Introduction
Structures originales, les autorités administratives indépendantes (AAI) n’entrent dans aucune des catégories existantes des institutions administratives qui gravitent autour de l’administration centrale de l’Etat. Elles ne sont, en effet, ni des juridictions, ni des organismes consultatifs, ni des corps d’inspection et de contrôle, ni des administrations de mission.
Apparues dans les années 1970, les AAI se sont considérablement développées par la suite. Les textes leurs confie une mission de régulation dans trois grands domaines : la protection des droits et libertés, les rapports entre l’administration et les administrés et la régulation économique. Ce développement, qui ne s’est jamais démenti, s’est fait sans réelle organisation. Aussi, par une loi organique et une loi ordinaire en date du 20/01/2017, le législateur a tenté d’opérer, sans y parvenir totalement, un effort de rationalisation.
Bien que diverses et variées, les AAI peuvent se définir à partir des trois termes qui composent leur dénomination. Elles sont, ainsi, des autorités et disposent, à ce titre, d’un pouvoir normatif. Elles sont, ensuite, des autorités administratives, dans la mesure où elles se rattachent à l’administration. Elles sont, enfin, indépendantes, ce qui signifie qu’elles ne sont pas soumises au pouvoir hiérarchique du Gouvernement. Telle est, là, « l’ambiguïté magique » qui caractérise, selon les termes du Conseil d’Etat, ces institutions : elles relèvent, certes, de l’administration, mais conservent à son égard une indépendance totale. Une indépendance et une neutralité qu’elles ont su mettre au service de l’Etat de droit et de la garantie des droits des administrés et qui leurs a permis de démontrer toute leur légitimité.
Il convient, donc, d’étudier l’histoire des AAI (I), la définition de ces autorités (II) et leur champ d’action (III).
I – L'histoire des autorités administratives indépendantes
Inspirées d’un mécanisme très développé au Etats-Unis, les autorités administratives indépendantes sont apparues, en France, dans les années 1970 afin d’assurer une mission de régulation pour laquelle les structures administratives traditionnelles apparaissaient peu adaptées. Le qualificatif est, ainsi, utilisé, pour la première fois, par la loi du 06/01/1978 instituant la CNIL (Commission nationale informatique et libertés).
Selon un rapport du Conseil d’Etat datant de 2001, « trois justifications essentielles ont pu être avancées pour la création des autorités administratives indépendantes : offrir à l’opinion une garantie renforcée d’impartialité des interventions de l’Etat ; permettre une participation élargie de personnes d’origines et de compétences diverses, et notamment des professionnels, à la régulation d’un domaine d’activité ou au traitement d’un problème sensible ; assurer l’efficacité de l’intervention de l’Etat en termes de rapidité, d’adaptation à l’évolution des besoins et des marchés et de continuité dans l’action ».
L’importance de ces objectifs explique que les AAI se soient considérablement développées au cours du dernier quart du XX° siècle. Le législateur a, ainsi, reconnu cette qualité à de nombreux organismes. Sont, également, apparues des autorités publiques indépendantes (API) qui, à la différence des AAI, sont dotées de la personnalité morale. D’autres institutions ont reçu des dénominations différentes sans que cela n’emporte de réelles conséquences juridiques : autorité indépendante pour le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel), autorité constitutionnelle indépendante pour le Défenseur des droits. Le juge lui-même est venu reconnaître la qualité d’AAI à certains organismes. Cette prolifération s’est, cependant, faite sans véritable logique, chaque organisme fonctionnant avec ses règles propres.
