Introduction
Le droit à la vie privée et la liberté d’expression se retrouvent souvent en conflit face au déploiement de la presse à sensation, obligeant la Cour de cassation à réaliser un délicat équilibre entre ces deux droits fondamentaux, comme l’illustre l’affaire ici envisagée.
La société Hachette Falipacchi a publié un article, illustré par des photographies, sur le mariage religieux de M. Andrea Z. et Mme Tatiana D., ainsi que sur le baptême de leur fils E.
M. Z. et Mme D. ont poursuivi la société H. en réparation, sur le fondement de leurs droits au respect de leur vie privée et de leur image.
Le Tribunal de première instance ainsi saisi a rendu un jugement, dont la partie mécontente a interjeté appel devant la Cour d’appel de Versailles.
Le 3 novembre 2016, cette dernière a considéré que le mariage religieux et le baptême revêtaient un caractère privé, dont l’atteinte portée par le journal n’était justifiée par aucun événement d’actualité ou de débat d’intérêt général.
La société H. a alors formé un pourvoi en cassation, se fondant sur la liberté d’expression, en arguant du fait que, factuellement, le mariage et le baptême dont il était question pouvaient avoir une influence sur l’ordre de succession au trône de la principauté, et pouvaient ainsi intéresser le public, en plus de constituer un fait d’actualité.
La question qui s’est alors posée à la première chambre civile de la Cour de cassation était celle de savoir si un élément qui relève a priori du droit à la vie privée peut être divulgué sur le fondement de la liberté d’expression ? Dans l’affirmative, à quelles conditions ?
Le 21 mars 2018, la première chambre civile de la Cour de cassation a répondu par l’affirmative au visa des articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH), ainsi que de l’article 9 du Code civil. Elle a en effet rappelé que le droit à la vie privée peut-être limité par l’exercice de la liberté d’expression lorsqu’il existe un événement d’actualité ou un débat d’intérêt général, lesquels devront être appréciés de manière factuelle et concrète par les juges du fond. Elle casse et annule donc l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles, renvoyant les parties devant la Cour d’appel de Paris.
Ainsi est-il nécessaire d’envisager d’une part l’égalité théorique entre les droits protégés par les articles 8 de la CESDH et 9 du Code civil, et la liberté d’expression (I) et d’autre part le déséquilibre factuel qui résulte d’une telle mise en balance (II).
I – Les droits à la vie privée et à l'image théoriquement égaux à la liberté d'expression
La Cour de cassation va rappeler que le droit à la vie privée ainsi que le droit à l’image ont une valeur normative identique à celle de la liberté d’expression (A) conduisant à la nécessité de rechercher un équilibre dans la mise en œuvre de ces droits (B).
A – Des valeurs normatives identiques
La première chambre civile de la Cour de cassation, au visa des articles 8 et 10 de la CESDH et de l’article 9 du Code civil, énonce que « le droit au respect de la vie privée et le droit au respect dû à l’image d’une personne, d’une part, et le droit à la liberté d’expression, d’autre part, ont la même valeur normative ». La Cour de cassation énonce donc trois fondements à sa décision (1) et, si elle indique que ces derniers ont la même valeur normative, n’en précise pas laquelle (2).
1 - Des fondements divers
La Cour de cassation énonce fonder sa décision sur le droit à la vie privée, le droit à l’image, et le droit à la liberté d’expression. Si elle réunit les deux premiers en les opposant à la liberté d’expression ensemble, elle les sépare également en les citant distinctement.
La Cour de cassation réunit le droit à la vie privée et le droit à l’image, en les citant dans un premier temps, par opposition à la liberté d’expression. Ces deux droits sont en effet tous deux prévus par l’article 9 du Code civil, qui énonce que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Si cet article ne prévoit pas expressément le droit à l’image, il le protège pourtant de manière effective, comme l’illustrent les nombreuses décisions rendues sur le fondement de l’article 9 du Code civil protégeant l’image de la personne. De même, l’article 8 de la CESDH ne garantit pas expressément la protection du droit à l’image, mais le protège sous ce visa, en offrant une interprétation extensive du texte. La liberté d’expression quant à elle n’est pas prévue par le Code civil.
