage de stratégies de vote, souvent appelées « vote utile ». Ce scrutin proportionnel est un scrutin de liste et présente le désavantage que la liste est fixée au niveau national par chaque formation politique, conduisant souvent à une surreprésentation des cadres de chaque formation politique et à une centralisation des élus. Ce scrutin est par exemple utilisé pour les élections au Parlement européen. Il a également été utilisé en 1986 pour les élections législatives et il est souvent question de le réintroduire pour cette échéance électorale. Ce mode de scrutin est toutefois fortement marginalisé sous la Ve République, notamment au niveau national, le scrutin majoritaire lui étant largement préféré.
Le scrutin mixte regroupe des modes de scrutin combinant logiques majoritaire et proportionnelle. Dans certains cas, il s'agit de compenser les effets de surreprésentation de la formation politique ayant obtenu le plus de voix dans le cadre d'un scrutin majoritaire par des dispositions ad hoc, afin que les listes minoritaires soient quand même représentées au sein de l'assemblée concernée. Ce mode de scrutin est en vigueur depuis 1983 pour les élections municipales françaises, dans les villes de plus de 3 500 habitants.
Les scrutins majoritaires ou proportionnels sont eux-mêmes des scrutins uninominaux ou de liste.
2 - Un scrutin pouvant être uninominal ou de liste
Le scrutin uninominal permet l’élection d’une seule personne ayant obtenu la majorité des voix au terme de l’élection. Il s’agit du mode de scrutin utilisé tant pour élire le Président de la République pourvoyant ainsi un poste unique, ainsi que pour élire les députés à l’Assemblée nationale. Concernant les élections législatives, le territoire français est divisé en autant de circonscriptions qu’il y a de postes de député et chaque député est élu au suffrage universel direct selon un scrutin uninominal, majoritaire à deux tours par les habitants de la circonscription.
Le scrutin de liste permet à chaque formation politique de proposer une liste de candidats. Ce scrutin peut être combiné à un scrutin majoritaire. La liste ayant obtenu le plus de voix sort ainsi victorieuse de l’élection et emporte la totalité des sièges. Il peut également être un scrutin proportionnel, chaque liste présentée remportant un nombre de sièges proportionnel à son résultat au terme de l’élection. Ce scrutin de liste se retrouve bien souvent dans les élections locales telles que les régionales, les départementales ou les municipales.
Certains représentants sont élus, selon les cas, à la fois dans le cadre de scrutins proportionnels de liste ou de scrutin uninominal majoritaire. C’est le cas des sénateurs qui sont élus au scrutin majoritaire à deux tours dans les circonscriptions désignant 1 ou 2 sénateurs ou au scrutin de liste à la représentation proportionnelle dans les circonscriptions désignant 3 sénateurs ou plus.
La relation de la Ve République aux modes de scrutin présente toutefois deux caractéristiques principales : une domination du scrutin majoritaire uninominal à deux tours concernant les élections nationales et une présence non négligeable des scrutins de liste avec des aspects proportionnels aux autres élections. En 1958, le choix du scrutin majoritaire à deux tours sera décidé par une ordonnance adoptée en application du dernier article de la Constitution. Il faudra attendre 1962 pour voir le Général de Gaulle recourir au référendum, afin de modifier la Constitution du 4 octobre 1958 pour introduire l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Le Général tranche en avançant deux raisons. Une de principe : « Si l’on veut une majorité, il faut un scrutin majoritaire ». L’autre liée à la tradition : « Le scrutin uninominal à deux tours est le scrutin de la République ».
B - Le scrutin proportionnel : une solution imparfaite à la crise de la représentation
Au sein des gouvernants français subsiste différents clivages par rapport au choix du mode de scrutin. Ainsi que le précise Christophe Voillot, « c’est pourquoi les controverses sur les modes de scrutin peuvent prendre tant d'ampleur, comme c’est le cas de manière récurrente à propos de la représentation proportionnelle en France ». Il conviendra en effet de noter que le scrutin proportionnel reste une solution bien imparfaite à la crise de la représentation (2), ayant d’ailleurs justifié son rejet en 1958 (1).
1 - Le rejet initial de la proportionnelle par les constituants de 1958
Le Général de Gaulle énonce ainsi au sujet du mode de scrutin choisi dans la Constitution de 1958, majoritaire et à deux tours : « Il est indispensable de procéder sans délai au vote d’une loi qui institue un système majoritaire véritable, honnête, à deux tours ». Dans ses Mémoires d’espoir, de Gaulle ne consacre que quelques lignes au choix effectué en 1958 : « Afin d’avoir une majorité, il faut un scrutin majoritaire. C’est ce que décide mon gouvernement (…), rejetant la représentation proportionnelle, chère aux rivalités et aux exclusives des partis mais incompatible avec le soutien continu d’une politique, et adoptant tout bonnement le scrutin uninominal à deux tours ».
Michel Debré, quant à lui, « souhaite inscrire un principe dans la Constitution : le caractère obligatoirement majoritaire du scrutin. C’est ce qu’avaient décidé les constituants de 1848, c’est ce qu’avait souhaité Gambetta en 1881 ». Adversaire résolu de la proportionnelle, « Des partis qui imposent des élus aux électeurs : voilà ce qu’apporte la proportionnelle», Michel Debré la juge comme « une idée fausse de première grandeur ».
