Introduction
« Europe du noyau dur » et à « géométrie variable » (rapport Schäuble-Lamers), « avant-garde » constituée d’un petit groupe d’États formant le « centre de gravité » de l’Union (Joschka Fischer), « Europe des cercles concentriques » (Edouard Balladur), « cœur fort pour l’Europe » (Giuliano Amato), « groupe pionnier » (Jacques Chirac), « Europe à la carte » (John Major), … Les expressions pour désigner et promouvoir l’idée de différenciation ne manquent pas dans la bouche de nombre de responsables politiques européens. Néanmoins elles ne désignent pas toujours les mêmes modalités de mise en œuvre et les visions politiques de l’Union européenne (UE) qui les sous-tendent sont parfois radicalement différentes.
Le principe de différenciation, ou intégration différenciée, désigne le fait pour un ou plusieurs États membres de l’Union d’être soumis à des règles différentes de celles qui s’appliquent aux autres États membres. La différenciation peut être temporaire (par exemple un État vient d’entrer dans l’UE et se voit appliquer des règles particulières pendant une certaine période) ou résulter d’un choix (un État ne souhaite pas se voir appliquer certaines règles). Le régime dérogatoire dont peuvent ainsi bénéficier certains États membres est qualifié d’opt out (option de retrait ou option de non-participation en français). Juridiquement, les clauses d’opting out sont prévues par le droit européen depuis le traité de Maastricht et font l’objet d’un protocole spécifique annexé au traité. À l’inverse, les États qui souhaitent aller plus loin dans l’intégration dans un domaine particulier peuvent mettre en place une procédure qualifiée de coopération renforcée. Cette procédure, qui existe depuis le traité d’Amsterdam, permet de donner corps à l’intégration différenciée dans un domaine précis tout en restant dans le cadre juridique des traités européens. Cela permet de surmonter une situation de blocage où l’intégralité des États membres ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un sujet.
Historiquement la différenciation n’est pas explicitement prévue par les traités de Paris et de Rome qui mettaient plutôt l’accent sur l’égalité entre les États membres. Le concept est évoqué pour la première fois en 1974 lors d’un discours du chancelier allemand Willy Brandt puis en 1975 dans un rapport consacré à l’UE (rapport Tindemans). La mise en place de l’espace Schengen en 1985 constitue une première exemple concret de différenciation, qui s’inscrit toutefois hors du cadre des traités puisque l’accord de Schengen est un traité de droit international public. Il faudra attendre le traité de Maastricht (1992) pour voir consacrer juridiquement la différenciation par le droit européen avec les clauses d’opting out. Le débat sur la différenciation a été relancé en 1994 avec le rapport Schäuble-Lamers qui proposait de mettre en place un « noyau dur » européen dans la perspective de l’intégration des anciens pays membres de bloc soviétique. Même s’il n’a pas été donné de suite concrète à ce rapport, le traité d’Amsterdam (1997) a introduit le mécanisme de la coopération renforcée. Ce régime a été repris et affiné par les traités de Nice (2001) et Lisbonne (2007).
Il semble pertinent de s’interroger sur l’impact du principe de différenciation sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Pour répondre à cette question on peut tout d’abord noter que la différenciation est un principe juridiquement admis et encadré par les traités européens (I) avant d’observer que ses modalités de mises en œuvre peuvent traduire des visions assez différentes de l’Union européenne (II).
I - La différenciation : un principe juridiquement encadré par les traités européens
Si la différenciation est possible dans le cadre des traités européens (A), elle peut également être mise en œuvre par les États membres via un acte de droit international public (B).
A - Le mécanisme de coopération renforcée : une différenciation balisée dans le cadre du droit primaire européen
Obéissant à une procédure lourde et strictement encadrée par les traités européens (2) le mécanisme de la coopération renforcée permet à un petit groupe d’États membres d’engager une procédure de différenciation dans un domaine précis (1).