Toutefois si la Cour de cassation réunit les droits à la vie privée et à l’image, elle les distingue dans le même temps. Cette distinction s’explique par le fait que depuis 2005, et plus précisément depuis une décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 10 mai 2005 (civ. 1ère, 10 mai 2005, n°02-14.730), « le respect dû à la vie privée et celui dû à l’image constituent des droits distincts ». Longtemps, le droit à l’image était un « droit gigogne », c’est-à-dire qu’il était un des composants du droit à la vie privée. Au contraire, depuis 2005, et bien que le droit à l’image dispose du même fondement que le droit à la vie privée, à savoir l’article 9 du Code civil, et l’article 8 de la CESDH, ils sont désormais autonomes. Ainsi, ils bénéficient désormais chacun d’une protection particulière.
2 - Des fondements de même valeur normative
La Cour de cassation énonce que le droit à l’image et à la vie privée, ainsi que la liberté d’expression, ont la même valeur normative, sans plus de précision. Pourtant, la valeur normative identique découle non seulement de la fondamentalisation mais encore de la constitutionnalisation de ces droits.
Le droit à l’image et le droit à la vie privée, ainsi que la liberté d’expression, sont consacrés par la CESDH. Le premier est consacré au titre de l’article 8 de la CESDH, et la seconde est protégée par l’article 10 du même texte. Ils sont ainsi des droits et libertés fondamentaux, qui connaissent une protection renforcée, tant au niveau du droit interne que du droit européen. Cela explique qu’ait émergé le terme de « fondamentalisation » du droit, qui fait état de la dimension désormais fondamentale du droit de la vie privée, du droit à l’image, et de la liberté d’expression.
Par ailleurs, si la Cour de cassation n’en fait pas ici mention au titre de ses visas, il est nécessaire de rappeler que ces droits et liberté fondamentaux ont fait l’objet d’une constitutionnalisation. La liberté d’expression est en effet protégée au titre de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme, et a ainsi fait l’objet d’un élargissement par le Conseil constitutionnel, comme l’illustre la décision rendue le 10 juin 2009 (n°2009-580 DC) qui édicte la liberté d’accéder à Internet. Pour le droit à la vie privée et à l’image, sous le jeu de l’article 66 de la Constitution, puis de manière autonome par une décision du Conseil Constitutionnel rendu le 23 juillet 1999 (n°99-416 DC, dite Couverture maladie universelle) sur le fondement de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme.
B – La recherche d'un équilibre nécessaire
La Cour de cassation s’appuie sur la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour affirmer qu’il est nécessaire de « procéder à la mise en balance des droits en présence », à savoir le droit à la vie privée, le droit à l’image, et la liberté d’expression (1) et ce afin d’obtenir un équilibre (2).
1 - La mise en balance nécessaire des droits
Le droit à la vie privée, le droit à l’image, et la liberté d’expression ne sont pas des droits absolus et leur application fait donc l’objet d’une mise en balance.
La protection du droit au respect à la vie privée et à l’image, de même que de la liberté d’expression, n’est pas absolue. Très rares sont les droits absolus. En effet seuls sont absolus les droits protégeant contre les atteintes à la vie, la torture, l’esclavage et le travail forcé. Ainsi s’agissant de la torture par exemple, une célèbre décision rendue par la Cour européenne des droits de l’Homme, dans l’affaire Soering, énonce que l’article 3 de la CESDH, relatif à l’interdiction de la torture, « ne ménage aucune exception », et que cette interdiction est donc absolue (CEDH, 7 juillet 1989, aff. Soering c. Royaume-Uni, n°14038/88). Il en est différemment des droits sur lesquels se fondent la Cour de cassation en l’espèce, qui peuvent donc être réduits selon les intérêts en présence, comme elle le réaffirme dans cette affaire.
La mise en œuvre des droits à la vie privée et à l’image, ainsi que de la liberté d’expression, nécessite de trouver un équilibre afin de concilier ces droits pour lesquels la montée en puissance de la presse à sensation conduit à des oppositions. En effet il est de la nature même de certains journaux de divulguer des informations relevant de l’intimité de la personne, afin de satisfaire l’intérêt du public, en application de la liberté d’expression, ce qui semble être le cas de la société H. ici. En effet la liberté d’expression a une double nature : elle justifie la diffusion d’information, mais également sa réception. Les personnes peuvent ainsi, sur son fondement, arguer d’un droit à l’information. Ainsi, le droit à l’information du public peut conduire à des atteintes à la vie privée.
