Introduction
Pour le Doyen Carbonnier, les hommes demeurent « des animaux sédentaires » (J. Carbonnier, Droit civil. T.1, PUF, Quadrige Manuels, 2e éd., 2017, spé. p. 455, no 243). À ce titre, les personnes vivent généralement dans un même lieu, souvent avec leur cercle familial ou amical, et ne bougent que par exception. C’est à cette question de la modification du lieu d’habitation que répond l’article 103 du Code civil, objet de la présente étude, et rédigé en ces termes : « Le changement de domicile s’opérera par le fait d’une habitation réelle dans un autre lieu, joint à l’intention d’y fixer son principal établissement ».
D’un point de vue formel, l’article se trouve dans le Code civil, dans le Livre I consacré aux personnes, plus précisément dans un Titre III intitulé « Du domicile ». L’article présenté à l’étude, issu du Code Napoléon, n’a pas subi de modification depuis 1804. L’étude est donc restreinte à l’appréhension civile du domicile, excluant toute approche publiciste.
D’un point de vue notionnel, la disposition analysée encadre le changement de domicile d’une personne juridique. Il est donc nécessaire, avant d’entamer une lecture plus approfondie, de définir ces différentes notions.
La personnalité juridique est l’aptitude, accordée à certaines entités, à être titulaire de droits et de devoirs. Cette personnalité s’accompagne d’un certain nombre d’attributs, parmi lesquels se trouve le domicile. En effet, le domicile est l’attribut spatial de la personnalité. C’est par lui que les tiers savent où trouver et comment contacter la personne, ici entendue au seul sens de la personne physique. Le domicile, du latin domus, maison, renvoie couramment au spectre lexical de l’habitation, c’est-à-dire au lieu où la personne vit quotidiennement. À cette appréhension large du domicile s’oppose l’appréhension stricte du droit : l’article 102 du Code civil le définit comme « le lieu où [la personne juridique] à son principal établissement ». Le domicile a donc une définition abstraite, car il n’est pas fait mention d’une habitation effective dans un lieu. Dès lors, on comprend que le changement du domicile ne peut s’entendre exclusivement d’un changement réel d’habitation. Le lien fictif reliant la personne à son domicile suppose une modification à la fois factuelle et juridique.
Dans ces définitions, le domicile a donc un intérêt spatial, géographique : savoir localiser la personne. Cette préoccupation était déjà présente en droit romain et s’est perpétuée durant l’Ancien Droit jusqu’à être consacrée par les rédacteurs du Code civil, sans être démentie jusqu’à aujourd’hui. En 1804, le domicile était intimement lié à l’état de la personne. Dès lors que cette personne était considérée comme incapable (mineurs, femmes mariées…), elle était de jure rattachée au domicile de la personne ayant autorité sur elle (père, tuteur, mari…). Si l’influence de l’état des personnes s’est affaiblie dans son acception statutaire, le domicile n’en reste pas moins un critère essentiel dans la détermination des droits et des devoirs de la personne.
Le domicile joue d’abord un rôle protecteur : c’est alors dans son acception de refuge intime qu’il doit ici être interprété. Dès lors, le domicile est inviolable (Cons. Const. 29 déc. 1983, no 83-164 DC), ce qui explique que le droit pénal réprime « l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contraintes » hors cas prévus par la loi (C. pén., art. 226-4). Le domicile est également un élément du droit fondamental au respect de sa vie privée et familiale, consacré à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH 24 nov. 1986, no 9063/80, Gillow c. Royaume-Uni). Ces protections supposent cependant, au préalable, à ce que toute personne ait droit à un logement (L. no 89-462 du 6 juill. 1989 art. 1er).
Le domicile a ensuite et surtout un rôle de localisation de la personne. Ainsi, le domicile détermine par principe le ressort, c’est-à-dire la compétence matérielle de la juridiction en cas de litige (CPC, art. 42), même si des atténuations existent (CPC, art. 43 et s.). Au-delà de la matière procédurale, le domicile, comme élément de localisation, détermine un certain nombre de mécanismes. Le domicile peut aussi être le lieu d’exécution de certaines opérations juridiques. Le paiement d’une obligation doit en principe « être fait au domicile du débiteur » (C. civ., art. 1342-6), tout comme la signification, si elle ne peut être faite à personne (CPC, art. 655, al. 1er).