Face à cet ensemble hétérogène, un effort de rationalisation devenait nécessaire. C’est chose faite le 20/01/2017 avec deux lois, l’une organique, l’autre ordinaire. La première place l’institution des AAI et la détermination des principaux éléments de leur statut dans le champ de compétence du législateur. La seconde comprend deux objets. Elle remédie, d’abord, à l’éparpillement des statuts particuliers en posant les éléments d’un régime général applicable à l’ensemble des AAI et des API. Elle dresse, ensuite, une liste limitative des AAI et des API auxquelles s’applique le statut général, ainsi, édicté : l’on dénombre 19 AAI et 7 API. Bien que simple en apparence, cette démarche n’a, cependant, pas évité l’écueil d’une certaine complication du droit. En effet, si la loi a ôté la qualité d’AAI à certaines institutions, elle a, néanmoins, prévu, dans le même temps, des garanties d’indépendance pour plusieurs d’entre elles (notamment, la soustraction à tout pouvoir d’instruction). Il convient donc, désormais, de distinguer parmi les organismes administratifs indépendants, d’une part, ceux qui, figurant sur la liste dressée par la loi du 20/01/2017, ont la qualité d’AAI ou d’API et bénéficient du statut général et, d’autre part, ceux qui, non compris dans cette liste, n’ont pas cette qualité et ne sont pas régis par ledit statut, mais qui bénéficient, tout de même, de certaines garanties. C’est dans cette voie que le Conseil constitutionnel s’est engagé lorsqu’il a jugé que les principes constitutionnels d’indépendance et d’impartialité trouvaient à s’appliquer à toute autorité administrative non soumise au pouvoir hiérarchique du ministre, quand bien même elle ne figurerait pas sur la liste législative des AAI.
II – La définition des autorités administratives indépendantes
Les AAI et les API ont une triple caractéristique que leur dénomination illustre parfaitement : elles sont des autorités (A), elles sont administratives (B) et elles sont indépendantes (C).
A – Autorités, elles disposent d'un pouvoir normatif
Les AAI sont, d’abord, des autorités. A ce titre, elles disposent, la plupart du temps, du pouvoir d’édicter des normes. Certaines exercent, ainsi, parfois, un pouvoir règlementaire : il en va de la sorte de la CNIL qui peut poser des normes simplifiées pour le traitement courant des fichiers informatiques et de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique qui peut organiser les campagnes électorales en matière audiovisuelle. Il ne s’agit, cependant, là, que d’un pouvoir réglementaire d’exécution des lois, qui demeure spécialisé et limité quant à son champ d’application et son contenu.
Les AAI peuvent, ensuite, prendre des décisions individuelles : attribution des ressources en fréquence et numérotation aux opérateurs de télécommunication par l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes), agrément des sociétés gestionnaires de portefeuille par l’AMF (Autorité des marchés financiers). Dans ce cadre, elles disposent, également, d’importants pouvoirs de police et de sanction dont la portée est loin d’être négligeable. C’est, notamment, le cas en matière économique et financière. Ainsi, s’explique que la question de leur compatibilité avec les principes fondamentaux du droit se soit posée. Le Conseil constitutionnel a, d’abord, jugé que le pouvoir de sanction reconnu aux AAI n’est pas contraire auxdits principes, à la double condition que la sanction ne soit pas privative de liberté et que la procédure « soit assortie de mesures de sauvegarde des droits et libertés constitutionnellement garantis » (CC, 28/07/1989). Puis, rompant avec une jurisprudence antérieure, le Conseil d’Etat a jugé que ce pouvoir de sanction devait être astreint au respect de l’article 6 – 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur le droit à être jugé « par un tribunal indépendant et impartial » (CE, ass., 03/12/1999, Didier).
Les AAI ont, enfin, un pouvoir d’influence par les nombreux avis qu’elles donnent, par le dialogue constant qu’elles mènent avec les acteurs des secteurs concernés et par les recommandations, propositions ou rapports qu’elles émettent.
B – Administratives, elles se rattachent à l'administration
Les AAI relèvent de la seule administration de l’Etat. Elles agissant en son nom et pour son compte. C’est, ainsi, que leur budget provient des ministères, leurs agents sont des agents publics, leurs actes sont des actes administratifs contestables devant le juge administratif. Quant aux préjudices qu’elles causent, ils engagent la responsabilité de l’Etat.
