Le nom de famille : choix et changement du nom de famille (cas pratique)

Énoncé du sujet

Vous effectuez votre stage auprès de la Direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice, et plus précisément dans son service dédié aux problèmes liés aux noms de famille. Arrive la fatidique période de rédaction de votre mémoire de fin de stage, dans lequel vous devez absolument mettre en avant un cas vu ces dernières semaines. Vous vous remémorez avec nostalgie quelques situations…

Il y a d’abord le cas de Monsieur Letalland. Sa demande consistait en un changement de nom de famille, pour substituer un nouveau nom (Bescond) à son nom actuel (Letalland). Le demandeur invoquait un parcours de vie atypique : né sous X, il a été admis comme pupille de l’État, puis placé dans une famille qui l’a ensuite adopté. Ce n’est que bien plus tard que son géniteur, qui n’avait pas été informé de l’accouchement, a repris contact avec lui. Les deux hommes sont en bons termes, mais ils ne peuvent plus établir leur lien de filiation. Monsieur Letalland souhaitait alors obtenir le changement de son nom pour coller davantage à son histoire biologique.

Mais vous n’arrivez plus à vous souvenir… En l’état du droit positif, est-ce que Monsieur Letalland pouvait obtenir ce changement de nom ?

Puis, il y a la demande formulée par un jeune couple. Ce dernier s’interrogeait sur le nom de famille qu’il était possible de donner à sa future fille, Éléa, dont l’accouchement était prévu dans quelques semaines à peine. En effet, le nom de Monsieur est Auvray Vasseur et le nom de Madame est Demonteil-Carbonneau. Vous souvenez-vous des noms de famille possibles pour la petite Éléa ?

Enfin, il vous revient en mémoire la demande de Madame Letellier, quelque peu originale. Elle soutenait qu’elle était l’une des dernières héritières vivantes descendant d’Armand-Jean du Plessis de Richelieu, cardinal de son état et ministre de Louis XIII. Elle apportait avec elle divers documents d’état civil, arbres généalogiques attestant que la dernière personne ayant porté le nom « du Plessis de Richelieu » était son cousin Philippe, sans descendance, fils de son grand-oncle Robert, lui-même fils de son bisaïeul du côté maternel. Elle souhaite désormais prendre ce nom, afin d’en faire bénéficier ses deux garçons de 11 et 9 ans.

Une telle demande avait-elle des chances d‘aboutir ?

Résolution du cas

Plusieurs situations, concernant un choix ou un changement de nom de famille, sont soumises à notre analyse :

  • Quels sont les noms de famille pouvant être donnés à un nouveau-né ?
  • Une personne peut-elle changer de nom de famille pour des considérations tenant à son histoire familiale et personnelle ?
  • Une personne peut-elle changer de nom de famille pour éviter à un autre nom de s’éteindre ?

Nous examinerons d’abord la question tenant à la détermination du nom de famille (I), puis celles relatives au changement de nom (II).

I - L'attribution du nom de famille à l'enfant

La deuxième demande de l’énoncé renvoie à la question de la détermination des noms de famille pouvant être attribués à un premier enfant. Le choix n’est plus ouvert pour les autres enfants de la fratrie, qui prendront le même nom que l’aîné.

L’attribution du nom de famille est régie par l’article 311-21 du Code civil. Une alternative est offerte aux parents :

  • Soit ne pas réaliser de déclaration conjointe ; dans ce cas, l’enfant prendra le nom de famille du parent à l’égard duquel sa filiation a été établie en premier, ou, si les liens de filiation ont été établis simultanément, le nom de famille de son père ;
  • Soit réaliser une déclaration conjointe aux fins de choisir le nom de famille attribué à l’enfant.

Dans cette dernière hypothèse, qui recouvre celle de la question posée par l’énoncé, les parents peuvent choisir « soit le nom du père, soit de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux ».

En d’autres termes, l’enfant pourra porter soit le seul nom de son père, soit le seul nom de sa mère, soit le nom de chacun de ses parents, sans ordre particulier. Il est à noter que chaque parent ne peut transmettre qu’un seul de ses noms de famille. Il convient donc de distinguer si le parent porte un double nom, auquel cas il ne pourra transmettre que l’un de ces deux noms, au choix, ou s’il porte un nom composé indivisible, auquel cas l’ensemble du nom de famille est transmis.