Cette rapide présentation des fonctions juridiques du domicile permet d’appréhender de manière critique l’article soumis à commentaire. Il faut relever que la qualification du domicile oscille entre lieu géographique et lien d’appartenance à ce même lieu. L’importance des fonctions du domicile appelle à ce que la notion ne soit pas soumise à une trop grande variabilité, et ce afin d’assurer la sécurité juridique des tiers souhaitant localiser la personne.
Dans le même temps, le domicile assure une fonction de protection de la vie privée, intime et familiale de la personne. Pour que cette protection ait un sens, encore faut-il qu’elle s’exerce relativement au lieu où la personne possède ses centres d’intérêt. Il est donc nécessaire de laisser la personne déterminer le lieu lui servant de domicile.
Il nous faut alors nous demander si la procédure de changement de domicile prévue par l’article 103 du Code civil permet d’assurer cet équilibre. Nous suivrons donc la lettre de l’article, c’est-à-dire la possibilité d’un changement (I) puis ses conditions matérielle et intentionnelle (II), tout en vérifiant si une telle procédure garantit bien les différents intérêts en présence.
I – La possibilité légale d'un changement de domicile
Le législateur consacre, avec l’article 103 du Code civil, la possibilité pour une personne, de changer de domicile. Avant d’entrer dans le détail des conditions d’application de la procédure, il faut nous expliciter son champ d’application (A) aussi bien que sa finalité (B).
A - Le champ objectif de la procédure : le domicile
Pour comprendre l’enjeu de la procédure prévue à l’article 103 du Code civil, encore faut-il s’entendre sur son objet : le domicile. Cette notion connaît de nombreuses notions concurrentes ou connexes. L’étude de ces différentes notions (1) permettra de faire ressortir la spécificité du domicile (2).
1 - Le domicile par rapport aux autres notions : définition négative du domicile
Le domicile se distingue, d’un côté, de la résidence. En l’absence de définition légale, la résidence a été définie par la doctrine comme le « lieu où une personne physique demeure effectivement d’une façon assez stable, mais qui peut n’être pas son domicile » (G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 10e éd., 2015, p. 913). Plusieurs choses se dégagent de cette définition. D’une part, la résidence se définit exclusivement d’un point de vue matériel et concret : elle est le lieu où la personne vit effectivement, le lieu de sa présence physique. À l’inverse, le domicile a une acception plus abstraite. Dès lors, on remarque que les deux notions se distinguent en ce que la résidence semble être une notion de fait, alors que le domicile est une notion de droit. D’autre part, les deux notions ne sont pas exclusives l’une de l’autre. En effet, il arrive fréquemment qu’une personne habite effectivement dans le lieu qu’elle a légalement choisi comme domicile. En revanche, une personne peut donc vivre dans un lieu qui n’est pas son domicile : c’est l’exemple topique de la résidence secondaire. Dès lors, le domicile met en œuvre une simple présomption de présence : on présume que l’on vit effectivement dans notre domicile, mais cela n’est pas nécessairement le cas.
Le domicile se distingue, d’un autre côté, de l’habitation. Là encore, le législateur ne définit pas ce terme. Pour le Vocabulaire juridique Cornu, l’habitation est le « lieu où demeure une personne, où elle vit » (op. cit., p. 504). Il est admis en doctrine que si l’habitation est également une notion de fait, elle est plus précaire que la résidence. En effet, aucune condition de stabilité n’est exigée pour caractériser une habitation (par ex. lors d’un voyage).
2 - Le domicile pris isolément : définition positive du domicile
Une première définition du domicile peut être esquissée : il s’agit du lieu choisi par une personne en considération de certains éléments, afin de la localiser auprès des tiers : elle est son « point d’ancrage personnel et social » (B. Teyssié, Droit civil. Les personnes, LexisNexis, 20e éd., 2018, n° 494). C’est un lieu abstrait, qui ne subit pas l’influence de l’absence de la personne, à l’inverse de la résidence et de l’habitation. Cette définition doit être complétée par l’article 102, al. 1er du Code civil, qui définit le domicile par référence au « principal établissement ».
L’utilisation du terme « principal » suppose qu’une personne puisse avoir plusieurs centres géographiques d’intérêt. Cependant, la loi lui impose de n’avoir qu’un seul lieu juridique d’ancrage : la personne doit choisir le lieu qu’elle considère comme son centre principal. C’est ici l’illustration du principe d’unicité. La règle se fonde à la fois sur un argument téléologique (assurer la sécurité juridique des tiers) et un argument de bon sens (une personne ne peut matériellement être à deux endroits en même temps). Mais dès lors que le domicile est une notion abstraite, n’est-il pas possible d’admettre la pluralité des domiciles en fonction du but poursuivi ? D’ailleurs, le législateur admet qu’une personne ait par exception des domiciles dits spéciaux aux côtés de son domicile légal (matrimonial, professionnel, commercial…).
