Introduction
Longtemps considérée comme une norme incontestable en raison du dogme révolutionnaire de la loi expression de la volonté générale, l’œuvre du législateur va voir, au cours de la seconde moitié du XX° siècle, son statut remis en cause du fait de la création d'un contrôle de constitutionnalité a priori (c'est-à-dire avant promulgation) confié au Conseil constitutionnel et de sa soumission aux conventions internationales (art. 55 de la Constitution de 1958). La révision constitutionnelle du 23/07/2008 parachève ce mouvement en instituant un contrôle de constitutionnalité a posteriori appelé Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC).
Plus précisément, le nouvel article 61-1 de la Constitution permet à tout justiciable, à l'occasion d'un litige porté devant une juridiction administrative ou judiciaire, de contester la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit. Ce dispositif a été précisé par la loi organique du 10/12/2009 et les premières QPC ont pu être déposées à compter du 1°/03/2010.
Si les conditions formelles de dépôt d'une QPC devant le juge administratif s'avèrent peu contraignantes (I), le champ d'application de la nouvelle procédure est strictement encadré puisque, d'une part, seule une disposition législative peut être contestée et, d'autre part, les griefs d'inconstitutionnalité invoqués doivent se rapporter aux droits ou libertés que la Constitution garantit (II).
Une fois la QPC admise dans son principe, s'exerce, alors, un double filtrage dont la finalité n'est autre que de parer à tout risque de manœuvres dilatoires de la part de justiciables zélés ou de dépôt de QPC manifestement infondées. Un premier filtre est exercé par les Tribunaux administratifs et les Cours administratives d'appel. Le second est à la charge du Conseil d’État qui décide, en dernier lieu, de renvoyer ou non la Question au Conseil constitutionnel. Dans l'exercice de cette mission, le juge administratif doit vérifier le respect de trois conditions : la disposition législative doit, ainsi, être applicable au litige, elle ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution dans une décision du Conseil constitutionnel et la question de constitutionnalité doit revêtir un degré de sérieux qui varie selon que l'on se situe devant les juridictions subordonnées ou devant le Conseil d’État (III).
Si ces trois conditions sont remplies, le Conseil d’État renvoie la QPC au Conseil constitutionnel qui peut soit déclarer la disposition législative conforme à la Constitution, soit la juger contraire à la Charte fondamentale. Dans le premier cas, il revient au juge administratif d'appliquer la disposition au litige. Dans le second, la disposition est abrogée à compter de la décision du juge constitutionnel (IV).
I – Quelles sont les modalités d'invocation d'une QPC ?
Pour que la Question prioritaire de constitutionnalité soit examinée, la juridiction saisie doit, préalablement, vérifier le respect de quatre conditions formelles.
La première condition a trait à la personne qui soulève la QPC : celle-ci doit, ainsi, être impérativement une partie à l'instance, le juge ne pouvant soulever la Question d'office. Les griefs d'inconstitutionnalité affectant une disposition législative ne constituent donc pas un moyen d'ordre public.
La seconde condition implique que la QPC soit soulevée à l'occasion d'une instance introduite devant une juridiction relevant du Conseil d’État (ou de la Cour de cassation). Il n'est, donc, pas possible de saisir directement le Conseil constitutionnel. Le justiciable doit obligatoirement passer par le filtre opéré par les juridictions administratives, qu'il s'agisse des juridictions subordonnées ou du Conseil d’État. En revanche, la QPC peut être soulevée aussi bien devant les juridictions saisies au fond que dans le cadre des procédures d'urgence introduites devant le juge des référés, telles que le référé-liberté ou le référé-suspension.
La troisième condition autorise le requérant à invoquer une QPC, pour la première fois, tant en première instance qu'en appel ou en cassation. La seule limite est qu'il ne peut soumettre au Conseil d’État une QPC identique à celle formulée devant la juridiction subordonnée et rejetée par elle, sauf à formuler des moyens nouveaux.