Cependant, pour certaines d’entre elles, il est apparu préférable, pour renforcer leur indépendance, de les doter de la personnalité morale de droit public : ont, ainsi, été créées les autorités publiques indépendantes.
C – Indépendantes, elles ne sont pas soumises au Gouvernement
Bien que relevant de l’administration, les AAI et les API sont indépendantes du Gouvernement. Cette garantie est posée par les lois organique et ordinaire du 20/01/2017, ainsi que par les statuts particuliers de chaque organisme. Ainsi, l’article 9 de la loi du 20/01/2017 dispose : « dans l’exercice de leurs attributions, les membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes ne reçoivent ni ne sollicitent d’instruction d’aucune autorité ». Il faut comprendre, par-là, que ces institutions se situent en dehors du pouvoir hiérarchique qui s’exerce normalement au sein de l’administration de l’Etat.
Cette indépendance est également garantie par la composition de ces autorités qui, hormis le cas du Défenseur des droits, est toujours collégiale. C’est, ainsi, que, le plus souvent, les AAI et les API sont composées de magistrats nommés en leur sein par les plus hautes juridictions et de personnalités qualifiées ou d’élus nommés par les plus hautes autorités politiques (président de la République, président du Sénat, président de l’Assemblée nationale). La loi organique du 20/01/2017 a, d’ailleurs, allongé la liste des présidents des AAI et des API qui ne peuvent être nommés par le chef de l’Etat qu’après avis de la commission permanente de chaque assemblée. Le statut de ces membres est aussi une garantie d’indépendance. La loi du 20/01/2017 prévoit, ainsi, qu’ils sont nommés pour un mandat de 3 à 6 ans, renouvelable une fois et irrévocable. Elle les soumet, également, à un régime strict d’incompatibilités et leurs impose des devoirs déontologiques proches de ceux des fonctionnaires.
III – Le champ d'action des autorités administratives indépendantes
Les domaines d’intervention des AAI et des API sont au nombre de trois (A). Pour illustrer cette diversité, deux exemples peuvent, ensuite, être donnés (B).
A – Les trois domaines d'intervention des autorités administratives indépendantes
Les AAI et les API interviennent dans trois grands domaines : la protection des libertés, les rapports entre l’administration et les administrés et la régulation économique.
La mission de certaines de ces autorités est donc de garantir les droits et libertés des citoyens. C’est le cas de la CNIL qui s’assure que la constitution des fichiers informatiques se fait dans le respect des droits individuels. C’est, aussi, le cas de l’Autorité de régulation de la communication aaudiovisuelle et numérique (ancien CSA) : celle-ci attribue, de façon transparente et démocratique, les fréquences de radio et de télévision et veille au respect des règles du pluralisme dans le déroulement des campagnes électorales. Il convient, également, de citer la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Une AAI majeure intervenant en la matière est le Défenseur des droits institué par la loi constitutionnelle du 23/07/2008 à partir de la fusion en un seul organisme de plusieurs AAI.
D’autres ont une mission d’intermédiation entre l’administration et les administrés. C’est le cas de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) ou de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection qui contribue au contrôle de ce secteur et à l’information du public
Enfin, le domaine économique est un terrain d’élection particulièrement fertile pour le développement des AAI et des API. En effet, à la suite de la fin de nombreux monopoles d’Etat du fait de l’ouverture à la concurrence des services publics de réseau, il est apparu nécessaire de mettre en place des institutions neutres chargées de veiller au respect, par les différents opérateurs, des règles de fonctionnement de chaque secteur. L’on peut, ici, citer l’ARCEP en matière de communications électroniques, l’AMF pour les marchés boursiers ou, encore, l’Autorité de la concurrence qui est chargée de contrôler les concentrations économiques.
B – Deux exemples d'autorité administrative indépendante
Deux exemples peuvent être donnés : celui du Défenseur des droits qui intervient dans le domaine de la protection des droits et libertés (1) et celui de l’Autorité des marchés financières qui joue un rôle essentiel en matière de régulation économique (2).
