Introduction

Le Parlement garde une compétence exclusive pour voter le projet de loi de finances. Toutefois, afin de remédier aux excès des III° et IV° Républiques, la Constitution de 1958 a, dans le cadre du parlementarisme rationnalisé, nettement encadré ses prérogatives budgétaires. Une situation que n’a que partiellement remise en cause la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) du 1° août 2001. Cet encadrement peut s’observer d’un triple point de vue.

D’abord, l’adoption du projet de loi de finances est enserrée dans des délais, de dépôt par le Gouvernement et de vote par le Parlement, très stricts. Il s’agit, là, de garantir l’entrée en vigueur de la loi de finances au 1° janvier de l’année qui suit et d’assurer, ainsi, la continuité des services publics.

Ensuite, si l’examen du projet de loi de finances suit les mêmes étapes que par le passé, à savoir l’examen en commission des finances, puis en séance publique, la procédure applicable depuis 1958 fait l’objet de spécificités qui tiennent, principalement, au fait que la discussion en séance porte en première lecture sur le texte présenté par le Gouvernement et à la globalisation très marquée des votes.

Enfin, les pouvoirs respectifs du Parlement et du Gouvernement en matière financière n’échappent pas au dogme qui a présidé à l’adoption de la Constitution de 1958, à savoir la limitation des prérogatives du législateur au profit du pouvoir exécutif.

Il convient donc d’étudier, dans une première partie, les délais de vote du projet de loi de finances (I), d’analyser, dans une seconde partie, ses modalités d’examen (II) et d’examiner, dans une dernière partie, les pouvoirs respectifs du Parlement et du Gouvernement en la matière (III).

I – Les délais de vote du projet de loi de finances

La Constitution de 1958 et la LOLF enserrent le vote du projet de loi de finances dans des délais très stricts. Il s’agit, là, d’éviter les errements des III° et IV° Républiques et, plus fondamentalement, d’assurer la continuité de l’Etat. Ces délais suivent une chronologie à quatre temps : le délai de dépôt du projet de loi de finances par le Gouvernement (A), le délai global de vote imparti au Parlement (B), les délais de première lecture par chaque chambre (C) et la procédure d’urgence (D).

A - Le délai de dépôt imparti au Gouvernement

L’article 39 de la LOLF prévoit que le projet de loi de finances et les documents annexes doivent être déposés au plus tard le premier mardi d’octobre sur le bureau de l’Assemblée nationale qui dispose, là, d’une priorité constitutionnelle sur le Sénat.

Si le Gouvernement n’a pas respecté cette date, empêchant, ainsi, l’adoption du projet de budget par le Parlement dans le délai de 70 jours qui lui est imparti, l’article 47 al. 4 de la Constitution de 1958 et l’article 45 de la LOLF offrent deux options au Gouvernement. Celui-ci peut soit demander au Parlement d’adopter uniquement la première partie du projet de loi de finances (la seconde partie étant discutée plus tard), soit demander le vote d’une loi spéciale l’autorisant à percevoir les impôts existants jusqu’à l’adoption de la loi de finances. Dans les deux cas, le Gouvernement prend, par la suite, des décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés : il s’agit, là, du minimum de crédits que le Gouvernement juge indispensable pour permettre le fonctionnement de l’Etat dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement. Cette prérogative a été utilisée en 1962 lorsque le Gouvernement de Georges Pompidou fut renversé par une motion de censure et l’Assemblée nationale dissoute.

B - Le délai global de vote imparti au Parlement

L’article 47 al. 3 de la Constitution prévoit que le Parlement dispose d’un délai global de 70 jours à compter de son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale pour voter le projet de loi de finances, ce qui, en pratique, signifie que le vote final doit intervenir entre le 10 et le 15 décembre.

Aux termes du même article, ainsi que de l’article 40 al. 6 de la LOLF, si le Parlement ne s'est pas prononcé dans le délai total de 70 jours, les dispositions du projet de loi de finances peuvent être mises en vigueur par ordonnance. Cette prérogative n’est pas applicable dans l’hypothèse où le législateur a formellement rejeté le texte. Cette disposition, qui dessaisit le Parlement de son pouvoir, n’a, cependant, jamais été utilisée.

C - Les délais de première lecture par chaque chambre

L’Assemblée nationale dispose, en première lecture, d’un délai de 40 jours après le dépôt du projet de loi de finances pour se prononcer (art. 47 al. 2 de la Constitution et art. 40 al. 1 de la LOLF). Le Sénat dispose, lui, d’un délai de 20 jours après avoir été saisi (art. 40 al. 2 de la LOLF).

Lorsque la chambre basse n’a pas respecté le délai de 40 jours qui lui est imparti, l’article 47 al. 2 de la Constitution et l’article 40 de la LOLF prévoient une procédure particulière. Le Gouvernement doit saisir le Sénat du texte qu'il a initialement présenté, modifié le cas échéant par les amendements votés par l'Assemblée nationale et acceptés par lui. Les sénateurs disposent, alors, d’un délai de 15 jours pour se prononcer sur l’ensemble du texte. Si ceux-ci ne respectent pas, à leur tour, ce délai, le Gouvernement saisit à nouveau l'Assemblée nationale du texte soumis au Sénat, modifié le cas échéant par les amendements votés par le Sénat et acceptés par lui. Le projet de loi de finances est, ensuite, examiné selon la procédure d'urgence dans les conditions prévues à l'article 45 de la Constitution.

