Introduction
On peut mesurer la richesse et le dynamisme d’un ordre juridique à son ouverture normative, aux rapports de système qu’il établit et à la complexité qui en découle. De façon générale, cette « ouverture cognitive » d’un ordre juridique coïncide souvent avec un approfondissement de la protection des droits. C’est ce qu’affirme, une fois encore, la décision CE, 14 mai 2010, Senad Rujovic, ci-dessous commentée.
Monsieur Rujovic est un ressortissant Kosovar, établi sur le territoire français ayant sollicité la reconnaissance du statut de réfugié. Le directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), institution administrative chargée d’examiner les demandes de protection internationale et d’attribuer ces statuts, avait refusé à monsieur Rujovic la reconnaissance du statut de réfugié. L’ancienne Commission des recours des réfugiés (CRR), appelée à statuer comme organe d’appel sur les décisions de l’OFPRA, avait réformé la décision du directeur de ce dernier et attribué à monsieur Rujovic le statut sollicité. L’OFPRA s’était alors pourvu en cassation devant le Conseil d’État, en qualité de juge de cassation de l’ordre juridictionnel administratif (la CRR étant une juridiction administrative spécialisée statuant en dernier ressort). Le Conseil d’État a rejeté le pourvoi introduit dans cette affaire par son arrêt du 6 décembre 2010 (req. n° 312305) et ce n’est pas celui-ci qui intéressera le présent commentaire.
En effet, parallèlement à ce pourvoi, de façon quasiment reconventionnelle, monsieur Rujovic, défendeur à la cassation, a introduit une demande de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil d’État afin de voir déclarer d’une part la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951, et, d’autre part, les dispositions législatives internes rendant applicable cette convention contraires à la Constitution. Il s’agit de l’une des toutes première QPC déposées, et, qui plus, la première par un défendeur à la cassation. Le Conseil d’État rejette la QPC.
C’est, notamment, ce contexte temporel et procédural particulier qui donne toute son épaisseur à la décision commentée, assez particulière également au regard du fait qu’il s’agit d’une décision de non-renvoi de la question posée. Le Conseil d’État profite de cette affaire pour préciser très clairement l’articulation des recours et des relations entre ordres juridiques, ainsi que les offices respectifs des juges constitutionnel et administratif et les conditions de recevabilité des QPC. Il s’agit donc d’une décision particulièrement riche.
Plusieurs moyens de fond étaient invoqués. Le premier concernait les rapports entre la QPC et le recours préjudiciel devant la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne). Le deuxième interrogeait l’office du juge constitutionnel dans le cadre de la QPC face à un moyen tiré de l’inconventionnalité d’une loi. Le troisième soulevait la problématique du contrôle de la constitutionnalité des conventions. Et, enfin, le quatrième s’intéressait à l’interprétation des conditions de recevabilité des QPC posées par l’ordonnance organique de 1958 (telle que modifiée après l’instauration de la QPC).
Il faut lire cette décision comme la volonté d’intégrer harmonieusement la QPC dans le dialogue des juges (I), tout comme celle de préserver le champ de compétence du juge administratif (II). C’est donc un équilibre que vise à atteindre le Conseil d’État.
I - Une volonté d'intégration harmonieuse de la procédure de QPC dans l'édifice du dialogue des juges
La décision commentée intervient à la suite d’une polémique déclenchée par la Cour de cassation et entend lui apporter une réponse (A). Face à cela, le Conseil d’État délivre son appréciation de l’articulation équilibrée qu’il envisage (B).
A - La QPC, déstabilisateur du dialogue des juges
La question prioritaire de constitutionnalité a été introduite à l’article 61-1 de la Constitution de 1958 au terme de la révision constitutionnelle de 2008. Elle permet à tout justiciable de solliciter des juges judiciaires et administratifs le renvoi d’une question préjudicielle relative à la constitutionnalité d’une loi applicable au litige lorsqu’il est soutenu que celle-ci porte atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis, sous certaines conditions de recevabilité.
