Introduction
L’élaboration du projet de loi de finances est un processus long et complexe. Long, car il commence plus d’un an avant l’exercice budgétaire concerné. Complexe dans la mesure où il se fonde sur des prévisions économiques qui présentent, par nature, un fort degré d’incertitude.
Au cœur de ce processus se trouve le pouvoir exécutif. C’est, en effet, à lui, qu’il s’agisse des responsables politiques ou des différentes administrations financières, que revient la charge exclusive d’élaborer le projet de loi de finances. Le Parlement ne dispose, lui, d’aucune prérogative en la matière, même si la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) du 1° août 2001 lui permet, à présent, d’intervenir indirectement grâce au débat d’orientation des finances publiques.
Sur le plan du déroulement, la LOLF a opté pour une logique descendante. La procédure commence, ainsi, par une phase de cadrage au cours de laquelle sont fixées les grandes orientations budgétaires. Ces dernières sont, ensuite, déclinées au niveau de chaque ministère et donnent lieu à des arbitrages du chef du Gouvernement en cas de désaccord entre le ministre des Finances et les autres ministres. Le projet de loi de finances peut, alors, être finalisé au cours de l’été.
Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, les acteurs de l’élaboration du projet de loi de finances (I) et d’analyser, dans une seconde partie, les différentes phases qui rythment cette élaboration (II).
I - Les acteurs de l'élaboration du projet de loi de finances
Les lois de finances ne peuvent être issues que de textes présentés par le Gouvernement (art. 39 de la Constitution de 1958). En d’autres termes, il ne peut y avoir que des projets de loi de finances et jamais des propositions (émanant des parlementaires). Est, ainsi, posée la compétence de principe de l’Exécutif en la matière (A). Les évolutions récentes tendant, néanmoins, à associer, dans ce processus, le Parlement (B) et d’autres acteurs (C).
A - Le pouvoir exécutif : une compétence exclusive
Les pouvoirs en matière d’élaboration du projet de loi de finances relèvent de l’Exécutif. Dans cette tâche, interviennent des acteurs politiques (1) et des acteurs administratifs (2).
1 – Les acteurs politiques
L'article 38 de la LOLF prévoit que "sous l'autorité du Premier ministre, le ministre chargé des Finances prépare les projets de loi de finances, qui sont délibérés en conseil des ministres". Aux termes de cet article, la compétence en la matière revient donc au chef du Gouvernement quand le ministre des Finances ne se voit reconnaître qu’une position subordonnée.
Cette hiérarchisation s’explique par la nature éminemment sensible des questions financières : en effet, c’est là que sont décidés les grands arbitrages de politiques publiques. Il est donc logique que ces textes soient préparés sous la supervision du Premier ministre. L’intervention du président de la République est, d’ailleurs, également, prévue en filigrane, puisque les projets de loi de finances « sont délibérés en conseil des ministres », lesquels sont présidés par le chef de l’Etat. Sur un plan plus politique, le caractère présidentiel du régime de la V° République fait de ce dernier l’autorité de décision de dernier ressort lorsque l’intervention du Premier ministre n’a pas permis de résoudre les désaccords entre le ministre des Finances et les autres ministres.
Le rôle du ministre du budget ne doit, pour autant, pas être minoré. C’est, en effet, lui qui coordonne et centralise toutes les demandes de crédits et contrôle les recettes. C’est, également, lui qui, par les hautes compétences de ses services, fournit aux deux têtes de l’Exécutif les informations financières nécessaires à leur prise de décision. Celui-ci intervient, donc, en amont et en aval des choix politiques effectués par le Premier ministre et le chef de l’Etat. En amont, il collecte les données indispensables à leurs choix. En aval, il assure leur traduction en terme budgétaire.
2 – Les administrations financières
La mission d’élaboration du projet de loi de finances à la charge du ministère des Finances est, essentiellement, réalisée par la Direction du budget. Trois grandes tâches lui incombent, tâches qu’elle doit accomplir avec le souci constant de l’équilibre global de la loi de finances. Elle doit, ainsi, d’abord, faire des estimations de dépenses et de recettes en les situant au sein de la programmation pluriannuelle produite à la commission européenne dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance. Elle doit, ensuite, effectuer une analyse rétrospective mettant en évidence les résultats obtenus eu égard aux objectifs et aux indicateurs qui avaient été fixés. Elle doit, enfin, préparer un budget semi-glissant à moyen terme sur trois ans.
