Introduction
Le législateur n’anticipe pas toutes les difficultés auxquelles peuvent conduire certaines nouvelles réalités sociales, comme l’illustre l’affaire soumise à la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, le 16 septembre 2020, à propos de la filiation d’une personne transgenre non opérée.
Mme J et M. Q sont mariés et ont deux enfants, nés de cette union : C. et W. En 2009, M. Q a saisi le Tribunal de grande instance (TGI) de Montpellier afin de changer la mention de son sexe à l’état civil, ce qui a été accepté par un jugement rendu le 3 février 2011. Désormais de sexe féminin, M. Q devient Mme Q. En 2014, Mme J a donné naissance à un troisième enfant, Mme Q ayant conservé ses appareils reproducteurs masculins. Mme Q demande la transcription à l’état civil de la reconnaissance de maternité qu’elle avait souscrite avant la naissance, ce qui a été refusé par l’officier d’état civil.
Mme Q a saisi le Procureur de la République devant le TGI de Montpellier, en vue de contester le refus opposé par l’officier d’état civil compétent et faire reconnaitre son lien de maternité avec l’enfant né postérieurement à son changement de sexe à l’état civil.
Le 22 juillet 2016, le Tribunal saisi va rejeter la demande, considérant qu’il n’est pas possible de reconnaitre deux liens de filiation maternels biologiques, conduisant à l’obligation pour Mme Q de faire une reconnaissance de paternité, ou de demander l’adoption.
Mme Q a interjeté appel de ce jugement devant la Cour d’appel de Montpellier en joignant l’acte de mariage démontrant le lien marital existant avec Mme J (le lien biologique établi entre elle et son enfant n’étant pas contesté). Sur le fondement du droit au respect à la vie privée, et de l’intérêt supérieur de l’enfant, elle affirme qu’il est nécessaire d’établir un lien de filiation avec son enfant, lequel ne peut pas être un lien de paternité en raison de son changement de sexe à l’état civil. Par ailleurs, ayant un lien biologique avec lui, elle ne peut accepter de passer par l’adoption. Sur le fondement de l’intérêt de l’enfant, le Ministère public indique qu’il est nécessaire que le troisième enfant dispose du même lien de filiation que ses deux frères ainés, rappelant par ailleurs que la filiation maternelle biologique ne s’acquiert que par l’accouchement.
Le 14 novembre 2018, la Cour d’appel confirme le jugement rendu en premier ressort et rejette la demande faite par Mme Q en inscription à l’état civil d’un lien de maternité, mais va l’inscrire sous la mention « parent biologique ». Mme Q forme alors un pourvoi en cassation, considérant qu’il n’est pas possible de retenir le terme de « parent biologique ». Rappelant ses arguments fondés sur le droit à la vie privée et l’intérêt supérieur de l’enfant, elle évoque une discrimination opérée à travers la distinction réalisée entre les mères, selon qu’elles aient accouché ou non. Par ailleurs, le Procureur de la République conteste également la reconnaissance d’une mention « parent biologique » à l’état civil, l’article 57 du Code civil ne permettant que les seules mentions de « père » et de « mère ».
La question qui s’est posée à la Cour de cassation était dès lors la suivante : comment établir la filiation d’un enfant né postérieurement au changement de sexe de l’un de ses parents ayant conservé ses appareils reproducteurs initiaux ?
La Cour de cassation, après avoir rappelé l’existence d’un vide juridique sur la matière, va fonder sa réponse sur les dispositions relatives à l’établissement de la filiation prévues au titre VII du Livre premier du Code civil, lesquelles « s’opposent à ce que deux filiations maternelles soient établies à l’égard d’un même enfant, hors adoption ». Dès lors la personne transgenre homme devenue femme peut faire reconnaitre son lien biologique avec son enfant, en tant que père, conformément à la réalité biologique et à l’intérêt de l’enfant. La reconnaissance d’une mention de parent biologique n’est pas une option au visa de l’article 57 du Code civil.
Ainsi la première chambre civile de la Cour de cassation rejette la demande de transcription d’un lien de filiation maternelle biologique de Mme Q, et casse en partie l’arrêt rendu par la Cour d’appel en rejetant la mention de « parent biologique », renvoyant ainsi le pourvoi devant la Cour d’appel de Toulouse.
Dès lors la Cour de cassation maintient le rejet de la double maternité biologique (I), et limite les solutions ouvertes à la personne transgenre pour faire établir un lien de filiation avec son enfant (II).
I – Le rejet de la double maternité biologique
La Cour de cassation rejette la reconnaissance d’une double maternité biologique (A) sur le fondement du droit à la vie privée et de l’intérêt supérieur de l’enfant (B).
A – L'exclusion de la reconnaissance d'une double maternité biologique affirmée
Pour exclure la reconnaissance d’une double maternité biologique, la Cour de cassation commence par relever l’existence d’un vide juridique (1) avant de se raccrocher à une application stricte de la loi relative à la filiation biologique (2).
1 - La reconnaissance d’un vide juridique dans les règles relatives au transsexualisme
Les articles 61-5 et 61-6 du Code civil, cités par la Cour de cassation, prévoit la possibilité pour toute personne de changer de sexe à l’état civil, dès lors que des faits suffisants permettent d’établir qu’elle ne se présente pas, et n’est pas connue, selon son sexe d’origine. Seule « une réunion de faits suffisants » permet dès lors d’obtenir un changement de sexe. Si la Cour de cassation ne revient pas sur les faits ayant déterminés la reconnaissance du changement de sexe de Mme Q, puisque cette dernière n’est en rien contestée, elle rappelle cependant les conditions permettant un tel changement. Cela s’explique par le fait que celles-ci ont une conséquence directe sur les liens de filiation, comme l’illustre la situation à laquelle les parties ont été confrontées ici.
En effet, auparavant, la jurisprudence fixait des conditions très strictes afin de permettre la reconnaissance d’un changement de sexe à l’état civil. L’assemblée plénière de la Cour de cassation, le 11 décembre 1992 (n°91-11.900) établissait qu’un tel changement ne pouvait être accordé que « lorsqu’à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome de transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe auquel correspond son comportement social ». Autrement dit, il fallait non seulement que la personne soit soumise à une expertise judiciaire psychiatrique, mais en plus qu’elle ait subi une opération irréversible d’ablation de ses parties génitales d’origine.
Aujourd’hui, une telle opération n’est plus nécessaire, ce qui conduit à ce que des personnes transsexuelles conservent leurs organes reproducteurs d’origine, et puissent les utiliser pour faire des enfants. C’est exactement ce qu’il s’est passé dans le cas de Mme Q. Or si l’article 61-8 du Code civil avait envisagé certains effets du changement de sexe, notamment sur le mariage, ou sur les liens de filiation établis avant le changement, le législateur a omis de se prononcer sur le cas où les liens de filiation doivent être établis postérieurement au changement de sexe à l’état civil.
