L'établissement public, une forme de décentralisation fonctionnelle (fiche thématique)

Introduction

La décentralisation peut revêtir deux formes. Elle peut être territoriale. Dans ce cas, il s’agit de confier certaines prérogatives à des collectivités dotées de la personnalité morale qui sont, d’une part, soumises, non au contrôle hiérarchique des autorités centrales, mais à un contrôle dit de tutelle et, d’autre part, compétentes pour une circonscription géographique donnée.  Elle peut aussi être fonctionnelle ou par services. Il s’agit, ici, de créer des institutions dotées de la personnalité morale pour gérer un service public particulier. Ces institutions présentent trois spécificités par rapport aux premières : il n’y a pas création d’un échelon territorial supplémentaire, leur autonomie est beaucoup plus limitée et leurs compétences sont spécialisées.

L’illustration la plus parfaite de ce second type de décentralisation est l’établissement public que l’on peut définir comme une institution dotée de la personnalité morale de droit public spécialement chargée de la gestion d’une ou plusieurs missions de service public. Cette formule a connu et connaît encore un vif succès en raison de l’efficacité et de la souplesse qu’elle procure en termes de gestion. Cet intérêt s’est, cependant, traduit par la prolifération d’organismes de plus en plus hétérogènes, ce qui a nuit l’unité de la notion. Mais, malgré cette diversité, l’ensemble des établissements publics présentent quatre grands caractères communs qui permettent de les distinguer des organismes voisins : la personnalité morale et l’autonomie, le rattachement à une collectivité territoriale et le contrôle qui s’en suit, la gestion d’un service public et la spécialité.

Quant au régime juridique des établissements publics, il se caractérise par sa dualité. Leur création relève, ainsi, d’un noyau dur de règles communes quand leur fonctionnement varie selon qu’il s’agit d’un établissement public administratif ou d’un établissement public industriel et commercial.

Il convient donc de tenter, dans une première partie, de définir l’établissement public (I) et d’analyser, dans une seconde partie, son régime juridique (II).

I – La définition de l'établissement public

La définition de l’établissement public est rendue difficile par l’extrême diversité des structures bénéficiant de ce statut (A). Pour autant, il est possible de dégager quatre critères d’identification (B) dont l’existence ne doit pas exclure toute mise en garde contre les risques de confusion avec des organismes voisins, mais distincts (C).

A – Une définition difficile au regard de la diversité des établissements publics

L’établissement public est une notion difficile à cerner tant les structures qui le composent sont diverses et variées. Cette diversité peut s’observer à de multiples points de vue.

En premier lieu, les établissements publics peuvent être rattachés à différents niveaux de collectivité : l’Etat (les centres hospitaliers universitaires, le Musée du Louvre), la région (les lycées), le département (les collèges) ou bien la commune (les hôpitaux, les multiples établissements publics de coopération intercommunale - EPCI).

En second lieu, il y a entre eux des différences considérables en termes de moyens : ainsi, le Musée du Louvre emploie plusieurs milliers de personnes quand des EPCI situés dans des territoires ruraux n’en comptent que quelques dizaines.

En troisième lieu, leurs domaines d’intervention sont très hétérogènes : le succès de la formule a, en effet, conduit à la prolifération de ces structures dans des domaines toujours plus variés. Les établissements publics interviennent, ainsi, dans le domaine économique (la RATP, par exemple), social (les centres communaux d’action sociale, les hôpitaux, …), de la culture (les lycées, les universités, les musées, certains théâtres, …), scientifique (le Centre national de la recherche scientifique, …) ou, encore, de l’aménagement du territoire (notamment, à propos de l’aménagement du quartier de La Défense). Ce mouvement a eu pour conséquence le développement, à côté des traditionnels EPA (établissements publics administratifs) chargés de la gestion d’une mission de service public classique, d’EPIC (établissements publics industriels et commerciaux) qui interviennent dans la sphère économique et sont, en grande partie, soustrait à l’application du droit administratif (voir II – B pour les conséquences de cette distinction).

Si cette complexité rend malaisée la définition des établissements publics, il est, cependant, possible de déceler trois grands caractères permettant de les identifier.