2 - La recherche d’un équilibre
Le droit à la vie privée et à l’image, comme la liberté d’expression, sont chacun des limites l’un à l’égard de l’autre, ce qui oblige à rechercher un équilibre satisfaisant.
La liberté d’expression apparaît ici comme étant une limite à l’exercice du droit à la vie privée. En effet en l’espèce, la Cour de cassation ne nie pas la qualification donnée par la Cour d’appel de Versailles, qui a retenu que le fait de se marier religieusement et de baptiser un enfant relève de la vie privée. Au contraire, elle reprend cette qualification, et ce parce que le mariage comme le baptême sont des éléments afférents à l’intimité des personnes. Pourtant la Cour de cassation rappelle que ce n’est pas parce qu’un élément est partie intégrante de la vie privée qu’il ne peut faire l’objet d’une divulgation sur le fondement de la liberté d’expression. En effet, cette dernière est régulièrement une limite au droit à la vie privée, dont certains éléments peuvent être divulgués.
Cependant il est des cas dans lesquels la vie privée est elle-même limitative de la liberté d’expression. En effet alors que d’aucuns ont pu croire un temps qu’un mouvement unique se dessinait, au profit de la liberté d’expression, la Cour de cassation a déjà rappelé qu’il s’agissait d’une véritable balance à effectuer. Ainsi l’illustre la décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation le 5 juin 2024 (n°23-12.525) qui met un frein à la liberté d’expression en rappelant que l’anonymat d’une victime doit être préservé si elle le désire. D’ailleurs en l’espèce, la Cour de cassation n'exclue pas que le droit à la vie privée puisse limiter l’exercice de la liberté d’expression en renvoyant l’affaire devant la Cour d’appel de Paris, qui sera libre de juger que la liberté d’expression ici doit elle-même être limitée par le respect du droit à la vie privée, après avoir réalisé un contrôle de proportionnalité in concreto.
Dans les deux cas, l’objectif est de protéger « l’intérêt le plus légitime » explique la Cour, ce qui s’appréciera factuellement.
II – Les droits à la vie privée et à l'image factuellement atteints par la liberté d'expression
La Cour de cassation pose des critères factuels (A) afin de permettre aux juges du fond de faire un contrôle de proportionnalité dont le respect des différents droits fondamentaux conduira à une appréciation variable (B).
A – Des critères factuels posés
La Cour de cassation rappelle l’influence de la Cour européenne des droits de l’Homme (1) dans l’élaboration d’une liste de critères factuels à prendre à considération (2).
1 - L’influence assumée de la Cour européenne des droits de l’Homme
La Cour de cassation se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, assumant l’influence européenne en droit interne.
La Cour de cassation n’a pas toujours reconnu l’application du droit européen en droit interne, et encore moins sa primauté. Cependant depuis son célèbre arrêt Café Jacques Vabre rendu par une chambre mixte le 24 mai 1975, elle fait application de la Convention européenne des droits de l’Homme. Surtout, une décision rendue par l’assemblée plénière le 15 avril 2011 (n°10-17.049) énonce que « les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ». Ainsi, la Cour de cassation reconnait non seulement l’application des textes, mais encore des décisions de droit européen.
En l’espèce, la Cour de cassation énonce explicitement : « il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ». Autrement dit, elle utilise un antécédent européen pour justifier sa décision de droit interne. Il s’agit d’une pratique extrêmement récente dans la mesure où cela revient à reconnaitre le pouvoir créateur de droit de la jurisprudence, ce qui était antérieurement exclu. Cependant aujourd’hui, et la Cour de cassation le reconnait ici : la jurisprudence est source de droit, tant au niveau interne qu’au niveau européen.
2 - Une liste exhaustive de critères dressée
La Cour de cassation rappelle les deux cas dans lesquels l’exercice de la liberté d’expression peut conduire à porter atteinte au droit à la vie privée et au droit à l’image, ces cas pouvant être observés grâce à un ensemble de critères dressés par la Cour européenne des droits de l’Homme.