Ainsi la première chambre civile de la Cour de cassation est confrontée à un problème de droit nouveau, auquel le législateur n’avait pas pensé, et auquel la jurisprudence n’avait jusqu’alors pas été confrontée. Ne pouvant se résoudre à faire un déni de justice, prohibé par l’article 4 du Code civil, les juges, ne trouvant pas la solution dans les dispositions relatives au transsexualisme, ont dû chercher des solutions dans les dispositions existantes, à commencer par celles relatives à la filiation biologique.
2 - La stricte application des dispositions relatives à la filiation biologique
Mme Q refusant la solution de l’adoption, la Cour de cassation exclue les dispositions relatives à l’adoption, et se concentre sur celles relatives à l’établissement d’un lien de filiation biologique. Elle rappelle le principe posé par l’article 311-25 du Code civil selon lequel « la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance », précisé par l’article 320 du même code qui prévoit que « la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait ».
A la lecture de ces deux textes, cités par la Cour de cassation, un seul lien de filiation maternelle biologique peut être établi. Le droit établit ici une conformité avec la réalité biologique : deux femmes ne peuvent pas accoucher d’un même enfant. Cet état de fait ne pouvant être contesté, il n’est pas envisagé par le droit français de travestir cette réalité, quand bien même aurait été établi un acte de reconnaissance de filiation antérieurement à la naissance de l’enfant, comme cela a été fait par Mme Q.
Dès lors, la Cour de cassation conclut que les textes s’opposent à la reconnaissance de deux filiations maternelles en matière biologique, et permet ainsi que soit préservée la sécurité juridique en maintenant un cadre ferme dans ce domaine.
B – L'exclusion de la reconnaissance d'une double maternité biologique justifiée
L’exclusion de la reconnaissance d’une double maternité biologique est justifiée sur deux fondements : le droit à la vie privée (1) et l’intérêt supérieur de l’enfant (2).
1 – L’absence d’atteinte au droit à la vie privée
L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, cité par la Cour de cassation, protège le droit au respect de la vie privée. Sur ce fondement, la personne bénéficie d’une protection de sa sphère d’intimité, à commencer par les informations la concernant, qu’il s’agisse de sa santé, ou de son identité. Étonnamment, l’article 9 du Code civil qui protège le droit à la vie privée en droit interne n’est quant à lui pas cité, comme pour faire appel au caractère fondamental de ce droit.
Le droit à la vie privée est ici un argument qui est relevé par Mme Q, qui considère que l’établissement d’un lien de filiation biologique avec son enfant relève de sa vie privée, ni l’État ni les tiers n’ayant à s’immiscer dans cette question. Cependant la Cour de cassation rappelle que l’établissement du lien de filiation ne sera pas révélé au tiers dans les extraits d’actes de naissance qui leur seront communiqués, ce qui conduit à ne pas reconnaitre une violation du droit au respect de la vie privée. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’Homme a eu l’occasion de juger, dans une affaire similaire qui s’est déroulée en Allemagne, que le refus d’inscrire une femme transgenre en tant que mère à l’état civil ne portait pas atteinte au droit au respect à la vie privée (CEDH, 4 avril 2023, A. H. c/ Allemagne, n°7246/20).
La Cour de cassation élude assez rapidement le droit à la vie privée au profit du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’elle semble faire primer pour apporter une solution à l’établissement d’un lien de filiation conforme à la réalité scientifique.
2 – Le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant
La Cour de cassation rappelle que l’article 3§1 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant protège l’intérêt supérieur de l’enfant. Pour rappel, cet article a été reconnu d’application directe par la célèbre décision Lejeune, rendue par la Cour de cassation le 18 mai 2005 (n°02-20.613), permettant ainsi que l’intérêt de l’enfant soit pris en considération en droit interne. Bien que déduit de nombreuses dispositions du Code civil, il ne fait pas l’objet d’une disposition spéciale. Par ailleurs, cette notion n’est pas précisément définie, et ce volontairement afin de lui permettre une application large et adaptée au cas d’espèce. Ici l’intérêt de l’enfant est utilisé à deux fins.
D’une part l’intérêt de l’enfant doit conduire à ce qu’il ne soit pas discriminé. Or l’enfant ici concerné est le troisième d’une fratrie. Les deux premiers enfants ont obtenu l’établissement d’un lien de filiation avec Mme Q comme étant leur père. En effet le changement de sexe de l’un des parents n’a pas d’influence sur l’établissement du lien de filiation préalable au changement. La Cour de cassation prend en considération cet état de fait, qui conduirait à une différence entre les enfants d’une même fratrie : deux auraient Mme Q pour père biologique, l’un aurait Mme Q pour mère biologique à l’état civil. La Cour de cassation craint ainsi une discrimination au sein de la fratrie, par la différence qui risquerait d’être établie.
D’autre part, l’intérêt de l’enfant impose que ce dernier ait une identité qui corresponde aux conditions de sa conception. Ici Mme Q a utilisé ses organes reproducteurs masculins, et n’a pas été enceinte. Seule Mme J a accouché de l’enfant. Établir juridiquement que Mme Q aurait également accouché de l’enfant conduirait à une déformation de la réalité, et ne permettrait pas à l’enfant un établissement conforme à la réalité de son identité.
Ainsi alors que Mme Q invoquait l’argument de l’intérêt de l’enfant pour que soit établi son lien de filiation maternelle biologique avec son enfant, la Cour de cassation renverse cet argument en démontrant que l’intérêt de l’enfant, s’il est bien en jeu, conduit au rejet de sa demande. Dès lors, les solutions ouvertes aux personnes transgenres apparaissent limitées.
II – Les solutions limitées pour la reconnaissance du lien de filiation des personnes transgenres
La reconnaissance d’un lien de filiation à l’égard des personnes transgenres et leur enfant ne peut résulter de la reconnaissance nouvelle d’un sexe neutre, qui est strictement rejetée par la Cour de cassation (A), et oblige à se tourner vers des solutions déjà existantes (B).
A – Le rejet de la reconnaissance d'un sexe neutre
Bien que la proposition de reconnaitre un sexe neutre par la Cour d’appel de Montpellier puisse apparaitre audacieuse (1), elle fera l’objet d’un rejet strict de la part de la Cour de cassation (2).
1 - Une proposition audacieuse
La Cour d’appel de Montpellier a proposé que soit inscrit, à l’état civil, la mention de « parent biologique » pour retranscrire le lien de filiation existant entre Mme Q et son enfant. Cette proposition était audacieuse dans la mesure où elle invitait à créer une nouvelle catégorie, qui n’existe pas en droit. L’idée était d’éviter toute question future sur le cas qui pourrait se présenter à nouveau d’une personne transsexuelle ayant conservé ses organes génitaux d’origine, et voulait établir un lien de filiation avec un enfant né postérieurement au changement à l’état civil.
