Introduction
« En vérité, ni l’un ni l’autre sexe de ces deux sexes n’est le mien […] je suis d’un troisième sexe à part qui n’a pas encore de nom ». Dans son roman Mademoiselle de Maupin, Théophile Gauthier entrevoyait déjà les problématiques posées par la division binaire des catégories sexuées et les carcans sociaux qui leur sont attachés. Il réclamait alors un « nom » pour ce sexe « à part ». Or, le temps du droit n’est pas le temps de l’art. Ce n’est que par cet arrêt du 4 mai 2017 que la Cour de cassation a été saisie, pour la première fois, en sa première chambre civile, de la question de la reconnaissance d’une troisième catégorie sexuée « neutre ».
À sa naissance, une personne est inscrite comme étant de sexe masculin. Ne se reconnaissant plus dans cette identité sexuée, le président du tribunal de grande instance (TGI) de Tours est saisi par requête du 12 janvier 2015, aux fins de faire rectifier l’acte de naissance du requérant et substituer la mention « sexe neutre » à celle de « sexe masculin », sur le fondement de l’article 99 du code civil.
Le TGI de Tours, par un jugement en date du 20 août 2015, accueille la demande et ordonne la rectification des actes d’état civil pour que soit mentionnée l’identité sexuée neutre du requérant. Un appel est interjeté, supposément par le ministère public. De cet appel résulte une infirmation du jugement de première instance, par un arrêt de la cour d’appel d’Orléans du 22 mars 2016. Pour statuer en ce sens, les juges de la cour d’appel se fondent d’une part sur l’apparence physique et sociale du requérant, qui se présentait sous une « apparence physique masculine », était engagé dans un mariage hétérosexuel et avait adopté un enfant avec son épouse. D’autre part, ils prennent en considération l’impossibilité qui leur est faite « de faire figurer, à titre définitif, sur les actes d’état civil, une autre mention que sexe masculin ou sexe féminin », renvoyant la question au législateur. Dès lors, le refus de procéder à la substitution de mentions n’était pas contraire au droit au respect de la vie privée du requérant, telle que protégée par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention EDH).
Le requérant forme un pourvoi contre cette décision. A l’appui de son recours, il organise une défense au sein d’un moyen divisé en huit branches. Le requérant rappelle, dans un premier temps (branches 1 à 4), que l’identité sexuée de tout individu est protégée par l’article 8 de la Convention EDH, en tant que composante du droit au respect de la vie privée. Le requérant définit cette identité sexuée comme résultant « de façon prépondérante du sexe psychologique ». Il relève qu’il se considère, psychologiquement, comme intersexué en raison de l’absence de formation d’une partie de ses organes génitaux et de production d’hormone sexuelle. Le fait qu’il présente une apparence masculine est purement artificiel. Il existe donc bien une contradiction entre le sexe ressenti par le requérant et le sexe inscrit sur son acte de naissance. Or, la cour d’appel d’Orléans s’est uniquement fondée sur l’aspect physique du requérant pour rejeter sa demande, alors même qu’elle avait relevé son ambiguïté sexuée. Dans un deuxième temps (branches 5 et 6), le requérant reproche à la cour d’appel d’avoir accordé un poids important à son comportement social. Il rappelle que la différence de sexe n’est plus une condition de mariage ou de l’adoption depuis la loi du 17 mai 2013, et que les juges ne peuvent se fonder sur cet argument pour le maintenir dans le sexe masculin. Par ailleurs et enfin (branches 7 et 8), le requérant soutient que le droit français ne comporte pas de « liste limitative des sexes » pouvant être mentionnés sur les actes de naissance. Il reproche dès lors à la cour d’appel de s’être retranchée derrière l’appel au législateur, alors qu’il lui était possible d’indiquer cette troisième mention « neutre ». Pour le requérant, une telle solution constitue, au cas particulier, une atteinte à son droit au respect de la vie privée tel que garanti par l’article 8 de la Convention EDH, alors même qu’il appartient au juge judiciaire interne d’assurer le respect du requérant à son identité sexuée.
La Cour de cassation, réunie en sa première chambre civile, se trouvait dès lors confrontée à un problème inédit : Est-il possible de faire figurer, sur les actes de l’état civil, une mention autre que celle de « sexe masculin » ou « sexe féminin » ?
Dans un arrêt d’importance du 4 mai 2017, la Cour de cassation apporte une réponse négative à la question posée. Elle pose à titre liminaire que « la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin ».
Une telle règle porte effectivement atteinte à « l’identité sexuelle » telle que garantie par l’article 8 de la Convention EDH. Mais une telle atteinte est justifiée et légitime selon la Cour de cassation : « la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l'état civil poursuit un but légitime en ce qu'elle est nécessaire à l'organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur ». Elle continue sa justification en indiquant que la solution inverse – de reconnaître une troisième mention – « aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes » et qu’un tel changement ne peut relever que du législateur au regard de ses conséquences.