La Cour de cassation rappelle que le droit à la vie privée et le droit à l’image peuvent être violés par la liberté d’expression lorsqu’il existe un débat d’intérêt général, ou un fait d’actualité. En effet dans ces deux cas, le public dispose d’un intérêt légitime d’être informé, lequel prédomine l’intérêt de la personne concernée à conserver l’information secrète. Ces deux limites ont été reprises à de très nombreuses reprises par la Cour de cassation, comme à travers une décision rendue par la première chambre civile le 27 février 2007 (n°06-10.393), et font sensiblement écho à l’activité journalistique, promouvant la liberté de la presse.
Afin de pouvoir observer s’il existe un débat d’intérêt général ou un fait d’actualité, la Cour européenne des droits de l’Homme dresse une liste de critères à prendre en considération. En effet par sa décision rendue le 10 novembre 2015, dite Couderc et Hachette Filipacchi associés contre France (n°40454/07 §93), que la Cour de cassation cite expressément, doivent être envisagés : « la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies (…) ». En dressant une liste, l’objectif de la Cour européenne des droits de l’Homme est d’harmoniser l’application de la Convention entre tous les États membres, ce à quoi la France fait honneur dans la mesure où la Cour de cassation applique bien le droit européen en l’espèce, en prenant soin de rappeler les critères à observer. Cependant cette application donnera lieu à une appréciation variable, et ce notamment grâce à une relative marge d’appréciation laissée par le droit européen en la matière.
B – Une appréciation variable
L’application in concreto que la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l’Homme invitent à réaliser (1) conduit à une variabilité critiquable (2).
1 - Une appréciation in concreto à réaliser
La Cour de cassation clôture par la mention selon laquelle « la définition de ce qui est susceptible de relever de l’intérêt général dépend des circonstances de chaque affaire ».
En l’espèce, il appartient aux juges de déterminer si, dans le cas d’espèce, chacun des critères énoncés par la Cour européenne des droits de l’Homme a été respecté. Ainsi par exemple, sera pris en considération le fait qu’il s’agisse de membres d’une dynastie héréditaire, et donc de personnes de notoriété publique. Par ailleurs, devront être étudiées les répercussions de l’article, et notamment les conséquences, pour le public, d’un tel mariage, et de ce baptême. Ici, il est possible que ces événements aient une influence sur l’ordre de succession au trône, ce qui intéresse le public dans la mesure où il peut avoir connaissance de la prochaine personne potentielle à le gouverner.
Toutefois la Cour de cassation ne se prête pas ici à une application du droit aux faits d’espèce, se cantonnant à son rôle de ne statuer que sur le droit, et renvoyant ainsi aux juges du fond l’appréciation des différents critères préalablement énoncés. Elle ne réalise donc pas de contrôle de proportionnalité in abstracto, c’est-à-dire de pur droit, et préfère renvoyer à la Cour d’appel le soin de réaliser un tel contrôle in concreto, c’est-à-dire en considération des faits.
2 - Une appréciation in concreto critiquée
L’appréciation in concreto d’une situation juridique emporte des inconvénients, toutefois contrebalancés par des avantages devant nécessairement être pris en considération.
Bien que le renvoi opéré par la Cour de cassation lui permette de satisfaire son office, il rappelle toutes les difficultés posées par la mise en balance du droit à la vie privée, du droit à l’image, et de la liberté d’expression, et plus largement, posées par le contrôle de proportionnalité. En effet, tributaires des circonstances de l’espèce, un tel contrôle conduit à une certaine insécurité juridique, les justiciables ne pouvant jamais prévoir à l’avance la décision qui sera rendue par les juges, lesquels pourront apprécier différemment, au regard de la diversité des critères à prendre en compte, l’existence d’un débat d’intérêt général ou d’un fait d’actualité. Ainsi est-il peu prévisible de connaître la décision que rendra la Cour d’appel de Paris dans ce cas d’espèce.
Cependant, ce choix rend bien compte du lien entre le droit et la réalité sociale. En effet le droit doit nécessairement prendre en compte les singularités de chaque cas d’espèce en vue de répondre de la manière la plus pragmatique possible au problème qui lui est soumis, et ce afin de rendre « une bonne justice ». Une telle prise en compte des spécificités factuelles s’oppose d’ailleurs au développement souhaité par d’aucuns d’une justice prospective permise par l’intelligence artificielle, qui ne permettrait pas la prise en compte de toutes les subtilités existantes et laisserait aux justiciables un amer goût d’incompréhension à l’égard de la justice.
Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 21 mars 2018, 16-28.741
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses première et troisième branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, dans le numéro [...], daté du [...] au [...], du magazine Paris Match, la société Hachette Filipacchi associés (la société) a publié un article, accompagné de photographies, relatant le mariage religieux de M. Andrea Z... et de Mme Tatiana D... et le baptême de leur fils E..., dit F..., ces deux événements s'étant déroulés quelques jours plus tôt, à [...] ; qu'invoquant l'atteinte portée à leurs droits au respect dû à leur vie privée et à leur image, M. et Mme Z..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur, ont assigné la société pour obtenir réparation de leurs préjudices, ainsi que des mesures d'interdiction et de publication ;
Sur la recevabilité du moyen, contestée par la défense :
Attendu que les défendeurs au pourvoi prétendent que, devant les juges du fond, la société n'a à aucun moment soutenu que le mariage religieux de M. et Mme Z... avait eu pour effet de légitimer l'enfant du couple et d'en faire un héritier potentiel du trône ni que le baptême de cet enfant avait consacré l'entrée d'un membre de la famille princière, susceptible d'être un jour appelé à régner, dans la religion d'Etat de la principauté ;
Mais attendu que, dans ses conclusions d'appel, la société soulignait la portée que le mariage religieux et le baptême en cause étaient susceptibles d'avoir sur l'ordre de succession au trône de la principauté de [...], faisant valoir qu'il s'agissait d'une "dynastie héréditaire" et qu'"au moment de la parution litigieuse, Andrea Z... occupait le deuxième rang, son fils F..., le troisième rang" ; que le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable ;
Et sur ce moyen :
Vu les articles 8 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et 9 du code civil ;
Attendu que, pour accueillir partiellement les demandes de M. et Mme Z..., après avoir énoncé que leur mariage religieux et le baptême de leur fils revêtaient un caractère privé, l'arrêt retient qu'un tel mariage n'a pas eu d'impact au regard du rôle tenu par les intéressés sur la scène sociale et qu'aucun événement d'actualité ou débat d'intérêt général ne justifient qu'il soit porté atteinte à leur vie privée ;
Attendu, cependant, que le droit au respect de la vie privée et le droit au respect dû à l'image d'une personne, d'une part, et le droit à la liberté d'expression, d'autre part, ont la même valeur normative ; qu'il appartient au juge saisi de rechercher un équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime ; qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que, pour procéder à la mise en balance des droits en présence, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies (CEDH, arrêt du 10 novembre 2015, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France [GC], n° 40454/07, § 93) ; que la définition de ce qui est susceptible de relever de l'intérêt général dépend des circonstances de chaque affaire (ibid., § 97) ;
D'où il suit qu'en se prononçant comme elle l'a fait, sans procéder, de façon concrète, à l'examen de chacun de ces critères, et, notamment, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le public avait un intérêt légitime à être informé du mariage religieux d'un membre d'une monarchie héréditaire et du baptême de son fils, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Hachette Filipacchi associés à payer à M. et Mme Z... la somme de 7 500 euros chacun en réparation de l'atteinte portée à leurs droits de la personnalité et celle de 1 euro en réparation de l'atteinte portée aux droits de la personnalité de leur fils mineur, et en ce qu'il fait interdiction à la société Hachette Filipacchi associés de reproduire les clichés représentant M. Andrea Z... et Mme Tatiana Z... à [...] le jeudi matin (page 56) et E... Z... dans les bras d'une personne (page 57), sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée dans les huit jours de la signification de la décision, l'arrêt rendu le 3 novembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne M. Andrea Z... et Mme Tatiana Z..., tant en leur nom personnel qu'ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mars deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Hachette Filipacchi associés