Cette idée a d’ailleurs été reprise dans une moindre mesure par la loi n°2019-791 du 26 juillet 2019 dite « pour une école de la confiance », qui a conduit à la modification de l’article L.111-4 du Code de l’éducation qui prévoit que les formulaires administratifs permettent de choisir entre les mentions « père », « mère », ou « représentant légal », afin de prendre en compte « la diversité des situations familiales ». Par ailleurs, la loi n°2024-120 du 19 février 2024 visant à garantir le respect du droit à l’image promeut l’usage de la qualification de « parent », excluant celui de « père » ou de « mère » dans les articles qu’elle édicte ou modifie dans le Code civil. Ainsi par exemple l’article 372-1 du Code civil qui mentionnait « les père et mère » vise aujourd’hui « les parents ». Toutefois ici cela se justifie par le fait qu’il n’importe pas que le lien soit d’origine biologique, la Cour d’appel de Montpellier allait en effet plus loin par l’ajout du terme « biologique » au qualificatif « parent ».
Mettant un terme à la catégorisation père / mère, la reconnaissance d’une catégorie neutre mettait un terme à la réalité biologique, au bénéfice d’une réalité juridique construite.
2 - Le rejet unanime
Bien qu’audacieuse, cette solution fut rejetée par toutes les parties. D’abord par Mme Q qui n’était pas satisfaite de cette proposition, tenant à être reconnue comme étant la mère, et non comme un parent neutre. Ensuite, par le Procureur de la République, qui contestait la création par voie prétorienne d’une telle catégorie nouvelle, en dépit de ce qui était imposé par le législateur. Finalement, la Cour de cassation, sur le fondement de l’article 57 du Code civil, et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, a suivi ces raisonnements, considérant que la Cour d’appel ne pouvait créer une nouvelle catégorie à l’état civil, cela étant contraire au droit à la vie privée.
La Cour de cassation met ainsi un frein au pouvoir prétorien de la jurisprudence, qui s’est montrée trop audacieuse, risquant de porter atteinte à la sécurité juridique par l’édiction d’une catégorie nouvelle dont la reconnaissance aurait des conséquences pratiques extrêmement importantes. Par ailleurs, par cette décision, la Cour de cassation conforte la volonté du législateur de faire primer la vérité biologique lorsque cela est possible, tout en rappelant que d’autres solutions existent dans le cas inverse.
B – Les solutions existantes adaptées
Plusieurs solutions existent pour les personnes transgenres, afin de faire reconnaitre leur lien de filiation avec leur enfant, selon leur nouveau sexe (1) ou selon leur sexe initial (2).
1 - L’adoption
La Cour de cassation, comme préalablement la Cour d’appel, rappelle à Mme Q la possibilité d’établir deux liens de filiations maternelles en recourant à l’adoption. Pour rappel, depuis le 17 mai 2013, l’ouverture du mariage pour tous a eu une influence directe sur l’ancien article 346 du Code civil qui prévoyait que l’adoption n’était ouverte qu’aux couples mariés. En effet à compter de cette date, deux personnes du même sexe ont dès lors pu adopter et faire établir leur lien de filiation adoptif avec leur enfant. L’adoption est donc l’un des moyens concrets permettant la reconnaissance d’un double lien de filiation maternel comme paternel à l’égard de l’enfant.
Cependant cette solution ne satisfait pas Mme Q qui dispose d’un véritable lien biologique avec son enfant, et ne correspond donc pas à la situation des adoptants. En effet elle ne peut se résoudre à devoir adopter l’enfant avec lequel elle dispose d’un lien de sang. En effet l’adoption suppose qu’il n’existe pas de lien biologique entre l’enfant et le parent concerné. La solution de l’adoption n’est donc pas satisfaisante, ni pour les parties, ni pour la Cour de cassation qui l’admet à demi-mot, en ne l’évoquant que très subsidiairement. Ainsi cette dernière semble davantage pencher pour la reconnaissance de paternité.
2 - La reconnaissance de paternité
La Cour de cassation, au visa des articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme, rappelle qu’il est possible d’établir un lien de filiation biologique à travers la reconnaissance de paternité.
La Cour de cassation s’appuie sur la réalité scientifique, et sur les moyens par lesquels Mme Q a pu avoir un enfant avec Mme J. Ayant utilisé ses organes génitaux masculins, elle a un lien de paternité qui peut être établi avec son enfant. En effet le lien biologique n’est pas contesté, ce qui explique que la demande d’expertise biologique en première instance ait été refusée à Mme Q : il ne fait aucun doute qu’elle a bien un lien biologique avec son enfant, lequel est renforcé par la présomption de paternité qui existe du fait de son mariage avec Mme J. Cependant, la difficulté n’est pas là : elle a d’une part utilisé ses organes masculins, et elle n’a d’autre part pas accouché elle-même. Ainsi la Cour de cassation reste stricte et invite Mme Q à accepter d’établir son lien de filiation paternelle avec son enfant.
Pourtant, après renvoi devant la Cour d’appel de Toulouse, cette affaire a connu un nouveau rebondissement. En effet le 9 février 2022 (n°20/03128), la Cour d’appel de Toulouse considèrera qu’au regard des réformes relatives à l’assistance médicale à la procréation en date du 2 août 2021 notamment, la reconnaissance de filiation anticipée par deux femmes ne cause ni un trouble à l’ordre public, ni une atteinte à l’intérêt de l’enfant. Elle ne constate pas de contradiction entre les filiations des deux parents biologiques, et reconnait ainsi un double lien maternel, hors adoption. Finalement, suite à ce long périple judiciaire, Mme Q a obtenu gain de cause.
Cass., Civ. 1ère, 16 septembre 2020, n°18-50.080 ; 19-11.251
I - Le procureur général près la cour d'appel de Montpellier, domicilié en son parquet général, 1 rue Foch, 34023 Montpellier cedex 1, a formé le pourvoi n° H 18-50.080 contre un arrêt rendu le 14 novembre 2018 par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre A et B), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme S... Q..., domiciliée [...] ,
2°/ au président du conseil départemental de Vaucluse, domicilié [...] ,
3°/ à Mme B... J..., domiciliée [...] ,
défendeurs à la cassation.
Parties intervenantes :
- l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), dont le siège est [...] ,
- l'Association commune trans et homo pour l'égalité (ACTHE), dont le siège est [...] .
II - Mme S... Q... a formé le pourvoi n° X 19-11.251 contre le même arrêt et contre un arrêt rendu le 21 mars 2018 par la même cour d'appel, dans le litige l'opposant :
1°/ au procureur général près la cour d'appel de Montpellier,
2°/ au président du conseil départemental de Vaucluse,
3°/ à Mme B... J...,
défendeurs à la cassation.
