Énoncé du sujet
Lizzie connait un succès croissant sur les réseaux sociaux : belle, jeune, et sportive, elle publie ses performances en athlétisme et a désormais plusieurs partenariats de marques de sport et de nutrition, qui l’accompagnent dans sa volonté de devenir une célébrité des réseaux. Cependant, consciente des risques, elle tient à ne pas divulguer certains éléments de sa vie privée, et n’a ainsi jamais filmé son domicile, de peur d’être dérangée chez elle. Si elle se montre sociable sur les réseaux, elle est en réalité très timide.
Un jour, alors qu’elle rentrait d’une séance d’entrainement, elle retrouve plusieurs fans devant son portail, venus lui demander des photographies. Or très étonnée et en colère de les trouver devant chez elle, elle refuse et leur demande comment ils l’ont trouvée. Ces derniers lui répondent qu’un bloggeur a publié son adresse, et une image de sa maison. Lizzie est décontenancée et rentre chez elle, à la recherche de l’article. Elle le retrouve, avec un commentaire de l’un des abonnés qu’elle avait croisé plus tôt, qui l’avait prise en photo, et publié avec la mention « Lizzie est pas celle qu’elle prétend être : elle est hautaine et vraiment moins belle en vrai qu’en photo ». Cette photographie est devenue virale, et nombreux sont les internautes qui se sont amusés à la détourner en faisant des montages, notamment en la comparant avec le visage d’une femme déformé suite à un grave accident de voiture, aujourd’hui décédée. Elle n’ose plus sortir de chez elle, de peur de croiser des followers.
Heureusement, le mari de la femme en question la contacte pour lui dire qu’il va agir en justice contre l’utilisation de la photographie de sa femme, Hélène : il n’en peut plus de la voir affichée sur les réseaux sociaux à des fins de moquerie, et pense pouvoir faire respecter son droit à l’image. Il lui parle alors de vous, avocat spécialisé en droit de la personne, lui conseillant de vous appeler, ce qu’il fera également. Qu’en pensez-vous ?
Résolution du cas
Lizzie est une personnalité publique, mais son domicile ainsi que son image ont été publiés sur les réseaux sociaux à son insu. Par ailleurs, le mari d’Hélène souhaite agir contre l’utilisation sur les réseaux sociaux de l’image de sa femme aujourd’hui décédée.
Une personnalité publique peut-elle se prévaloir d’un droit à la vie privée et d’un droit à l’image ? Et une personne défunte dispose-t-elle d’un droit à l’image ?
Pour répondre à ces questions, il sera nécessaire d’envisager d’une part le cas de Lizzie (I), et d’autre part celui de Hélène (II).
I - Le cas de Lizzie
Lizzie est victime tant d’une divulgation de son domicile, portant atteinte à sa vie privée (A) que d’une divulgation de son image, portant atteinte à son droit à l’image (B).
A - Le droit à la vie privée
La révélation de l’adresse d’une personnalité publique constitue-t-elle une atteinte à la vie privée ? Dans l’affirmative, comment faire cesser et réparer cette atteinte ?
Lizzie est victime d’une atteinte à son droit à la vie privée (1), ce qui lui ouvre le droit de faire cesser et réparer cette atteinte (2).
1 - L’atteinte au droit à la vie privée
L’alinéa 1er de l’article 9 du Code civil dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Le droit à la vie privée recouvre de nombreux éléments relevant de l’identité de la personne, tels que sa vie affective et sentimentale, sa santé, ses correspondances, ou encore son domicile. Plus précisément s’agissant de ce dernier, la 2ème chambre civile de la Cour de cassation a considéré, le 5 juin 2003, que « la publication dans la presse de la photographie de la résidence d’une personne, accompagnée du nom du propriétaire et de la localisation précise, constitue une atteinte au respect de la vie privée » (2ème civ., 5 juin 2003, n°02-12.853). Ce droit s’applique indistinctement aux personnalités publiques, bien que s’agissant de ces dernières, le droit à la liberté d’expression puisse justifier plus régulièrement la divulgation de certaines informations lorsqu’il existe un débat d’intérêt général (Civ. 1ère, 12 juillet 2005, n°04-11.068) ou un fait d’actualité (civ. 1ère, 27 fév. 2007, n°06-10.393).