1 - Le principe général de la coopération renforcée : permettre à un groupe d’États d’aller plus loin dans l’intégration
L’idée générale du mécanisme de coopération renforcée est de permettre à un groupe d’États volontaires d’aller plus loin dans l’intégration dans un domaine en particulier sans que les autres États membres ne puissent bloquer le processus ou soient obligés d’y participer. La coopération renforcée a été juridiquement mise en place avec le traité d’Amsterdam (1997). Les traités de Nice (2001) et Lisbonne (2007) ont par la suite simplifié ses conditions de mise en œuvre. Ce n’est cependant qu’en 2010 que la première coopération renforcée a été mise en place. En l’occurrence il s’agissait d’une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable aux divorces unissant 15 États membres de l’Union.
La coopération renforcée se présente ainsi comme un mécanisme permettant la différenciation sans sortir du cadre des traités européens et tout en préservant l’intégration au sein d’une Union considérablement élargie (27 membres actuellement). La coopération renforcée a néanmoins été conçue comme une solution de dernier recours pour éviter une blocage. C’est pourquoi la procédure qui l’encadre est assez stricte et lourde à mettre en œuvre.
2 - La mise en œuvre formelle de la coopération renforcée : une procédure stricte et lourde
L’article 20 Traité sur l’Union européenne (TUE) énumère les conditions nécessaires pour mettre en œuvre une coopération renforcée. Les articles 326 à 334 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) sont également consacrés aux coopération renforcées.
D’après l’article 20 TUE au moins 9 États (soit le tiers des 27 membres) doivent participer à une coopération renforcée. En pratique le nombre d’États participant à une coopération renforcée peut être assez variable. Ainsi 26 États membres participent depuis 2011 à une coopération renforcée sur les brevets tandis que seuls 11 participent depuis 2013 à une coopération renforcée sur la mise en place d’une taxe sur les transactions financières. Comme le précise l’article 327 TFUE, les États participants doivent respecter les droits et obligations des États non participants tandis que ces derniers ne doivent pas faire obstacle à la mise en œuvre de la coopération renforcée. Les coopérations renforcées ne sont pas fermées et peuvent être rejointes à tout moment par d’autres États membres initialement non participants. Les coopérations renforcées ne peuvent déroger à des dispositions de droit de l’Union (article 326 TFUE). La coopération renforcée n’est pas possible dans un domaine de compétence exclusive de l’Union européenne (article 329 TFUE).
Concrètement, les États souhaitant mettre en place une coopération renforcée doivent adresser une demande en ce sens à la Commission. C’est ensuite la Commission qui transmet au Conseil, si elle le souhaite, la proposition de coopération renforcée. Le Conseil autorise alors la coopération renforcée par un vote à la majorité qualifiée, après accord du Parlement européen. Le Conseil doit en principe s’assurer, pour autoriser une coopération renforcée, que l’ensemble de l’Union peut atteindre dans un délai raisonnable les objectifs recherchés par le petit groupe d’États membres. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a eu l’occasion d’affirmer qu’elle n’exerçait qu’un contrôle restreint, limité à l’erreur manifeste et au détournement de pouvoir, sur l’autorisation de procéder à une coopération renforcée (CJUE, 16 avril 2013, Espagne et Italie c. Conseil).
La coopération renforcée n’est pas le mode exclusif de mise en œuvre de la différenciation au sein de l’UE puisque les États membres peuvent conclure des accords relevant du droit international public à cette fin.
B - Le droit international public comme mode alternatif de mise en œuvre de la différenciation
Les États membres de l’UE demeurent des États souverains libres de conclure, sous certaines conditions, des accords de droit international à des fins de différenciation (1). Signalons le cas particulier de Schengen qui est un accord de droit international intégré par la suite au droit européen (2).
1 - Le principe général : une liberté de principe pour les États membres de conclure un accord de droit international public à des fins de différenciation
Le fait d’appartenir à l’Union européenne ne prive pas les États membres de conclure entre eux des accords ad hoc qui relèvent alors du droit international public. Ainsi certains États membres de l’UE ont pu conclure en 2012 un traité international instituant le Mécanisme européen de stabilité. Il en va de même pour le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l’Union économique et monétaire, signé en 2012 également.
Il est à noter que la conclusion comme l’exécution d’un tel acte international doit se faire dans le respect du droit de l’Union. En effet si la qualité de sujets souverains de droit international permet aux États membres de l’UE de conclure librement les accords de leurs choix, ils conservent néanmoins leur qualité de membre de l’Union et à ce titre doivent toujours se conformer aux droits et obligations qui découlent de cette appartenance. Une éventuelle violation du droit de l’UE par le biais d’un accord international peut être constatée par la CJUE, et donner lieu à sanctions.
