Introduction
Sous réserve du droit de contrôle de l’administration, la taxe initialement déduite par un assujetti lui est en principe définitivement acquise. Toutefois, la règlementation prévoit un certain nombre d’hypothèses où la TVA déduite doit être reversée. Il arrive, également, en sens inverse, que le redevable bénéficie d’un complément de déduction. Ces deux hypothèses correspondent à ce que l’on nomme les régularisations.
Concrètement, lorsqu’une entreprise acquiert un bien ou un service, elle doit déterminer le coefficient de déduction (produit des coefficients d’assujettissement, de taxation et d’admission) attaché à l’utilisation qui va en être faite. C’est à partir de ce coefficient qu’est calculé le montant de la taxe pouvant être effectivement déduite. L’entreprise doit, cependant, par la suite, assurer le suivi de l’utilisation réelle de chacun de ces biens et services. Or, lorsqu’un changement d’utilisation survient, le coefficient de déduction voit sa valeur évoluer et une régularisation est, alors, susceptible de devoir être opérée.
Les régularisations sont régies par l’article 207 de l’Annexe II du Code général des impôts (CGI). Elles peuvent se traduire soit par un reversement de TVA, soit par un complément de déduction. Leur régime diffère, cependant, selon qu’il s’agit d’immobilisations ou d’autres biens et services.
Il convient donc d’étudier, dans une première partie, les régularisations applicables aux immobilisations (I) et d’analyser, dans une seconde partie, les régularisations applicables aux biens autres que les immobilisations et aux services (II).
I – Les régularisations applicables aux immobilisations
Les immobilisations peuvent être définies comme les biens, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, qui sont acquis ou créés par l’entreprise, non pour être vendus ou transformés, mais pour être utilisés durablement dans l’entreprise : par exemple, de l’outillage dans une usine, des véhicules pour une entreprise de transport, des terrains et constructions pour une société de location.
L’on distingue, en la matière, les régularisations annuelles (A) et les régularisations globales (B). Les premières traduisent le fait que, l’année en cause, le bien a été utilisé différemment de ce que sa situation initiale laissait présager. Les secondes illustrent, elles, le fait que, pour l’avenir, le bien sera utilisé différemment de ce que la situation initiale laissait présager.
L’analyse de ces deux types de régularisations suppose le maniement de trois grandes problématiques :
- la période de régularisation : celle-ci correspond à la période pendant laquelle la régularisation doit obligatoirement être opérée ; elle est de 5 ans pour les biens meubles immobilisés et de 20 ans pour les immeubles immobilisés ; et, son point de départ se situe l’année au cours de laquelle le bien a été acquis, importé, achevé, utilisé pour la première fois ou transféré entre secteurs d’activités distincts.
- la taxe initiale qui doit faire l’objet de la régularisation est, selon le cas :
- la taxe mentionnée sur la facture d’achat,
- la taxe perçue à l’importation,
- la taxe acquittée par le redevable lui-même en vertu du mécanisme d’auto-liquidation (acquisitions intra-communautaires, notamment),
- la taxe mentionnée sur les attestations lors du transfert du droit à déduction en cas de vente non soumise à TVA ou de transfert entre secteurs.
- les coefficients de référence :
- lors de l’acquisition, le calcul de la taxe déductible est fonction du coefficient de déduction attaché au bien et qui est égal au produit des coefficients d’assujettissement, de taxation et d’admission,
- ces trois coefficients calculés initialement sont considérés comme les coefficients de référence du bien,
- lorsque ces coefficients de référence varient, une régularisation est susceptible d’être opérée.