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement ayant condamné la société Hachette Filipacchi Associés à payer à M. Andrea Z... et à Mme Tatiana D... épouse Z... la somme d'un euro en réparation de l'atteinte portée aux droits de la personnalité de leur fils E..., ayant fait interdiction à la société Hachette Filipacchi Associés de reproduire les clichés représentant Andrea et Tatiana Z... à [...] le jeudi matin, E... Z... dans les bras d'une personne, ce sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée dans les 8 jours de la signification de la décision et l'infirmant en ce qui concerne les dommages et intérêts alloués à M. Andrea Z... et à Mme Tatiana D... épouse Z..., et statuant de nouveau de ce chef, d'avoir condamné la société Hachette Filipacchi Associés à payer à M. Andrea Z... et à Mme Tatiana Z..., chacun, la somme de 7.500 euros en réparation de l'atteinte portée à leurs droits de la personnalité ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil garantissent à toute personne, quelles que soient sa notoriété, sa fortune ou ses fonctions, le droit au respect de sa vie privée et de son image ; que l'article 10 de la convention précitée garantit l'exercice du droit à l'information ; que le caractère public ou notoire d'une personne influe sur la protection dont sa vie privée peut, ou doit, bénéficier ; que certains actes privés ne peuvent être considérés comme tels en raison de l'impact qu'ils peuvent avoir au regard du rôle de ces personnes sur la scène politique ou sociale et de l'intérêt que le public peut donc avoir à en prendre connaissance ; qu'est en cause le caractère d'un mariage religieux ; qu'un tel mariage est facultatif ; que son accomplissement dépend de la volonté des époux de respecter des croyances dont l'adoption relève de leur intimité, peu important l'existence d'une religion d'Etat ; qu'un tel mariage est donc une cérémonie à caractère essentiellement privé ; que s'agissant d'un mariage religieux, la place d'un des mariés dans l'ordre de succession au trône est sans incidence ; que le statut de Monsieur Andrea Z... ou la fortune de Madame Tatiana D... ne peuvent donc lui conférer un caractère public ou officiel ; qu'il ne peut en être autrement que si les intéressés en manifestent le souhait ; ce souhait peut résulter des circonstances de ce mariage ; que le mariage religieux lui-même n'a pas été annoncé par les intéressés ; qu'il ne ressort d'aucun élément qu'ils ont souhaité convier les médias ; que la circonstance qu'il se soit déroulé dans une station fréquentée par des stars ne suffit pas à lui conférer un caractère officiel ou à caractériser un accord des époux pour le transformer en événement public ; que le mariage religieux de Monsieur Andrea Z... et Madame Tatiana D... , tout comme pour les motifs précités le baptême de leur fils, revêt donc un caractère privé ; qu'un tel mariage n'a pas d'impact au regard du rôle tenu par les mariés sur la scène sociale ; qu'aucun événement d'actualité ou débat d'intérêt général ne justifient qu'il soit porté atteinte à son caractère privé ; que la description, sur plusieurs pages, de son organisation et de son déroulement excède la simple information de l'existence d'un tel mariage ; qu'elle caractérise donc une atteinte à leur vie privée ; que le jugement sera infirmé de ce chef ; que compte tenu de cette atteinte, l'intimée ne peut faire valoir que les autres articles incriminés s'inscrivent dans le contexte d'un événement public et relèvent, de ce fait, de l'information légitime du public »
1°/ ALORS QUE l'atteinte portée à la vie privée doit être appréciée au regard de la contribution de l'information publiée à un débat d'intérêt général, de la notoriété de la personne concernée, du contenu et des répercussions de la publication sur la vie privée de l'intéressé et de l'intrusion qu'a nécessité l'obtention des informations ou clichés publiés ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. Andrea Z... est un homme public qui exerce au sein de l'Etat de [...] des fonctions officielles de représentation, qu'il occupait, à l'époque des faits, la première place dans l'ordre de succession au trône de la principauté, dans laquelle la religion catholique, apostolique et romaine est religion d'Etat, que ses fiançailles avec Mme Tatiana D... avaient déjà été rendues publiques et qu'il a fait le choix d'organiser son mariage à [...], lieu très exposé médiatiquement ; qu'en affirmant néanmoins que la description sur plusieurs pages de l'organisation et du déroulement de ce mariage caractérisait une atteinte à la vie privée de M. Andrea Z... et de Mme Tatiana D... alors que le public avait un intérêt légitime à être informé du mariage religieux d'un membre d'une monarchie héréditaire, susceptible de régner sur la principauté de [...], que ce mariage avait légalement pour effet de légitimer l'enfant du couple et d'en fait ainsi un héritier potentiel du trône, que M. Andrea Z... était une personnalité publique occupant des fonctions officielles au sein de l'Etat [...] et avait fait le choix d'un lieu très exposé médiatiquement pour