La quatrième et dernière condition impose au justiciable de présenter la QPC dans un mémoire distinct de celui afférent au litige principal et dûment motivé. Autrement dit, le grief d’inconstitutionnalité ne peut être soulevé dans le mémoire principal ou de manière succincte dans un mémoire distinct. Cette exigence vise à faciliter le travail des juges qui sont soumis à des délais restreints : elle leur permet de scinder aisément les arguments liés au lige principal et ceux relatifs au litige constitutionnel, de manière à décider s'il y a lieu à transmission de ces derniers au Conseil d’État ou à renvoi au Conseil constitutionnel.
II – Quel est le champ d'application de la QPC ?
Le champ d'application de la QPC est déterminé par l'article 61-1 de la Constitution de 1958. Celui-ci prévoit : « lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ». Une QPC ne peut donc être soulevée qu'à l'encontre d'une disposition législative (A) et uniquement lorsque sont en cause les droits et libertés que la Constitution garantit (B).
A - Seule une disposition législative peut être contestée
Pour que la procédure de QPC soit applicable, le requérant doit contester la constitutionnalité d'une disposition législative. Cette exigence interdit, ainsi, d'interroger le Conseil constitutionnel, à titre préjudiciel, sur l'interprétation d'une norme constitutionnelle, indépendamment de toute critique d'une disposition légale. Cette notion fait l'objet de la part des juges constitutionnel et administratif d'une définition, somme toute, orthodoxe.
D'un point de vue matériel, sont visées l'ensemble des lois soumises au contrôle a priori du Conseil constitutionnel. Cela inclut les lois ordinaires, les lois organiques, les « lois du pays » de Nouvelle-Calédonie, mais aussi les ordonnances prises sur la base de l'article 38 de la Constitution et ratifiées par le Parlement. De même, la procédure de QPC permet de contester tant la constitutionnalité d'une disposition législative elle-même que la constitutionnalité de l'interprétation jurisprudentielle faite de cette disposition (CE, 25/06/2010, M. et Mme Lantz ; CC, 06/10/2010, n° 2010-39 QPC). Quant aux lois référendaires, elles échappent à ce dispositif (CC, 25/04/2014, n° 2014-392 QPC).
En revanche, sont exclus du champ d'application de la QPC les actes administratifs (décrets, arrêtés, …) dont le contrôle de constitutionnalité relève, classiquement, des juridictions administratives. Une évolution jurisprudentielle a, toutefois, eu lieu concernant les ordonnances de l’article 38 de la Constitution non encore ratifiées. Le Conseil constitutionnel considère, désormais, que les dispositions d’une ordonnance non ratifiée portant sur le domaine législatif ne peuvent être modifiées que par la loi à compter de la date d’expiration du délai d’habilitation : elles doivent, ainsi, être regardées, dès cette date, comme des dispositions législatives et leur conformité aux droits et libertés constitutionnellement garantis ne peut être contestée que par la voie de la QPC (CC, 28/05/2020, n° 2020-843 QPC ; CC, 03/07/2020, n° 2020-851/852 QPC). Le Conseil d’Etat a tiré les conséquences de cette nouvelle jurisprudence et distingue selon les moyens invoquées contre les dispositions matériellement législative d’une ordonnance non ratifiée passé le délai d’habilitation (CE, ass., 16/12/2020, Féd. CFDT Finances et autres). Si les moyens portent sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, ceux-ci ne peuvent être examinés que par la voie de la QPC. Tous les autres moyens continuent de relever de sa compétence. Enfin, les dispositions d’une ordonnance non ratifiée qui relèvent du domaine règlementaire conservent leur nature administrative et ne peuvent pas faire l’objet d’une QPC.
D’un point de vue temporel, la notion de « disposition législative » vise aussi bien les lois postérieures qu’antérieures à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958. Peu importe également que la disposition contestée ait été abrogée ou modifiée après l'introduction du recours, dès lors qu'elle est bien applicable au litige.
Enfin, même si la QPC porte sur une disposition législative, il faut que cette dernière soit susceptible de porter « atteinte aux droits et libertés que le Constitution garantit ». Tel n'est pas le cas, notamment, d'une loi autorisant la ratification d’une convention internationale.