Dès lors, en l’espèce, l’atteinte subie par le requérant du fait du refus de la rectification de la mention de son sexe n’était pas disproportionnée. La solution de la cour d’appel était justifiée par les impératifs précédemment rappelés, et les juges avaient par ailleurs relevé que le requérant « avait, aux yeux des tiers, l'apparence et le comportement social d'une personne de sexe masculin, conformément à l'indication portée dans son acte de naissance ».
La première chambre civile de la Cour de cassation répond ici à une question très attendue et inédite : le droit français autorise-t-il le juge à reconnaître d’autres catégories juridiques sexuées que celles « féminin » et « masculin » ? En elle-même, l’interrogation n’est pas nouvelle mais elle a repris une vitalité certaine par la mise en lumière des personnes dites intersexes, pour lesquelles la détermination du sexe est difficile, voire impossible. Elle s’insère, de plus, dans un contexte de protection des droits fondamentaux des individus, en particulier de leur droit au respect de la vie privée, lequel englobe notamment l’identité sexuée (nous parlerons d’identité sexuée, et non d’identité sexuelle, qui fait davantage référence à l’orientation sexuelle de la personne). La Cour de cassation rejette, sans surprise, la demande du requérant en consacrant l’existence d’un principe de binarité de la division sexuée (I). Si le rejet porte atteinte au droit à l’identité sexuée du requérant, il n’en demeure pas moins proportionné au but poursuivi par la binarité des sexes (II).
I – La consécration du principe de la binarité de la division sexuée
Quelle qu’en soit la teneur, la solution apportée par la Cour de cassation constitue une étape inédite dans la (re ?) construction du droit français de l’état civil au prisme de l’identité sexuée (A). L’affirmation de la binarité des sexes n’en reste pas moins fragile, tant elle peine à convaincre d’un point de vue juridique (B).
A - L'affirmation inédite de la binarité des catégories sexuées
Le caractère inédit de l’affirmation de la binarité des catégories sexuées est d’autant plus retentissant que le positionnement de la Cour de cassation était attendu (1) et nécessaire (2).
1 - Une affirmation attendue
La position de la Cour de cassation face à la question posée par le pourvoi ne fait aucun doute. À la question de savoir s’il est possible de faire figurer, sur les actes de l’état civil, une mention autre que celle de « sexe masculin » ou « sexe féminin », la Cour répond que « la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l'état civil, l'indication d'un sexe autre que masculin ou féminin ».
L’enjeu n’est pas, à proprement parler, nouveau. Les juges du fond ont déjà été confrontés, dans le passé, à la question de la création de catégories sexuées intermédiaires. La réponse apportée était déjà la même que celle de la Cour de cassation. Ainsi, face à un requérant présentant des « anomalies organiques », la cour d’appel de Paris répond que tout individu doit être « obligatoirement rattaché à l’un des deux sexes masculin ou féminin » (Paris, 18 janv. 1974, D. 1974. Jur. 196. V. égal. TGI Dijon, 2 mai 1977 ; TGI Saint-Étienne, 11 juill. 1979).
Cependant, outre l’ancienneté des décisions rapportées, la solution de la Cour de cassation était attendue à plusieurs niveaux. D’une part, jamais les juges du Quai de l’Horloge ne s’étaient prononcés sur la question : l’unité de l’interprétation du droit français exigeait que la question soit réglée par la Cour de cassation elle-même. La Cour ne s’y trompe d’ailleurs pas. Elle offre à l’arrêt étudié une publication large, en ce qu’il est publié au Bulletin des arrêts de la première chambre civile et au Rapport annuel. Par ailleurs, l’arrêt est accompagné d’un communiqué de presse ainsi que d’explications de la solution publiées dans différentes revues juridiques (v. en ce sens la note du premier avocat général à la Cour de cassation : Ph. Ingall-Montagnier, « Quelle mention est-il possible de porter en face de la rubrique ″sexe″ sur les actes d’état-civil ? », JCP G. 2017. 696). Sur la forme, par ailleurs, la Cour opte pour une formulation claire, courte et générale. À l’heure où elle modernise sa rédaction et sa méthodologie, un tel choix démontre sa volonté d’asseoir la règle nouvellement posée.
D’autre part, les arrêts précédemment cités se référaient davantage à des cas de personnes autrefois appelées « transsexuelles ». Or, la discussion sur l’intégration d’une catégorie sexuée « neutre » a pris davantage d’essor avec la reconnaissance de la situation des personnes intersexes. Dès lors, la prise de position de la Cour de cassation n’était pas seulement attendue ; elle était également devenue nécessaire pour les personnes intersexuées ne se reconnaissant dans aucune des catégories sexuées existantes.
2 - Une affirmation nécessaire
Un positionnement de la Cour de cassation, s’il est inédit, était rendu nécessaire par un contexte propice au développement de la question de l’identité sexuée. Depuis les années 1990, le juge du Quai de l’Horloge est en première ligne de l’évolution des droits des personnes transgenres. Bien qu’elle ait refusé en 1975 de modifier les actes de l’état civil d’une personne transgenre, au nom de l’indisponibilité de l’état des personnes, la Cour de cassation accepte depuis 1992 une telle modification, à des conditions strictes. Ces conditions sont abandonnées par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 : le juge ne peut plus refuser de modifier la mention du sexe en se fondant sur l’absence d’intervention chirurgicale ou hormonale, aux termes de l’alinéa 3 de l’article 61-6 du code civil.