Parties intervenantes :
- l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL),
- l'Association commune trans et homo pour l'égalité (ACTHE).
Le demandeur au pourvoi n° H 18-50.080 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi n° X 19-11.251 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Cotty, conseiller référendaire, les observations de la SCP Colin-Stoclet, avocat de Mmes Q... et J..., de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat du président du conseil départemental de Vaucluse, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des associations APGL et ACTHE, et l'avis de Mme Caron-Deglise, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 23 juin 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Le Cotty, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, MM. Hascher, Vigneau, Mme Bozzi, M. Acquaviva, Mme Guihal, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Gargoullaud, Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, Mme Caron-Deglise, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° H 18-50.080 et X 19-11.251 sont joints.
Intervention
2. L'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) et l'Association commune trans et homo pour l'égalité (ACTHE) sont reçues en leur intervention volontaire accessoire.
Déchéance partielle du pourvoi n° X 19-11.251, examinée d'office
3. Selon l'article 978 du code de procédure civile, à peine de déchéance, le demandeur en cassation doit, au plus tard dans le délai de quatre mois à compter du pourvoi, remettre au greffe de la Cour de cassation un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée.
4. Mme Q... s'est pourvue en cassation contre l'arrêt avant dire droit du 21 mars 2018 mais son mémoire ne contient aucun moyen à l'encontre de cette décision.
5. Il y a lieu en conséquence de constater la déchéance partielle du pourvoi, en ce qu'il est dirigé contre cet arrêt.
Faits et procédure
6. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 14 novembre 2018), Mme J... et M. Q... se sont mariés le [...] . Deux enfants sont nés de cette union, C... le [...] et W... le [...].
7. En 2009, M. Q... a saisi le tribunal de grande instance de Montpellier d'une demande de modification de la mention relative à son sexe dans les actes de l'état civil. Un jugement du 3 février 2011 a accueilli sa demande et dit qu'il serait désormais inscrit à l'état civil comme étant de sexe féminin, avec S... pour prénom. Cette décision a été portée en marge de son acte de naissance et de son acte de mariage.
8. Le 18 mars 2014, Mme J... a donné naissance à un troisième enfant, M... J..., conçue avec Mme Q..., qui avait conservé la fonctionnalité de ses organes sexuels masculins. L'enfant a été déclarée à l'état civil comme née de Mme J....
9. Mme Q... a demandé la transcription, sur l'acte de naissance de l'enfant, de sa reconnaissance de maternité anténatale, ce qui lui a été refusé par l'officier de l'état civil.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi n° X 19-11.251, pris en ses deuxième et quatrième à huitième branches, en ce qu'il est dirigé contre le chef de dispositif rejetant la demande de transcription de la reconnaissance de maternité et les autres demandes de Mme Q...
Enoncé du moyen
10. Mme Q... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de transcription, sur les registres de l'état civil, de la reconnaissance de maternité faite avant la naissance et de rejeter ses autres demandes, alors :
« 1°/ que la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l'état civil, l'indication d'un sexe autre que masculin ou féminin ; que dès lors, ne peut figurer, sur un acte de l'état civil, le lien de filiation d'un enfant avec un « parent biologique », neutre, sans précision de sa qualité de père ou de mère ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il était dans l'intérêt supérieur de l'enfant de voir reconnaître la réalité de sa filiation biologique avec Mme Q... ; que l'établissement d'une filiation par la voie de l'adoption était, en l'occurrence, impossible ; que la cour d'appel a également constaté que le droit au respect de la vie privée de Mme Q... excluait qu'il puisse lui être imposé une filiation paternelle ; qu'il se déduisait de ces constatations, relatives à la nécessité, pour l'intérêt supérieur de l'enfant, de reconnaître la filiation biologique avec Mme Q..., mais l'impossibilité de faire figurer sur l'acte de naissance de M... J... une filiation paternelle à l'égard de Mme Q..., que seule la mention de Mme Q... en qualité de mère, était de nature à concilier l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit au respect de la vie privée de Mme Q... et de M... J... ; qu'en jugeant le contraire, aux motifs inopérants et erronés qu'une telle filiation « aurait pour effet de nier à M... la filiation paternelle, tout en brouillant la réalité de sa filiation maternelle », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant les articles 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les article 3-1 et 7 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant ;
2°/ que dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que, depuis un jugement du 3 février 2011, Mme Q... est de sexe féminin à l'état civil ; que la cour d'appel a constaté que l'existence d'un lien biologique entre Mme Q... et M... J... n'était pas contestée ; qu'en jugeant que l'intérêt de l'enfant M... J... était de voir reconnaître avec Mme Q... un lien de filiation non sexué, aux motifs que l'établissement d'un lien de filiation maternelle aurait pour effet de lui nier toute filiation paternelle et de brouiller la réalité de la filiation maternelle, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si à l'inverse le fait d'établir une filiation non maternelle avec Mme Q... n'était pas susceptible d'entraîner, pour l'enfant, des conséquences négatives, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 3 § 1 et 7 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant ;
3°/ qu'en application de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe ; que cette disposition interdit de traiter de manière différente, sans justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables et prohibe les discriminations liées notamment à l'identité sexuelle des personnes ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que, depuis un jugement du 3 février 2011, Mme Q... est de sexe féminin à l'état civil ; que la cour d'appel a par ailleurs constaté que l'existence d'un lien biologique entre Mme Q... et M... J... n'était pas contestée ; qu'en refusant de faire produire effet à la reconnaissance prénatale de maternité établie par Mme Q... et de reconnaître Mme Q... comme la mère de M... J..., par des motifs inopérants, cependant qu'une personne née femme ayant accouché d'un enfant peut faire reconnaître le lien de filiation maternelle qui l'unit à son enfant biologique, la cour d'appel a créé entre les femmes ayant accouché de l'enfant et les autres mères génétiques une différence de traitement qui ne peut être considérée comme justifiée et proportionnée aux objectifs poursuivis, peu important à cet égard que cela conduise à l'établissement d'un double lien de filiation maternelle biologique, et a violé l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4°/ que le conjoint de même sexe que le parent biologique d'un enfant est autorisé à adopter l'enfant dans le cadre d'une adoption plénière, de sorte qu'un enfant peut se voir reconnaître un lien de filiation avec deux personnes de même sexe ; que si le législateur a estimé qu'une double filiation maternelle ne pouvait être établie que par la voie de l'adoption, c'est pour ne pas porter atteinte à la vérité biologique ; que dès lors, l'établissement d'une double filiation maternelle par la voie de l'accouchement et de la reconnaissance prénatale doit être admise lorsqu'elle n'est pas contraire à la vérité biologique ; qu'en refusant à Mme Q... l'établissement d'un lien de