En l’espèce, un bloggeur a diffusé l’adresse précise de Lizzie, puisque des followers ont pu se rendre devant chez elle. L’adresse du domicile d’une personne relève de son intimité, et est donc protégé par le droit à la vie privée. Bien que Lizzie soit une personnalité publique, et qu’il relève de l’activité du bloggeur de publier des informations sur les personnes connues, la publication ici réalisée exclue l’existence d’un débat d’intérêt général ou d’un fait d’actualité, aucune information en ce sens n’étant donnée.
Ainsi, le bloggeur a bien porté atteinte au droit au respect à la vie privée de Lizzie.
2 - La cessation de l’atteinte au droit à la vie privée
L’alinéa 2 de l’article 9 du Code civil dispose que « les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé ». La jurisprudence précise que l’urgence découle de la seule atteinte au droit à la vie privée (civ. 1ère, 12 décembre 2000, n°98-17.521).
A cet égard, outre la suppression de la publication en cause, pourront être alloués des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis (Paris, 19 juin 1987 : JCP 1988. N. 20957, note Aubert). Cependant, les mesures prononcées devront être en adéquation avec la gravité de l’atteinte (Paris, 14 mai 1975 : D. 1975. 687, note Lindon).
En l’espèce, le bloggeur a publié sur Internet l’adresse et l’image du domicile de Lizzie, permettant aux internautes de la retrouver. S’agissant d’une atteinte à sa vie privée, et sans avoir à prouver l’existence d’une urgence (bien qu’ici elle soit constatée en raison de la peur de Lizzie qui l’empêche de sortir de chez elle), Lizzie pourra exercer une action en référé. Il sera en effet possible à Lizzie de demander au juge de prononcer la suppression des informations portant sur son domicile sur les réseaux sociaux. Elle ne pourra cependant pas faire fermer le compte du bloggeur, ni peut-être supprimer l’article en entier, la mesure prononcée devant seulement permettre l’arrêt de l’atteinte.
Par ailleurs, Lizzie pourra demander au juge du fond des dommages et intérêts en raison de l’atteinte qu’elle a subie, lui causant un préjudice tant d’ordre patrimonial (ne pouvant sortir de chez elle, alors qu’elle refuse de filmer son domicile, son activité est à l’arrêt) que d’ordre extrapatrimonial (ayant désormais très peur de sortir de chez elle).
Ainsi, Lizzie pourra agir en responsabilité délictuelle contre le bloggeur ayant diffusé son adresse, sur le fondement de l’article 9 du Code civil, et ainsi faire cesser l’atteinte qui lui est portée, en plus d’obtenir la réparation qui lui est due.
B - Le droit à l'image
La diffusion de la photographie d’un domicile porte-t-elle atteinte au droit à l’image d’une personne ? Quid de la photographie d’une personne publique ?
La question se pose tant de la photographie du domicile (1) que de celle de Lizzie (2).
1 - La photographie du domicile
L’article 9 du Code civil dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée. Cependant la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a érigé un droit autonome sur ce fondement : le droit à l’image (civ. 1ère, 10 mai 2005, n°02-14.730). Cependant ce droit à l’image porte sur l’image de la personne, et non sur ses biens. S’agissant des biens, il s’agit du droit de propriété qui peut justifier, dans des cas très limitatifs, la photographie du domicile. En effet un bien peut être photographié et publié, sauf à ce que l’exploitation de cette image cause au propriétaire un trouble anormal (ass. Plén., 7 mai 2004, 02-10.450).
En l’espèce, le domicile de Lizzie a été pris en photo, et publié sur un blog. Lizzie ne pourra pas agir sur le fondement du droit à l’image pour faire supprimer cette publication, un bien n’étant pas couvert par ce droit. De même, si le droit de propriété qui permet d’exclure dans certains cas limitatifs la reproduction photographique d’un bien, le trouble ne parait pas suffisant pour agir sur ce fondement.
Ainsi, la photographie du domicile de Lizzie ne pourra probablement pas faire l’objet d’une suppression sur le fondement du droit à l’image ou du droit de propriété.