Cependant, cette modification reste enserrée dans un choix binaire : le changement de mention ne peut se faire que de la mention « masculin » vers la mention « féminin » ou inversement. Pour autant, au moins deux écueils rendent cet état de droit difficilement tenable. D’une part, l’identité sexuée comprend un aspect psychosocial, qui se refuse à toute catégorisation, dès lors que le changement de sexe est indépendant de toute connotation biologique ou médicale depuis la loi de 2016. D’autre part, et en outre, la composante biologique de l’identité sexuée n’est plus un fondement aussi certain de la binarité des sexes. Le cas des personnes intersexuées, à l’instar du requérant du présent arrêt, le démontre aisément. Les personnes intersexes naissent avec des caractères sexués ne correspondant pas aux définitions traditionnelles binaires masculin ou féminin. Cette ambiguïté des personnes intersexes n’est pas sans conséquence. Le tabou entourant la naissance d’enfants intersexes explique que certains médecins ont cru pouvoir réassigner les nouveau-nés ne présentant pas de caractéristique sexuée claire, au risque d’opérations traumatisantes. Cette réassignation était juridiquement justifiée par l’article 55 du code civil, qui exige que l’enfant soit déclaré dans les cinq jours de l’accouchement (avant la loi du 18 novembre 2016, le délai était de trois jours). L’alinéa 2 de l’article 57 du code civil, modifié par la loi bioéthique du 2 août 2021, renforce la solution déjà retenue par l’article 55 de la circulaire du 28 octobre 2011 et prévoit qu’en cas d’ « impossibilité médicalement constatée de déterminer le sexe de l’enfant au jour de l’établissement de l’acte [de naissance] », le procureur de la République peut autoriser que la mention ne soit indiquée qu’après un délai de 3 mois. Certes, certains juges ont pu admettre que l’erreur à la naissance puisse aboutir à un changement de la mention du sexe (CA Versailles, 22 juin 2000 : Juris-Data n° 134595). Mais ni la circulaire de 2011, ni l’alinéa 2 de l’article 57 du code civil ne prévoient « l’après » de ces enfants intersexes. C’est sur la base de ce « vide juridique » que le TGI de Tours avait accepté la demande du requérant. En effet, ce dernier démontrait bien son intersexuation, en indiquant qu’il ne produisait aucune hormone sexuelle, qu’aucun caractère sexuel secondaire n’était apparu durant son existence ou encore que son appareil génital ne s’était pas développé. De là ressortait une « ambiguïté sexuelle » qu’il ne l’avait pas quitté et qui lui commandait de faire rectifier son acte de naissance.
C’est à ce « vide juridique » que la Cour de cassation répond, en considérant quant à elle que le droit français ne connaît que deux catégories sexuées. Cette affirmation a le mérite de la clarté, mais non celui de la conviction.
B - L'affirmation fragile de la binarité des catégories sexuées
Indépendamment du sens de la solution apportée, la Cour de cassation ne se montre pas pleinement convaincante. Les uns déploreront son manque de motivation, face à une solution sociale d’importance (1). Les autres regretteront le temps où la Cour de cassation était plus audacieuse dans l’interprétation évolutive des textes (2).
1 - Une affirmation en manque de motivation
La Cour de cassation affirme que « la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin ». Elle adopte ici un ton péremptoire, qui tranche avec sa volonté de modifier la méthode de rédaction de ses arrêts, réforme actée dès 2019 mais dont les prémisses se trouvent dès 2016 et 2017. Elle ne peut donc que tomber sous le coup de critiques quant à son manque de justification.
Il peut être regretté, dans un premier temps, l’absence de fondement juridique clair au soutien de la règle de droit posée. Sans empiéter sur nos développements suivants (II – A – 1), un tel fondement apparaît difficile à déceler. L’article 57 du code civil exige que la mention du « sexe de l’enfant » apparaisse sur l’acte de naissance, sans spécifier le spectre de ce « sexe ». D’autres textes se réfèrent, plus ou moins clairement, à l’existence de deux sexes – en évoquant les père et mère, l’époux et la femme, etc. – mais là encore sans que la binarité soit exigée. L’ambiguïté des textes oblige à revenir à leur esprit, et notamment à l’intention du législateur. Pour le législateur de 1804, la binarité des sexes ne faisait aucun doute. L’ambiguïté des textes devrait alors pencher pour un refus de reconnaissance d’une autre catégorie sexuée. Mais le juge ne doit-il pas aussi interpréter les textes au regard des évolutions sociétales ? D’ailleurs, là où la loi ne distingue pas, le juge ne devrait pas avoir à distinguer : en l’absence de texte clair établissant une binarité des sexes, le juge aurait pu s’émanciper et créer cette troisième catégorie. On le remarque donc, aucun texte n’apporte un fondement textuel clair. Un autre texte a pu aiguiller la Cour de cassation : l’article 55 de la circulaire du 28 octobre 2011, précédemment cité. Mais là encore, le texte n’impose pas expressément l’existence de deux catégories sexuées. Bien au contraire, il dispose que « lorsque le sexe d’un nouveau-né est incertain, il convient d’éviter de porter l’indication de "sexe indéterminé" dans son acte de naissance ». Il ne s’agit pas d’interdire la mention d’un sexe autre que masculin ou féminin, mais bien davantage d’éviter une situation contraire à l’intérêt de l’enfant intersexe et surseoir avant de fixer la mention de l’enfant dans son acte de naissance. L’écueil vient surtout du fait que la Cour de cassation fait reposer sa solution sur « la loi française », ce que n’est pas la circulaire de 2011…
La Cour de cassation justifie en outre sa position en indiquant que « la reconnaissance par le juge d'un "sexe neutre" aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination ». Là encore, malheureusement, la Cour de cassation ne nous éclaire pas sur ces « nombreuses modifications législatives de coordination ». La doctrine a ainsi listé les textes pouvant être impactés par l’introduction d’une éventuelle troisième catégorie sexuée. Ces textes existent dans tous les domaines du droit : en droit du travail, en droit électoral, en droit du sport, en droit de la filiation… La distinction binaire sexuée se retrouve aussi dans les prisons, sur les cartes nationales d’identité, mais encore dans l’organisation des toilettes des lieux publics et privés, etc.