Un accord international peut être conclu dans un domaine qui ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. Cette hypothèse ne pose pas de difficultés juridiques particulières comme a pu l’affirmer la CJUE en 2012 (CJUE, 27 novembre 2012, Pringle). L’accord international peut également être conclu dans un domaine qui relève de la compétence non exclusive de l’Union, et qui pourrait dès lors faire l’objet d’une coopération renforcée. Doit-on en déduire que dans un tel cas les États membres seraient forcés de recourir à la coopération renforcée et ne pourraient pas faire usage du droit international ? La doctrine s’accorde majoritairement sur une réponse négative à cette question. En effet, tout d’abord, dans l’arrêt Pringle la CJUE ne mentionne nullement une telle hypothèse. De plus les États membres demeurent des États souverains libres de conclure des accords de droit international dans un domaine de compétence non exclusive de l’UE. Enfin, l’article 20 TUE relatif aux coopérations renforcées précise que « Les États membres qui souhaitent instaurer entre eux une coopération renforcée dans le cadre des compétences non exclusives de l'Union peuvent recourir […] ». L’utilisation du terme « peuvent » semble donner un caractère non obligatoire à la mise en place d’une coopération renforcée. En définitive la seule exigence qui pèse sur les États membres souhaitant recourir au droit international à des fins de différenciation est celle du respect du droit européen.
Dans le domaine du droit international il est intéressant de se pencher plus précisément sur le cas de Schengen, accord de droit international intégré dans un deuxième temps aux traités européens.
2 - Le cas particulier de Schengen : un acte de droit international repris par le droit européen
L’espace Schengen a été mis en place en 1985, c’est à dire avant que le traité d’Amsterdam de 1997 ne mette en place le mécanisme de coopération renforcée. L’accord relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signé par cinq pays (Allemagne, Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas) le 14 juin 1985, est ainsi un traité international. En 1990 une convention a permis à d’autres États, y compris des États tiers à l’UE, de rejoindre l’espace Schengen. Cela a été le cas dès 1990 pour l’Italie, l’Espagne et le Portugal. Aujourd’hui 26 États participent à l’espace Schengen, dont 22 sont membres de l’UE (les quatre autres étant la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein). Un Comité exécutif a été établi par les parties pour aider à la mise en œuvre des accords de Schengen. L’ensemble constitué de l’Accord, de la Convention et des différentes déclarations et décisions du Comité constituent ce qu’on appelle l’ « acquis de Schengen ».
La particularité de l’acquis de Schengen est qu’il a été repris en droit européen par le traité d’Amsterdam. Le Conseil a pris la place du Comité exécutif, ce qui lui a permis de prendre des actes de droit dérivé concernant Schengen. Aujourd’hui l’acquis de Schengen est annexé au traité de Lisbonne sous la forme d’un protocole (protocole n°19) et fait l’objet d’une coopération renforcée. L’acquis de Schengen est ainsi devenu un ensemble d’actes relevant du droit de l’Union, et qui ne s’appliquent qu’aux États faisant partie de la coopération renforcée en la matière. La particularité de cette coopération renforcée est de comprendre des États tiers tandis que certains États membres ont choisi de ne pas y participer (Irlande et Royaume-Uni avant le Brexit notamment). Si l’exemple de Schengen est caractéristique du partage par un certain nombre d’États d’une vision commune de l’espace européen, la différenciation eut à l’inverse traduire des visions divergentes de l’Union européenne.
II - La différentiation : un principe pouvant traduire des visions divergentes de l'Union européenne
Les visions politiques concernant l’UE qui sous-tendent les mesures de différenciation peuvent être assez radicalement différentes. En la matière, il est utile de différencier deux hypothèses : l’Europe à plusieurs vitesses (A) et l’Europe à la carte (B).
A - Une différenciation fondée sur la capacité : l'hypothèse d'une Europe à plusieurs vitesses
L’Europe à plusieurs vitesse, où la différenciation se fonderait uniquement sur la capacité d’un État à mettre en œuvre une politique donnée, est plutôt mise en avant par les partisans du fédéralisme européen (1). En pratique l’UE met assez fréquemment en œuvre des politiques de différentiation dont le fondement est la capacité d’un État (2).