Le terme d’« établissement » fait quant à lui référence à l’action de s’établir, c’est-à-dire à l’action de se fixer dans un endroit : il y a ici une idée d’installation matérielle. Le terme est flou, mais permet de laisser aux juges une large marge d’appréciation, englobant un certain nombre d’éléments. Il faut préciser qu’en tant qu’attribut de la personnalité, mais également en tant que condition de mise en œuvre d’un certain nombre de mécanismes juridiques, le domicile est nécessaire. Toute personne a un domicile, même les personnes dites sans domicile fixe. Dans leur cas, le caractère fictionnel du domicile prend tout son sens, car elles peuvent élire leur domicile dans un centre d’action sociale (CASF, art. L. 264-1).
En plus d’être unique et nécessaire, le domicile est gouverné par le principe de fixité. Mais la fixité ne signifie pas immutabilité. C’est bien parce que la personne peut vivre, de manière factuelle, dans différents lieux, qu’elle doit se voir offrir la possibilité d’établir juridiquement son domicile à un autre endroit que son domicile d’origine.
B - La finalité de la procédure : le changement de domicile
L’article 103 du Code civil vise une finalité particulière : le changement de domicile. Sa mise en œuvre doit donc déboucher sur une modification de l’habitation légale de la personne. Une telle procédure est en principe libre (1). Sa portée doit cependant être précisée (2).
1 - L’étendue du changement de domicile
Au regard de la formulation de l’article 103 du Code civil, la procédure de changement de domicile est libre. Le principe est donc bien celui du changement de domicile, et l’exception l’impossibilité de changer de domicile.
Or, le domicile est souvent qualifié d’élément de l’état des personnes. En effet, les éléments de l’état d’une personne sont les éléments permettant de fixer son identité juridique, de la reconnaître, de la distinguer. Le domicile a une fonction de localisation de la personne et devrait, à ce titre, avoir la qualification d’élément de l’état, au même titre que le nom, le prénom, le sexe, etc. Cependant, l’état des personnes est gouverné par un principe d’indisponibilité, c’est-à-dire d’une impossibilité de modification volontaire de son état par le sujet de droit. Si le principe est singulièrement ébranlé depuis quelques décennies, cela n’explique pas pourquoi le changement est ici toléré, et depuis 1804. On pourrait ici rejoindre une partie de la doctrine, qui estime que le domicile n’est pas un élément de l’état des personnes, mais plus spécifiquement un élément d’individualisation, car le domicile n’est pas, en soi, créateur de droits (sur cette différence : Y. Favier, JurisClasseur Notarial Répertoire, V° Domicile, Fasc. 10, Notion. Fonction., spé § 2).
La liberté de changement de domicile n’est cependant pas absolue. Si aucun seuil ni aucune limitation n’est prévu littéralement, les articles suivants indiquent que certaines personnes se voient imposer leur domicile. Ainsi, l’article 108-2 al. 1er du Code civil précise que « le mineur non émancipé est domicilié chez ses père et mère ». L’article 108-3 précise quant à lui que « le majeur en tutelle est domicilié chez son tuteur ». Pour le Doyen Carbonnier, « on peut apercevoir là un aspect de la liberté individuelle. Toute personne capable est libre de rompre son attache territoriale et de s’en choisir une nouvelle. » (J. Carbonnier, Droit civil, op. cit., p. 459).
2 - La portée du changement de domicile
Tout changement de domicile opéré a vocation à remplacer l’ancien domicile, et ce en vertu du principe d’unité du domicile. Cela signifie donc que le changement supprime l’ancien domicile. Il s’agit donc d’une procédure aux conséquences juridiques importantes, qui aura vocation à s’appliquer pour l’ensemble des prochaines interactions de la personne avec les tiers.
Cette précision permet de distinguer le changement de domicile de l’article 103 du Code civil de l’élection de domicile, prévue à l’article 111 du Code civil. Ces deux procédures se rapprochent sur de nombreux points : elles concernent toutes les deux le domicile, et elles visent toutes les deux à modifier le domicile actuel.
En effet, l’article 111 du Code civil autorise une personne à indiquer, dans un acte, une clause d’élection de domicile aux fins de substituer le lieu de l’exécution de cet acte à son domicile réel et actuel. Le domicile élu servira donc de lieu de réalisation des « significations, demandes et poursuites relatives à cet acte ». Il permet également de déroger aux règles de compétence territoriale, mais uniquement si la clause est conclue entre commerçants (CPC, art. 48).