Mais ce constat doit être nuancé par deux remarques. Les textes précédemment relevés n’imposent pas, en tant que tel, l’existence d’une binarité sexuée. Ils reposent davantage sur le constat d’une différence sexuée entre les individus et tentent de régler les différences de traitement qui en résultent. Dès lors, ces textes n’interdisent pas le juge de reconnaître une troisième catégorie sexuée, ou a minima, de neutraliser la mention du sexe dans certains cas d’intersexuation. Par ailleurs, il faut noter que le sexe, en tant qu’élément d’identification et de distinction entre les individus perd en vitesse, face à une neutralisation de la société.
C’est donc qu’au-delà d’un manque de motivation, c’est aussi un manque d’audace dont faire preuve la Cour de cassation.
2 - Une affirmation en manque d’audace
Le rôle du juge, et plus particulièrement encore de la Cour de cassation, est d’interpréter les textes sans se substituer au législateur, seul organe élu démocratiquement et représentation de la volonté du peuple. Il n’est donc pas étonnant, et même rassurant, de lire, sous la plume des juges du quai de l’Horloge que la reconnaissance d’une troisième catégorie sexuée « impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination ». En d’autres termes, la Cour de cassation se retranche derrière l’intervention législative pour ne pas renverser la binarité sexuée. Cette lecture de la répartition des compétences entre les pouvoirs est d’ailleurs conforme à l’article 34 de la Constitution, lequel indique que les questions relatives à l’état des personnes sont de la compétence exclusive du législateur.
Pour autant, la Cour de cassation a pu, par le passé, se montrer plus téméraire face à cet état du droit. Ainsi, en matière de responsabilité délictuelle, elle a proposé, au fil des décennies, une lecture audacieuse de l’ancien article 1384 en matière de responsabilité du fait des choses ou du fait d’un tiers. Surtout, c’est la Cour de cassation qui a construit une partie du droit en matière de changement de la mention du sexe à l’état civil. La légalisation de la procédure de changement de 2016 n’a pu se faire que grâce aux tâtonnements des juges judiciaires. L’opportunité était ici laissée à la Cour de cassation de continuer son œuvre prétorienne en matière d’intersexuation. Les juges de cassation auraient alors pu s’affranchir d’une lecture stricte des textes pour les interpréter à la lumière des avancées sociales contemporaines.
Enfin, l’audace aurait pu venir de sa volonté de se conformer aux textes internationaux, et notamment européens. En effet, l’article 8 de la Convention EDH protège le droit au respect de la vie privée des individus. La Cour EDH a une interprétation dynamique de cet article. Il englobe ainsi un grand pan de l’identité des individus. En ce sens, la Cour EDH a pu rappeler que l’identité sexuée était « l’un des éléments les plus essentiels du droit à l’autodétermination » (CEDH, 10 mars 2015, n° 14793/08, YY c/ Turquie) et qu’elle était en ce sens garantie par l’article 8 de la Convention EDH (CEDH 6 avr. 2017, nos 79885/12, 52471/13 et 52596/13, A. P., Garçon et Nicot c/ France). La Cour de cassation suit cette jurisprudence en rappelant à son tour que « l'identité sexuelle relève de la sphère protégée par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ». Mais cela ne suffit pas pour renverser la binarité sexuée.
Peut-on reprocher à la Cour de cassation de ne pas être allée aussi loin dans la reconnaissance d’un « sexe neutre », alors même que la Cour EDH elle-même ne s’y risque pas et ne l’exige pas, au nom de la marge d’appréciation des Etats-membres en raison de l’absence de consensus sur cette question ? Il faut sur ce point noter que la Cour de cassation anticipe une potentielle censure de la part de la Cour EDH : elle effectue un contrôle de proportionnalité, s’assurant ainsi que sa décision est bien dans la continuité de la jurisprudence de la Cour EDH.
