Introduction
La visée de la Constitution du 4 octobre 1958 était de rétablir l’équilibre, inexistant sous les deux précédentes Républiques, entre les pouvoirs législatif et exécutif, en termes de prérogatives et de primauté. L’objectif a été atteint plus que de mesure puisqu’après une dérive parlementariste et une domination sans pareille proche du régime d’assemblée des Troisième et Quatrième Républiques, le balancier a penché nettement en faveur de l’Exécutif.
La volonté de restauration de l’action de l’Etat et de la primauté des organes exécutifs sur le pouvoir législatif a, dans un premier temps, rééquilibré la balance pour, finalement, déséquilibrer les institutions, réduisant le domaine d’intervention du Parlement et réduisant d’autant ses compétences, à tel point que cela a pu émouvoir certaines consciences.
Les textes constitutionnels aussi bien que la pratique gouvernementale ou législative et les incidences politiques s’avèrent utiles à la compréhension de ces nouveaux mécanismes. La pratique a, pour l’essentiel, confirmé les orientations constitutionnelles, mais le chemin n’a été fait qu’à moitié puisque les bouleversements supposés, aux débuts de la Cinquième République, par la délimitation d’un domaine prévu concernant la loi ne se sont pas révélés aussi importants. Le recul parlementaire s’est révélé bien plus conséquent en matière d’élaboration de la loi et ce, malgré les dernières innovations juridiques dûes à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Les aléas politiques, enfin, ont permis à l’Assemblée nationale de revenir au cœur de la vie politique en période de cohabitation, en la réinstallant dans un rôle plus conforme à un Parlement de plein droit en démocratie.
Cela implique l’existence d’un Parlement soumis aux variations du domaine législatif (I) à la suite de la Constitution de 1958 qui, d’un point de vue normatif, se trouve à l’origine du reflux parlementaire et du rôle joué par le Conseil constitutionnel qui a ouvert la voie aux prérogatives gouvernementales et postule un Parlement soumis à un contrôle des activités législatives (II) en raison tant des prérigatives du Gouvernement que du fait majoritaire.
I - Un Parlement soumis aux variations du domaine législatif
Si la Constitution de 1958 a incontestablement réduit le domaine législatif (A), cette restriction n’est pas toujours effective, le Gouvernement n’usant pas toujours de ses prérogatives pour assurer le respect du domaine règlementare (B).
A - La Constitution à l’origine du recul législatif
En 1958, le texte constitutionnel délimite, pour la première fois dans l’histoire du pays, le domaine d’intervention de la loi et par là même le champ d’action du législateur dans son activité. Les articles 34 et 37 de ladite Constitution postulent cette distinction entre domaine règlementaire et domaine législatif.
L’article 37 est bien connu : « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ». Le domaine de la loi se voit donc réduit aux matières énoncées par l’article 34 pour l’essentiel. Il revient, par ailleurs, au Conseil constitutionnel la mission de vérification, à la demande du gouvernement, du non-débordement du domaine attribué au législateur, aussi bien dans le passé, aux termes de l’article 37.2 de la Constitution, qu’au présent, selon l’article 41.
Le législateur ne dispose par conséquent que d’un domaine d’attribution et ce, malgré la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, à l’aide du Préambule et des normes auxquelles ce dernier fait référence, peut accroître la matière législative.
La définition donnée à la loi se fonde donc sur deux critères : le critère organique et le critère matériel. La loi est ainsi l’acte voté par le Parlement et portant sur une matière réservée au législateur - puisque son champ d’intervention est matériellement circonscrit. Pour autant, face à une définition aussi stricte, le Conseil constitutionnel a pu intervenir et modifier le rapport de forces.
B – Un recul législatif non irréversible
Le gouvernement a toujours jalousement et scrupuleusement veillé au respect des articles 34 et 37 de la Constitution. Il a pris conscience que, par ailleurs, cette obligation est davantage un poids pour lui-même que pour le Parlement car le législateur, selon les conceptions éclairantes du doyen Vedel, dans la plupart des régimes démocratiques contemporains, est en réalité le gouvernement et non le Parlement, quand bien même les assemblées parlementaires votent la loi.
Il s’agit là de réduire cet acte à sa dimension procédurale seulement. En effet, les parlementaires ne sont guère à l’origine de la loi. L’essentiel des lois votées sont des projets gouvernementaux et les propositions parlementaires ne constituent qu’un résidu. Les parlementaires peuvent au mieux amender la loi et ce ne sont pas les quelques innovations dûes à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui y changent quoi que ce soit en la matière.