Mais les deux procédures diffèrent quant à leur portée : alors que l’élection de domicile n’a vocation qu’à régir un acte particulier, et pour des conséquences pratiques précises, le changement de domicile de l’article 103 du Code civil vise à modifier substantiellement le « point d’ancrage » juridique de la personne, pour tous les aspects de sa vie juridique. On comprend donc qu’une telle procédure se doit d’être conditionnée pour pouvoir produire des effets juridiques.
II – La possibilité conditionnée d'un changement de domicile
Après avoir prévu la possibilité d’un changement de domicile, le législateur est venu l’encadrer. Les deux conditions posées n’ont pas changé depuis 1804 : la personne doit apporter la preuve d’un élément matériel (A) et d’un élément intentionnel (B) pour prétendre changer de domicile. En l’absence de la réunion de ces éléments, la personne est réputée garder son domicile d’origine ou celui qu’elle occupait précédemment.
Il est à noter que ces éléments, mêlés de fait et de droit, relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond (par ex. : Cass., Civ. 1re, 12 févr. 1980, no 78-14.347 : « c’est dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation qu’ils [les juges du fond] ont retenu que le domicile de ladite demoiselle, à la date de l’assignation, se trouvait à La Ferté-sous-Jouarre »).
A - La matérialité du changement de domicile
L’article 103 du Code civil exige tout d’abord la preuve de la matérialité du changement : la personne doit apporter la preuve qu’elle habite (1) réellement (2) dans un autre lieu.
1 - Une habitation
Le changement de domicile implique que la personne habite dans le lieu. L’utilisation du mot « habitation » appelle plusieurs remarques.
D’une part, habiter un lieu signifie occuper, se trouver dans le lieu. Le législateur impose donc la présence de la personne dans le lieu choisi comme domicile. Nous retrouvons ici la mise en œuvre de la présomption de présence. Il y aurait une rupture avec la fonction du domicile si la personne pouvait choisir un domicile dans un lieu qui lui est inconnu, dans lequel elle n’a pas de centre d’intérêt, car alors les tiers seront trompés sur la présence de la personne.
D’autre part, habiter un lieu signifie l’occuper dans le cadre d’une habitation, et non dans un autre but. En effet, il aurait pu être admis qu’une personne choisisse, comme domicile, un autre lieu dans lequel elle possède des centres d’intérêt : on pense par exemple au lieu de travail, sur lequel la personne demeure un nombre significatif d’heures en comparaison de son habitation. Le législateur marque ici son souhait d’un choix éclairé par une présence effective et durable dans un lieu.
2 - Une habitation réelle
Le terme d’habitation entraîne une troisième conséquence, qui découle des deux premières précédemment énumérées : il faut que la personne occupe de manière quotidienne et effective le lieu. C’est ce que le législateur exige en parlant d’habitation « réelle ».
Pour le professeur Huit-Watt, « ce dernier qualificatif rappelle que la fonction de rattachement du domicile exige une certaine continuité, une vocation à la durée, de sorte qu’il ne s’agit pas seulement de comptabiliser une présence physique, qui peut s’expliquer par des raisons purement contingentes (lesquelles conduisent aussi facilement à l’interrompre), mais également d’identifier les attaches de toute nature – familiales, administratives, économiques, affectives, culturelles – que l’intéressé aura constituées avec un ressort déterminé et qui induisent la permanence de son installation en ce lieu » (H. Muir-Watt, « Domicile », in D. Alland et S. Rials, Culture juridique, PUF, Quadrige, 1re éd., 2003, p. 411).
La question étant de fait, il appartiendra donc aux juges du fond de prendre en compte tous les éléments nécessaires à faire apparaître la réalité de cette habitation, de « vérifier la vocation à la permanence de l’installation matérielle » (M. Huir-Watt, op. cit., p. 412), sans qu’aucune liste exhaustive ne puisse être dressée (lieu de naissance, lieu d’exercice de la profession, revenus fonciers, acquisition d’un immeuble et valeur de l’ensemble des biens notamment immobiliers, lieu de célébration du mariage, nationalité et lieu d’habitation de chacun des époux, lieu de naissance ou de scolarisation des enfants, appartenance à des clubs, exercice des droits civils et fiscaux…).