La QPC a donc été envisagée comme un outil complémentaire de protection des droits et libertés fondamentaux. La particularité de la QPC est d’autoriser un contrôle de constitutionnalité de la loi après sa promulgation et son entrée en vigueur, contrairement au contrôle a priori exercé par le Conseil constitutionnel au titre de l’article 61 de la Constitution. Alors que le contrôle a priori préservait le Conseil constitutionnel de la concurrence des autres juges, la QPC place le contrôle qu’il effectue au cœur des rapports de systèmes. Il faut noter, en effet, que les exigences du droit européen en la matière, font du juge national le garant des conventions, en particulier celles conclues à un niveau régional (Convention européenne des droits de l’Homme et Traités européens).
C’est sur l’articulation entre ces différents systèmes juridiques et la compatibilité des mécanismes de contrôle que s’était interrogée la Cour de cassation. Dans une décision controversée (Cass., QPC 16 avril 2010, M. Abdeli et Melki, n° 10-40002), elle avait posé à la CJUE une question préjudicielle portant sur la conventionalité, non pas directement de la disposition constitutionnelle prévoyant la QPC, l’article 61-1, mais de la loi organique prise pour son application. Dans le raisonnement de la Cour de cassation, le caractère prioritaire à tout autre de la question de constitutionnalité devait conduire à interdire au juge judiciaire non seulement de saisir la CJUE d’une question préjudicielle sur la conformité aux Traités de la disposition législative contestée, saisine obligatoire pour la Cour de cassation par application de l’article 267 TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), mais encore à le priver de la possibilité d’examiner lui-même la conformité aux droit européen de cette disposition interne. Plus précisément, c’est la combinaison du caractère prioritaire de la QPC et de l’autorité attachée aux décisions du Conseil constitutionnel, aux termes de l’article 62 de la Constitution, qui produirait cet effet. En d’autres termes, selon l’interprétation de la Cour de cassation, le contrôle par le Conseil constitutionnel interdirait le contrôle postérieur de conventionalité de la loi.
Ce raisonnement n’a pas emporté l’adhésion. En effet, selon la lecture de la Cour de cassation, la purge du contrôle de constitutionnalité devait nécessairement entraîner celle de la question de la conventionalité de la loi. Or c’est commettre une erreur de logique que de conclure de la sorte. En effet, si la Constitution demeure au sommet de la hiérarchie des normes (ce que n’a pas osé contester la Cour de cassation en n’interrogeant pas directement la CJUE de la conformité au droit européen de l’article 61-1 de la Constitution), une disposition constitutionnelle n’est pas nécessairement conventionnelle. Sauf à ce que le Conseil constitutionnel admette lui-même d’exercer le contrôle de conventionalité de la loi, ce qu’il se refuse à faire depuis la décision IVG de 1975, l’autorité de force jugée de ses décisions ne doit pas emporter de conséquences sur la question de conventionalité.
La décision commentée du Conseil d’État peut être lue comme une réponse à cette question.
B - Une préservation des compétences respectives des différents juges
Lorsque le Conseil d’État affirme « que, d'une part, ces dispositions (NDLA : de la loi organique) ne font pas obstacle à ce que le juge administratif, juge de droit commun de l'application du droit de l'Union européenne, en assure l'effectivité, soit en l'absence de question prioritaire de constitutionnalité, soit au terme de la procédure d'examen d'une telle question, soit à tout moment de cette procédure, lorsque l'urgence le commande, pour faire cesser immédiatement tout effet éventuel de la loi contraire au droit de l'Union ; que, d'autre part, le juge administratif dispose de la possibilité de poser à tout instant, dès qu'il y a lieu de procéder à un tel renvoi, en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne », il rétablit un équilibre entre les différents niveaux de contrôle.