D - La procédure d'urgence

Une fois que chaque chambre s’est prononcée en première lecture, 60 jours sont, en principe, passés. Il reste, donc, au maximum 10 jours au Parlement pour adopter définitivement le projet de texte s’il existe un désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Dans les faits, cependant, ce troisième temps dépasse rarement 8 jours dans la mesure où il est fait application de la procédure d’urgence, prévue par l’article 45 de la Constitution, qui est de droit pour le vote d’un projet de loi de finances. En effet, en la matière, le texte ne donne lieu qu’à une seule lecture par chaque assemblée avant que le Gouvernement ne provoque la réunion d’une commission mixte paritaire, composée de sept députés et de sept sénateurs, chargée de trouver un accord entre les deux assemblées sur les dispositions restant en discussion. Le reste de la procédure est identique à la procédure ordinaire. Deux hypothèses sont, ainsi, possibles.

La commission parvient à trouver un texte de compromis sur les points de désaccord et tant l’Assemblée nationale que le Sénat votent en sa faveur, le projet de loi de finances est, alors, définitivement adopté.

En revanche, si la commission mixte paritaire ne parvient pas à trouver un accord sur un texte commun ou si l’une des deux chambres rejette le texte que la commission a élaboré, le Gouvernement peut, après une nouvelle lecture par chacune d’entre elles, demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement conformément au droit commun de la procédure législative.

II - Les modalités d'examen du projet de loi de finances devant les assemblées

L’examen du projet de loi de finances devant chacune des deux chambres suit deux grandes étapes : le texte fait, d’abord, l’objet d’une analyse par les commissions des finances de chaque assemblée (A) ; il est, ensuite, discuté en séance publique (B).

A - L'examen préalable par les commissions des finances

Si la mission des commissions des finances en matière financière est demeurée inchangée au cours des trois derniers régimes qu’a connu la France, leurs prérogatives ont, elles, considérablement diminué à compter de 1958 (même s’il ne faut pas oublier les apports de la LOLF). Le vote du projet de loi de finances en constitue l’une des illustrations. Sous les III° et IV° Républiques, en effet, ces commissions avaient le pouvoir de modifier le projet déposé par le Gouvernement et c’est sur le texte, ainsi, modifié que s’engageait le débat parlementaire. La Constitution de 1958, inspirée par l’objectif de rehausser les pouvoirs de l’Exécutif, change la règle : son article 42 prévoit, désormais, que la discussion en séance des projets de loi de finances porte en première lecture sur le texte présenté par le Gouvernement.

Les commissions des finances continuent, néanmoins, à jouer un rôle déterminant dans la discussion budgétaire. Elles conservent, d’abord, sur le plan politique, un poids non négligeable dans la mesure où le Gouvernement ne peut systématiquement ignorer leurs propositions sous peine de fragiliser sa majorité. Leur influence tient, également, à la qualité de l’information qu’elles donnent aux parlementaires. Afin de nourrir leurs travaux, elles auditionnent, ainsi, le ministre du Budget sitôt le projet de loi de finances adopté par le Conseil des ministres. Mais, c’est au travers des travaux de leur rapporteur général et de leurs rapporteurs spéciaux qu’elles accomplissent le mieux cette tâche.

Le rapporteur général, dont la compétence s’étend à tous les textes de loi de finances, a la charge d’examiner, principalement, l’équilibre global du budget et son versant recettes. Il propose, ensuite, à la commission des amendements et doit défendre en séance publique les positions de la commission sur l’ensemble des amendements déposés. Il rédige surtout un rapport général proposant, d’une part, une analyse globale du budget replacé dans son contexte économique et financier et, d’autre part, un compte-rendu de son analyse du projet de loi de finances. Ce rapport constitue un remarquable document de synthèse très utile pour les parlementaires.

Les rapporteurs spéciaux sont, eux, chargés de l’examen détaillé des dépenses : ils analysent, ainsi, les crédits d’une mission ou, dans certains cas, d’un ou plusieurs programmes d’un même mission. Ils disposent, à cette fin, de pouvoirs d’investigation sur pièces et sur place, ainsi que d’un droit de communication de renseignements et de documents d’ordre financier et administratif.

Enfin, outre les deux commissions des finances, l’examen du projet de loi de finances fait, également, intervenir les autres commissions permanentes des deux chambres. Celles-ci expriment un avis sur les missions relevant de leurs domaines de compétences.