Étrangement, si la présence de la personne est nécessaire pour changer de domicile, elle n’est plus un critère une fois ce changement opéré. Le domicile redevient un lieu abstrait. On touche ici à l’ambiguïté même du domicile. Le domicile étant une notion juridique, elle possède nécessairement sa part d’abstraction. Mais c’est parce que le domicile peut être défini comme un lien fictif entre une personne et un lieu qu’il comporte des faiblesses, comblées par les autres notions concurrentes de résidence ou d’habitation.
C’est donc que la présence ou l’absence concrète de la personne dans ce lieu n’en modifie pas seule la qualification. Un autre critère doit également entrer en ligne de compte : l’intention de la personne de changer de domicile.
B - L'intentionnalité du changement de domicile
Enfin, l’article 103 du Code civil exige une intentionnalité dans le changement de domicile. La personne doit apporter la preuve (2) de sa volonté de s’installer principalement dans un autre lieu (1).
1 - L’exigence d’une intention
À l’inverse de la résidence ou de l’habitation, le changement de domicile suppose, en plus de la présence effective de la personne dans un lieu d’habitation, la manifestation de volonté de faire de ce lieu le point d’ancrage géographique à partir duquel les tiers pourront la contacter : c’est l’intention domiciliaire.
Le législateur exige donc un choix en conscience de la personne quant à son lieu d’habitation. Le choix du domicile est un vrai marqueur de l’intégration de la personne dans un lieu.
En effet, la personne peut vouloir changer de lieu d’habitation, mais sans avoir la volonté d’en informer les tiers. Dans ce cas, il serait peut-être contraire à toute sécurité juridique d’admettre que chaque lieu constitue le nouveau domicile de la personne, si cette dernière ne manifeste pas de volonté de s’établir durablement.
À l’inverse, la personne peut aussi vouloir modifier son domicile, mais elle habite dans plusieurs lieux différents (résidence secondaire, lieu d’exercice de sa profession, etc.). Dans ce cas, l’intention domiciliaire prend tout son sens : au-delà d’éléments objectifs pris en compte par le juge, c’est-à-dire d’une appréciation quantitative du changement, c’est la personne qui aura le dernier mot et qui pourra privilégier, parmi ses habitations, laquelle correspondre au lieu centralisateur de ses intérêts. Donc l’intention sera prépondérante : l’aspect qualitatif prend le dessus.
Mais le problème de l’intention est qu’elle est de la sphère de l’intime, du non-dit ou, plus exactement, du difficilement prouvable. D’où la nécessité d’apporter la preuve de cette intention.
2 - La preuve de l’intention
Le législateur est conscient de la difficulté de cette preuve de l’intention du changement de domicile. Aussi prévoit-il la manière dont la personne devra/pourra apporter la preuve d’une telle intention.
Le principe est posé par l’article 104 du Code civil : « La preuve de l’intention résultera d’une déclaration expresse, faite tant à la municipalité du lieu que l’on quittera, qu’à celle du lieu où on aura transféré son domicile ». La preuve de l’intention se matérialise donc par une double « déclaration expresse » : une réalisée auprès de la mairie de la commune du domicile d’origine, et une réalisée auprès de la mairie de la commune du domicile modifié. Or, il faut admettre, avec le Doyen Carbonnier, qu’un tel mécanisme « n’est jamais entré dans les mœurs » (J. Carbonnier, Droit civil, op. cit., p. 460).
Conscient de la lourdeur du mécanisme de l’article 104 du Code civil, le législateur a prévu une exception à l’article 105 du Code civil : « À défaut de déclaration expresse, la preuve de l’intention dépendra des circonstances ». L’intention sera donc laissée là encore, à défaut de double déclaration – ce qui est en pratique souvent le cas – à l’appréciation souveraine des juges du fond.
L’appréciation prétorienne de l’intention nécessitant de sonder les cœurs, le moindre relatif à la volonté de la personne de changer de domicile doit faire présumer le maintien de l’ancien domicile (Cass., Soc. 8 juin 1951).
Mais une question mérite d’être posée, en guise d’ouverture : est-ce que cette procédure a encore un sens, au regard du désintérêt législatif, jurisprudentiel et doctrinal à son encontre ? En effet, l’article 103 du Code civil n’a pas été modifié depuis 1804. À cette période, les changements d’habitation étaient plus rares qu’ils ne le sont aujourd’hui, alors que les relations familiales, professionnelles ou encore économiques sont mondialisées, que les temps pour rallier les grandes villes sont raccourcis… ? Nous pouvons le penser, car la mobilité de la personne accentue, parallèlement, la nécessité d’un vrai point d’ancrage de la personne juridique.