II – La proportionnalité du principe de la binarité de la division sexuée
La simple affirmation de la binarité des sexes ne peut plus suffire, à une époque où la Cour de cassation souhaite s’inspirer du contrôle de conventionnalité réalisé par la Cour EDH pour garantir au mieux les droits fondamentaux des sujets de droit. Elle a la charge du contrôle de conventionnalité dit abstrait depuis l’arrêt Jacques Vabre du 24 mai 1975. Cependant, depuis 2013 (Civ. 1re, 4 déc. 2013, n° 12-26.066), elle s’autorise la réalisation d’un contrôle concret de conventionnalité, et plus spécifiquement d’un contrôle de la proportionnalité des intérêts en présence. Dans l’arrêt à commenter, la volonté d’affirmer la binarité des sexes l’emporte sur la réalisation d’un contrôle effectif de conventionnalité : les lacunes du contrôle abstrait de conventionnalité (A) et l’absence de contrôle concret de conventionnalité (B) auront tôt fait de nous en convaincre.
A - La confirmation douteuse de la conformité abstraite de la binarité au droit au respect de la vie privée
L’article 8 de la Convention EDH réprime toute atteinte au droit au respect de la vie privée des individus. Il laisse cependant la porte ouverte à certaines ingérences, qui répondraient aux critères posés par l’alinéa 2 de l’article : l’ingérence doit être « prévue par la loi » et poursuivre l’un des buts légitimes listés. En l’espèce, la condition de l’atteinte prévue par la loi est défaillante (1) et celle tenant au but légitime est critiquable (2).
1 - La condition défaillante : l’atteinte prévue par la loi
Nous avons déjà esquissé (I – B – 1) le problème de fondement de la solution. La Cour de cassation ne pose aucun texte législatif justifiant le maintien de la binarité sexuée. Cette absence de fondement, déjà critiquable du point de vue de la méthodologie interne à la Cour de cassation, devient un obstacle lors de la réalisation du contrôle de conventionnalité. En effet, l’atteinte ne peut être justifiée que si elle est « prévue par la loi ».
On sait que la Cour EDH a une lecture extensive de la légalité attendue. Il n’est pas exigé, stricto sensu, que l’atteinte soit prévue dans un texte de loi du droit en cause. Elle a ainsi pu admettre qu’une règle jurisprudentielle constante était suffisante.
En l’espèce, même en présence d’une lecture extensive et souple de la condition de légalité de l'atteinte, il semble difficile de passer outre l’absence totale de texte prévoyant clairement l’exigence d’une binarité des sexes. Comme vu précédemment, les textes du code civil n’exigent pas clairement une binarité. Certes, la Cour de cassation indique que « la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l'état civil, l'indication d'un sexe autre que masculin ou féminin ». Certes, l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 indique que l’accès aux fonctions publiques ou privées doit être égal entre les femmes et les hommes et les textes du code civil font référence à des qualités juridiques binaires (femme/époux, mère/père…). Mais il ne s’agit que d’une interprétation, qui peut être contestée par une forme d’interprétation inverse. C’est alors pour un manque de démonstration que la Cour de cassation pourrait être sanctionnée par la Cour EDH.
Seul un texte précise que la mention de « sexe indéterminé » n’est pas souhaitable : l’article 55 de la circulaire de 2011. Mais là, au-delà de l’interprétation de ce texte, c’est bien à un problème de valeur normative que se retrouverait confrontée la décision de la Cour de cassation. La circulaire de 2011 n’ayant pas de force normative, a fortiori pas de valeur législative, elle ne remplirait donc pas les critères de l’alinéa 2 de l’article 8 de la Convention EDH.
2 - La condition critiquable : l’atteinte justifiée par un but légitime
Une fois l’atteinte légale, il faut encore qu’elle poursuive un but légitime pour qu’elle soit justifiée. L’alinéa 2 de l’article 8 de la Convention EDH liste ce que sont ces « buts légitimes » : l’atteinte doit être une mesure « nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».
En l’espèce, la Cour de cassation justifie l’atteinte faite au droit au respect de la vie privée du requérant par la nécessité de la binarité des sexes « à l'organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur ». Le but légitime présenté par la Cour de cassation ne concerne ni la sécurité nationale, ni la sûreté publique, ni le bien-être économique du pays, la défense de l’ordre ou la prévention des infractions pénales. Demeure la protection de la santé ou de la morale, ou la protection des droits et libertés d’autrui.
S’agissant de la protection des droits et libertés d’autrui, la Cour de cassation n’explique pas en quoi la cristallisation de deux catégories sexuées « masculin » et « féminin » garantirait les droits et libertés des individus. On peut penser que le maintien de ces catégories permet de lutter plus efficacement contre les différences de traitement. Mais rien n’empêcherait alors le juge d’estimer que l’ajout d’une troisième catégorie renforcerait une telle lutte, en ce qu’elle permettrait de visibiliser les personnes ne se reconnaissant ni dans un sexe, ni dans l’autre.