1 - Une idée mise en avant par les partisans d’une Europe fédérale
L’idée générale d’une Europe à plusieurs vitesses est que la construction européenne ne peut souffrir d’immobilisme et doit afficher un dynamisme constant. Cet argument est plutôt mis en avant par les partisans d’une Europe fédérale. Il s’agissait d’ailleurs peu ou prou de l’argument du rapport Schäuble-Lamers, du nom de deux députés allemands de la CDU-CSU, de 1994 : la mise en place d’un « noyau dur » européen, principalement autour de la France et de l’Allemagne, à même d’aller plus loin dans l’intégration, permettrait à terme l’adoption d’un modèle fédéral pour toute l’Europe. L’idée est que la différenciation possède un effet d’entrainement et a vocation à terme à devenir une politique uniforme pour l’ensemble des États membres.
Les tenants de la conception d’une Europe à plusieurs vitesses mettent généralement en avant le critère de la capacité pour justifier la différenciation. Dans cette conception les États ne participeraient pas à une coopération renforcée uniquement parce qu’ils ne sont pas en capacité de remplir les critères nécessaires. Dès lors qu’ils en ont la capacité ces États ont vocation à rejoindre la coopération renforcée. La différenciation a un caractère nécessairement temporaire. Les objectifs de la construction européenne sont ainsi les mêmes pour tous les États membres mais des différences de rythme dans l’adoption des politiques d’intégration peuvent être admises. En pratique l’UE a mis en œuvre un certain nombre de politiques dont la participation est soumise à la capacité des États membres dans un domaine précis.
2 - Intégration d’un nouvel État membre et adoption de l’euro : des exemples concrets de mise en œuvre de la différenciation fondée sur la capacité
Lors des élargissements successifs de l’Union européenne il est arrivé à plusieurs reprises que des clauses dérogatoires à certaines dispositions de droit européen soient prévues vis à vis du nouvel État membre pendant une certaine période. Concrètement, ces mesures transitoires et leurs modalités de mise en œuvre figurent dans l’acte d’adhésion du nouvel État membre. Ainsi, par exemple, quand la Roumanie et la Bulgarie ont adhéré à l’UE il a été prévu que les autres États membres pouvaient pratiquer des restrictions à la libre circulation des travailleurs en provenance des deux nouveaux États pour une période qui ne pouvait excéder sept ans. Il en a été de même pour la Croatie mais pour une période de deux ans. L’idée avec cette forme de différenciation est de s’adapter aux capacités du nouvel État membre pendant un temps déterminé, à l’issue duquel on considère qu’il sera possible de lui appliquer les règles communes.
L’adoption de l’euro, dans le cadre de l’Union économique et monétaire, est également soumis à une politique de différenciation. En effet, pour adopter la monnaie commune, l’État membre doit respecter un certain nombre de critères dits « de convergence » fixés par les traités européens (article 140 TFUE et Protocole n°13). Les institutions européennes considèrent en effet que la participation à l’euro nécessite un degré élevé de convergence avec les autres économies. Les États membres de la zone euro se voient appliquer un certain nombre de règles spécifiques et le traité de Lisbonne contient des dispositions applicables uniquement à la zone euro. Cela permet au Conseil de prendre des actes juridiques applicables uniquement aux États membres de la zone euro. Ainsi l’adoption de l’euro repose en grande partie sur la capacité d’un État à adopter la monnaie commune, capacité appréciée à travers un certain nombre de critères économiques.
L’hypothèse opposée à celle d’une Europe à plusieurs vitesse est celle d’une Europe à la carte, idée plutôt mise en avant par les tenants de la souveraineté des États membres de l’UE.
B - Une différenciation fondée sur la volonté : l'hypothèse d'une Europe à la carte
L’Europe à la carte se matérialise par la fréquente mise en place de clauses d’opting out permettant une différenciation basée sur la volonté (2) se fondant sur le caractère souverain et indépendant des États membres de l’Union (1).