filiation maternelle avec son enfant biologique, par des motifs inopérants tenant notamment au fait qu'elle était de même sexe que la mère biologique de l'enfant avec lequel un lien de filiation maternelle était déjà établi et que la loi nationale ne permettrait pas l'établissement d'une double filiation maternelle, la cour d'appel a créé une différence de traitement non justifiée entre les personnes pouvant adopter l'enfant de leur conjoint et les personnes liées biologiquement à un enfant et a ainsi derechef violé l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5°/ que, en définitive, en refusant de reconnaître l'existence d'un lien de filiation maternelle entre Mme Q... et l'enfant M... J... aux motifs qu'une déclaration de maternité non gestatrice aurait « pour effet de nier à M... toute filiation paternelle, tout en brouillant la réalité de sa filiation maternelle », tandis que la réalité du lien biologique unissant M... J... tant à Mme J... qu'à Mme Q... n'était pas contestée et que les deux filiations maternelles ainsi établies, l'une par la reconnaissance prénatale et l'autre par la mention du nom de Mme J... sur l'acte de naissance après l'accouchement, n'étaient pas concurrentes et ne se contredisaient pas, la cour d'appel a en réalité refusé de faire droit à la demande de Mme Q... en raison de sa transidentité et a, ainsi, violé les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
6°/ que, subsidiairement, le droit au respect de la vie privée et familiale doit être reconnu sans distinction selon la naissance ; qu'un lien de filiation maternelle peut être établi à l'égard d'une mère d'intention ; qu'en l'espèce, outre le lien biologique existant entre Mme Q... et M... J..., il n'était pas contesté que Mme Q... s'est toujours comportée, et se comporte toujours, comme une mère d'intention pour l'enfant ; qu'en application du droit au respect de la vie privée et familiale et de l'intérêt supérieur de l'enfant, la filiation maternelle entre Mme Q... et M... J... doit donc être reconnue et inscrite dans les registres d'état civil de l'enfant ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant et l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
11. Aux termes de l'article 61-5 du code civil, toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l'état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification. Selon l'article 61-6 du même code, le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus d'accueillir la demande, de sorte que la modification du sexe à l'état civil peut désormais intervenir sans que l'intéressé ait perdu la faculté de procréer.
12. Si l'article 61-8 prévoit que la mention du sexe dans les actes de l'état civil est sans effet sur les obligations contractées à l'égard des tiers ni sur les filiations établies avant cette modification, aucun texte ne règle le mode d'établissement de la filiation des enfants engendrés ultérieurement.
13. Il convient dès lors, en présence d'une filiation non adoptive, de se référer aux dispositions relatives à l'établissement de la filiation prévues au titre VII du livre premier du code civil.
14. Aux termes de l'article 311-25 du code civil, la filiation est établie, à l'égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l'acte de naissance de l'enfant.
15. Aux termes de l'article 320 du même code, tant qu'elle n'a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait.
16. Ces dispositions s'opposent à ce que deux filiations maternelles soient établies à l'égard d'un même enfant, hors adoption.
17. En application des articles 313 et 316, alinéa 1er, du code civil, la filiation de l'enfant peut, en revanche, être établie par une reconnaissance de paternité lorsque la présomption de paternité est écartée faute de désignation du mari en qualité de père dans l'acte de naissance de l'enfant.
18. De la combinaison de ces textes, il résulte qu'en l'état du droit positif, une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l'état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n'est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l'enfant, mais ne peut le faire qu'en ayant recours aux modes d'établissement de la filiation réservés au père.
19. Aux termes de l'article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. Selon l'article 7, § 1, de cette Convention, l'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux.
20. L'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».
21. Aux termes de l'article 14, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
22. Les dispositions du droit national précédemment exposées poursuivent un but légitime, au sens du second paragraphe de l'article 8 précité, en ce qu'elles tendent à assurer la sécurité juridique et à prévenir les conflits de filiation.
23. Elles sont conformes à l'intérêt supérieur de l'enfant, d'une part, en ce qu'elles permettent l'établissement d'un lien de filiation à l'égard de ses deux parents, élément essentiel de son identité et qui correspond à la réalité des conditions de sa conception et de sa naissance, garantissant ainsi son droit à la connaissance de ses origines personnelles, d'autre part, en ce qu'elles confèrent à l'enfant né après la modification de la mention du sexe de son parent à l'état civil la même filiation que celle de ses frère et soeur, nés avant cette modification, évitant ainsi les discriminations au sein de la fratrie, dont tous les membres seront élevés par deux mères, tout en ayant à l'état civil l'indication d'une filiation paternelle à l'égard de leur géniteur, laquelle n'est au demeurant pas révélée aux tiers dans les extraits d'actes de naissance qui leur sont communiqués.
24. En ce qu'elles permettent, par la reconnaissance de paternité, l'établissement d'un lien de filiation conforme à la réalité biologique entre l'enfant et la personne transgenre - homme devenu femme - l'ayant conçu, ces dispositions concilient l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit au respect de la vie privée et familiale de cette personne, droit auquel il n'est pas porté une atteinte disproportionnée, au regard du but légitime poursuivi, dès lors qu'en ce qui la concerne, celle-ci n'est pas contrainte par là-même de renoncer à l'identité de genre qui lui a été reconnue.
25. Enfin, ces dispositions ne créent pas de discrimination entre les femmes selon qu'elles ont ou non donné naissance à l'enfant, dès lors que la mère ayant accouché n'est pas placée dans la même situation que la femme transgenre ayant conçu l'enfant avec un appareil reproductif masculin et n'ayant pas accouché.
26. En conséquence, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a constaté l'impossibilité d'établissement d'une double filiation de nature maternelle pour l'enfant M..., en présence d'un refus de l'adoption intra-conjugale, et rejeté la demande de transcription, sur les registres de l'état civil, de la reconnaissance de maternité de Mme Q... à l'égard de l'enfant.
Mais sur le moyen du pourvoi n° H 18-50.080
Enoncé du moyen
27. Le procureur général près la cour d'appel de Montpellier fait grief à l'arrêt de juger que le lien biologique doit être retranscrit par l'officier de l'état civil, sur l'acte de naissance de la mineure sous la mention de Mme S... Q..., née le [...] à Paris 14e comme « parent biologique » de l'enfant, alors « que selon les dispositions de l'article 57 du code civil, l'acte de naissance d'un enfant mentionne ses seuls « père et mère », qu'en créant par voie prétorienne, une nouvelle catégorie non sexuée de « parent biologique », la cour d'appel de Montpellier, même en faisant appel à des principes supérieurs reconnus au niveau international, a violé les dispositions de l'article 57 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 57 du code civil, ensemble l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
28. La loi française ne permet pas de désigner, dans les actes de l'état civil, le père ou la mère de l'enfant comme « parent biologique ».