2 - La photographie de Lizzie
Comme évoqué précédemment, l’article 9 du Code civil ainsi que la 1ère chambre civile de la Cour de cassation reconnaissent l’existence d’un droit à l’image. Ce dernier s’oppose à ce que l’image d’une personne identifiable soit diffusée sans son consentement (civ. 1ère, 21 mars 2006, n°05-16.817), et ce indépendamment du fait qu’elle se trouve sur un lieu public (civ. 1ère, 12 déc. 2000, n°98-21.311). Les exceptions sont cependant les mêmes que pour le droit à la vie privée, à savoir que la liberté d’expression justifie que l’image puisse être publiée dans le cas où il existe un débat d’intérêt général, ou qu’elle participe à illustrer un fait d’actualité.
En l’espèce, Lizzie s’est fait photographier devant chez elle, alors qu’elle avait expressément refusé. Bien qu’elle publie régulièrement son image sur les réseaux sociaux, dès lors qu’elle a opposé son refus à un tiers, une atteinte est portée à son droit à l’image. La photographie n’avait aucunement vocation à illustrer un débat d’intérêt général, ni même un fait d’actualité. La preuve en est que la photographie est utilisée pour se moquer d’elle, et pour la dénigrer.
Ainsi, Lizzie peut agir en responsabilité délictuelle contre l’internaute ayant publié sa photographie, et contre tous ceux l’utilisant à des fins malintentionnées. Elle pourra, comme s’agissant du droit à la vie privée, agir en référé afin de faire supprimer les photographies litigieuses, et obtenir des dommages et intérêts en réparation de ses préjudices.
II - Le cas d'Hélène
Le mari d’Hélène souhaite d’une part agir en respect du droit à l’image de sa femme défunte (A) et d’autre part en réparation de son préjudice personnel (B).
A - L'absence de droit à l'image de la personne défunte
Une personne défunte dispose-t-elle d’un droit à l’image ?
L’article 9 du Code civil, combiné à la jurisprudence de la Cour de cassation, et notamment une décision rendue le 10 mai 2005 par la 1ère chambre civile (civ. 1ère, 10 mai 2005, n°02-14.730), reconnaisse l’existence d’un droit à l’image à la personne. Cependant, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a affirmé qu’un tel droit s’éteint au décès de la personne, et n’est pas transmissible à ses héritiers (1ère civ. , 31 janv. 208, n°16-23.591).
En l’espèce, Hélène a été victime d’un grave accident de voiture, qui l’a vraisemblablement défiguré. Son image fait l’objet de publication régulière, utilisée pour faire des comparaisons railleuses. Cependant, étant décédée, son droit à l’image est éteint, et n’est pas transmissible à ses héritiers, à commencer par son mari.
Ainsi, son mari ne pourra agir sur le fondement du droit à l’image d’Hélène. Cependant, une autre voie lui est ouverte pour s’opposer à la reproduction de l’image d’Hélène.
B - Le préjudice personnel du mari
Un ayant droit peut-il agir en réparation de son préjudice du fait de l’usage abusif de l’image d’un proche défunt ?
Sur le fondement des articles 9 du Code civil et de l’article 1240 du Code civil consacrant le principe selon lequel « toute personne qui cause à autrui un dommage s’oblige à le réparer », un ayant droit peut, arguant de son préjudice personnel, faire cesser la reproduction de l’image d’une personne décédée. En effet ce préjudice personnel peut résulter de l’atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort (civ. 1ère, 22 oct. 2009, n°08-10.557).
En l’espèce, le mari d’Hélène souffre de la reproduction de l’image de sa femme suite à l’accident de voiture qui l’a défigurée et tuée. Il subit donc un préjudice moral personnel, lequel lui permet d’agir en justice afin d’obtenir réparation de ce préjudice. Par ailleurs, il souffre de voir que l’image de sa femme est utilisée à des fins de railleries, et peut arguer du fait qu’il s’agit d’une atteinte au respect dû au mort, lui causant un préjudice personnel en raison de la tristesse que cela lui procure.
Ainsi, le mari d’Hélène peut agir en justice, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle des internautes qui utilisent et publient l’image de sa femme défigurée, bien que décédée, et ce afin d’obtenir réparation du préjudice qu’il subit personnellement.