Ces travaux sont éminemment complexes. En effet, au moment où ils sont effectués, on ne connaît pas toujours avec exactitude la totalité des dépenses et des recettes. Or, si les estimations réalisées sont fausses, à la suite, par exemple, d’arbitrages politiques trop optimistes ou d’une dégradation subite de la conjoncture, c’est tout le raisonnement budgétaire qui se trouvera faussé. Il convient, alors, de situer le budget dans un ensemble d’hypothèses macro-économiques (taux de croissance envisagé, évolution des taux d’intérêt, …) dont les données sont fournies, notamment, par la Direction générale du Trésor et l’INSEE.
Plus généralement, la Direction du budget doit réaliser un effort de remise en question de la dépense publique, c’est-à-dire analyser son utilité, son efficacité. Cette tâche est ancienne, mais elle a pris un relief particulier ces dernières années en raison des engagements européens de la France et de la difficulté à réduire les déficits publics (conf. les programmes de réformes RGPP, MAP et CAP22).
Afin de réaliser l’ensemble de ces missions, la Direction du budget ne travaille pas seule. Elle agit en étroite coordination avec les autres services du ministère des finances : outre la Direction générale du Trésor déjà notée, l’on peut, notamment, citer la Direction générale des finances publiques (DGFIP) ou, encore, la Direction de la législation fiscale.
B - Le pouvoir législatif : un rôle modeste
En matière de préparation du projet de loi de finances, le rôle du Parlement est limité. Ce rôle a, néanmoins, été, en partie, réhaussé par l’instauration d’un débat d’orientation des finances publiques, anciennement dénommé débat d’orientation budgétaire, organisé, habituellement, à la fin du printemps de chaque année (en juin ou au début juillet).
Les origines de ce débat son anciennes : expérimentation en 1990 par le Gouvernement Rocard et en 1996 par le Gouvernement Juppé. Ce dispositif sera repris annuellement à partir de 1998, puis normalisé par l’article 48 de la LOLF et rendu obligatoire dès 2003.
Récemment, la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques a fusionné ce débat avec le débat relatif au programme de stabilité en une séquence spécifique dédiée à l’orientation pluriannuelle des finances publiques qui se déroulera avant la transmission dudit programme à la Commission européenne, soit avant la fin du mois d’avril.
Cette procédure ne remet pas en cause le monopole dont dispose le pouvoir exécutif en matière d’élaboration du projet de loi de finances. Elle vise, simplement, à organiser une consultation du Parlement sur les choix envisagés par le Gouvernement pour le budget à venir en lui permettant de faire valoir un avis. Mais, même ainsi circonscrite, cette procédure présente certains intérêts d’un point de vue politique.
Pour le Parlement, ce débat permet de dépasser le stade des généralités du fait des informations détaillées qui lui sont transmises. En effet, les parlementaires disposent d’un rapport de la Cour des comptes, des rapports des commissions des finances des deux assemblées et du rapport sur l’évolution de l’économie nationale et sur les orientations des finances publiques déposé par le Gouvernement. La fixation du débat en milieu d’année leurs permet, par ailleurs, de disposer de résultats chiffrés sur l’exécution de l’exercice en cours. Les parlementaires peuvent, ainsi, peser sur les choix gouvernementaux. Ils le peuvent, d’ailleurs, plus largement que lors du vote du budget lui-même dans la mesure où ils peuvent discuter la nomenclature budgétaire, c’est-à-dire la répartition des crédits en missions, alors que, lors du vote, ils ne pourront débattre que dans le cadre des missions retenues par le Gouvernement.
Pour le Gouvernement, ce peut, également, être un outil permettant d’associer le Parlement à ses choix de manière à prévenir toute contestation qui pourrait se manifester lors de la discussion proprement dite du projet de loi de finances.
C - L'émergence d'institutions de régulation des finances publiques
La crise des déficits publics et le poids des engagements européens a mis en exergue l’importance d’appréhender les finances publiques de manière globale, c’est-à-dire en reliant les finances de l’Etat, les finances locales et les finances sociales. Dans cette logique, ont, progressivement, été institués des organismes paritaires ayant pour fonction de fournir des informations et de réguler, par la concertation, les évolutions des ressources et des dépenses publiques afférentes aux différentes administrations.
La création en 2006 de la Conférence nationale des finances publiques et du Conseil d’orientation des finances publiques a constitué un premier exemple de cette nouvelle forme de gouvernance. La première devait dégager les voies d’une maîtrise des dépenses publiques et de la dette. Le second devait, notamment, décrire et analyser la situation des finances publiques ou, encore, formuler des recommandations concernant la bonne gestion des finances publiques.
