Introduction
L’article 40 de la Constitution du 4 octobre 1958 limite le pouvoir d’initiative des parlementaires en matière financière. Celui-ci prévoit, en effet, que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. »
Cet article a un champ d’application extrêmement large puisqu’il couvre l’ensemble des administrations publiques et l’ensemble des textes d’initiative parlementaire, à savoir les propositions de loi et les amendements. Ses modalités de mise en œuvre sont, principalement, assurées par le règlement intérieur de chacune des deux assemblées : ces textes prévoient, en effet, les procédures permettant d’apprécier la recevabilité financière des propositions de loi et amendements parlementaires.
La rédaction de l’article 40 confère à la limitation du pouvoir d’initiative financière des parlementaires une portée qui varie selon qu’il s’agit de ressources ou de charges publiques. Cette rédaction permet, ainsi, de présenter un texte diminuant une ressource publique, sous réserve qu’il soit gagé par l’augmentation à due concurrence d’une autre ressource publique. En revanche, elle proscrit toute création ou aggravation d’une charge publique, même compensée.
Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, l’encadrement du pouvoir d’initiative des parlementaires en matière financière (I) et d’analyser, dans une seconde partie, la portée de la limitation de l’initiative parlementaire en matière financière (II).
I – L'encadrement du pouvoir d'initiative des parlementaires en matière financière
Le pouvoir d’initiative des parlementaires en matière financière est encadré par l’article 40 de la Constitution dont le champ d’application est extrêmement large (A). Les amendements et propositions de loi déposés dans ce cadre font l’objet d’un examen de leur recevabilité selon des procédures précisées par les règlements de chaque assemblée (B).
A – Le champ d'application de l'article 40 de la Constitution
L’article 40 de la Constitution s’applique à l’ensemble des administrations publiques et vise tous les textes déposés par les parlementaires.
En premier lieu, dans la mesure où il interdit les textes parlementaires de nature à provoquer « une diminution des ressources publiques » ou « l’aggravation d’une charge publique », ce sont l’ensemble des ressources et des charges publiques qui sont concernés. Par voie de conséquence, il s’applique tant à l’Etat et aux collectivités locales qu’aux organismes de sécurité sociale (à l’exclusion des régimes complémentaires) et au régime d’assurance chômage.
Par extension, l’article 40 est applicable aux structures publiques bénéficiant de financements publics, tels que les établissements publics à caractère administratif et la plupart des établissements publics industriels et commerciaux. En revanche, il n’englobe pas les entreprises publiques, de même que les organismes de formation professionnelle.
En second lieu, l’article 40 s’applique tant aux amendements qu’aux propositions de loi. Les premiers ont pour objet d’apporter des modifications aux projets ou propositions de loi. Les secondes sont des textes déposés par les parlementaires. Sont, ici, visées les propositions de lois soumises au vote des assemblées parlementaires, mais aussi les propositions de loi soumises au référendum. Le Conseil constitutionnel a précisé, pour les secondes de ces propositions, que l’examen de leur conformité à l’article 40 de la Constitution est systématique, même lorsque la question de la recevabilité financière n’a pas été soulevée, au préalable, lors de la discussion parlementaire. Pour les autres propositions de loi et les amendements, l’examen de leur recevabilité financière par le juge constitutionnel suppose que cette question ait été soulevée devant la première chambre qui en a été saisie, sauf si le contrôle mis en place par l’assemblée parlementaire n’est pas effectif et systématique.
Devant les chambres, la recevabilité financière des amendements et propositions de loi des parlementaires est examinée selon des procédures définies par leur règlement interne.
B – La procédure d'examen de la recevabilité financière
L’appréciation de la recevabilité financière des initiatives parlementaires s’effectue par rapport à un terme de comparaison et selon certaines modalités procédurales.
D’une part, les termes de comparaison pouvant être retenus pour apprécier le caractère coûteux d’une initiative parlementaire, qu’il s’agisse de la perte de recettes qu’elle entraîne ou de la création ou de l’aggravation d’une charge à laquelle elle procède, peuvent être : le droit en vigueur, le droit proposé, c’est-à-dire le texte en discussion, ou les différentes versions du texte en discussion précédemment adoptées par l’une des deux chambres. Le choix entre ces termes de comparaison s’effectue, toujours, par principe, dans le sens le plus favorable à l’initiative parlementaire.
D’autre part, la procédure d’examen de la recevabilité financière varie selon que l’on se situe préalablement ou postérieurement au dépôt du texte.
Ainsi, le contrôle a priori diffère selon que les amendements sont déposés en commission ou en séance. Dans le premier cas, il revient au président de la commission concernée et, en cas de doute, à son bureau d’apprécier la recevabilité de l’amendement au regard de l’article 40 de la Constitution. Lorsqu’il s’agit d’une commission autre que la commission des finances, elle peut saisir, en cas de problème complexe, le président de cette dernière pour avis, lequel est, en pratique, systématiquement suivi. Dans le second cas, le président de la chambre est tenu de refuser le dépôt d’un amendement en séance s’il méconnaît les dispositions de l’article 40. En cas de doute, il prend sa décision après avoir consulté le président de la commission des finances. Pour les propositions de loi, la recevabilité financière est appréciée par une délégation du bureau de la chambre.
Dans le cadre du contrôle a posteriori, le Gouvernement ou tout parlementaire peut opposer l’irrecevabilité financière à tout moment au cours de la procédure législative. En pareil cas, il appartient au président de la commission des finances de se prononcer sur la recevabilité de l’amendement ou de la proposition de loi.