B - Seule la méconnaissance des « droits et libertés que la Constitution garantit » peut être invoquée
Bien que simple en apparence, la notion de « droits et libertés que le Constitution garantit » s'est révélée peu aisée dans son application. S'il ne fait pas de doute qu'elle recoupe tant les droits et libertés énoncés par le texte même de la Constitution que ceux contenus dans les textes auxquels son préambule renvoie (Déclaration de 1789, Préambule de 1946, Charte de l'environnement de 2004), il a fallu au Conseil constitutionnel déterminer, au fil de ces décisions, les principes qui, au sein de ces textes, relevaient cette catégorie. Celui-ci a, ainsi, jugé que tel était le cas du principe selon lequel l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle (art. 66 Constitution) ou du principe de la liberté d'association. En revanche, il a exclu de cette catégorie les principes d'annualité et de sincérité budgétaires.
Plus généralement, sont exclues du dispositif deux catégories de règles. Il s’agit, en premier, des règles de fond qui ne se rapportent pas à des droits et libertés : par exemple, le principe selon lequel l’organisation de la République est décentralisée, le principe de légalité des actes administratifs, … Il s’agit, ensuite, des règles de forme, de procédure ou de compétence. Toutefois, le moyen tiré de l'incompétence négative du législateur, c'est-à-dire le fait pour ce dernier de ne pas épuiser sa compétence telle que définie par l'article 34 de la Constitution et qui est classiquement sanctionnée par le Haut conseil dans le cadre de son contrôle a priori de la loi, est, dans le cadre de la QPC, jugé opérant si cette incompétence négative affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit en les privant de garanties légales ou en n’assurant pas leur mise en œuvre.
III – Comment s'opère le filtrage par le juge administratif ?
Afin que les requérants ne puissent utiliser la procédure de QPC à des fins dilatoires ou que le Conseil constitutionnel n'ait à se prononcer sur des questions manifestement infondées, la QPC est soumise à un double filtrage. Le premier est assuré par les juridictions subordonnées (A), le second par le Conseil d’État (B). Dans cette mission, les juges se doivent de vérifier le respect de trois conditions (C).
A - Un premier filtrage par les juridictions subordonnées
Ce rôle est assuré par les Tribunaux administratifs et les Cours administratives d'appel qui, doivent, lorsqu'une QPC est soulevée devant eux, statuer sans délai et par une décision motivée. Avant de transmettre la QPC au Conseil d’État, ils doivent s'assurer du respect de trois conditions :
- la disposition législative dont la constitutionnalité est contestée doit être applicable au litige ou à la procédure ou constituer le fondement des poursuites,
- cette disposition ne doit pas déjà avoir été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changements de circonstances,
- la question ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux.
Si la juridiction estime que ces conditions sont remplies, elle transmet la QPC au Conseil d’État et sursoit à statuer sur le litige principal en attendant la décision de ce dernier et, le cas échéant, celle du Conseil constitutionnel. Il n'est fait exception à ce sursis que lorsque l'instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté ou lorsqu'il est prévu que la juridiction statue en urgence ou dans un délai déterminé.
Dans le cas contraire, la procédure ordinaire reprend son cours et la juridiction tranche le litige principal. La décision de non-transmission peut, cependant, être contestée par le requérant à l'occasion de l'appel ou du pourvoi en cassation contre la décision rendue sur le litige principal. Le juge peut aussi décider de ne pas transmettre la QPC au Conseil d’État si la disposition législative contestée a donné lieu, pour les mêmes motifs, à une QPC encore en cours devant le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel : dans ce cas, il sursoit à statuer jusqu'à la décision définitive sur cette QPC.
B - Un second filtrage par le Conseil d'État
Pour se prononcer sur le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel, le juge administratif suprême dispose d'un délai de trois mois. En cas de non-respect de ce délai, le juge constitutionnel est automatiquement saisi de la QPC.
Pour remplir sa mission de second et dernier filtre, le Conseil d’État doit vérifier le respect de trois conditions. Les deux premières sont identiques à celle des juges de première instance et d'appel. En revanche, la troisième est plus exigeante puisqu'elle implique que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux (et non plus seulement qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux).