1 – Le Défenseur des droits
La création du Défenseur des droits découle de la volonté de rationnaliser le rôle des différentes AAI chargées de la garantie des droits et libertés dont les compétences se chevauchaient parfois. Il résulte, ainsi, de la fusion du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, de la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Selon l’article 71-1 de la Constitution, qui découle de la révision constitutionnelle du 23/07/2008, sa mission est de « veiller au respect des droits et libertés par les administrations de l’Etat, les collectivités locales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme chargé d’une mission de service public ».
Le Défenseur des droits bénéficie d’un statut renforcé par rapport aux autres AAI puisqu’il est institué par la Constitution elle-même. Il faut, cependant, comprendre par-là, non qu’il fait partie des pouvoirs publics constitutionnels, mais que son indépendance est garantie par la Constitution. Aussi, pour éviter toute confusion, sa qualification initiale d’autorité constitutionnelle indépendante posée par la loi organique du 29/03/2011 a été remplacée, avec la loi organique du 20/01/2017, par celle de d’autorité administrative indépendante.
Le Défenseur des droits est nommé par le chef de l’Etat après avis des commissions permanentes du Parlement pour un mandat de 6 ans non renouvelable et irrévocable. Il est astreint à un strict régime d’incompatibilités et bénéficie des mêmes garanties que les parlementaires. Dans l’exercice de sa mission, il est assisté par trois adjoints et par trois conseils spécialisés dans les droits des enfants, la lutte contre les discriminations et le respect de la déontologie dans les activités de sécurité.
Ses pouvoirs ont été renforcés par rapport à ceux dont disposait le Médiateur. C’est, d’abord, le cas en matière de saisine, puisqu’il peut être saisi directement (et non plus par l’intermédiaire d’un parlementaire) par tout citoyen qui s’estime lésé dans ses droits et libertés. Il peut, également, être saisi par une association. Et, il peut même s’auto-saisir.
Il en va de même s’agissant de ses prérogatives qui sont triples. Le Défenseur des droits peut, ainsi, recueillir les informations sur les réclamations qu’il doit traiter : à cette fin, il peut convoquer et auditer toute personne partie à l’affaire, réclamer toutes informations ou pièces utiles et opérer des vérifications sur place. Il dispose, également, du pouvoir de résoudre les litiges qui lui sont présentés : dans ce cadre, il peut faire des recommandations et adresser des injonctions qui, si elles ne sont pas suivies d’effet, donnent lieu à un rapport spécial qui peut être rendu public. Il peut, également, exercer une médiation ou proposer une transaction et, en cas de refus, mettre en mouvement l’action publique. Enfin, dans le but de prévenir les conflits, le Défenseur des droits met, régulièrement, en œuvre des programmes de formation et peut proposer des réformes législatives et règlementaires. Le Premier ministre peut, aussi, le consulter. Et, il remet chaque année au chef de l’Etat un rapport qui est rendu public.
2 – L’Autorité des marchés financiers
L’AMF a été créée par la loi du 01/08/2003. Elle résulte de la fusion de trois conseils chargés de réguler les marchés financiers : la Commission des opérations de bourse (COB), le Conseil des marchés financiers et le Conseil de discipline de la gestion financière.
Chargée de veiller à la protection des épargnants, à la régularité des informations et au bon fonctionnement des marchés financiers, elle ne constitue pas une AAI, mais une autorité publique indépendante, ce qui signifie qu’elle est dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière.
Son président est nommé pour 5 ans non renouvelables par le chef de l’Etat. Il est assisté d’un collège de 15 membres, ainsi que d’une Commission des sanctions de 12 membres. Ce modèle organisationnel illustre particulièrement bien le mouvement qui affecte certaines AAI / API et qui consiste à séparer de manière organique et non plus seulement fonctionnelle les pouvoirs de poursuite, d’instruction et de sanction. L’AMF dispose de prérogatives étendues : pouvoir règlementaire, pouvoir de contrôle et d’enquête, pouvoir d’injonction et pouvoir de sanction individuelle.