A – Les régularisations annuelles
a / Principe : une régularisation doit être opérée lorsque la différence entre le produit des coefficients d’assujettissement et de taxation de l’année d’une part, et le produit des coefficients d’assujettissement et de taxation de référence d’autre part, est supérieure en valeur absolue à un dixième ; en d’autres termes, la régularisation de la taxe initialement déduite ne doit être opérée que si la proportion d’utilisation du bien à des opérations ouvrant droit à déduction a varié de plus d’un dixième, à la hausse comme à la baisse, par rapport à la situation telle qu’elle résulte des coefficients de référence.
b / Conséquences : la régularisation peut se traduire,
- soit par une déduction complémentaire si le coefficient de déduction de l’année est supérieur au coefficient de déduction de référence,
- soit par un reversement de taxe si le coefficient de déduction de l’année est inférieur au coefficient de déduction de référence.
c / Montant de la régularisation :
- immeubles immobilisés : la régularisation est égale au vingtième du produit de la taxe initiale par la différence entre le coefficient de déduction de l’année et le coefficient de déduction de référence,
- biens meubles immobilisés : la régularisation est égale au cinquième du produit de la taxe initiale par la différence entre le coefficient de déduction de l’année et le coefficient de déduction de référence.
d / Modalités déclaratives : la régularisation annuelle doit, en principe, intervenir avant le 25 avril de l’année suivante ; elle est portée sur la déclaration de chiffre d’affaires, selon le cas, en « Autre TVA à déduire » ou en « TVA antérieurement déduite à reverser ».
e / Exception : aucune régularisation ne doit être opérée pour les biens immobilisés dont le coefficient d’assujettissement de référence est nul ; il s’agit des biens situés en dehors du champ d’application de la TVA dès l’origine.
B – Les régularisations globales
La taxe initialement déduite sur les biens immobilisés doit faire l’objet d’une régularisation globale lorsque certains évènements surviennent avant la fin de la période de régularisation.
Ces régularisations globales correspondent à la somme des régularisations annuelles qui devraient intervenir jusqu’au terme de la période de régularisation et conduisent l’assujetti à procéder, en une seule fois, à toutes les régularisations annuelles auxquelles il serait tenu jusqu’à l’expiration de la période de régularisation si sa situation, telle qu’elle résulte de l’évènement en cause, demeurait en l’état jusqu’à ce terme.
Ces régularisations sont exigibles dès la survenance de l’évènement qui en est à l’origine. Elles doivent être mentionnées sur la déclaration de chiffre d’affaires souscrite au titre de la période (mois, trimestre, année) au cours de laquelle l’évènement qui la motive survient.
Les cas où une régularisation globale doit être opérée sont limitativement énumérés et sont au nombre de six. Notons, cependant, qu’aucune régularisation globale ne doit être effectuée dans les cas suivants :
- biens dont la cession ou l’apport est dispensé du paiement de la TVA dans le cadre d’une transmission d’universalité totale ou partielle de biens,
- biens qui ont été volés ou détruits, dès lors que ce vol ou cette destruction fait l’objet d’une justification,
- biens dont le coefficient d’assujettissement de référence est nul.
1 – Cession ou apport non soumis à la TVA sur le prix total, la valeur totale ou la marge
a / Champ d’application : en pratique, cette régularisation ne concerne que les immeubles, à savoir les cessions de terrains non à bâtir ou d’immeubles achevés depuis plus de cinq ans qui sont exonérées de TVA et pour lesquelles l’option pour l’imposition à la taxe n’a pas été exercée ; en revanche, les cessions de biens mobiliers d’investissement (outillages, matériels, …) sont, le plus souvent, soumis à TVA et ne donnent donc pas lieu à régularisation.
b / Conséquences :
- pour le redevable : le bien est réputé être utilisé, pour chacune des années restantes de la période de régularisation, à une activité exonérée n’ouvrant pas droit à déduction (coefficient de taxation égal à 0) ; la régularisation se traduit donc par un reversement de la TVA initialement déduite,
- pour le nouveau détenteur : si le bien constitue également une immobilisation pour lui, le cédant peut lui transférer une partie de la TVA ayant grevé initialement le bien à proportion de la durée de régularisation non encore courue ; pour ce faire, il doit lui délivrer une attestation mentionnant le montant de la taxe qu’il est en droit de déduire.
c / Montant de la régularisation : elle est égale à la somme des régularisations annuelles qui auraient été effectuées jusqu’au terme de la période de régularisation (le coefficient de taxation étant égal à 0 pour chacune de ces années).