29. Pour ordonner la transcription de la mention « parent biologique » sur l'acte de naissance de l'enfant M... J..., s'agissant de la désignation de Mme Q..., l'arrêt retient que seule cette mention est de nature à concilier l'intérêt supérieur de l'enfant de voir établir la réalité de sa filiation biologique avec le droit de Mme Q... de voir reconnaître la réalité de son lien de filiation avec l'enfant et le droit au respect de sa vie privée consacré par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le terme de « parent », neutre, pouvant s'appliquer indifféremment au père et à la mère, la précision, « biologique », établissant la réalité du lien entre Mme Q... et son enfant.
30. En statuant ainsi, alors qu'elle ne pouvait créer une nouvelle catégorie à l'état civil et que, loin d'imposer une telle mention sur l'acte de naissance de l'enfant, le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressées y faisait obstacle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les première et troisième branches du moyen du pourvoi n° X 19-11.251 ni de saisir la Cour européenne des droits de l'homme pour avis consultatif, la Cour :
CONSTATE la déchéance partielle du pourvoi n° X 19-11.251 en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt avant dire droit du 21 mars 2018 ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de transcription sur les registres de l'état civil de la reconnaissance de maternité de Mme S... Q... à l'égard de l'enfant M... J..., l'arrêt rendu le 14 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize septembre deux mille vingt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi n° H 18-50.080 par le procureur général près la cour d'appel de Montpellier.
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation de la loi, en l'espèce l'article 57 du Code civil :
En ce que :
l'arrêt, au double constat de l'impossibilité légale d'établir un lien de filiation à l'égard de deux personnes de même sexe mariées si ce n'est par la voie de l'adoption et de l'existence -non contestée- d'un lien biologique unissant l'enfant M... J... à Madame S... Q..., épouse de B... J... , a jugé que ce lien biologique devait être retranscrit par l'officier d'État civil, sur l'acte de naissance de la mineure sous la mention de Madame S... Q... née le [...] à Paris XIVe comme « parent biologique» de l'enfant ;
Aux motifs que :
l'intérêt supérieur de l'enfant tel que défini par la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989 et notamment ses articles 3-1 et 7, imposait comme le demandait subsidiairement B... J..., « d'établir judiciairement la filiation de M... J... à l'égard de ses deux parents biologiques» ;
que seule, la mention sur l'acte de naissance de l'enfant de Madame Q... comme « parent biologique» était de nature à concilier l'intérêt supérieur de l'enfant de voir établir la réalité de sa filiation biologique avec le droit de Madame Q... de voir reconnaître la réalité de son lien de filiation avec sa fille mineure et le droit au respect de sa vie privée consacrée par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ne lui imposant pas un retour à son ancien sexe, même par le détour limité au rétablissement de la présomption de paternité, le terme de « parent », neutre, pouvant s'appliquer indifféremment au père et à la mère, la précision « biologique » établissant de son côté, la réalité du lien entre Madame Q... et son enfant;
Alors que :
selon les dispositions de l'article 57 du Code civil, l'acte de naissance d'un enfant mentionne ses seuls «père et mère »,
qu'en créant par voie prétorienne, une nouvelle catégorie non sexuée de « parent biologique », la cour d'appel de Montpellier, même en faisant appel à des principes supérieurs reconnus au niveau international, a violé les dispositions de l'article 57 du Code civil.
Moyen produit au pourvoi n° X 19-11.251 par la SCP Colin-Stoclet, avocat aux Conseils, pour Mme Q....
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de transcription sur les registres de l'état civil de la reconnaissance de maternité de Mme S... Q... à l'égard de l'enfant M... J..., d'avoir dit qu'il est dans l'intérêt de l'enfant M... J... née le [...] à Montpellier (34) de voir ce lien biologique retranscrit sur son acte de naissance sous la mention de Mme S... Q... née le [...] à Paris 14ème comme « parent biologique » de l'enfant ; d'avoir ordonné la transcription de cette mention sur l'acte de naissance de l'enfant M... J... et d'avoir débouté Mme Q... de ses autres demandes ;
AUX MOTIFS QUE le litige porte sur la question de savoir si une seconde maternité de l'enfant M... peut être établie au profit de Mme Q... en application des dispositions de l'article 316 du code civil, comme l'affirment principalement Mme Q... et Mme J..., ou si celle-ci est impossible, comme l'affirme le Ministère public dès lors qu'en droit français c'est l'accouchement qui définit la filiation maternelle biologique et que cette filiation maternelle a déjà été établie conformément aux dispositions de l'article 311-25 du code civil par le seul fait de l'accouchement, l'UDAF estimant pour sa part qu'il est de l'intérêt de l'enfant de voir établi que Mme Q... est le père biologique de l ‘enfant de manière à ce que M... J... bénéficie ainsi de la même filiation que ses deux frères ainés ; qu'au soutien de leurs demandes respectives, Madame Q..., Madame J..., et l'UDAF font état en outre du principe de l'intérêt supérieur de l'enfant et celui du droit au respect de la vie privée, les premières pour fonder juridiquement la retranscription à l'état civil de l'acte notarié de reconnaissance prénatale souscrit par Madame Q..., la seconde pour demander que Madame Q... soit reconnue comme le père biologique de cet enfant, traduisant ainsi une conception différente de ce qui constitue dans le cas d'espèce l'intérêt de l'enfant ; que Mme Q... soutient plus particulièrement que son rapport de filiation avec M... J... ne peut constituer un rapport de filiation paternelle, puisqu'elle est devenue femme, et qu'il doit, pour ce motif, être qualifié de rapport de filiation maternelle, avec la précision qu'il s'agit d'une « maternité non-gestatrice », qui n'entre pas en conflit avec la maternité gestatrice de Madame B... J..., mais au contraire la « complète » ; qu'elle conteste en outre la voie de l'adoption moralement et juridiquement impossible, qui lui est fermée en tout état de cause du fait de l'opposition de Madame J... à cette procédure d'adoption ; qu'elle observe que la confirmation de la décision entreprise aurait pour conséquence de la priver de toute possibilité de faire reconnaître son lien de filiation avec l'enfant, en contradiction avec les dispositions de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui garantissent le respect de sa vie privée, et en contradiction avec l'intérêt de l'enfant ; que la cour observe que la loi du 18 novembre 2016 qui a modifié les modalités de changement juridique de sexe ne comporte de fait aucune disposition spéciale relative à la déclaration à l'état civil d'une enfant née postérieurement au changement juridique de sexe de son auteur ; que le législateur s'est en effet borné à préciser, dans l'article 68-1 de la loi nouvelle que le changement de sexe restera sans incidence sur la filiation des enfants nés de la personne avant ce changement sans envisager la possibilité pourtant démontrée par ce dossier qu'un enfant naisse des relations sexuelles de deux personnes reconnues de sexe féminin ; que le visa par l'appelante de l'article 