S’agissant de la protection de la santé, il serait malvenu de la part de la Cour de défendre un tel rapprochement, quand on sait que les enfants intersexes ont connu des opérations chirurgicales de réassignation, pouvant être assimilées à des actes de torture (sur ce point CEDH, 26 avr. 2022, n° 42821/18, M. c. France). Bien au contraire, l’intégration d’autres catégories sexuées, ou la suppression de toute catégorie sexuée, aurait permis une prise en compte du personnel médical ainsi que des parents d’enfants intersexe de l’inutilité de ces pratiques chirurgicales.
Demeure la protection de la morale, qui constitue certainement le but légitime recherché par la binarité des sexes. En effet, quoique l’on puisse en dire, la société française est structurée autour de deux sexes, masculin et féminin. Mais le demandeur au pourvoi ne semble pas vouloir remettre en cause cet état des mœurs. Bien au contraire, c’est en prenant appui sur cet état (il explique d’ailleurs qu’il a dû, au cours de sa vie, se conformer à un comportement social plutôt « masculin ») qu’il relève qu’un vide est laissé s’agissant des personnes non-binaires.
B - L'absence préjudiciable de contrôle de la conformité concrète de la binarité au droit au respect de la vie privée
Nous venons de voir que le contrôle abstrait de conventionnalité réalisé par la Cour de cassation ne remplissait pas les conditions de l’alinéa 2 de l’article 8 de la Convention EDH. Pour autant, la Cour estime que l’atteinte est ici justifiée, et va jusqu’à admettre qu’elle « n'était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ». On peut regretter que les juges de cassation ne réalisent pas ici un réel contrôle concret de conventionnalité, car il aurait eu des conséquences particulières (1) et générales (2) importantes.
1 - Au cas particulier : l’absence de rectification des actes de l’état civil
L’absence de vrai contrôle concret de conventionnalité, et donc de mise en balance des intérêts en présence, est préjudiciable au requérant lui-même. En effet, la Cour de cassation, suivant en cela le raisonnement de la cour d’appel d’Orléans, a fait le choix d’une appréciation générale de la question posée. Elle y répond donc de manière tout aussi générale, indiquant de manière péremptoire que la loi française ne permet pas d’indiquer un « sexe indéterminé » sur les actes de l’état civil (I – B – 1).
Pour autant, le requérant ne demandait « que » la rectification de ses actes de l’état civil, et non une réflexion générale sur l’intégration d’une troisième catégorie sexuée. D’ailleurs, ses arguments sont bien fondés sur un vécu personnel et sur son propre droit au respect de son identité personnelle. Seule la branche 7 du moyen du pourvoi revient sur une approche plus générale du problème.
Cette différence d’approche est visible entre le TGI de Tours et les deux cours. Le TGI de Tours a cherché à résoudre le seul cas particulier du requérant, en accueillant, sur le fondement de son droit au respect de la vie privée, sa demande de rectification de ses actes de l’état civil.
Si la Cour avait suivi le raisonnement prôné par le requérant et les juges de première instance, elle aurait alors pu admettre la réalisation d’un contrôle concret de proportionnalité. Elle aurait mis en balance, d’une part, l’intérêt du requérant à la reconnaissance de sa non-binarité, sur le fondement de son droit au respect de la vie privée, et d’autre part, l’intérêt pour le droit français à ce que tous les sujets de droit soient catégorisés comme « masculin » ou « féminin ». Si un tel contrôle avait été réalisé, la Cour aurait dû considérer que le droit au respect de la vie privée du requérant primait. La solution permettait, en effet, de répondre à un mal-être ponctuel mais documenté par le requérant, sans remettre en cause « l’organisation sociale et juridique » …
Or, en l’espèce, la Cour de cassation ne procède pas à un tel contrôle. Elle ne réalise qu’un contrôle léger du raisonnement émis par la cour d’appel, qui « a pu […] déduire » de ses constatations que l’affirmation d’une binarité sexuée n’était pas disproportionnée au regard du droit au respect de la vie privée du requérant. Le manque d’audace de la Cour de cassation refait, là encore, surface. En effet, une fois affirmée la binarité sexuée, il lui fallait vérifier si cette binarité n’allait pas à l’encontre du droit au respect de la vie privée. Cela n’était pas le cas, pour la cour d’appel d’Orléans, car le requérant « avait, aux yeux des tiers, l'apparence et le comportement social d'une personne de sexe masculin, conformément à l'indication portée dans son acte de naissance ».
La justification nous paraît fragile. Si l’atteinte causée par l’application de la binarité sexuée n’est pas jugée disproportionnée, c’est parce que le requérant avait l’apparence et le comportement social d’un homme (il s’était marié avec une femme et avait adopté un enfant). C’est donc bien un critère physique – celui de l’apparence et du comportement social – qui est pris en compte par les juges d’appel. Aucun autre critère, psychologique ou biologique, n’est pris en compte. Une telle approche est étonnante, dès lors que cette apparence se fonde, en premier lieu, sur un critère biologique : c’est parce qu’il existerait, scientifiquement, deux sexes, et que sur ces deux sexes se sont construit deux « rôles » de genre distincts, que la binarité doit être maintenue. Or, le requérant soutient qu’il souffre de se présenter sous une apparence masculine, qui est purement artificielle car provoquée par un traitement médical et stéréotypée car nécessaire pour son intégration sociale. Il lui est donc, ironiquement, reproché d’avoir voulu s’intégrer en se rapprochant d’une apparence masculine, intégration rendue nécessaire par le diktat de la binarité des sexes. Comme le relève Marie-Xavière Catto, « la décision illustre ainsi parfaitement ce que les études de genre, en sciences sociales, enseignent depuis longtemps. Le sexe de l'état civil a très peu à voir avec la réalité du sexe biologique (qui n'est pas binaire), mais bien plus avec le genre qui, en tant qu'opérateur de la bicatégorisation sexuée, surdétermine et reconstruit la réalité » (M.-X. Catto, « Droit et Genre », D. 2018. 919).
