La tradition française nie au juge le pouvoir de faire obstacle à la loi. Montesquieu n’affirmait-il pas : « Les juges de la nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés, qui n’en peuvent modérer ni la force ni la rigueur » ?. Le juge est maintenu dans une position de révérence au regard de la loi – « expression de la volonté générale » (Art. 6 DDHC). L’arrêt CE, Sect., 6 novembre 1936, Arrighi, est l’expression la plus parfaite de cette conception.

Durant l’entre-deux-guerres, la France est soumise à une régime de difficultés budgétaires. Afin de remédier à la situation de la façon qu’il a jugé la plus efficace, le Parlement a adopté une loi autorisant le Gouvernement à prendre toutes mesures utiles aux fins de permettre de rétablir l’équilibre des finances de l’État. Parmi ces dispositions prises par délégation, le Gouvernement a adopté un décret destiné à favoriser la réduction de la masse salariale de l’État par mise à la retraite d’office de certains agents, sans que cela ne constitue pour autant une sanction. Le décret du 10 mai 1934 a ainsi modifié des dispositions de nature législatives relatives au droit de la fonction publique. Le sieur Arrighi, relevant de l’autorité du ministre de la Guerre, s’est vu appliquer cette disposition. Dans son recours contre la décision individuelle le concernant, il soulève, par exception, l’inconstitutionnalité de la loi autorisant le Gouvernement à prendre les mesures réglementaires qui constituent la base de la décision de sa mise à la retraite. Le Conseil d’État est confronté à la question de l’étendue de son contrôle et, notamment, de celle relative à la possibilité d’effectuer un contrôle de constitutionnalité de la loi. Il rejette sèchement le moyen développé devant lui et pose ainsi les bases de la théorie dite de l’écran législatif. Selon cette dernière, lorsqu’une loi s’interpose entre un acte réglementaire dont il a à connaître et une norme supérieure à la loi – loi organique, traité ou Constitution -, il se déclare incompétent pour connaître du moyen tiré de la non-conformité de cette disposition législative à la norme supérieure. Ce faisant, il place la loi dans une position, sinon de supériorité, du moins d’immunité partielle.

L’arrêt Arrighipose clairement les bases de la théorie de l’écran législatif (I). Au regard de l’évolution récente du droit, de ses dynamiques internes et externes, il convient d’atténuer les situations dans lesquelles elle trouve encore à s’appliquer (II).

  • I - L’affirmation de la théorie de l’écran législatif
    • A - Une logique ancrée dans la tradition républicaine
    • B - Une conciliation réalisée au détriment de la hiérarchie des normes
  • II - La réduction des effets de l’écran législatif
    • A - L’irruption de la QPC
    • B - L’atténuation de l’écran législatif par le contrôle de conventionnalité
  • CE, sect., 06/11/1936, Arrighi 

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