2 - Le scrutin proportionnel, une réponse partielle à la crise de la représentation devant être complétée par une évolution de la pratique du pouvoir politique
Une dynamique proportionnaliste est par la suite apparue. Un premier changement a eu lieu lors de la première élection du Parlement européen au suffrage universel en 1979, avec l’adoption d’un scrutin proportionnel national (avec seuil à 5 % des suffrages exprimés). Cette réforme ne s’est toutefois pas immiscée dans les élections françaises avant les législatives de 1986, sous l’impulsion du Président François Mitterrand.
Le scrutin majoritaire aux élections législatives est accusé d’avoir construit un Parlement où les minorités sont très mal représentées. Celui qui est majoritaire est ultra majoritaire, causant un problème de représentation majeure. Les gens ne s’estiment pas représentés en fonction de leur sensibilité politique. Le scrutin proportionnel permettrait de mieux représenter la population française, car le scrutin majoritaire même s'il paraît en théorie efficace, écarte en pratique de toute représentation une partie de la population, qui ne se reconnaît pas dans les formations classiques de gouvernement. Le scrutin proportionnel est d'ailleurs utilisé par nombre de pays européens. Le scrutin majoritaire a en effet le défaut de priver de représentation parlementaire les petites formations politiques et aboutit, notamment lorsqu’il est à un tour, au bipartisme comme c’est le cas en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Avec ce mode de scrutin l’électeur a tendance à voter avant tout pour un candidat ayant une chance de remporter l'élection (ce que l'on appelle le vote utile) au détriment des candidats n'ayant pas de chance d'être élu. Toutefois, ce type de scrutin présente l'avantage d'assurer à un seul parti la majorité absolue des sièges et donc une victoire incontestable.
Le scrutin proportionnel présente à l’inverse l’avantage de permettre aux électeurs de se voir représentés au plus près de leurs opinions et de tendre à neutraliser les stratégies de vote utile. En contrepartie, se retrouve au Parlement une majorité de coalition, étant donné l'absence d'un unique parti vainqueur. L’exécutif est dès lors contraint de former un gouvernement de coalition. Il en résulte également une instabilité gouvernementale probable. Les coalitions conduisent parfois à une surreprésentation des petites formations politiques monnayant chèrement leur soutien aux grandes formations, celui-ci leur étant indispensable à l’obtention d’une majorité.
Le scrutin proportionnel apparaît comme une réponse possible mais néanmoins extrêmement partielle à la crise de la représentativité française. Pour certaines élections, le scrutin proportionnel existe en France aux élections sénatoriales, régionales et européennes, sans toutefois donner à leurs représentants une légitimité ou une visibilité particulière aux yeux de la population française. Un tel changement ne permettrait vraisemblablement pas plus de mobiliser les Français aux urnes. L’élection législative ayant recueilli le plus fort taux de participation de la Ve République est l’élection de 1978, qui était un scrutin majoritaire. De plus, le scrutin proportionnel conduit à une représentation politique très liée aux partis politiques. Or, la défiance de la population vis à vis de la politique est la plus forte concernant les partis. Ce système de représentation tend ainsi à résoudre une crise de la représentativité en mettant paradoxalement en avant sa cause première. En tout état de cause, le scrutin proportionnel demeure encore aujourd’hui au cœur du débat sur les modes de scrutin comme en témoignent les propositions de loi déposées au Parlement visant à instaurer ce mode de scrutin pour les législatives de 2022.
Pour favoriser une plus grande diversité parmi les élus et une meilleure représentativité, plutôt qu'une réforme des modes de scrutin, il peut être intéressant d’explorer certaines pistes touchant davantage à la pratique du pouvoir. Certains ont émis l’hypothèse de favoriser le non-cumul des mandats dans le temps, en limitant par exemple à trois mandats à un même poste, pour permettre le renouvellement de la classe politique avec l'émergence de nouveaux profils plus jeunes. La création d'un véritable statut de l'élu protégeant les élus à la fin de leur mandat, valorisant leur expérience et n'entravant pas la progression de leur carrière permettrait aux salariés du privé et aux ouvriers et employés d'envisager plus sereinement l'exercice d'un mandat politique. Des députés dans une tribune au Monde du 15 mars 2018, proposent que la participation citoyenne devienne une mission parlementaire de valeur constitutionnelle comme les missions énumérées à l’art 24 de la Constitution (voter la loi, contrôler l’action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques). Les parlementaires pourraient alors devenir les vecteurs de la réconciliation entre citoyens et représentants politiques.
Christophe VOILLOT, « Les systèmes électoraux », Encyclopaedia Universalis :
« Qu'est-ce qu'un mode de scrutin ? On peut le définir comme un ensemble de règles de droit visant à traduire, dans le cadre d'une élection, les suffrages obtenus par les différents candidats ou listes en présence en sièges à pourvoir. Ces règles figurent dans des textes de loi ou dans les constitutions nationales. Le choix d'un mode de scrutin n'est jamais neutre au regard des luttes politiques et des positions de pouvoir occupées par les acteurs en mesure d'influencer ce choix. C'est pourquoi les controverses sur les modes de scrutin peuvent prendre tant d'ampleur, comme c'est le cas de manière récurrente à propos de la représentation proportionnelle en France ».