B – Les critères d'identification

Quatre critères sont habituellement retenus pour identifier l’établissement public : la personnalité morale et l’autonomie, le rattachement à une collectivité territoriale et le contrôle qui s’en suit, la gestion d’un service public, ainsi que la spécialité.

L’établissement public est, d’abord, une entité publique dotée de la personnalité morale. Ce trait distinctif fait de lui un organisme autonome au sein de l’appareil administratif et emporte plusieurs conséquences. La première est qu’il dispose d’organes de gestion propres : l’on retrouve, ainsi, un organe délibérant (appelé la plupart du temps conseil d’administration) auquel sont souvent associés des représentants tant de la collectivité territoriale de rattachement que des usagers et du personnel, et un président ou un directeur qui fait office d’organe exécutif. La seconde est qu’il dispose d’un patrimoine propre. Enfin, l’établissement public bénéfice d’un budget autonome qui peut être alimenté par des subventions de l’Etat ou des collectivités locales, des redevances des usagers ou, encore, des emprunts.

L’établissement public est, ensuite, caractérisé par le principe de rattachement à un niveau d’administration : l’Etat, la région, le département, la commune. Ce principe a pour conséquence la soumission de chaque établissement public au contrôle de la collectivité de rattachement tant en ce qui concerne les actes que les personnes. En vertu du principe « pas de tutelle sans texte », ce contrôle suppose l’existence de dispositions formelles de nature législative ou règlementaire et peut, en fonction du degré de précision de ces dernières, être plus ou moins étendu. A ce contrôle de principe peut, également, s’ajouter un contrôle autre fonction de la nature de l’établissement : ainsi, les établissements publics locaux sont, en plus du contrôle de la collectivité locale, soumis au contrôle de l’Etat.

Par ailleurs, tout établissement gère en principe un service public unique ou éventuellement des services publics connexes qui ont parfois des statuts différents.

Enfin, l’établissement public est marqué par sa spécialité. Il faut comprendre par-là que ses compétences sont des compétences d’attribution limitativement énumérées, largement distinctes des compétences générales des collectivités territoriales. Ce principe voit, parfois, sa méconnaissance sanctionnée par les tribunaux. Mais, la jurisprudence l’interprète le plus souvent de manière souple.

C – L'établissement public et les organismes voisins

Bien qu’il puisse en être proche, l’établissement public doit être distingué d’autres types d’organismes.

Il doit, d’abord, l’être de l’établissement reconnu d’utilité publique. En effet, si les deux entités sont dotées de la personnalité morale et participent, tous deux, d’une mission d’intérêt général, l’établissement public est une personne publique quand l’établissement reconnu d’utilité publique est une personne privée extérieure à l’appareil administratif. L’on peut citer, par exemple, la Croix-Rouge ou l’Institut Pasteur.

L’établissement public doit, ensuite, être distingué des autorités administratives indépendantes dont le rôle est d’assurer une mission de régulation en matière économique ou de protection des droits et libertés notamment. En effet, certaines d’entre elles, qualifiées d’autorités publiques indépendantes, ont reçu ces dernières années la personnalité morale, ce qui n’a pas été dans le sens de la simplification.

Enfin, l’établissement public est un type d’organisme distinct des groupements d’intérêt public (GIP) créés par la loi du 15/07/1982 sur la recherche. Ces structures ont, ensuite, proliféré dans le domaine du sport, de la culture ou, encore, de l’action sanitaire et sociale, … Dotées de la personnalité morale de droit public et disposant de l’autonomie financière et administrative, elles regroupent des personnes morales de droit public et de droit privé pour exercer des activités ou gérer un équipement. C’est, là, l’une des plus belles illustrations du partenariat public / privé en matière de poursuite d’une mission d’intérêt général. Face au risque de confusion, le Tribunal des conflits a, cependant, précisé que les GIP sont soumis à un régime spécifique qui peut être différent des règles régissant les établissements publics.

II – Le régime juridique des établissements publics

Le régime juridique des établissements publics peut être appréhendé de deux points de vue. S’agissant de la création, les règles sont communes à l’ensemble des établissements publics (A). En ce qui concerne le fonctionnement, en revanche, les règles varient selon qu’il s’agit d’un EPA ou d’un EPIC (B).