2 – Transfert entre secteurs distincts d’activités
a / Champ d’application : c’est l’hypothèse où un redevable ayant des secteurs d’activités distincts transfère une immobilisation d’un secteur à un autre ; ce transfert est traité comme une cession non soumise à la TVA et doit donc donner lieu à une régularisation globale.
b / Conséquences :
- pour le redevable : le bien est réputé être utilisé, pour chacune des années restantes de la période de régularisation, à une activité exonérée n’ouvrant pas droit à déduction (coefficient de taxation égal à 0) ; la régularisation se traduit, en principe, par un reversement de la TVA initialement déduite ; elle peut, néanmoins, être nulle si le bien transféré n’a pas ouvert droit à déduction dans le secteur « de départ »,
- pour le « secteur d’arrivée » : lorsque le bien constitue également une immobilisation dans le « secteur d’arrivée », l’opérateur peut lui transférer une partie de la TVA ayant grevé initialement le bien à proportion de la durée de régularisation non encore courue.
c / Montant de la régularisation : elle est égale à la somme des régularisations annuelles qui auraient été effectuées jusqu’au terme de la période de régularisation (le coefficient de taxation étant égal à 0 pour chacune de ces années).
3 – Cession ou apport soumis à la TVA sur le prix total, la valeur totale ou la marge
a / Champ d’application : ce cas de régularisation concerne l’hypothèse où une cession ou un apport soumis à TVA porte sur des biens qui, lors de leur acquisition, n’ont pas fait l’objet d’une déduction totale de la TVA (déduction partielle ou nulle).
b / Conséquence : le bien est réputé être utilisé, pour chacune des années restantes de la période de régularisation, à une activité dont le coefficient de déduction est égal à 1 ; la régularisation se traduit, ici, par une déduction complémentaire de TVA.
c / Montant de la régularisation : elle est égale à la somme des régularisations annuelles qui auraient été effectuées jusqu’au terme de la période de régularisation (le coefficient de déduction étant égal à 1 pour chacune de ces années).
4 – Modification législative ou règlementaire des règles d’exclusion
a / Champ d’application : cette hypothèse, peu fréquente, vise les changements de règlementation qui affectent la situation d’une immobilisation en cours d’utilisation au regard du droit à déduction ; ces modifications se traduisent par un changement de la valeur du coefficient d’admission de référence du bien.
b / Conséquences :
- si le bien cesse d’ouvrir droit à déduction (coefficient d’admission passant à 0), il y aura lieu de procéder à un reversement d’une fraction de la taxe initialement déduite,
- si le bien cesse d’être exclu du droit à déduction (coefficient d’admission passant à 1), le redevable peut bénéficier d’un complément de déduction.
c / Montant de la régularisation : elle est égale à la somme des régularisations annuelles qui auraient été effectuées jusqu’au terme de la période de régularisation.
5 – Biens devenant utilisés pour des opérations ouvrant droit à déduction
a / Champ d’application : il s’agit du cas où des biens immobilisés, utilisés jusqu’alors en tout ou partie pour la réalisation d’opérations imposables dont aucune n’ouvre droit à déduction, viennent à être utilisés pour la réalisation d’opérations imposables ouvrant droit à déduction.
b / Conséquence : le bien est réputé être utilisé, pour chacune des années restantes de la période de régularisation, à une activité dont le coefficient de taxation est supérieur à 0 (en fonction de la nouvelle utilisation du bien) ; cette régularisation se traduit, ici, par une déduction complémentaire de TVA.
c / Montant de la régularisation : elle est égale à la somme des régularisations annuelles qui auraient été effectuées jusqu’au terme de la période de régularisation (le coefficient de taxation étant supérieur à 0 pour chacune de ces années).
6 – Biens cessant d’être utilisés à des opérations ouvrant droit à déduction
Deux hypothèses doivent être distinguées.
a / Biens cessant d’être utilisés pour la réalisation d’opérations ouvrant droit à déduction, mais restant utilisés pour la réalisation d’opérations imposables :
- par exemple : dénonciation ou non-renouvellement d’une option pour l’imposition à la TVA, abaissement du chiffre d’affaires en-dessous des limites de la franchise en base, …
- cette régularisation se traduit par un reversement de la TVA initialement déduite,
- elle est égale à la somme des régularisations annuelles qui auraient été effectuées jusqu’au terme de la période de régularisation (le coefficient de taxation étant égal à 0 pour chacune de ces années),
- dans la mesure où le coefficient d’assujettissement demeure non nul, puisque le bien reste utilisé pour la réalisation d’opérations imposables, il est disponible pour une régularisation éventuelle future dans l’hypothèse où il viendrait, de nouveau, à être utilisé pour des opérations ouvrant droit à déduction.