21 de la loi du 17 mai 2013 qui dispose que « le mariage entre personnes de même sexe contracté avant l'entrée en vigueur de la présente loi est reconnu, dans ses effets, à l'égard des époux et des enfants, en France » est inopérant au cas d'espèce car cet article concerne exclusivement les mariages entre personnes de même sexe contractés dans les pays étrangers qui en reconnaissent la validité alors que la France ne la reconnaissait pas encore, et qu'il avait pour but, en tant que mesure transitoire, de consolider leur situation ; qu'il apparaît à la seule lecture de la loi nationale un vide juridique quant au droit applicable à la situation particulière de Madame Q... et l'impossiblité d'une double reconnaissance maternelle selon l'argumentaire développé par les juges du premier degré et par le parquet général ; que néanmoins, le jugement déféré est critiquable en ce que, nonobstant l'interprétation qu'il fait des dispositions de l'article 316, il s'est limité pour statuer sur la demande de Madame Q... à considérer les seules dispositions du droit national, sans examiner si ces dispositions n'étaient pas contraires à l'intérêt supérieur de l'enfant d'une part, au respect du droit à la vie privée de Madame Q... et/ou de M... J... d'autre part ; qu'une disposition de la loi ne saurait en effet en raison du principe de la hiérarchie des normes qui régit notre ordonnancement juridique aller en contradiction avec des dispositions du droit international issues d'une convention régulièrement ratifiée par la France ;qu'il convient de rappeler à cet égard l'intérêt supérieur de l'enfant tel qu'il a été posé par l'article 3-1 de la déclaration internationale des droits de l'enfant (ci-après la CIDE) qui stipule : « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale » ; que la CIDE reconnaît également à l'enfant dans son article 7 « dans la mesure du possible le droit de connaître ses parents et d'être éduqué par eux » ; qu'à cet égard il n'est contesté par aucune partie la réalité de la filiation biologique de l'enfant M... J..., issue des relations sexuelles de Madame J... et de Madame Q... ; qu'il est manifeste qu'il est de l'intérêt supérieur de l'enfant de voir établir la réalité de sa filiation à l'égard de Madame Q... ; qu'il convient d'évoquer, à titre d'illustration de cette réalité, la situation qui résulterait pour M... du décès de Madame Q... en l'absence de tout lien de filiation reconnu avec son enfant, créant ainsi une inégalité de fait en matière de succession entre les trois enfants issus pourtant de la même union, ou, pour le cas où Madame J... et Madame Q..., toujours unies par les liens du mariage, divorceraient, les difficultés qui pourraient en résulter : l'exercice même de l'autorité parentale de cette dernière pouvant alors être contesté, alors qu'il est de l'intérêt de l'enfant que celle-ci puisse être exercée par ses deux parents ; qu'il est non moins certain que cette filiation ne saurait être établie par la voie de l'adoption, outre que celle-ci est rendue impossible par le refus de Madame J... - refus qui ne saurait constituer un abus de droit, dans la mesure où, comme son enfant, Madame J... a intérêt à ce que soit reconnu la réalité du lien biologique unissant M... à Madame Q... - elle viendrait directement à l'encontre de l'intérêt supérieur de M... de voir reconnaître à l'égal de ses frères la réalité de sa filiation biologique, et non pas la fiction d'une filiation par voie d'adoption ; que c'est d'ailleurs au regard de cet intérêt supérieur de M... J... à voir reconnaître la vérité de sa filiation biologique qu'il apparaît à la Cour qu'il ne peut pas être fait droit à la demande de Madame Q... d'être déclarée comme mère non gestatrice ; que cette déclaration aurait pour effet de nier à M... toute filiation paternelle, tout en brouillant la réalité de sa filiation maternelle, et qu'il convient sur ce point de confirmer la décision des premiers juges ; que même si la cour considère que notre droit offrait la possibilité à Madame Q..., tout en conservant son identité de femme, de se reconnaître comme le père biologique de l'enfant M..., une reconnaissance qui aurait traduit la réalité d'une situation certes complexe, le droit au respect de la vie privée de Madame Q..., dans la mesure où il n'est pas incompatible avec l'intérêt supérieur de l'enfant, qui doit prévaloir en tout état de cause, exclut qu'on puisse lui imposer cette reconnaissance de paternité ; qu'imposer à Madame Q... un retour à l'ancien sexe, même par le détour limité au rétablissement de la présomption de paternité, reviendrait en effet à la contraindre à renoncer partiellement à l'identité sexuelle qui lui a été reconnue et constituerait une ingérence dans le droit au respect de sa vie privée et de celle de l'enfant, dans la mesure où chaque production de son livret de famille serait l'occasion d'une révélation de la transidentité de son auteur, nonobstant par ailleurs le risque pour l'un et l'autre de discrimination ou d'intolérance ; que dans ces circonstances il est apparu à la cour qu'outre la reconnaissance de la pleine autorité parentale à Madame S... Q..., il convenait de faire droit à la demande subsidiaire de Madame J... « d'établir judiciairement la filation de M... J... à l'égard de ses deux parents biologiques », seule la mention sur l'acte de naissance de M... J... de Madame Q... comme « parent biologique » étant de nature à concilier l'intérêt supérieur de l'enfant de voir établi la réalité de sa filiation biologique avec le droit de Madame Q... de voir reconnaître la réalité de son lien de filiation avec son enfant M... et le droit au respect de sa vie privée consacré par l'article 8 de la CEDH, le terme de « parent »" - neutre, pouvant s'appliquer indifféremment au père et à la mère, la précision, « biologique » - établissant de son côté la réalité du lien entre Madame Q... et son enfant ; que cet état sera donc mentionné sur l'acte de naissance de l'enfant ;
1°) ALORS QUE la loi fixe les règles concernant l'état des personnes ; que s'il incombe au juge de statuer au regard du droit existant, il ne lui appartient pas de créer de nouvelles catégories juridiques de personnes ; que les dispositions du code civil relatives à la filiation ne font référence qu'au père et à la mère, pour établir une filiation, à l'exclusion de toute mention d'une catégorie « neutre » intitulée « parent biologique » ; qu'en l'espèce, en refusant à Mme S... Q... de transcrire sur l'acte de naissance de M... J... la reconnaissance prénatale de maternité du 14 mars 2014 pour y substituer la mention de « parent biologique » tandis qu'une telle catégorie n'existe pas en droit français, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs, violant l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;