Cette solution se dégage également de la décision rendue deux jours auparavant par le Conseil constitutionnel lui-même. Dans l’affaire CC, 12 mai 2010, Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, n° 2010-605 DC, le Conseil était saisi par des parlementaires qui contestaient la comptabilité d’une loi avec le droit de l’Union. Les requérants invoquaient expressément la décision de saisine de la CJUE par la Cour de cassation du 16 avril précédent. C’était donc l’occasion pour le Conseil de livrer son interprétation, et, partant, sa solution de la problématique. Il faut toutefois souligner que le Conseil était saisi dans le cadre de la procédure de l’article 61 C, relative à la question a priori de constitutionnalité et qu’à aucun moment n’était en cause celle de l’article 61-1 C relative à la QPC. C’est pourtant sur ce terrain que répond le Conseil constitutionnel. Cet écart par rapport aux moyens soulevés devant lui, écart qui n’était d’ailleurs pas justifié par la solution à donner au recours, prend la forme d’un obiter dictum et on voit mal comment l’autorité de chose jugée que les décisions du Conseil tiennent de l’article 62 C pourrait lui être applicable. Cependant, l’important ne réside peut-être pas tant dans l’effet juridique de la décision que dans le message qu’a souhaité faire passer le Conseil constitutionnel : il aligne l’étendue de son contrôle de constitutionnalité dans le cadre de l’article 61-1 C sur celle de l’article 61. En d’autres termes, il n’est nullement question pour lui non seulement de s’approprier le contrôle de conventionalité des lois, mais encore de faire de la QPC un mécanisme qui interdit au juge ordinaire de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris en urgence et y compris provisoires, afin de préserver les droits que les justiciables tirent des engagements européens et internationaux de la France.
C’est exactement sur cette solution que s’aligne le Conseil d’État dans la décision commentée. Elle est encore renforcée par l’arrêt de la CJUE rendu sur la question préjudicielle posée par la Cour de cassation. Il faut convenir d’emblée que la CJUE ne se trouvait pas dans une position évidente. La mécanique du dialogue des juges impose non seulement de la rigueur juridique mais également une forme, insaisissable, de souplesse politique qui rend difficilement accessibles les sous-jacents du raisonnement judiciaire. Le 22 juin 2010, la Cour de Luxembourg (aff. C-188 et 189/10) a laissé à la juridiction de renvoi le soin d’interpréter son propre droit et d’en tirer toutes les conséquences. Cependant, elle réaffirme la primauté du droit de l’Union, que personne n’avait du reste contesté, et juge qu’une disposition nationale qui priverait son juge d’assurer l’effectivité et la primauté du droit de l’Union s’avérerait contraire aux Traités.
Ce dernier arrêt clôt l’intégralité du débat. On en veut d’ailleurs pour preuve que, d’une part, le Conseil constitutionnel accepte même désormais de saisir lui-même la CJUE d’une question préjudicielle (première question préjudicielle : CC, 4 avril 2013, Jeremy F (Mandat d’arrêt européen), n° 2013-314 QPC) mais s’est également, d’autre part, déclaré favorable à être habilité à saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) d’une demande d’avis au titre des stipulations du 16e protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme.
Tout en s’insérant dans cette solution équilibrée, le Conseil d’État a préservé l’étendue de son office.
II - Une préservation de l'office du juge administratif
Du fait des lacunes du contrôle des conventions internationales (A) et de la retenue du contrôle de la recevabilité des questions prioritaires de constitutionnalité (B), le Conseil d’État préserve l’office du juge administratif.
A - Les lacunes du contrôle des conventions internationales
Si l’ordre juridique s’enrichit de mécanismes susceptibles de renforcer la protection juridictionnelle des droits et libertés fondamentaux, il n’en demeure pas moins que celui-ci souffre encore de certains angles morts. C’est ce que souligne la décision commentée.
En l’espèce, la question prioritaire de constitutionnalité articulait des moyens tirés de l’inconstitutionnalité des stipulations de la Convention de Genève du 28 juillet 1951. Or, la convention est antérieure à la Constitution de 1958. De ce fait, le Conseil constitutionnel, institué en 1958 n’a pu contrôler la constitutionnalité de la convention. Le problème qui se posait avant 2010 pour les lois adoptées avant la Ve République est aujourd’hui largement diminué grâce à la question prioritaire de constitutionnalité.