Mais de-là une incertitude : qu’est-ce que le sexe, finalement ? La Cour de cassation nous indique qu’il en existe deux catégories, « masculin » et « féminin ». Mais elle ne nous explique pas les critères sur lesquels elle se fonde pour les déterminer et les rechercher. S’il s’agit d’un critère biologique, il faudrait alors préciser : faut-il faire primer le chromosome sur l’aspect visuel des appareils génitaux de la personne ? Car en l’espèce, le requérant n’a qu’un embryon d’appareil génital, insuffisant pour le catégoriser. S’il s’agit d’un critère social, il faudrait alors se fonder uniquement sur l’apparence. Mais on sent le piège qui se trame, car comment définir ce que doit être un homme ou une femme sans tomber dans des stéréotypes de genre ? Demeure le critère psychologique, versatile et insuffisant pour déterminer, seul, notre identité sexuée.
2 - Au cas général : l’absence de réflexion sur la création d’une catégorie intermédiaire
On perçoit ici que la Cour de cassation refuse d’aller sur un terrain glissant : celui d’une réflexion générale sur la binarité des sexes, sur sa raison d’être, sa pertinence et son avenir. Cette absence de réflexion est préjudiciable, en ce qu’elle ne permet pas de réfléchir à la situation des personnes intersexes.
En 2017, au-delà des deux ans de l’enfant, le sexe devait être inscrit sur les actes de l’état civil, même si aucune certitude n’était apparue. L’enfant, devenu majeur, avait alors la possibilité de modifier la mention de son sexe, mais uniquement en passant par la procédure des articles 61-5 et suivants du code civil. Depuis la loi bioéthique du 2 août 2021, l’article 99 du code civil a été modifié pour permettre une procédure de changement de la mention du sexe réservée aux seules personnes intersexes.
Mais l’application de la binarité sexuée demeure. Fallait-il prendre exemple sur le droit allemand qui, depuis 2013, autorisait que les nouveau-nés présentant une ambiguïté sexuée n’aient pas à préciser leur sexe « féminin » ou « masculin » sur leurs actes de l’état civil, laissant le choix à l’enfant par la suite ? Ou encore sur les droits australien, indien, népalais, qui avaient d’ores et déjà introduit une troisième catégorie sexuée dans leur ensemble normatif qui avait pour ambition de régler le problème des enfants intersexes, mais également des évolutions au cours de l’existence de leurs ressortissants ?
Il semble cependant que la balle est dans le camp du législateur. En effet, la Cour de cassation ne semble pas vouloir revenir sur sa position, aucun arrêt n’ayant cependant été rendu depuis 2017. Pour autant, sa solution a été confirmée par la Cour EDH dans un arrêt de 2023 (CEDH, 31 janvier 2023, Y. c. France, n° 76888/17).
D’autres voies demeurent ouvertes au législateur : supprimer la mention du sexe des documents administratifs ; créer une catégorie sexuée intermédiaire, au risque d’en faire une catégorie « fourre-tout » (R. Nerson et J. Rubellin-Devichi, RTD civ. 1981-2. 841) ou plusieurs catégories… La discussion n’en est donc qu’à ses débuts…
Cass., Civ. 1re, 4 mai 2017, n° 16-17.189
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 22 mars 2016), que M. Y..., né le [...], a été inscrit à l'état civil comme étant de sexe masculin ; que, par requête du 12 janvier 2015, il a saisi le président du tribunal de grande instance d'une demande de rectification de son acte de naissance, afin que soit substituée, à l'indication "sexe masculin", celle de "sexe neutre" ou, à défaut, "intersexe" ;
Attendu qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :
1°/ que le respect de la vie privée suppose en particulier le respect de l'identité personnelle, dont l'identité sexuée est l'une des composantes ; que l'identité sexuée résulte de façon prépondérante du sexe psychologique, c'est-à-dire de la perception qu'a l'individu de son propre sexe ; qu'au cas présent, Jean-Pierre Y... faisait valoir, au soutien de sa demande de rectification de son acte de naissance, qu'il était biologiquement intersexué et ne se considérait, psychologiquement, ni comme un homme ni comme une femme ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de rectification d'état civil présentée par Jean-Pierre Y..., que cette demande était « en contradiction avec son apparence physique et son comportement social », sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la mention « de sexe masculin » figurant sur l'acte de naissance de Jean-Pierre Y... n'était pas en contradiction avec le sexe psychologique de Jean-Pierre Y..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 99 du code civil ;
2°/ qu'en subordonnant la modification de la mention du sexe portée sur l'état civil à la condition que le sexe mentionné ne soit pas en correspondance avec l'apparence physique et le comportement social de l'intéressé, quand la circonstance que la mention du sexe corresponde à l'apparence physique et au comportement social de l'intéressé ne suffit pas à exclure que son maintien porte atteinte à son identité sexuée et donc à sa vie privée, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants en violation des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 99 du code civil ;
