Introduction
Le 17 septembre 1981, Robert BADINTER déclarait devant l’Assemblée nationale française : « Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue (…). Demain, vous voterez l’abolition de la peine de mort ». Si l’ancien Garde des Sceaux a largement fait évoluer le système juridique de notre pays, il a pu également témoigner de son attachement à une abolition universelle de la peine de mort à travers le monde. Nul doute que la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) participe aujourd’hui encore à cet élan en faveur du droit à la vie. Pour le Professeur Jean-François RENUCCI, le droit à la vie figure d’ailleurs, avec d’autres droits fondamentaux, parmi le « noyau dur » des droits de l’Homme. Pour lui, « il s’agit là de droits intangibles qui revêtent une importance toute particulière dans le dispositif européen de protection des droits fondamentaux » (J.-F. RENUCCI, Droit européen des droits de l’Homme, 8e Ed., LGDJ, 2019, p. 69). Découlent de ce droit à la vie un certain nombre d’obligations positives et négatives pour les États membres (v. Dissertation sur le droit à la vie dans le cadre de la CEDH).
L’article 2 de la Convention vient ainsi garantir que : « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :
- a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;
- b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;
- c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »
Le cas de la peine de mort, évoqué comme une exception, sera traité ensuite par les dispositions des protocoles n° 6 et 13 qui tenteront de garantir plus largement son abolition sur le continent européen.
Dans notre affaire, deux parents et leurs enfants sont des ressortissants syriens vivant en Suède. Arrivés en août 2002, ils présentent des demandes d’asile qui sont rejetées et de ce fait, ils doivent être expulsés du pays. Contestant l’arrêté d’expulsion, la famille invoque la condamnation du père de famille par un tribunal à Alep. Le 17 novembre 2003, il avait effectivement fait l’objet d’une condamnation par contumace – c’est-à-dire en son absence – à la peine de mort pour sa complicité dans le meurtre de l’un de ses beaux-frères. Il résulte du jugement que si le requérant, M. Bader, retourne dans son pays d’origine, la procédure pourrait être ouverte avec un nouveau jugement. La commission de recours des étrangers en Suède rejette, malgré tout, la nouvelle demande d’asile en considérant que l’affaire serait rejugée et que la peine de mort ne serait pas forcément prononcée.
Pour la Cour, « le gouvernement suédois n’a obtenu aucune garantie des autorités syriennes que la procédure à l’encontre de M. Bader serait réouverte et que le procureur ne requérait pas la peine capitale lors d’un nouveau procès. Dans ces conditions, les autorités suédoises feraient courir à M. Bader un risque grave en le renvoyant en Syrie ». De plus, la Cour considère que la manière dont le premier procès a été mené et la façon dont les preuves auraient été rapportées ne permettent pas de garantir un procès équitable. Le président de la chambre, puis la chambre, le 16 et le 27 avril 2004 respectivement, ont décidé d'appliquer l'article 39 du règlement, indiquant au Gouvernement qu'il était souhaitable dans l'intérêt des parties et de la bonne conduite de la procédure de ne pas expulser les requérants avant que n'intervienne la décision de la Cour. Par la suite, la Cour a reconnu la violation de la Convention et de ses protocoles par les autorités suédoises.
La CEDH rappelle évidemment que les États signataires restent souverains pour contrôler l'entrée, le séjour et l'éloignement des non-nationaux, sans qu’il soit fait obstacle aux limitations apportées par la Convention (I). Leurs engagements contre la peine de mort les empêchent notamment d’y confronter les individus qu’ils souhaitent expulser dans un autre pays (II).
I - Des États signataires conservant leurs pouvoirs en matière d'entrée, de séjour et d'éloignement des étrangers
La Cour reconnait que les États membres du Conseil de l’Europe restent pleinement souverains dans leur gestion de l’immigration (A). Pour autant, les limites que la CEDH peut apporter en la matière restent contestées par les États (B).
A - Une compétence largement étatique : la gestion de l'immigration
La CEDH réaffirme, en l’espèce et plus globalement, la compétence souveraine des États en matière de gestion de l’immigration (1), bien que la Convention apporte des limites légitimes (2).