A – Un noyau dur de règles communes : la création des établissements publics

La création des établissements publics obéit à un ensemble de règles identiques. Plus précisément, cette création est partagée entre le pouvoir législatif et le pouvoir règlementaire.

L’article 34 de la Constitution de 1958, qui consacre leur existence, prévoit, ainsi, que le législateur a seul compétence pour créer de nouvelles catégories d’établissements publics et pour en fixer les règles constitutives, c’est-à-dire les caractéristiques fondamentales. Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser que relèvent d’une même catégorie les établissements publics ayant un même rattachement territorial en matière de tutelle et une spécialité analogue, c’est-à-dire une mission identique.

Au-delà de cette compétence, relève du pouvoir règlementaire la création des établissements publics entrant dans une catégorie préexistante. Certaines catégories peuvent ne comporter qu’un seul établissement (par exemple, la RATP ou le Centre Pompidou) quand d’autres en comprennent de très nombreux (par exemple, les lycées ou les hôpitaux).

B – Un régime juridique variable en matière de fonctionnement : la distinction EPA / EPIC

Si certains établissements publics peuvent recevoir de leur texte institutif une qualification particulière, sur le plan juridique, la distinction EPA / EPIC semble la seule valide. Cette dernière, dont les modalités doivent être précisées (1), emporte des conséquences quant au régime juridique applicable à chaque établissement (2).

1 – Les modalités de la distinction EPA / EPIC

La distinction EPA / EPIC renvoie à la distinction entre les services publics administratifs (SPA) et les services publics industriels et commerciaux (SPIC). Pour les distinguer, deux grandes voies peuvent être empruntées.

La première est celle où les textes institutifs de l’établissement ne lui ont accolé aucune qualification particulière. En pareille hypothèse, le juge administratif s’attache à qualifier l’activité exercée pour déterminer la nature de l’établissement. Concrètement, il recourt aux critères de distinction entre les SPA et les SPIC dégagés dans sa jurisprudence USIA (CE, ass., 16/11/1956). Selon cette dernière, tout service public est présumé administratif. Cette présomption peut, cependant, être renversée et le service public regardé comme industriel et commercial si, aux points de vue de son objet, de son mode de financement et de ses modalités de fonctionnement, il ressemble à une entreprise privée.

La seconde est celle où le texte créant l’établissement le qualifie d’EPA ou d’EPIC. Cette qualification ne s’impose, cependant, au juge que si elle résulte d’un texte de loi. En revanche, si elle est posée par un texte de nature règlementaire, le juge s’autorise une requalification en fonction de l’activité effectivement exercée. Deux hypothèses peuvent être envisagées. Le juge peut, d’abord, débaptiser un établissement pour lui allouer une qualification en accord avec la nature réelle de son activité : l’on parle, ici, d’établissement public à visage inversé. Il peut également distinguer au sein d’un même établissement une activité de SPA et une activité de SPIC : c’est ce que l’on nomme les établissements publics à double visage.

La reconnaissance de la nature de l’établissement public à partir de celle du service public dont il a la charge a des répercussions sur le régime juridique applicable.

2 – Les conséquences de la distinction EPA / EPIC

Le principe est que le régime juridique des EPA est fortement imprégné de droit public : personnel composé d’agents publics, contrats administratifs, application des règles de la comptabilité publique, actes unilatéraux ayant la qualité d’actes administratifs. A contrario, celui des EPIC est majoritairement marqué par le droit privé : personnel de droit privé, contrats privés, régime comptable et financier proche de celui d’une société privée.

Dans la réalité, cependant, les choses sont plus complexes, le régime juridique de chacun de ces deux types d’établissements étant mixte. Ainsi, les EPA peuvent recourir à des modes de gestion privée pour faciliter leur activité. Quant aux EPIC, leur statut de personne morale de droit public les soumet au droit administratif de manière significative : il en va de la sorte pour la modification de leurs statuts ou, encore, le statut légal et règlementaire du directeur et du comptable.