2°) ALORS QUE la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l'état civil, l'indication d'un sexe autre que masculin ou féminin ; que dès lors, ne peut figurer, sur un acte de l'état civil, le lien de filiation d'un enfant avec un « parent biologique », neutre, sans précision de sa qualité de père ou de mère ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il était dans l'intérêt supérieur de l'enfant de voir reconnaître la réalité de sa filiation biologique avec Mme S... Q... (arrêt, p. 11 § 1) ; que l'établissement d'une filiation par la voie de l'adoption était, en l'occurrence, impossible (arrêt, p. 10 in fine et p. 11 § 1) ; que la cour d'appel a également constaté que le droit au respect de la vie privée de Mme S... Q... excluait qu'il puisse lui être imposé une filiation paternelle (arrêt, p. 11 § 3 et 4) ; qu'il se déduisait de ces constatations, relatives à la nécessité, pour l'intérêt supérieur de l'enfant, de reconnaître la filiation biologique avec Mme S... Q..., mais l'impossibilité de faire figurer sur l'acte de naissance de M... J... une filiation paternelle à l'égard de Mme S... Q..., que seule la mention de Mme S... Q... en qualité de mère, était de nature à concilier l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit au respect de la vie privée de Mme Q... et de M... J... ; qu'en jugeant le contraire, aux motifs inopérants et erronés qu'une telle filiation « aurait pour effet de nier à M... la filiation paternelle, tout en brouillant la réalité de sa filiation maternelle », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant les articles 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les article 3-1 et 7 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant ;
3°) ALORS QUE toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, en application de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté qu'imposer à Mme S... Q... un lien de filiation paternel « constituerait une ingérence dans le droit au respect de sa vie privée et de celle de l'enfant, dans la mesure où chaque production de son livret de famille serait l'occasion d'une révélation de la transidentité de son auteur, nonobstant par ailleurs le risque pour l'un et l'autre de discrimination » (arrêt, p. 11 § 4) ; qu'en retenant que le terme de « parent biologique » était de nature à concilier l'intérêt supérieur de l'enfant de voir établie la réalité de sa filiation biologique avec le droit de Mme Q... de voir reconnaître la réalité de son lien de filiation avec son enfant et le droit au respect de sa vie privée (arrêt, p. 11 in fine), sans expliquer en quoi une telle mention dans le livret de famille ne serait pas également l'occasion d'une révélation de la transidentité de Mme Q..., l'existence de la mention « parent biologique » n'existant pas en droit français et, en conséquence, sans rechercher quelles seraient les conséquences pratiques provoquées par la mention d'un « parent biologique » sur l'acte d'état civil de Mme M... J... au regard du droit à la vie privée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4°) ALORS QUE dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que, depuis un jugement du 3 février 2011, Mme S... Q... est de sexe féminin à l'état civil ; que la cour d'appel a constaté que l'existence d'un lien biologique entre Mme Q... et M... J... n'était pas contestée ; qu'en jugeant que l'intérêt de l'enfant M... J... était de voir reconnaître avec Mme Q... un lien de filiation non sexué, aux motifs que l'établissement d'un lien de filiation maternelle aurait pour effet de lui nier toute filiation paternelle et de brouiller la réalité de la filiation maternelle, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si à l'inverse le fait d'établir une filiation non maternelle avec Mme Q... n'était pas susceptible d'entraîner, pour l'enfant, des conséquences négatives, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 3 § 1 et 7 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant ;
5°) ALORS QUE en application de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe ; que cette disposition interdit de traiter de manière différente, sans justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables et prohibe les discriminations liées notamment à l'identité sexuelle des personnes ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que, depuis un jugement du 3 février 2011, Mme S... Q... est de sexe féminin à l'état civil ; que la cour d'appel a par ailleurs constaté que l'existence d'un lien biologique entre Mme Q... et M... J... n'était pas contestée ; qu'en refusant de faire produire effet à la reconnaissance prénatale de maternité établie par Mme Q... et de reconnaître Mme Q... comme la mère de M... J..., par des motifs inopérants, cependant qu'une personne née femme ayant accouché d'un enfant peut faire reconnaître le lien de filiation maternelle qui l'unit à son enfant biologique, la cour d'appel a créé entre les femmes ayant accouché de l'enfant et les autres mères génétiques une différence de traitement qui ne peut être considérée comme justifiée et proportionnée aux objectifs poursuivis, peu important à cet égard que cela conduise à l'établissement d'un double lien de filiation maternelle biologique, et a violé l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
6°) ALORS QUE le conjoint de même sexe que le parent biologique d'un enfant est autorisé à adopter l'enfant dans le cadre d'une adoption plénière, de sorte qu'un enfant peut se voir reconnaître un lien de filiation avec deux personnes de même sexe ; que si le législateur a estimé qu'une double filiation maternelle ne pouvait être établie que par la voie de l'adoption, c'est pour ne pas porter atteinte à la vérité biologique ; que dès lors, l'établissement d'une double filiation maternelle par la voie de de l'accouchement et de la reconnaissance prénatale doit être admise lorsqu'elle n'est pas contraire à la vérité biologique ; qu'en refusant à Mme Q... l'établissement d'un lien de filiation maternelle avec son enfant biologique, par des motifs inopérants tenant notamment au fait qu'elle était de même sexe que la mère biologique de l'enfant avec lequel un lien de filiation maternelle était déjà établi et que la loi nationale ne permettrait pas l'établissement d'une double filiation maternelle, la cour d'appel a créé une différence de traitement non justifiée entre les personnes pouvant adopter l'enfant de leur conjoint et les personnes liées biologiquement à un enfant et a ainsi derechef violé l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
7°) ALORS QUE, en définitive, en refusant de reconnaître l'existence d'un lien de filiation maternelle entre Mme Q... et l'enfant M... J... aux motifs qu'une déclaration de maternité non gestatrice aurait « pour effet de nier à M... toute filiation paternelle, tout en brouillant la réalité de sa filiation maternelle », tandis que la réalité du lien biologique unissant M... J... tant à Mme J... qu'à Mme Q... n'était pas contestée et que les deux filiations maternelles ainsi établies, l'une par la reconnaissance prénatale et l'autre par la mention du nom de Mme J... sur l'acte de naissance après l'accouchement, n'étaient pas concurrentes et ne se contredisaient pas, la cour d'appel a en réalité refusé de faire droit à la demande de Mme Q... en raison de sa transidentité et a, ainsi, violé les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
8°) ALORS QUE, subsidiairement, le droit au respect de la vie privée et familiale doit être reconnu sans distinction selon la naissance ; qu'un lien de filiation maternelle peut être établi à l'égard d'une mère d'intention ; qu'en l'espèce, outre le lien biologique existant entre Mme Q... et M... J..., il n'était pas contesté que Mme Q... s'est toujours comportée, et se comporte toujours, comme une mère d'intention pour l'enfant ; qu'en application du droit au respect de la vie privée et familiale et de l'intérêt supérieur de l'enfant, la filiation maternelle entre Mme Q... et M... J... doit donc être reconnue et inscrite dans les registres d'état civil de l'enfant ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 3-1 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant et l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