1 - Une compétence souveraine des États
Dans notre affaire Bader et Kanbor c/Suède, la Cour de Strasbourg rappelle tout d’abord que « les États contractants ont, en vertu d'un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux des traités internationaux, y compris la Convention, le droit de contrôler l'entrée, le séjour et l'éloignement des non-nationaux ». Cet élément de principe apparait important puisqu’il témoigne de la mission régalienne qui reste le fait de politiques publiques mises en œuvre par chaque gouvernement. Lorsque les États sont également membres de l’Union européenne, ils partagent d’ailleurs cette compétence avec l’Union. L’action de cette dernière reste toutefois largement limitée à la gestion de l’Agence Frontex et à la mise en commun des règles de l’Espace Schengen.
En l’espèce, la Suède avait donc de prime abord tout à fait le droit de mettre en œuvre sa législation sur les étrangers (Utlänningslagen). Elle prévoit notamment, comme le rappelle la CEDH, que « un étranger ayant obtenu le statut de réfugié ou ayant besoin de protection à un autre titre a le droit, sauf exceptions, de se voir délivrer une autorisation de séjour en Suède. Le terme « réfugié » s'entend d'un étranger se trouvant hors du pays dont il a la nationalité parce qu'il a de solides motifs de craindre d'être persécuté à cause de sa race, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social déterminé, de ses convictions religieuses ou de ses opinions politiques et qu'il ne peut ou ne veut, du fait de ses craintes, se prévaloir de la protection de ce pays. En vertu de l'article 2 du chapitre 3, les dispositions précédentes s'appliquent tant dans le cas où la persécution est le fait des autorités du pays en question que dans celui où l'on ne peut s'en remettre à elles pour offrir une protection contre la perpétration d'actes de persécution par des particuliers. En application de l'article 3 du chapitre 3, est un « étranger ayant besoin de protection à un autre titre » notamment celui qui a fui son pays d'origine en raison de la crainte bien fondée d'être condamné à la peine capitale ou à des châtiments corporels ou soumis à la torture ou à d'autres traitements ou peines inhumains ou dégradants ». La Cour signale par ailleurs que dans la loi suédoise, « les empêchements légaux à l'exécution d'une mesure d'éloignement sont énumérés dans une disposition particulière de la loi, l'article 1 du chapitre 8, en vertu de laquelle un étranger ne peut être expulsé vers un pays où il y a raisonnablement lieu de croire (skälig anledning) qu'il se verrait infliger la peine capitale, des châtiments corporels, la torture ou d'autres formes de traitements inhumains ou dégradants ». La compétence du législateur et du pouvoir réglementaire suédois est donc importante, bien qu’elle soit aussi influencée par la Convention à certains égards.
2 - Des limites apportées toutefois par la Convention
Mais si la compétence discrétionnaire des États est largement garantie en matière de gestion de l’immigration et d’expulsion de ressortissants étrangers, la Convention apporte toutefois quelques limitations qu’elle considère comme demeurant légitimes. C’est ainsi qu’il faut rappeler, la Cour le fait régulièrement, que les États contractants « reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la Convention » (art. 1er de la Convention européenne). Dès lors que les juridictions suédoises sont intervenues en l’espèce, le requérant menacé d’expulsion a droit de saisir la CEDH et de se voir appliquer les droits et libertés garantis habituellement par la Convention. Ces dispositions expliquent la large multiplication du contentieux en matière de droit des étrangers devant la Cour de Strasbourg.
C’est dans l’arrêt Soering c./ Royaume-Uni (CEDH, 7 juillet 1989, n° 14038/88) que la Cour a pour la première fois précisé qu’un État membre du Conseil de l’Europe pouvait être sanctionné à l’occasion de l’extradition ou de l’expulsion d’un requérant étranger. Le fondement de l’article 3 de la Convention avait alors déjà été soulevé et selon lequel « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». La jurisprudence dans ce domaine s’est multipliée ces dernières années et ce fondement, avec celui de l’article 2 relatif au droit à la vie, est largement invoqué par le requérant dans notre affaire contre la Suède.
B - Une contestation des limites apportées à cette compétence par la CEDH
En l’espèce, le gouvernement suédois conteste quelque peu les arguments du requérant et les limites que pourrait apporter la Convention en la matière (1). Ce raisonnement du gouvernement suédois n’allait pourtant pas aussi loin que l’opposition « virulente » de la France récemment sur une affaire tout à fait semblable (2).