Enfin, à défaut d’accord entre les parents, signalé à l’officier de l’état civil, l’officier donnera à l’enfant le nom de ses deux parents, « dans la limite du premier nom de famille pour chacun d’eux, accolés selon l’ordre alphabétique ».  

En l’espèce, de futurs parents vous consultent pour connaître les possibles noms de famille qu’ils peuvent donner à leur premier enfant à naître. Le père se nomme Auvray Vasseur, et la mère se nomme Demonteil-Carbonneau.

Avant d’énumérer les choix possibles, il faut préciser si les noms des parents sont des noms composés sécables ou insécables. Dans le cas du père, le nom est séparé par un simple espace (Auvray Vasseur), ce qui signifie qu’il porte déjà lui-même un double nom. Il ne pourra donc transmettre qu’un seul de ses deux noms à sa fille. Dans le cas de la mère, en revanche, le nom est composé (Demonteil-Carbonneau, donc séparé par un tiret). Il doit donc être considéré comme un tout, intégralement transmissible.

Dès lors, voici les choix offerts pour leur futur enfant :

  • Éléa Auvray ;
  • Éléa Vasseur ;
  • Éléa Demonteil-Carbonneau ;
  • Éléa Auvray Demonteil-Carbonneau ;
  • Éléa Vasseur Demonteil-Carbonneau ;
  • Éléa Demonteil-Carbonneau Auvray ;
  • Éléa Demonteil-Carbonneau Vasseur.

En conclusion, sept choix de noms de famille sont offerts pour les futurs parents. En cas de désaccord entre les parents, l’enfant devrait se nommer Éléa Auvray Demonteil-Carbonneau.

II - Le changement de nom de famille

Deux situations concernent un changement de nom de famille. Nous étudierons d’abord la demande fondée sur un motif affectif au changement (A), puis la demande fondée sur le risque d’extinction du nom de famille (B).

A - Le changement de nom de famille pour un motif affectif

L’article 61 du Code civil pose la procédure de principe en matière de changement de nom de famille. Toute personne souhaitant changer de nom devra en faire la demande au garde des Sceaux, dès lors qu’elle justifie d’un intérêt légitime. Si la demande est acceptée, l’autorisation se fera par décret ministériel.

Tout l’enjeu de la procédure de changement de nom par décret est d’apporter la preuve d’un intérêt légitime à changer de nom. Plusieurs situations peuvent justifier une demande en changement de nom : le risque d’extinction du nom, le caractère ridicule ou déshonorant du nom, la volonté d’intégration dans la société française, etc. La jurisprudence a d’ailleurs admis que des motifs affectifs pouvaient, dans des circonstances exceptionnelles, justifier le changement de nom (CE, 31 janv. 2014, req. n° 362444, v. déjà CEDH, 5 déc. 2013, Henry Kismoun c. France, n° 32265/1).

Le problème est que la jurisprudence n’a pas défini ces motifs affectifs et les circonstances exceptionnelles dans lesquelles ils pouvaient donner lieu à un changement de nom. Cette question relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. On peut synthétiser la jurisprudence des juges administratifs en indiquant que les motifs affectifs sont ceux se référant avant tout à la réalité affective et vécue de la personne.

Ces motifs peuvent être invoqués pour se défaire du nom d’un parent violent ou absent (par ex. CE, 31 janv. 2014, req. n° 362444 : rupture brutale des relations par le père des requérantes, qui n’a plus eu de contact avec elles, n’a plus subvenu à leurs besoins ou à leur éducation, n’a jamais exercé son droit de visite et d’hébergement). Ils peuvent aussi être invoqués pour acquérir le nom d’un parent ou d’un proche (CE, 10 juin 2020, n° 419716 : possibilité d’adjoindre, à son nom, celui de l’autre parent qui n’a pas transmis son nom).

Cette circonstance sera d’autant plus accueillie que le demandeur porte déjà, à titre d’usage, le nom revendiqué (CAA Paris, 21 mars 2019, n° 18PA01787). Cet usage doit cependant être significatif (a minima plusieurs années).