Comme les juridictions subordonnées, le Conseil d’État ne renverra la QPC au Conseil constitutionnel que si ces trois conditions sont remplies ; dans cette hypothèse, il devra surseoir à statuer sur le litige principal jusqu'à la décision de son voisin du Palais Royal. A l'inverse, si l'une de ces conditions fait défaut, il rejettera la QPC et devra trancher le litige principal selon les procédures ordinaires, sans que ce refus de renvoi soit susceptible de recours. De même, il ne renverra pas la QPC au juge constitutionnel si celle-ci met en cause une disposition législative dont ce dernier est déjà saisi pour les mêmes motifs ; il n'en ira différemment que si cette seconde QPC comporte un autre moyen lui conférant un caractère sérieux et que le Conseil constitutionnel ne s'est pas déjà prononcé sur la première QPC.
La décision que prend le Conseil d’État doit également être motivée. Cette motivation varie selon que la QPC est ou non renvoyée au Conseil constitutionnel. Dans le premier cas, le juge administratif suprême est succinct pour ne pas empiéter sur l'office du juge constitutionnel. Dans le second, sa motivation est, au contraire, plus détaillée afin d'éclairer le justiciable, notamment à partir de la jurisprudence constitutionnelle, sur les raisons qui expliquent pourquoi la QPC ne peut être renvoyée au Haut conseil.
C - Les conditions de la QPC
Ces conditions sont au nombre de trois et sont cumulatives. Les deux premières sont communes aux Tribunaux administratifs / Cours administratives d'une part et au Conseil d’État d'autre part. La troisième, bien que reposant sur les mêmes principes, fait l'objet d'une exigence plus poussée devant le juge administratif suprême.
En premier lieu, la disposition législative dont la constitutionnalité est contestée doit être applicable au litige ou à la procédure ou constituer le fondement des poursuites. C'est, par exemple, le cas lorsque la décision administrative attaquée dans le cadre du litige principal fait application de la disposition législative contestée.
L'appréciation portée par le Conseil d’État sur le respect de cette condition est relativement libérale. Celui-ci tend, en effet, à considérer qu'est applicable à un litige toute disposition qui n'est pas dépourvue de tout lien avec lui. Cette condition est, ainsi, jugée remplie même lorsqu'une autre interprétation de la loi que celle retenue conduirait à regarder la disposition législative contestée comme non applicable au litige. Dans le même sens, un requérant est admis à déposer une QPC en soutenant qu'une disposition législative est inconstitutionnelle en tant qu'elle ne s'applique pas, à tort, à sa situation. Enfin, le Conseil d’État considère qu'une disposition non applicable à un litige, mais présentant un rapport d'indissociabilité avec une disposition dont l'application est à l'origine du litige, peut être renvoyée au Conseil constitutionnel avec cette seconde disposition.
Cette ligne de conduite connaît, toutefois, des imites : ainsi, une loi de ratification d'un traité tout comme une loi de programmation ne peuvent, en raison de leur objet, être regardées comme applicables à un litige.
Notons pour conclure sur ce point que, dans l'un et l'autre cas, l'appréciation portée par le juge administratif ne peut être remise en cause par le Conseil constitutionnel.
En deuxième lieu, la disposition législative ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Cette condition découle de l'autorité de la chose jugée des décisions du juge constitutionnel. Ainsi, même lorsque le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur la conformité de la disposition contestée aux droits et libertés invoqués dans le cadre de la QPC, le fait qu'il l'ait déjà déclarée constitutionnelle dans les motifs et le dispositif d'une décision, au regard d'un autre principe, fait obstacle à ce que la QPC lui soit transmise. En revanche, lorsque le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution une loi modifiant le champ d'application de la disposition législative contestée, cette dernière ne peut elle-même être regardée comme ayant été déjà déclarée conforme à la Charte fondamentale.
Il n'est fait exception à cette règle qu'en cas de changement de circonstances. Le Conseil constitutionnel a précisé que ce changement pouvait concerner tant les circonstances de droit que les circonstances de fait. La première hypothèse peut résulter d'une évolution du cadre juridique dans lequel s'inscrit la disposition litigieuse : ainsi, des modifications substantielles des règles applicables au financement des campagnes électorales peut justifier de soumettre à nouveau au Conseil constitutionnel certaines dispositions du Code électoral. Dans le second cas, un changement d'ordre factuel a été admis à l'occasion de l'évolution des charges et des ressources financières des départements, de sorte qu'il est apparu justifié que soit à nouveau examiné la conformité à la Constitution des dispositions législatives organisant la compensation financière du transfert de compétences en matière d'organisation du revenu minimum d'insertion.