1 - Une idée mise en avant par les partisans d’une Europe des États-nations
L’idée générale d’une Europe à la carte est que la participation à une nouvelle politique d’intégration doit avant tout reposer sur la volonté des États. L’approfondissement de l’Union reposerait ainsi principalement sur le choix de ses membres, qui seraient libres de participer ou non à une politique. Dès lors, il est admis que tous les États membres ne poursuivent pas nécessairement la même finalité. Cette idée d’une Europe à la carte est plutôt mise en avant par les souverainistes qui considèrent que l’Union est avant tout composée d’États-nations indépendants et souverains, qui conservent par conséquent une marge d’appréciation dans la participation aux différentes politiques européennes.
Les traités européens, depuis les débuts de la construction européenne, n’ont pas été conçus sur la base d’une Europe à la carte. En effet ils mettent l’accent de manière récurrente sur la finalité commune que doivent poursuivre l’ensemble des membres de l’Union. En principe ces derniers ne peuvent choisir les règles de droit européen qui peuvent leur être appliquées. Néanmoins l’existence de clauses d’opting out depuis le traité de Maastricht de 1992 vient quelque peu contredire cet esprit général. Ces clauses font généralement l’objet de protocoles annexés aux traités et se révèlent assez fréquentes en pratique.
2 - Des clauses d’opting out, permettant une différenciation basée sur la volonté, fréquentes en pratique
Dans le cadre de l’Union économique et monétaire le Royaume-Uni et le Danemark ont obtenu une clause d’opting out reconnue par les protocoles n°15 et 16. Cette clause leur permet de ne pas adopter l’euro s’ils ne le souhaitent pas, quand bien même ils remplissent les critères objectifs de convergence. Ces clauses introduisent ainsi un critère de volonté dans le cadre d’une politique reposant en principe sur des critères liés à la capacité de l’État à adopter la monnaie unique.
Dans le même esprit, le Royaume-Uni, avant son départ de l’UE, bénéficiait d’une clause d’opting out en matière de contrôles aux frontières qui lui permettait d’effectuer des contrôles supplémentaires sur les personnes voulant entrer sur son territoire en provenance d’autres États membres (protocole n°20). Ce même protocole permettait des accords particuliers entre le Royaume-Uni et l’Irlande concernant leur frontière commune.
Trois États membres, le Royaume-Uni, la Pologne et la République tchèque, ont également obtenu un opting out vis à vis de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. Pour ces États, cette clause avait pour but de ne pas être lié par certaines dispositions de la Charte ou de préserver une conception traditionnelle dans certains domaines. Ainsi, pour le cas de la Pologne, il s’agissait essentiellement de préserver l’interdiction de l’interruption volontaire de grossesse en arguant d’une conception traditionnelle du droit de la famille et de la dignité humaine.
Enfin il est à noter qu’un opting out très large avait été obtenu par le Royaume-Uni peu avant le Brexit. En effet, cet arrangement entre le Royaume-Uni et les autres États membres concernait des domaines très étendus (gouvernance économique, compétitivité, souveraineté, prestations sociales et libre circulation) et marquait une nouvelle étape dans la différenciation pour l’Union européenne. De nombreux juristes ont émis des doutes sur la légalité d’un tel opting out, qui aurait pu faire l’objet d’une procédure en manquement devant la CJUE. La question de la légalité de cet accord n’a cependant jamais été tranchée puisque qu’il n’est pas entré en vigueur du fait du Brexit.
Sans retracer la liste exhaustive de tous les opting out autorisés dans le cadre européen, il apparaît que la différenciation fondée sur la volonté est assez largement pratiquée au sein de l’Union. Il semble ainsi que l’UE pratique aussi bien la différenciation fondée sur la capacité, pour l’adoption de l’euro par exemple, que la différenciation fondée sur la volonté, avec les clauses d’opting out, au gré des circonstances, des domaines considérés ou de la volonté des États membres. En définitive ces deux hypothèses relèvent plus d’idéaux-types que de politiques strictement mises en œuvre. Pragmatisme bienvenu pour ménager les intérêts, pas toujours convergents, des 27 États membres ou manque de lisibilité de l’action européenne en matière de différenciation, au risque d’accentuer les divergences voire la désintégration de l’Union ? Le débat reste, pour l’heure, ouvert.