De manière générale, le demandeur ne doit pas se reposer sur sa simple expérience vécue mais doit apporter la preuve d’un trouble ou d’un préjudice du fait du port de son nom d’origine. Dès lors, les simples relations conflictuelles avec un parent ne sont pas suffisantes (CAA Paris, 1er déc. 2019, n° 15PA00763)

De même, le changement de nom ne peut pas avoir pour effet de revendiquer le nom de son parent d’origine, après une adoption plénière (CAA Paris, 1re ch., 9 mai 2019, n° 18PA02291).

Enfin, les juges sont peu sensibles à l’argument des demandeurs souhaitant quitter leur nom légal pour prendre celui du prétendu père biologique, notamment en l’absence de preuve de circonstances exceptionnelles illustrées par des retombées psychologiques (CAA Paris, 10 juin 2021, n° 20PA03696). Le changement de nom n’a donc pas pour objet, lorsqu’il est fondé sur des motifs affectifs, d’être un palliatif à l’absence de lien juridique de filiation entre le demandeur et son géniteur.

En l’espèce, le demandeur souhaite changer de nom, pour substituer le nom de son géniteur à celui de sa famille d’adoption. Il souhaite donc se fonder sur un motif affectif.

Ce motif est strictement entendu par les juges administratifs, aux fins de maintenir le principe de fixité du nom de famille. Plusieurs éléments sont pris en compte :

  • l’existence d’un motif affectif : le demandeur apporte bien un motif affectif. En effet, le changement de nom se fonde sur son histoire personnelle (enfant sous X adopté par une famille d’accueil et retrouvé des années plus tard par son géniteur), c’est-à-dire à la fois sur un aspect biologique (nom du géniteur) et un aspect intime (bonnes relations avec son géniteur).
  • l’existence de circonstances exceptionnelles (préjudices ou troubles subis du fait du port du nom actuel) : le demandeur n’apporte pas d’éléments attestant de circonstances exceptionnelles. La demande est réalisée afin de porter le nom de son géniteur. Cependant, aucun élément n’indique que cette demande est sous-tendue par la nécessité de mettre fin à une situation atypique. En effet, le droit français est assez strict quant à la reconnaissance d’un enfant né sous X par son géniteur : dès lors que l’enfant a été adopté, il ne peut plus avoir de lien juridique avec son géniteur. La situation n’est donc pas exceptionnelle. Le géniteur indique ne pas avoir été averti de la naissance de son enfant. Mais rien ne prouve pour autant que, informé, il aurait reconnu l’enfant en temps et en heure. Par ailleurs, le demandeur ne fait pas état d’un trouble subi du fait du port de son nom adoptif dans sa vie quotidienne, professionnelle, affective, etc.
  • le port, à titre d’usage, du nom revendiqué : le demandeur ne fait pas état d’un usage du nom revendiqué. Si la chronologie des faits n’est pas claire, il semble tout de même ressortir de l’énoncé que les deux hommes ne se connaissent que depuis quelques années. Sans que cela ne remettre en cause la véracité des relations affectives entre eux, la durée encore limitée de leur relation, couplée à l’absence de port du nom à titre d’usage, constituent des obstacles dirimants à l’accueil de la demande du requérant.

En conclusion, cette demande a très certainement dû être rejetée.

Cependant, vous aviez pu proposer plusieurs pistes à destination du demandeur, s’il souhaitait toujours porter le nom de son géniteur :

  • D’une part, lui conseiller de prendre dès à présent le nom de son géniteur à titre d’usage ;
  • D’autre part, lui conseiller de démontrer les troubles subis du fait du non-port du nom de son géniteur ;
  • Enfin, lui conseiller de préparer un argumentaire quant aux difficultés provoquées par la législation française actuelle en matière d’accouchement sous X, qui empêche les géniteurs de bonne foi d’établir un lien de filiation avec leur enfant (v. encore la position de la Cour de cassation sur ce sujet : Cass., Civ. 1re, 11 sept. 2024, n° 22-14.490).

B - Le changement de nom de famille pour extinction

L’article 61 du Code civil pose la procédure de principe en matière de changement de nom de famille. Toute personne souhaitant changer de nom devra en faire la demande au garde des Sceaux, dès lors qu’elle justifie d’un intérêt légitime. Si la demande est acceptée, l’autorisation se fera donc par décret ministériel.