En troisième et dernier lieu, vient une condition qui apparaît comme l'élément cardinal de la fonction de filtre alloué au juge administratif. Elle diffère selon que l'on se situe devant les juridictions subordonnées ou devant le Conseil d’État et se dédouble en deux critères.
Le premier est propre au Conseil d’État et tient au caractère nouveau de la question soulevée. Ce premier critère implique que le Conseil constitutionnel soit saisi de l’interprétation de toute norme constitutionnelle dont il n'a pas encore eu l'occasion de faire application. La nouveauté, comme condition de la QPC, ne s'apprécie donc pas au regard de la disposition législative contestée, mais à celui du moyen d'inconstitutionnalité invoqué. Il recouvre deux hypothèses. La première tient au fait que la norme constitutionnelle invoquée n’a pas encore été dégagée, appliquée ou interprétée par le Conseil constitutionnel. La seconde concerne le cas où le renvoi présente, aux yeux du Conseil d’Etat, un intérêt.
Le second critère est, lui, commun aux juges de première instance et d'appel d'une part et au Conseil d’État d'autre part, mais le degré d'exigence avec lequel il doit être apprécié diffère d'un cas à l'autre. En effet, alors que devant les juridictions subordonnées, il est seulement nécessaire que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux, ce qui suppose qu'elle ne soit pas absurde, devant le Conseil d'Etat, il est, au contraire, exigé que la question présente un caractère sérieux, ce qui constitue un critère plus strict. Autrement dit, le juge administratif suprême doit écarter les questions manifestement infondées ou ne laissant aucun doute sur le fait que le Conseil constitutionnel serait conduit à ne pas censurer la disposition litigieuse sur la base des griefs invoqués.
Pour apprécier le caractère sérieux de la question, le Conseil d’État applique un raisonnement par analogie et s'appuie sur les précédents du Conseil constitutionnel : il peut, ainsi, écarter le caractère sérieux en se référant au principe en cause tel qu'interprété par le Haut conseil; en revanche, lorsque l'état de la jurisprudence de son voisin du Palais Royal pousse dans le sens de l’inconstitutionnalité ou, du moins, laisse persister un doute sérieux sur la constitutionnalité de la disposition, il y a lieu de renvoyer la QPC. Dans cette seconde hypothèse, le Conseil d’État ne préjuge, cependant, en rien de l'inconstitutionnalité de la disposition, mais se borne à constater, dans son rôle de filtre, que la question mérite d’être soumise au Conseil constitutionnel.
IV – Quelles sont les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel ?
Dès la QPC reçue, le Conseil constitutionnel dispose d'un délai de trois mois pour se prononcer. Il rend, alors, une décision motivée au terme d'une procédure contradictoire. Deux cas de figure peuvent se présenter.
Le juge constitutionnel peut déclarer la disposition législative contestée conforme à la Constitution. Elle conserve, alors, sa place au sein de l'ordre juridique. Et, la juridiction saisie au fond devra en faire application au litige en cours devant elle, en tenant compte des éventuelles réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel, à moins qu'elle ne la juge incompatible avec le droit international ou communautaire / européen.
Le Haut conseil peut, au contraire, déclarer la disposition législative contraire à la Constitution. Celle-ci est, en principe, abrogée à compter de la publication de la décision : concrètement, elle disparaît de l'ordre juridique pour l'avenir et n'est appliquée ni au litige à l'origine de la QPC, ni aux instances en cours à la date de la publication de la décision. Ce principe fait, cependant, l'objet de deux types d'adaptation.
D'une part, le Conseil constitutionnel peut fixer la prise d'effet de l'abrogation à une date ultérieure qu'il détermine dans sa décision, de manière à donner au législateur un délai suffisant pour adopter les dispositions visant à remplacer celles qui ont été reconnues contraires à la Constitution.
D'autre part, il peut déterminer les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause. Il peut, notamment, prévoir que le législateur devra adopter des dispositions législatives relatives aux instances en cours.