1 - En l’espèce : la thèse du gouvernement suédois
Le gouvernement suédois rappelle qu’il est bel et bien engagé, nul n’en doute, dans l’abolition de la peine de mort, qu’il s’agisse tant du contenu de son droit national que de ses engagements dans le cadre de la Convention. Dans notre affaire, les arguments du gouvernement suédois restent très instables. Comme le rappelle la Cour, « il reconnaît que la situation des droits de l'homme en Syrie laisse encore à désirer, observant entre autres qu'un certain nombre de crimes, dont le meurtre, sont passibles de la peine de mort dans ce pays. Toutefois, il souligne qu'aucune information concernant l'application de la sentence capitale n'est divulguée, de sorte qu'il est difficile de savoir si celle-ci est réellement exécutée. Relevant en outre que la Constitution syrienne consacre le principe de l'indépendance de la justice, il admet que les pressions politiques et la corruption peuvent parfois influer sur les décisions rendues par les juridictions ordinaires. (…) Il ajoute [que les prévenus] bénéficient de la présomption d'innocence, qu'ils peuvent se faire représenter par l'avocat de leur choix et qu'il leur est permis de produire des preuves ainsi que de contre-interroger leurs accusateurs. Il précise que les verdicts sont susceptibles de recours devant les cours régionales et, en dernière instance, devant la Cour de cassation. Au vu de ce qui précède, le Gouvernement estime que l'on ne saurait se fonder exclusivement sur la situation prévalant en Syrie pour conclure que le rapatriement forcé du premier requérant dans ce pays emporterait violation de l'article 3 de la Convention ou de l'article 1 du Protocole no 13. Il considère que l'on ne peut constater la violation de l'une ou l'autre de ces dispositions sans qu'il soit établi que M. Bader court personnellement le risque d'être soumis à un traitement que celles-ci prohibent ». À l’appui de cette argumentation, le gouvernement suédois rappelle que les enquêtes menées par les commissions et acteurs intervenants dans le cadre de ce contentieux ne démontrent pas que les craintes invoquées par le requérant sont réellement fondées.
2 - L’exemple récent de la France : une violation de la jurisprudence de la CEDH
L’argumentation du gouvernement suédois démontre l’attachement des États à cette compétence souveraine sur la question de l’immigration. Elle n’est pas sans faire écho à une affaire plus récente qui a opposé la France et la Cour européenne des droits de l’Homme. Le juge de Strasbourg avait demandé à la France – de manière provisoire – de ne pas éloigner un étranger qui s’était vu refuser l’asile. En effet, dans un arrêt du 7 mars 2022, la Cour avait considéré que cet étranger, fiché S en France, ne pouvait être éloigné vers l’Ouzbékistan ou la Russie où il risque de subir des traitements inhumains ou dégradants. Pour autant, l’émotion suscitée par le terrorisme en France a poussé le ministère de l’Intérieur à expulser l’individu en méconnaissance de la décision de la CEDH (Julia PASCUAL, « La France procède à l’expulsion en passant outre une décision de la CEDH pour la première fois », Le Monde, 1er décembre 2023). Si les motivations d’éloignement de la part des pouvoirs publics s’entendent, la violation d’une limitation apportée par la Cour de Strasbourg apparait dangereuse pour l’avenir de la juridiction et les droits des justiciables. Le juge des référés du Conseil d’État s’en est d’ailleurs ému et a demandé à la France de prendre toute mesure utile pour permettre le retour du ressortissant en France (CE Ord., 7 décembre 2023, n° 489817).
Sur ce « terrain », la France a par ailleurs été condamnée à plusieurs reprises ces derniers mois, notamment pour l’expulsion de ressortissants tchétchènes vers la Russie. Des cas qui pourraient venir fragiliser la jurisprudence de la Cour dans ce domaine, avec un contexte qui a largement évolué sur le continent européen depuis notre affaire suédoise de 2005 (pression migratoire, montée des populismes, multiplication des attentats terroristes…).
II - L'abolition de la peine de mort par les États signataires : une application aux ressortissants étrangers en toute circonstance
Pour la CEDH, les pleines avancées contre la peine de mort dans les pays membres du Conseil de l’Europe (A) empêchent de faire courir le risque d’une condamnation à mort à des ressortissants étrangers qui seraient expulsés du territoire d’un État membre (B).
A - La prise en compte des avancées du Conseil de l'Europe contre la peine de mort
L’appréciation de la Cour, dans notre affaire et dans celles du même type qui nous concernent encore aujourd’hui, prend évidemment en compte l’évolution de la Convention sur l’abolition de la peine de mort (1). Elle considère ainsi une telle peine comme une violation de toute une série d’articles de la Convention (2).