organiser cet événement notoire puisque les fiançailles avaient été officiellement annoncées, la Cour d'appel a violé les articles 9 du code civil et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ ALORS QUE la mise en récit d'une information contribuant à un débat d'intérêt général, réalisée par l'adjonction de titres, de photographies et de légendes, qui ne dénature pas le contenu de l'information et ne le déforme pas, doit être considérée comme la transposition ou l'illustration de cette information ; qu'en affirmant que la description sur plusieurs pages de l'organisation et du déroulement du mariage excédait la simple information de l'existence d'un tel mariage et caractérisait une atteinte à la vie privée de M. Andrea Z... et de Mme Tatiana D... alors que cette description constituait la mise en récit d'une information contribuant à un débat d'intérêt général illustrée par l'adjonction de titres, de photographies et de légendes sans que le contenu de cette information ne soit dénaturé, relevant de la liberté rédactionnelle, la Cour d'appel a violé les articles 9 du code civil et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°/ ALORS QUE l'atteinte portée à la vie privée doit être appréciée au regard de la contribution de l'information publiée à un débat d'intérêt général, de la notoriété de la personne concernée, du contenu et des répercussions de la publication sur la vie privée de l'intéressé et de l'intrusion qu'a nécessité l'obtention des informations ou clichés publiés ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que M. Andrea Z... est un homme public qui exerce au sein de l'Etat de [...] des fonctions officielles de représentation, qu'il occupait, à l'époque des faits, la première place dans l'ordre de succession au trône de la principauté, dans laquelle la religion catholique, apostolique et romaine est religion d'Etat, que son fils avait fait l'objet d'une présentation officiel et que ses parents avait fait le choix d'organiser son baptême à [...], lieu très exposé médiatiquement, en même temps que leur mariage religieux ; qu'en confirmant le jugement en ce qu'il affirmait que « l'évocation des loisirs d'Andrea Z..., de Tatiana D... et de leur fils E... dit F... « sur place depuis mi-janvier », « profitant du domaine skiable (...) et des spas 5 étoiles du village », et leur illustration par un cliché représentant le couple lors d'une promenade « deux jours avant le mariage » selon la légende le commentant, est attentatoire à leurs droits de la personnalité. La reproduction de la photographie leur fils dans les bras de sa nourrice commentée « jeudi soir le baptême de F... » mais n'ayant manifestement pas trait à ladite cérémonie, est attentatoire aux droits de la personnalité de l'enfant. La reproduction non consentie de ces clichés participe de la violation de leur droit à l'image » alors que le baptême religieux du fils de M. Andrea Z... qui consacrait l'entrée d'un membre de la famille princière, susceptible d'être un jour appelé à régner, dans la religion d'Etat de la principauté, constituait un événement d'intérêt général justifiant que le public puisse en être informé, la Cour d'appel a violé les articles 9 du code civil et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4°/ ALORS QUE la mise en récit d'une information contribuant à un débat d'intérêt général, réalisée par l'adjonction de titres, de photographies et de légendes, qui ne dénature pas le contenu de l'information et ne le déforme pas, doit être considérée comme la transposition ou l'illustration de cette information ; qu'en confirmant le jugement en ce qu'il affirmait que « l'évocation des loisirs d'Andrea Z..., de Tatiana D... et de leur fils E... dit F... « sur place depuis mi-janvier », « profitant du domaine skiable (...) et des spas 5 étoiles du village », et leur illustration par un cliché représentant le couple lors d'une promenade « deux jours avant le mariage » selon la légende le commentant, est attentatoire à leurs droits de la personnalité. La reproduction de la photographie leur fils dans les bras de sa nourrice commentée « jeudi soir le baptême de F... » mais n'ayant manifestement pas trait à ladite cérémonie, est attentatoire aux droits de la personnalité de l'enfant. La reproduction non consentie de ces clichés participe de la violation de leur droit à l'image » alors que cette mise en récit d'une information contribuant à un débat d'intérêt général, illustrée par l'adjonction de titres, de photographies et de légendes sans que le contenu de l'information n'en soit dénaturé relevait de la liberté rédactionnelle, la Cour d'appel a violé les articles 9 du code civil et 10 de la convention européenne des droits de l'homme. ECLI:FR:CCASS:2018:C100309