Ces organismes ont été supprimés par le décret du 18 février 2013. Parallèlement, la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques 2014 - 2019 du 29 décembre 2014 a institué une nouvelle Conférence des finances publiques associant l’État, les collectivités territoriales, les organismes de Sécurité sociale et les partenaires sociaux. Mais, elle ne s'est jamais réunie. Aussi, par un décret du 23 décembre 2016, l'Exécutif a décidé de la supprimer.
En revanche, la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques a institué un Haut conseil des finances publiques chargé de veiller au respect par les lois de programmation, mais aussi par les lois financières annuelles de l’objectif de déficit structurel de 0,5 % maximum du PIB. Celui-ci est, ainsi, chargé de rendre un avis sur les hypothèses macroéconomiques utilisées par le Gouvernement pour préparer des principales lois financières. Il doit, également, veiller à la cohérence de la trajectoire de retour à l’équilibre des finances publiques avec les engagements européens de la France. Ces missions ont été complétées par la loi organique du 28 décembre 2021. Ainsi, le Haut Conseil a, désormais, notamment, pour mission d'apprécier, en plus, le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses des principaux textes financiers.
Ces différentes institutions témoignent de la volonté de mettre en place une nouvelle forme de gouvernance financière permettant de réguler, de manière globale, les trois branches des finances publiques.
II - Les phases de l'élaboration du projet de loi de finances
La LOLF a considérablement modifié le processus d’élaboration du projet de loi de finances en substituant à une logique ascendante une logique descendante. En effet, auparavant, les crédits étaient discutés entre services, puis ministres, et donnaient, enfin, lieu à des arbitrages du Premier ministre. Dorénavant, la stratégie d'ensemble est définie collectivement et déclinée, ensuite, au niveau de chaque ministère.
Trois grandes phases rythment ce processus : la phase de cadrage (A), la phase d’arbitrage (B) et la phase de finalisation (C).
A – La phase de cadrage
La phase de cadrage budgétaire est essentielle, car elle permet de poser le cadre général dans lequel devront s’inscrire les réflexions et propositions relatives au projet de loi de finances. Elle se déroule en quatre étapes : fixation des grands objectifs (1), réunions techniques (2), conférences « performances » (3) et conférences budgétaires (4).
Cette phase donne lieu à l’envoi, au mois d’avril ou au mois de mai, par le chef du Gouvernement d’une lettre de cadrage aux ministres. Cette lettre rappelle les grandes données économiques et leur évolution prévisible, fixe les objectifs de la politique budgétaire du Gouvernement, ainsi que les directives aux différents ministres pour leurs demandes de crédits (diminution chiffrée de certaines dépenses, réduction d’effectifs, …).
Il convient, également, de noter que l’élaboration du projet de loi de finances s’inscrit dans le cadre d’une programmation budgétaire triannuelle en ce qui concerne les dépenses. Il s’agit d’une programmation semi-glissante. Autrement dit, un plafond global de dépense est fixé en fonction de la norme de dépense et fait l’objet d’une programmation ferme sur trois ans. Ce plafond peut, toutefois, être modifié en fonction d’une révision des taux d’inflation initialement prévus si l’évolution est à la hausse. Des plafonds sont, également, fixés par mission : ils sont fermes les deux premières années, mais révisables la troisième dans le respect du plafond global. Sont, ensuite, fixés les crédits répartis par programme : ils sont fermes la première année, mais modifiables les deux suivantes. La troisième année sert de base au prochain budget pluriannuel.
1 – La fixation des grands objectifs
Au mois de janvier, le Premier ministre détermine les grandes priorités du Gouvernement en matière de politiques publiques. Il réunit, ainsi, ses ministres dans le cadre d’un séminaire au cours duquel est présentée la stratégie d’ensemble en matière de finances publiques, qu’il s’agisse de faire le point sur la situation actuelle des comptes de l’Etat ou de préciser les objectifs de redressement des finances publiques et les mesures permettant d’y parvenir.
La méthode suivie est, ici, nouvelle en ce qu’elle institue une plus grande collégialité lors de la phase de cadrage, ce qui est de nature à responsabiliser les ministres.
2 – Les réunions techniques
En février, le ministère des Finances analyse et évalue avec les différents ministères l’exécution de l’année passée, ainsi que leurs besoins en crédits et en emplois pour l’année à venir.
3 – Les conférences « performances »
Entre mi-mars et mi-avril, se tiennent des conférences « performances » qui réunissent les services concernés des différents départements ministériels et la Direction du budget. Il s’agit, ici, de déterminer une liste des objectifs et des indicateurs de performance pour le prochain budget afin que les parlementaires puissent en disposer lors du prochain Débat d’orientation des finances publiques. Ces conférences ont aussi pour objet de préparer les projets annuels de performance annexés au projet de loi de finances.