1 - Une évolution historique vers l’abolition dans les pays du Conseil de l’Europe
Lorsque la Convention européenne des droits de l’Homme a été rédigée, la peine de mort n’était pas encore considérée comme contraire aux normes internationales, si bien qu’une exception au droit à la vie avait été prévue : si l’article 2 § 1 énonce que « la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi », il y eut fort heureusement par la suite une large évolution vers l’abolition de la peine de mort dans les États membres du Conseil de l’Europe. Le protocole n° 6 de la Convention est notamment venu progressivement reconnaitre l’abolition, sauf pour les actes commis en temps de guerre. Ce dernier a d’ailleurs été signé par la quasi-totalité des États membres du Conseil de l’Europe, bien qu’alors la Russie, qui n’est aujourd’hui plus membre depuis la guerre d’Ukraine, ne l’avait point encore ratifié. C’est donc à la lumière de cette évolution, datant de la fin des années 1980, qu’il convient d’étudier notre affaire suédoise. En 2005, la Cour constatait d’ailleurs à plusieurs reprises que « la Grande Chambre de la Cour a constaté que les territoires relevant de la juridiction des États membres du Conseil de l'Europe étaient devenus une zone exempte de la peine de mort et que, compte tenu notamment du fait que l'ensemble des États membres avaient signé le Protocole n° 6 (…), l'on pouvait dire que la sentence capitale en temps de paix en était venue à être considérée comme une forme de sanction inacceptable qui n'était plus autorisée par l'article 2 de la Convention ». Dans l’affaire Ocalan c./ Turquie (n° 46221/99), la Cour avait également précisé que « le fait qu'il y a encore un nombre élevé d'États qui n'ont pas signé ou ratifié le Protocole n°13 peut empêcher la Cour de constater que les États contractants ont une pratique établie de considérer l'exécution de la peine de mort comme un traitement inhumain et dégradant contraire à l'article 3 de la Convention, compte tenu du fait que cette dernière disposition n'admet aucune dérogation, même en temps de guerre ».
Prenant en compte ces évolutions, la Cour considère dans notre affaire que la peine de mort peut s’apparenter à un traitement inhumain, plus qu’à une violation de l’article 2 sur le droit à la vie.
2 - La peine de mort : entre atteinte à la vie et traitement inhumain
À la lumière des évolutions des États membres du Conseil de l’Europe en matière de peine de mort, la Cour restait à l’époque incertaine sur la violation de l’article 2. Comme le rappelle la CEDH, la Grande chambre dans l’affaire Ocalan c./ Turquie (n° 46221/99), « a cependant estimé que, quand bien même l'article 2 devrait être interprété comme autorisant encore aujourd'hui la peine capitale, appliquer une sentence de mort à l'issue d'un procès inéquitable serait contraire à la Convention en ce que cela reviendrait à infliger la mort de façon arbitraire ». Aussi, elle a eu l’occasion de préciser que « prononcer la peine capitale à l'issue d'un procès inéquitable provoquerait chez la personne ainsi condamnée, dans des circonstances où il existe une possibilité réelle que la peine soit exécutée, une angoisse et une peur considérables de nature à faire tomber pareille mesure sous le coup de l'article 3 de la Convention ». Il résulte de ce raisonnement qu’effectivement, l’attente dans « le couloir de la mort » si souvent décriée, de surcroit lorsque la procédure judiciaire ne respecte pas nos grands principes, peut s’apparenter à un traitement inhumain et dégradant.
Dans notre affaire suédoise, la CEDH reprend cette argumentation en rappelant que « qu'un problème peut se poser sur le terrain des articles 2 et 3 de la Convention dans le cas où une Partie contractante expulse un étranger ayant subi ou risquant de subir, dans l'État de destination, un déni de justice flagrant qui déboucherait ou risquerait de déboucher sur la peine de mort ».
B - L'impossibilité de faire courir le risque d'une condamnation à mort ou de traitements inhumains à des étrangers expulsables
Il ressort de notre affaire, l’impossibilité de faire courir le risque d’une condamnation à mort ou de traitement inhumains au requérant expulsable de Suède. Pour cela, la Cour de Strasbourg prend notamment en compte le caractère inéquitable de la procédure judiciaire menée à son encontre en Syrie (1) et la trop forte incertitude sur un certain nombre d’éléments permettant de statuer sur le cas du requérant (2).