L’appréciation de la recevabilité financière des textes déposés par les parlementaires est, ainsi, très encadrée. Elle est impactée par la portée variable de la limitation du pouvoir d’initiative des parlementaires.
II – La portée de la limitation de l'initiative parlementaire en matière financière
Le pouvoir d’initiative des parlementaires en matière financière varie selon qu’il s’agit des ressources (A) ou des charges publiques (B) : l’interdiction de diminuer les premières est relative quand l’interdiction d’augmenter les secondes est absolue (B).
A – L'interdiction relative de diminuer les ressources publiques
L’article 40 de la Constitution prohibe la diminution des ressources publiques par une initiative parlementaire. L’emploi du pluriel a, ici, pour effet d’autoriser la compensation d’une perte de recettes par l’augmentation d’une autre recette.
Cette compensation, communément désignée sous le terme de « gage », conditionne la recevabilité d’un amendement ou d’une proposition de loi entraînant une perte de recettes. Pour qu’elle soit valide, la compensation doit bénéficier à la collectivité ou à l’organisme qui subit la perte de recettes. En conséquence, il n’est, par exemple, pas possible de compenser une perte de ressources subie par l’État par une majoration des impôts perçus par les collectivités territoriales.
Le gage doit être réel et la recette qui en résulte doit pouvoir être effectivement perçue. Il est admis que le gage puisse consister en la création d’un impôt nouveau ou en la majoration du taux d’un impôt existant, « à due concurrence » de la perte de recettes. Cette pratique facilite la rédaction des amendements. De fait, lors de la discussion en séance publique, le plus souvent, le Gouvernement « lève le gage » des amendements qu’il a décidé d’accepter ou auxquels il a renoncé à s’opposer.
Les règles sont, nettement, plus strictes en matière de dépenses.
B – L'interdiction absolue d'augmenter une charge publique
L’article 40 de la Constitution est d’une plus grande sévérité en matière de dépenses que de recettes. La règle a, toutefois, fait l’objet d’un assouplissement avec la loi organique relative aux lois de finances, dite LOLF, du 1° août 2001.
L’article 40 est, ainsi, opposable à une initiative parlementaire qui crée ou aggrave une charge publique. L’emploi du singulier a, ici, pour effet d’interdire toute compensation : la création ou l’aggravation d’une charge ne peut, donc, être gagée, que ce soit par la création ou l’augmentation d’une recette ou par la suppression ou la diminution d’une charge. Ainsi, le fait que la création d’une charge nouvelle génère, par ailleurs, des économies plus que proportionnelles est sans effet au regard de l’article 40 : l’amendement ou la proposition de loi est irrecevable.
Sont regardées comme des charges les dépenses directes et certaines, mais également les dépenses éventuelles ou facultatives : ainsi, sont irrecevables les amendements qui ouvrent une possibilité juridique de dépenser. En revanche, ne sont pas irrecevables les simples charges de gestion, définies comme les mesures dont le coût pour les finances publiques pourrait manifestement être pris en charge par la mobilisation de moyens administratifs déjà existants, sans extension des missions des organismes concernés. Sont, également, toujours recevables les dispositions non normatives et celles demandant au Gouvernement de présenter un rapport au Parlement.
Depuis l’entrée en vigueur de la LOLF, les conditions d’application de l’article 40 aux amendements portant sur les projets de loi de finances ont, toutefois, été assouplies. Ainsi, l’article 47 de la loi organique dispose que, pour l’application de l’article 40, « la charge s’entend, s’agissant des amendements s’appliquant aux crédits, de la mission ». Autrement dit, si les parlementaires doivent, toujours, respecter le plafond global de la mission, ils disposent, à l’intérieur de celle-ci, de plus de liberté : il peuvent, ainsi, créer des programmes à l’intérieur d’une mission en prélevant des crédits sur les autres programmes de la mission, répartir autrement les crédits entre programmes d’une même mission, ou supprimer un ou plusieurs programmes d’une mission. Mais, les transferts de crédits entre missions ou la création de nouvelles missions demeurent interdits aux députés et sénateurs.
La base du droit d’amendement, qui s’exerçait auparavant au niveau du chapitre budgétaire, a donc été élargie. Cet assouplissement sensible ne concerne que les amendements relatifs aux crédits. Pour être valides, ces amendements doivent être précisément motivés, c’est-à-dire que tant l’augmentation des crédits d’un programme que la diminution des crédits d’un ou plusieurs autres programmes doivent être justifiées et faire l’objet d’une imputation précise.
La loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale a prévu un régime similaire de recevabilité financière. Elle dispose notamment que « la charge s’entend, s’agissant des amendements aux projets de loi de financement de la sécurité sociale s’appliquant aux objectifs de dépenses, de chaque objectif de dépenses par branche ou de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie ». Les parlementaires peuvent, donc, présenter des amendements majorant le montant d’un ou plusieurs sous-objectifs inclus dans un objectif de dépenses, à condition de ne pas augmenter le montant de ce dernier, c’est-à-dire en minorant à due concurrence un ou plusieurs autres sous-objectifs.
Le pouvoir d’initiative des parlementaires en matière financière a, donc, été, sensiblement, élargi. Il demeure, encore, toutefois, limité et constitue, ainsi, une illustration de plus du parlementarisme rationnalisé qui caractérise les institutions de la V° République.