Tout cela revient à dire que le gouvernement a à sa disposition aussi bien la voie réglementaire que législative et qu’à condition d’être soutenu par une majorité parlementaire, il peut utiliser tout aussi facilement l’une que l’autre.
Avec sa décision n°82-143 DC du 30 juillet 1982, Lois sur les prix et les revenus, le Conseil constitutionnel a jugé que les articles 41 et 37.2 interviennent exclusivement en faveur du gouvernement. Cela signifie qu’aucune censure impulsée par des parlementaires n’est possible lorsqu’un texte législatif comporte des dispositions réglementaires par la seule volonté du gouvernement concernant les projets de loi ou par son acceptation implicite à l’endroit des propositions de loi.
Dès lors, le contrôle effectué par le Conseil constitutionnel ne peut intervenir que si le gouvernement y est favorable. Cela postule, par là, une restriction du domaine législatif lequel est, en réalité, peu effectif puisque, chacun le sait bien, le gouvernement n’engage que rarement le contrôle a priori de l’article 41, au plus grand bénéfice du contrôle a posteriori de l’article 37.2. Le déclin est donc très mesuré.
Si, organiquement et fonctionnellement, la loi a pu faire l’objet de réduction dans sa définition et donc dans la dimension conférée à celui qui en est l’auteur (textuellement, il s’agit du Parlement), cet effacement est renforcé par la pression exercée par le gouvernement sur le Parlement en matière d’élaboration de la loi et ce, grâce à l’importance et la diversité des prérogatives accordées au premier ainsi qu’à la présence du fait majoritaire, depuis 1962, qui bouleverse la donne institutionnelle.
II - Un Parlement soumis à un contrôle des activités législatives
L’élaboration de la loi relève des prérogatives parlementaires. Formellement, c’est le Parlement qui vote la loi. Dans les faits, il en va autrement car la direction de la « fabrication » de la loi revient au gouvernement sous la Cinquième, du fait des compétences qui sont les siennes (A) tout comme du fait de l’existence du fait majoritaire (B).
A - La domination du Gouvernement du fait de ses prérogatives
On sait l’existence de nombreuses prérogatives gouvernementales en la matière et que ces dernières sont même déterminantes sous la Cinquième République. Le rapport de forces est en effet inversé par rapport aux précédentes Républiques. S’il s’agit de les évoquer, une classification s’impose. Elles sont de deux ordres.
D’une part, les premières visent à freiner les velléités des parlementaires. Il s’agit ici de l’irrecevabilité de l’article 40 de la Constitution, lequel indique que « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».
De la même manière, ces prérogatives visent aussi l’irrecevabilité de l’article 41 qui prévoit le rejet par le gouvernement, lequel peut opposer l’irrecevabilité d’une proposition de loi ou d’un amendement, dans le cas où ceux-ci ne relèveraient pas du domaine de la loi. Fondamentalement, ce n’est pas l’intervention éventuelle du Conseil constitutionnel, saisi par le président de l’assemblée où ont lieu les débats (c’est dire l’efficacité de cette mesure …), prévue depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui va y changer quoi que ce soit.
Le nouvel article 48 de la Constitution, révisé en 2008, permet aux assemblées de fixer elles-mêmes leur ordre du jour. Mais, la formulation textuelle semble relever plutôt de la formule dans la mesure où deux semaines sur quatre sont réservées, par priorité, et selon l’ordre voulu par le gouvernement, aux textes et débats dont il demande l’inscription à l’ordre du jour. Il en va de même pour les projets de lois de finances, des projets de lois de financement de la Sécurité Sociale, des textes transmis depuis au moins six semaines par l’autre assemblée, des projets relatifs aux états de crise et des demandes d’autorisation de l’article 35. Il faut y ajouter la semaine sur les quatre de contrôle de l’action du gouvernement et de l’évaluation des dépenses publiques et chacun comprend bien combien l’initiative parlementaire est quasi-anéantie du fait de l’étroitesse de la fenêtre de tir qui lui est offerte. Les propositions de lois n’ont, dès lors, que peu de chance d’aboutir.