B - La discussion en séance publique

Le projet de loi de finances comporte deux parties. La première régit les ressources, fixe les plafonds de dépenses et arrête les données générales de l’équilibre budgétaire. La seconde détermine le montant des crédits pour chacune des missions, ainsi que le plafond des autorisations d’emplois par ministère. Aussi, afin que les grandes lignes de l’équilibre budgétaire soient fixées avant que l’examen détaillé des dépenses ne commence, l’article 42 de la LOLF, qui reprend l’article 40 de l’ordonnance de 1959, prévoit que la discussion sur la seconde partie du projet de loi de finances ne peut avoir lieu devant une assemblée avant l’adoption par celle-ci de la première partie du texte.

Comme tout projet de loi, le projet de loi de finances est voté article par article. Mais, son adoption s’est accompagnée, avec la LOLF, d’une réduction sensible du nombre de votes par rapport aux pratiques antérieures. La LOLF a, e effet, accentué le caractère global des votes demandés au Parlement. Alors que sous les III° et IV° Républiques, le nombre de votes était de 3 000 à 5 000, puis d’environ 130 sous le régime de l’ordonnance de 1959, il n’est plus, à présent, que d’une cinquantaine. C’est l’article 43 de la loi organique qui organise les opérations de vote. Leurs modalités diffèrent selon qu’il s’agit des recettes ou des dépenses.

S’agissant des premières, les évaluations de recettes font l’objet d’un vote d’ensemble pour le budget général, les budgets annexes et les comptes spéciaux. Les évaluations de ressources et de charges de trésorerie donnent lieu à un vote unique.

S’agissant des secondes, les crédits du budget général font l’objet d’un vote par mission. Les plafonds des autorisations d’emplois ventilés par ministère donnent lieu à un vote unique. Et, les crédits des budgets annexes et des comptes spéciaux sont votés par budget annexe ou par compte spécial.

III – Les pouvoirs du Parlement et du Gouvernement dans le vote du projet de loi de finances

Lors du vote du projet de loi de finances, il existe un net déséquilibre des pouvoirs entre le Parlement (A) et le Gouvernement (B).

A – Le droit d'amendement des parlementaires : un droit qui reste limité

Selon l’article 40 de la Constitution, « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. » Le Conseil constitutionnel a retenu une interprétation de cette disposition qui varie selon qu’il s’agit de dépenses ou de ressources.

En ce qui concerne les dépenses, l’interprétation retenue a été stricte : un parlementaire ne peut faire une proposition de dépense nouvelle, même si cette dernière s’accompagne de la création de recettes nouvelles ou de la diminution d’une autre dépense. La compensation n’est, ainsi, pas admise. Afin de renforcer les prérogatives des parlementaires, la LOLF, en son article 47 a, toutefois, précisé que « au sens des articles 34 et 40 de la Constitution, la charge s'entend, s'agissant des amendements s'appliquant aux crédits, de la mission. » Autrement dit, si les parlementaires doivent respecter le plafond global de la mission, ils disposent, à l’intérieur de celle-ci, de plus de liberté : il peuvent, ainsi, créer des programmes à l’intérieur d’une mission en prélevant des crédits sur les autres programmes de la mission, répartir autrement les crédits entre programmes d’une même mission, ou supprimer un ou plusieurs programmes d’une mission. Mais, les transferts de crédits entre missions ou la création de nouvelles missions restent interdits aux députés et sénateurs.

En ce qui concerne les ressources, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est plus souple. En effet, selon la Haute juridiction, la limitation posée par l’article 40 de la norme fondamentale ne conduit qu’à l’interdiction de diminuer leur niveau d'ensemble. Les parlementaires peuvent, en revanche, proposer la diminution d'une ressource à condition de majorer, en contrepartie, une autre ressource d’un montant équivalent.

B - Une discussion budgétaire sous la tutelle du Gouvernement

En vertu de la Constitution, le Gouvernement dispose de différentes prérogatives procédurales lui permettant d’influencer le cours de la discussion parlementaire d’un texte. Des prérogatives que l’Exécutif n’hésite pas à utiliser en matière financière pour faciliter l’adoption du projet de loi de finances.

Sur le plan de l’organisation, si l’article 48 de la Constitution institue un partage de l’ordre du jour entre Gouvernement et assemblées, il résulte du même article que le vote du projet de loi de finances est prioritaire : en d’autres termes, ce texte peut même être inscrit à l’ordre du jour des semaines réservées aux assemblées.

Au cours de la discussion, le Gouvernement peut s’opposer à l'examen d'un amendement qui n'aurait pas été soumis à la commission saisie sur le fond (art. 44 al. 2 de la Constitution). Il peut, également, demander à l’une ou l’autre des assemblées de se prononcer par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion, en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui : c’est le « vote bloqué » (art. 44 al. 3 de la Constitution). Il peut aussi opposer l’irrecevabilité dans l’hypothèse où un amendement interviendrait dans une matière qui ne relève pas du domaine de la loi (art. 41 de la Constitution).

Enfin, le Premier ministre peut, après délibération en Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote du projet de loi de finances (art. 49 al. 3 de la Constitution). Aucune limitation n’est prévue pour ce type de texte. Si aucune motion de censure n’est déposée dans le délai de 24 heures ou si la motion n’est pas adoptée, le projet de loi de finances est considéré comme adopté.