b / Biens cessant d’être utilisés pour la réalisation d’opération imposables :
- par exemple : locations gratuites de locaux précédemment affectés à la location à titre onéreux imposable à la TVA de plein droit ou sur option, prélèvement de biens par l’assujetti pour ses besoins privés ou ceux de son personnel, …
- cette régularisation donne lieu à un reversement de la TVA initialement déduite,
- elle est égale à la somme des régularisations annuelles qui auraient été effectuées jusqu’au terme de la période de régularisation (le coefficient d’assujettissement étant égal à 0 pour chacune de ces années),
- à l’inverse du cas précédent, dans la mesure où le coefficient d’assujettissement devient nul, le bien sort, définitivement, du cycle des régularisations, de sorte qu’aucune déduction complémentaire ne pourra être effectuée à l’avenir (même si le bien vient, à nouveau, à être utilisé pour des opérations imposables ouvrant droit à déduction).
II - Les régularisations applicables aux biens autres que les immobilisations et aux services
Les biens ne constituant pas des immobilisations correspondent à tous les biens qui doivent comptablement figurer parmi les stocks et productions en cours et qui sont destinés à la vente (marchandises, …). Pour les services, il s’agit de tous ceux qu’une entreprise peut acquérir pour l’exercice de son exploitation.
En la matière, des régularisations doivent être opérées lorsque trois grands évènements surviennent. Peu importe la date à laquelle l’évènement se produit : à la différence de ce qui a cours pour les immobilisations, il n’existe, en effet, pas, ici, de date limite au-delà de laquelle la régularisation ne serait plus obligatoire.
a / Biens devenant utilisés à des opérations ouvrant droit à déduction :
- lorsqu’un bien en stock cesse d’être utilisé exclusivement pour la réalisation d’opérations exonérées et vient à être utilisé pour la réalisation d’opérations ouvrant droit à déduction (coefficient de taxation supérieur à 0), la taxe initiale ayant grevé l’acquisition de ce bien peut être déduite à proportion du coefficient de déduction résultant de ce changement d’utilisation,
- cette régularisation se traduit par une déduction complémentaire de TVA,
- elle doit être mentionnée sur la déclaration souscrite au titre de la période (mois, trimestre, année) au cours de laquelle le changement d’utilisation est intervenu.
b / Disparition des marchandises :
- une régularisation des déductions antérieures doit être effectuée lorsque les marchandises ont disparu avant d’avoir reçu l’utilisation en vue de laquelle elles avaient été acquises,
- il est fait exception à cette règle :
- en cas de destruction des biens dès lors qu’il en est justifié : il en va, ainsi, en cas de destruction accidentelle (incendie, inondation, …) ou volontaire (destruction de biens devenus inutilisables en l’état pour l’usage auquel ils étaient destinés),
- en cas de vol ou de détournement justifié par le dépôt d’une plainte,
- en cas de déperdition justifiée des marchandises subie à l’occasion de l’accomplissement d’opérations imposables et du fait des modalités de l’activité,
- la régularisation prend la forme d’un reversement de l’intégralité de la taxe déduite,
- le reversement doit être opéré avant le 25 du mois qui suit l’évènement qui le motive.
c / Utilisation des biens ou services pour une opération n’ouvrant pas droit à déduction :
- les règles varient, ici, selon qu’il s’agit de biens ou de services :
- s’agissant des services : la taxe doit faire l’objet d’une régularisation lorsque ceux-ci sont utilisés pour une opération qui n’est pas soumise à la TVA parce qu’exonérée ou non réalisée,
- s’agissant des biens : la taxe ne doit être régularisée que lorsque les biens ne sont pas utilisés pour une opération ouvrant droit à déduction et que cette utilisation n’est pas soumise à l’imposition au titre d’une livraison à soi-même (LASM),
- la régularisation conduit ici à un reversement,
- elle doit être opérée avant le 25 du mois qui suit l’évènement qui la motive.