3°/ que la cour d'appel a elle-même constaté « qu'en l'absence de production d'hormone sexuelle, aucun caractère sexuel secondaire n'est apparu, ni de type masculin ni de type féminin, le bourgeon génital embryonnaire ne s'étant jamais développé, ni dans un sens ni dans l'autre, de sorte que si Jean-Pierre Y... dispose d'un caryotype XY c'est-à-dire masculin, il présente indiscutablement et encore aujourd'hui une ambiguïté sexuelle » ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de rectification d'état civil présentée par Jean-Pierre Y..., que « Jean-Pierre Y... présente une apparence physique masculine », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations en violation des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 99 du code civil ;
4°/ que, devant les juges du fond, Jean-Pierre Y... faisait valoir que ses éléments d'apparence masculine (barbe, voix grave) étaient uniquement la conséquence d'un traitement médical destiné à lutter contre l'ostéoporose et ne pouvaient donc « être pris en considération pour déterminer son ressenti » quant à son identité sexuée ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de rectification d'état civil présentée par Jean-Pierre Y..., que « Jean-Pierre Y... présente une apparence physique masculine », sans répondre à ce moyen d'où il résultait que cette apparence était purement artificielle et ne relevait pas d'un choix de Jean-Pierre Y..., de sorte qu'elle ne pouvait lui être opposée pour écarter sa demande de rectification d'état civil, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°/ qu'il résulte des articles 143 et 6-1 du code civil, dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, que la différence de sexe n'est pas une condition du mariage et de l'adoption ; qu'en affirmant, pour rejeter la demande de rectification d'état civil présentée par Jean-Pierre Y..., que celui-ci s'était marié et avait, avec son épouse, adopté un enfant, motif impropre à exclure que le maintien de la mention « de sexe masculin » porte atteinte au droit de Jean-Pierre Y... au respect de sa vie privée, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant en violation des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 99 du code civil ;
6°/ que, devant les juges du fond, Jean-Pierre Y... produisait de nombreuses attestations certifiant que son comportement social n'était ni celui d'un homme ni celui d'une femme ; qu'en se bornant à énoncer, pour retenir que Jean-Pierre Y... aurait eu un « comportement social » masculin, qu'il s'était marié et avait, avec son épouse, adopté un enfant, sans analyser, même sommairement, les attestations ainsi produites, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
7°/ que l'article 57 du code civil impose seulement que l'acte de naissance énonce « le sexe de l'enfant » ; que cette disposition ne prévoit aucune liste limitative des sexes pouvant être mentionnés pour son application ; qu'en affirmant « qu'en l'état des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, il n'est pas envisagé la possibilité de faire figurer, à titre définitif, sur les actes d'état civil une autre mention que sexe masculin ou sexe féminin, même en cas d'ambiguïté sexuelle », la cour d'appel a violé l'article 57 du code civil, ensemble le point 55 de la circulaire du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes d'état civil ;
8°/ qu'il appartient au juge de garantir le respect effectif des droits et libertés fondamentaux reconnus à chacun, en particulier par les conventions internationales auxquelles la France est partie, lesquelles ont, dans les conditions posées par l'article 55 de la Constitution, une valeur supérieure à celle des lois ; que, saisi au cas d'espèce de la situation d'une personne intersexuée biologiquement et psychologiquement, il lui appartenait d'assurer le respect du droit de cette personne au respect de sa vie privée, et notamment de son identité sexuée, lequel implique la mise en concordance de son état civil avec sa situation personnelle ; qu'il disposait pour ce faire, en application de l'article 99 du code civil, du pouvoir d'ordonner toute modification de l'acte de naissance nécessaire au respect du droit de la personne qui l'avait saisi à sa vie privée ; que le juge ne pouvait, pour refuser de faire droit à cette requête, affirmer que la demande présentée par Jean-Pierre Y... posait des questions délicates relevant de la seule appréciation du législateur ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 5 et, 99 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l'état civil, l'indication d'un sexe autre que masculin ou féminin ;
Et attendu que, si l'identité sexuelle relève de la sphère protégée par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l'état civil poursuit un but légitime en ce qu'elle est nécessaire à l'organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur ; que la reconnaissance par le juge d'un "sexe neutre" aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination ;
Que la cour d'appel, qui a constaté que M. Y... avait, aux yeux des tiers, l'apparence et le comportement social d'une personne de sexe masculin, conformément à l'indication portée dans son acte de naissance, a pu en déduire, sans être tenue de le suivre dans le détail de son argumentation, que l'atteinte au droit au respect de sa vie privée n'était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi […]