1 - La prise en compte du caractère inéquitable de la procédure syrienne
Les éléments relatifs à la procédure menée contre le requérant en Syrie et la sentence à laquelle il risque d’être exposé s’il est expulsé de Suède ne manquent pas d’alerter la Cour européenne des droits de l’Homme. En effet, les juges de Strasbourg rappellent qu’il « ressort de la décision rendue par la juridiction syrienne qu'aucun témoin n'a été entendu à l'audience, que tous les éléments de preuve examinés ont été produits par le procureur et que ni l'accusé ni même son avocat n'ont comparu. Pareille procédure, qui se caractérise par sa nature sommaire et la négation totale des droits de la défense, constitue aux yeux de la Cour un déni flagrant de procès équitable ».
Il ressort également des pièces exposées à la Cour dans le dossier qu’aux termes d'un jugement par contumace, en date du 17 novembre 2003, par le tribunal régional d'Alep, le requérant a été condamné à la peine capitale pour complicité de meurtre. Pour la Cour, « la peine de mort à laquelle M. Bader a été condamné à l'issue d'un procès inéquitable causerait inévitablement aux requérants un supplément de crainte et d'angoisse quant à leur avenir en cas de rapatriement forcé en Syrie puisque la sentence en question risquerait fort d'y être exécutée ». Tous ces éléments participent effectivement à ce que la CEDH considère que M. Bader risquerait de subir des traitements contraires aux articles 2 et 3 de la Convention s’il était expulsé vers la Syrie.
2 - La prise en compte d’une trop forte « incertitude » : le doute profite au requérant
Les éléments évoqués et les craintes de la Cour sont renforcés, dans cette affaire, par les incertitudes qui pèsent tant sur la procédure pénale menée en Syrie, mais aussi sur l’application de la peine de mort dans ce pays, que sur les possibilités de nouveau jugement si le requérant regagne son pays d’origine.
Sur les possibilités offertes quant à un nouveau jugement, le tribunal d'Alep a indiqué dans sa décision que M. Bader pourrait solliciter la réouverture de la procédure et un nouveau procès. Toutefois, celui-ci devrait pour cela se livrer aux autorités à son retour en Syrie et serait sans doute incarcéré en attendant que le tribunal statue sur cette demande. Pour la Cour, « les informations recueillies par l'ambassade de Suède en Syrie sur les perspectives de réouverture de la procédure et la probabilité pour M. Bader d'échapper à la peine capitale au cas où il serait reconnu coupable à l'issue d'un nouveau procès sont vagues et imprécises. Le rapport dans lequel ces informations figurent n'émet que des hypothèses et ne fournit pas de réponse catégorique quant au sort qui serait réservé aux requérants en cas de rapatriement vers la Syrie. A cet égard, la Cour trouve surprenant que, lors de l'enquête qu'elle a menée, l'ambassade de Suède ne semble même pas avoir pris contact avec l'avocat de M. Bader en Syrie bien que les intéressés eussent indiqué aux autorités suédoises les nom et adresse de l'avocat en question, lequel aurait très probablement pu fournir des informations utiles sur l'affaire et sur la procédure applicable devant la juridiction syrienne. Surtout, la Cour note que le gouvernement suédois n'a pas obtenu des autorités syriennes la garantie que la procédure dirigée contre le premier requérant serait réouverte et que le procureur ne requerrait pas la peine capitale lors d'un nouveau procès ».
Les incertitudes sont grandes et la Cour ne peut être certaine que le requérant bénéficiera d’un nouveau procès et échappera à la peine capitale initialement prononcée. Les juges de Strasbourg craignent d’ailleurs que la peine soit exécutée dès le retour du requérant expulsé de Suède : « la peine capitale étant appliquée dans ce pays en dehors de tout contrôle du public et sans que personne ne doive en rendre compte, le premier requérant éprouverait inévitablement une peur et une angoisse considérables quant aux circonstances de son exécution et subirait, avec les membres de sa famille, une incertitude intolérable quant au moment, au lieu et aux modalités de sa mise à mort », précise-t-elle alors. Les doutes étant trop importants ici, ils profitent finalement au requérant que les autorités suédoises ne peuvent expulser sans violer sciemment la Convention.