Tout l’enjeu de la procédure de changement de nom par décret est d’apporter la preuve d’un intérêt légitime à changer de nom. L’alinéa 2 de l’article 61 du Code civil donne une illustration d’intérêt légitime : celui du relèvement de nom, permettant « d’éviter l’extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu’au quatrième degré ». Cette demande de changement est portée devant le garde des Sceaux, qui l’acceptera le cas échéant par décret.

Plusieurs conditions doivent être réunies pour obtenir un changement de nom sur le fondement de l’extinction du nom :

1/ Le nom doit être éteint ou en voie d’extinction. Cela signifie d’apporter la preuve qu’en l’état actuel des choses, aucune branche de la famille ne semble susceptible d’assurer la postérité du nom revendiqué. Il faut préciser que le nom doit avoir été porté par une personne de nationalité française, car le but du relèvement est de lutter contre l’appauvrissement du stock onomastique français. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de prouver l’illustration du nom. Enfin, l’extinction s’apprécie au sein de la famille. Il importe peu que d’autres familles portent le même nom.

2/ Le nom doit avoir été légalement porté par l’ancêtre (CE, 25 janv. 2023, n° 461746). Cela signifie donc à l’inverse que si le nom était porté à titre d’usage ou de pseudonyme, le relèvement n’a pas vocation à s’appliquer. La preuve à apporter provient nécessairement des documents de l’état civil.

3/ Le nom doit être porté par un ascendant ou un collatéral jusqu’au 4e degré. La preuve doit aussi être faite du port du nom au sein de la famille, et qu’il est aujourd’hui porté par un ascendant ou collatéral jusqu’au 4e degré. Cela ne signifie pas, car le texte ne l’exige pas, que le demandeur soit le plus proche ascendant ou collatéral de la personne portant le nom.

Enfin, s’agissant de la transmission du nom aux enfants mineurs, l’article 61-2 du Code civil prévoit que le changement de nom obtenu « s’étend de plein droit aux enfants du bénéficiaire lorsqu’ils ont moins de 13 ans ».

En l’espèce, la demanderesse souhaite prendre le nom « du Plessis de Richelieu », car elle soutient qu’elle est l’une des dernières descendantes du cardinal de Richelieu, célèbre porteur de ce nom de famille.

Il faut donc vérifier si elle remplit les conditions pour obtenir un tel changement.

1/ La demanderesse apporte des documents d’état civil et des arbres généalogiques qui semblent prouver que le nom s’est éteint avec la branche de son grand-oncle Robert. En effet, son grand-oncle Robert avait un fils (il n’est pas précisé s’il s’agissait d’un fils unique, mais cela semble être le cas), lui-même décédé sans héritier pouvant perpétuer ce nom. Il importe peu ici que le nom dont le relèvement est demandé soit un nom illustre. Sous réserve d’une appréciation plus approfondie des documents apportés, cette condition doit être considérée comme remplie.

2/ La demanderesse apporte des documents d’état civil attestant que le nom a été légalement porté. En effet, la preuve ne peut en être apporté que par des documents issus des registres de l’état civil, ce qui est le cas en l’espèce.

3/ La demanderesse indique que le dernier porteur du nom est Philippe, le fils de son grand-oncle Robert (collatéral), fils de son bisaïeul du côté maternel. Or, il apparaît que ce cousin est donc un collatéral du 5e degré, et non du 4e degré. Il faudra donc mettre la demanderesse en garde sur ce point, qui devrait faire échec à sa demande.

En conclusion, la demande a dû être rejetée.

Si d’aventure, le garde des Sceaux a accepté cette demande, le changement bénéficiera aux enfants de la demanderesse, car ils ont tous les deux moins de 13 ans, conformément à l’article 61-2 du Code civil. Il faut cependant la mettre en garde car la procédure de changement de nom est une procédure lourde de sens, qui nécessitera l’accord de l’autre parent le cas échéant. Par ailleurs, l’intérêt supérieur de l’enfant, et notamment la nécessité d’entendre tout enfant doué de discernement dans les procédures le concernant (C. civ., art. 388-1) pourra amener à une audition des enfants le cas échéant.