Le requérant avait tenté d’appréhender la Convention de Genève par deux voies : l’une directement, l’autre indirectement. Par la voie directe, il soutenait que la convention était contraire au principe constitutionnel de la présomption d’innocence et au droit d’asile. Le Conseil d’État juge le moyen irrecevable dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité : « il résulte des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution que leur application ne peut conduire à saisir le Conseil constitutionnel que d'une question portant sur une disposition législative ; que par suite, la question soulevée est irrecevable ». Le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité ne peut donc pas porter sur un traité international. Si le Conseil constitutionnel ne juge pas de la conformité des lois aux conventions internationales, en revanche, il est amené à vérifier que l’engagement examiné ne comporte pas de « clause contraire à la Constitution ». Ce contrôle se réalise de façon assez souple. Afin de ne pas empiéter sur la conduite des relations internationales, le Conseil limite son contrôle : il juge que « lorsque des engagements souscrits à cette fin contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle » (CC, 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, n° 2004-505 DC). Du reste, dans cette dernière décision, le Conseil jugeait que « sont toutefois soustraites au contrôle de conformité à la Constitution celles des stipulations du traité qui reprennent des engagements antérieurement souscrits par la France ».
En outre, il n’est pas certain que le Conseil d’État assume un véritable contrôle de constitutionnalité des conventions. L’affirmation de l’existence d’un tel contrôle est difficile à établir. Si dans l’arrêt Koné (CE, 3 juillet 1996), il avait interprété une convention d’extradition au regard d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République, ayant valeur constitutionnelle (et qu’il a lui-même dégagé. Voir pour une application positive : CE, Sect., 9 décembre 2016, M. A., req. n° 394399, qui traduit la pérennité de cette solution), en revanche, il semble avoir largement limité son contrôle dans l’arrêt Commune de Porta (CE, 8 juillet 2002, req. n° 239366). Il y juge, de façon très claire : « Considérant qu'il n'appartient pas au Conseil d'État statuant au contentieux de se prononcer sur le bien-fondé des stipulations d'un engagement international, sur sa validité au regard d'autres engagements internationaux souscrits par la France ou sur le moyen tiré de ce qu'il méconnaîtrait les principes énoncés à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; qu'il ne lui appartient pas davantage de se prononcer sur le bien-fondé d'un moyen tiré de ce que l'autorité qui a signé le traité ou l'accord, au nom de la partie étrangère, n'aurait pas été habilitée pour ce faire par la constitution ou les dispositions de droit interne de cet État ».
Si la décision Rujovic effectue une application pleine et entière de l’article 61-1 de la Constitution, en revanche, elle laisse de côté la problématique de l’organe compétent pour assurer le contrôle des engagements internationaux antérieurs à 1958, lacune qui n’est pas comblée par son office de juge de la recevabilité des questions prioritaires de constitutionnalité.
B - Un contrôle retenu de la recevabilité des questions prioritaires de constitutionnalité
Les développements qui précèdent démontrent à suffisance que le juge administratif est bel et bien juge de la recevabilité des questions prioritaires de constitutionnalité, et, ce faisant, juge négatif de la constitutionnalité des lois.
Dans l’affaire commentée, le requérant avait également tenté de faire admettre le contrôle de constitutionnalité de la Convention de Genève de façon indirecte, en soulevant des griefs contre les dispositions législatives qui transposent, selon lui, la Convention. Cette voie est également fermée par le Conseil d’État.
Tout d’abord, le requérant soutenait que la loi autorisant la ratification du traité était contraire à la Constitution. On sait depuis la décision du Conseil constitutionnel du 23 juillet 1980, Loi autorisant la ratification de la convention franco-allemande additionnelle à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, n° 80-116 DC, que le Conseil admet de contrôler la constitutionnalité de la convention en contrôlant celle de la loi de transposition. Ce faisant, le Conseil admet de réaliser le contrôle prévu à l’article 54 de la Constitution par le biais de celui établi à l’article 61.
La stratégie du requérant aurait donc pu être admise. Cependant, le Conseil d’État juge que « la loi autorisant la ratification d'un traité, qui n'a d'autre objet que de permettre une telle ratification, n'est pas applicable au litige au sens et pour l'application des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et est, par sa nature même, insusceptible de porter atteinte à des droits et libertés au sens des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution ». Il estime donc que le mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité n’est pas approprié pour ouvrir la voie à un contrôle qui est, par lui-même, interdit directement, un traité n’étant pas une « disposition législative » au sens et pour l’application de l’article 61-1 C. C’est donc le choix de la cohérence que réalise le Conseil d’État, au détriment cependant de la protection des droits. Il est tout à fait exact de soutenir qu’une loi de ratification, en elle-même, ne porte pas atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Cependant, si l’objet de la loi n’est pas, « applicable » au litige, pour l’application de l’article 61-1 C, l’effet juridique de la loi de transposition est bien de conférer force normative au traité dans l’ordre interne.