D’autre part, certaines prérogatives visent l’accélération de l’examen des projets gouvernementaux, si ce n’est une pression sur la majorité. Il faut alors évoquer le fameux vote bloqué de l’article 44.3 qui prévoit une délibération parlementaire, à la demande du gouvernement, sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui. Il y a en effet plus démocratique comme disposition. Ces prérogatives renvoient aussi au « dernier mot » laissé à l’Assemblée nationale en cas d’absence d’accord de la commission mixte parlementaire, lequel permet ainsi d’outrepasser le vote du Sénat. Cette procédure trouve sa justification dans le bicaméralisme inégalitaire dû au mode d’élection des deux assemblées. Enfin, la pression gouvernementale sur l’objet parlementaire s’exerce par le biais de l’article 49.3 de la Constitution, bien que réduit depuis 2008 puisque l’engagement de la responsabilité du Gouvernement ne peut plus porter que sur le vote des projets de loi de finances ou de financement de la Sécurité Sociale ou sur un autre projet ou proposition de loi par session. Pour restreindre le champ d’application de l’article, l’esprit n’en demeure pas moins et l’efficacité de son application est toujours sans conteste.
Bien entendu, le recours aux articles 40 et 41 est naturellement moindre de la part des gouvernements en cas de majorité large et disciplinée. Mais, un élément nouveau en 1962 a quelque peu renforcé le mouvement de mise sous tuelle du Parlement en matière législative : le fait majoritaire.
B - La domination de l’Exécutif dûe au fait majoritaire
La fonction institutionnelle et constitutionnelle de Premier ministre ne doit pas faire oublier que ce dernier est aussi le chef de la majorité parlementaire qu’elle soit dominante et sans partage depuis la législature ouverte en 2017 ou, de façon plus relative, sous le second septennat de François Mitterrand, voire « plurielle » en 1997. Cette position le hisse à un rang bien supérieur face à ses « collègues » parlementaires d’orientation politique identique. Sa position institutionnelle lui confère en effet une autorité bien supérieure au chef du groupe majoritaire. En effet, il n’y a qu’à voir la faiblesse des initiatives du président du groupe LAREM à l’Assemblée nationale et le poids au contraire du Premier Ministre, Edouard Philippe, pour en mesurer toute la portée.
Le fait majoritaire, installé en France en 1962, fait converger le pays vers les autres régimes occidentaux contemporains, à l’instar du Royaume-Uni. Il a permis la mise en place d’une majorité stable et idéologiquement cohérente. Mais, il a fait mieux en renforçant la stabilité gouvernementale. Surtout, il a permis que ce gouvernement puisse s’appuyer sur une majorité fidèle en en appelant à son soutien si nécessaire. À ce titre, la présidence Hollande a démontré la fidélité de la plupart des membres du groupe majoritaire, malgré l’apparition de « frondeurs » parmi la majorité de l’époque et dont les rares initiatives sont restées veines.
Ce sont ces éléments institutionnels et politiques qui permettent au Premier ministre de jouir d’une telle autorité et d’une position de surplomb parlementaire sur la majorité politique. Les mains libres, car peu préoccupé d’un défaut de soutien de sa majorité, le Premier ministre peut alors faire adopter les lois qu’il souhaite en fonction de la politique définie par le gouvernement, à l’unisson de ce que stipule le texte constitutionnel en ses articles consacrés au gouvernement, et ce n’est pas la présence d’un président de la République issu de rangs politiques différents du sien, comme cela a été le cas par trois fois en France, qui y changerait quoi que ce soit, bien au contraire . Le seul bémol à indiquer est que les majorités ne sont pas toujours monolithes ou réellement dociles, parfois les deux, voire sont multiples, que l’on pense aux législatures entre 1962 et 1967 ou entre 1976 et 1981, 1988 à 1993 et 1997 à 2002. Le départ récent de nombreux députés du groupe parlementaire « La République en Marche », depuis le début de l’actuelle législature, le démontre également (cf. http://www.leparisien.fr/politique/combien-de-deputes-ont-vraiment-quitte-lrem-depuis-2017-29-01-2020-8247273.php).
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a certes opéré quelques améliorations concernant le rôle du Parlement, mais rien de commun avec ce qui avait été annoncé, ni à la mesure du Parlement anglais ou allemand. Pour autant, si l’Exécutif a eu beau voir ses prérogatives considérablement croître, il n’en reste pas moins que le Parlement constitue toujours cette pièce essentielle dans le dispositif démocratique dont le rôle persiste à être primordial. Cette appréciation ne saurait néanmoins faire obstacle au constat d’un réel recul de son rôle législatif.