4 – Les conférences budgétaires
En avril–mai, se tiennent des conférences budgétaires entre les services des ministères et la Direction du budget. Leur objet est d’examiner et de négocier les demandes de crédits et d’effectifs faites par les ministères pour remplir leurs missions. Les discussions se font selon les directives fixées par le Premier ministre dans sa lettre de cadrage.
Un compte rendu est établi à l’issue de ces conférences. Celui-ci fait apparaître les points de convergences, ainsi que les divergences qui feront, ensuite, l’objet d’arbitrages.
B – La phase d'arbitrage
Il s’agit, ici, pour le Premier ministre de procéder aux arbitrages entre le ministre des Finances et les autres ministres. Cette opération s’effectue au travers des réunions de restitution (1) et des lettres-plafonds (2).
1 – Les réunions de restitution
A l’issue des conférences, le ministres des Finances organise, en mai-juin, des réunions de restitution avec chacun des ministres. Ces réunions ont pour objectif d’examiner l’ensemble des propositions. En cas de désaccord, des arbitrages sont rendus par le Premier ministre et, parfois, le chef de l’Etat afin de concilier les priorités politiques et la stratégie budgétaire d’ensemble.
2 – Les lettres-plafonds
Une fois les arbitrages effectués, le chef du Gouvernement adresse, à la fin du mois de juin ou dans la première quinzaine de juillet, les lettres de plafonds qui sont spécifiques à chaque ministre. Ces lettres arrêtent le montant maximum des crédits par mission et le nombre maximum d’emplois par ministère, ainsi que les principales réformes structurelles à mettre en œuvre. Ces documents sont transmis aux commissions des finances des deux assemblées.
C – La phase de finalisation
La phase de finalisation du projet de loi de finances comprend plusieurs évènements : finalisation du projet proprement dite (1), avis de deux instances (2) et adoption du texte en Conseil des ministres suivie de son dépôt à l’Assemblée nationale (3).
1 – La finalisation du projet de loi de finances
Le projet de loi de finances lui-même est finalisé lors de réunions de répartition au cours desquelles la Direction du budget et les services des différents départements ministériels procèdent, jusqu’à la fin du mois de juillet, à la répartition des crédits et des effectifs par programmes et actions au sein des diverses missions et dans les limites fixés à celles-ci. Cette répartition est, ensuite, finalisée de la fin du mois de juillet jusqu’au début du mois d’août. Le projet de loi de finances est, par la suite, rédigé jusqu’au mois de septembre.
Ces travaux concernent aussi les annexes au projet de loi de finances. Ainsi, les projets annuels de performance (PAP), aussi appelés « bleus » budgétaires, sont finalisés fin août / début septembre. Ils comprennent, notamment, une présentation pluriannuelle des missions, le renseignement des indicateurs de performance, la justification des crédits au premier euro.
2 – Les avis
Une fois élaboré définitivement, le projet de loi de finances doit être transmis, pour avis, à deux instances en septembre.
La première est le Haut Conseil des finances publiques qui doit en avoir reçu communication au plus tard une semaine avant la transmission au Conseil d’État. L’avis du Haut Conseil porte sur le cadrage économique du projet de loi et sa cohérence avec les engagements européens de la France.
La seconde est le Conseil d’Etat. Comme tous les projets de loi, le projet de loi de finances est délibéré par le Conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat. Ce dernier, dont la mission est d’assister le Gouvernement dans la préparation du texte, examine d’abord le texte via sa section des finances, puis via son assemblée générale. Mais, la plupart du temps, le Premier ministre déclare l’urgence, ce qui a pour effet de saisir le Commission permanente du Conseil d’Etat. Dans cette tâche, la Haute juridiction veille à la régularité formelle de la présentation du texte et alerte le Gouvernement sur toute contrariété avec la Constitution.
3 – L’adoption en Conseil des ministres et le dépôt à l’Assemblée nationale
Une fois les avis rendus, le Conseil des ministres délibère sur le projet de loi de finances, généralement fin septembre.
Le texte, accompagné de ses annexes explicatives, est, ensuite, transmis au plus tard le 1° mardi d’octobre au bureau de l’Assemblée nationale (art. 39 de la LOLF). Cette chambre doit obligatoirement être saisie en premier.
Le projet doit, également, être transmis avant le 15 octobre de chaque année à la Commission européenne.