De la même façon, le Conseil d’État rejette le moyen tiré de l’inconstitutionnalité d’autres dispositions législatives du Code de l’entrée, du séjour et du droit d’asile, en ce que « l'article L. 711-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article L. 721-2 du même code, issu du I de l'article 2 de la loi du 25 juillet 1952, qui sont contestés en tant qu'ils rappellent l'applicabilité de la convention de Genève, ne sauraient être regardés comme applicables au litige au sens et pour l'application des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ». Le premier de ces articles définit la notion de réfugié, alors que le second confère compétence à l’OFPRA pour reconnaître la qualité de réfugié aux demandeurs, les deux, dans le respect de la Convention de Genève. S’il est exact que ces dispositions forment le cadre juridique du litige en cause, il ne saurait, en revanche, être admis qu’ils soient « applicables » dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité. Le fait qu’il revienne à l’OFPRA d’assurer la mise en œuvre des stipulations de la Convention de Genève ne constitue pas, en lui-même, l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
En tant que juge de la recevabilité des questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil d’État dispose donc d’un réel pouvoir résidant dans sa capacité à interpréter les dispositions constitutionnelles et législatives.
CE, 14/05/2010, M. Rujovic
Vu le mémoire, enregistré le 22 mars 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté pour M. Senad B, demeurant ..., en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; M. B demande au Conseil d'Etat, en défense du pourvoi de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides tendant à l'annulation de la décision du 9 novembre 2007 par laquelle la commission des recours des réfugiés a annulé la décision du 24 juillet 2006 du directeur de l'Office et reconnu à M. B la qualité de réfugié, de transmettre au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 1 F de la convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, de la loi du 17 mars 1954 ayant autorisé le Président de la République à ratifier la convention de Genève, de l'article 2 I de la loi du 25 juillet 1952 et de l'article L. 711-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son article 61-1 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Vu la loi n° 54-290 du 17 mars 1954 autorisant le Président de la République à ratifier la convention de Genève relative au statut des réfugiés, du 28 juillet 1951, ensemble ladite convention ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Gilles Pellissier, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Foussard, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de M. B,
- les conclusions de Mme Julie Burguburu, Rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Foussard, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de M. B ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ; que, d'une part, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le juge administratif, juge de droit commun de l'application du droit de l'Union européenne, en assure l'effectivité, soit en l'absence de question prioritaire de constitutionnalité, soit au terme de la procédure d'examen d'une telle question, soit à tout moment de cette procédure, lorsque l'urgence le commande, pour faire cesser immédiatement tout effet éventuel de la loi contraire au droit de l'Union ; que, d'autre part, le juge administratif dispose de la possibilité de poser à tout instant, dès qu'il y a lieu de procéder à un tel renvoi, en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;
Considérant, en premier lieu, que M. B soutient que l'article 1 F de la convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 est contraire au principe constitutionnel de la présomption d'innocence et au droit d'asile ; que toutefois, il résulte des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution que leur application ne peut conduire à saisir le Conseil constitutionnel que d'une question portant sur une disposition législative ; que par suite, la question soulevée est irrecevable ;
Considérant, en deuxième lieu, que la loi autorisant la ratification d'un traité, qui n'a d'autre objet que de permettre une telle ratification, n'est pas applicable au litige au sens et pour l'application des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et est, par sa nature même, insusceptible de porter atteinte à des droits et libertés au sens des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution ;
Considérant, en troisième et dernier lieu, que l'article L. 711-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article L. 721-2 du même code, issu du I de l'article 2 de la loi du 25 juillet 1952, qui sont contestés en tant qu'ils rappellent l'applicabilité de la convention de Genève, ne sauraient être regardés comme applicables au litige au sens et pour l'application des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que l'article 1 F de la convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, la loi du 17 mars 1954 ayant autorisé le Président de la République à ratifier la convention de Genève, l'article 2 I de la loi du 25 juillet 1952 et l'article L. 711-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Senad B, à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, au Premier ministre et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.
