Gestion du service public : le manuel du Conseil d’État (CE, sect., 06/04/2007, Commune d’Aix en Provence)

Introduction

La question des modalités de gestion du service public constitue l'une des questions essentielles pour le droit administratif. C’est bien souvent à cette occasion que les problèmes de la pratique juridique quotidienne rejaillissent sur l’édifice juridique, parfois en le bousculant un peu. Dans son rôle de juridiction suprême de l’ordre administratif, le Conseil d’État se doit d’assurer la stabilité de cet édifice. À ce titre, l’arrêt CE, Sect,  6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence, est caractéristique de ce que l’on peut nommer un « arrêt pédagogique ».

Chaque année, durant la saison des festivals d’été, se tient à Aix un magnifique festival d’art lyrique.  L’association qui gère le festival a reçu, par délibération du conseil municipal, deux subventions d’un montant total de 8 millions de francs (un peu plus de 1, 2 millions d’euros). Deux contribuables ont attaqué ces délibérations, invoquant notamment le fait que l’association ne pouvait se voir attribuer de telles subventions sans être titulaire d’un contrat de la commande publique. La Cour administrative d’appel de Marseille avait annulé les délibérations litigieuses. Le Conseil d’État casse l’arrêt d’appel au motif qu’une association, sous certaines conditions, peut recevoir des fonds pour l’organisation d’une activité qu’elle estime d’intérêt général, en dehors de tout contrat de la commande publique. Mais l’intérêt de l’arrêt se situe surtout dans le fait que le Conseil synthétise l’ensemble des règles applicables à la gestion d’un service public, et à son financement.

En ce sens, l’arrêt du Conseil de 2007 est assez révélateur des problématiques qui se posent quotidiennement aux praticiens. La question de la définition du service public est toujours aussi criante, mais continue de conditionner les modalités de gestion des activités prises en charge par des personnes privées en relation avec des personnes publiques (I). La nature de la personne privée joue également sur les voies ouvertes. De ce point de vue, l’association n’est pas dans une situation totalement assimilable aux personnes privées dont l’objectif est la réalisation de profit (II).

I - L'épineuse question du service public délégué

Il est assez cocasse que l’une des notions les plus fondamentales du droit administratif, le service public, ne présente aucune définition homogène ou, à tout le moins saisissable, mais qu’elle soit soumis à une régime d’une grande stabilité.  L’arrêt ne règle toujours pas la première question (A), mais constitue un formidable guide pratique au regard de la seconde (B).

A - Une question centrale du droit administratif demeurée dans l'ombre

Le service public n’est pas une notion aisément définissable lorsqu’elle est prise en charge directement par une personne publique (1). Sa reconnaissance est en revanche aiguillée lorsque le service est assuré par une personne autre que la personne publique responsable (2).

1 - L’impossible définition du service public

Le service public, notion centrale du droit administratif, ne peut être précisément défini lorsqu’il est prise en charge par une personne publique. La définition la plus commune est : constitue un service public, toute activité d’intérêt général prise en charge par une personne publique. Pourtant, si elle permet une première approche de la substance de la notion, une telle définition est à la fois trop large et trop étroite.

Elle est trop large car, théoriquement, les personnes publiques ne peuvent agir qu’en vertu de l’intérêt général. Plus encore, l’intérêt général est ce qui constitue la justification de l’existence des personnes publiques, celle de leurs pouvoirs exorbitants, mais également les limites de leur exercice. De ce point de vue, l’intérêt général est central. Il tient l’ensemble de la « maison » droit public. Si l’on admet cette prémisse, on doit considérer que toute action légale d’une personne publique est une activité d’intérêt général, et donc une activité de service public. Or, tout n’est pas service public. Au vu de la distinction classique entre activité de prestation (service public) et activité de prescription (exercice de l’autorité publique et mise en œuvre des prérogatives de puissance publique), il n’est pas possible de considérer que toute activité d’une personne publique constitue une activité de service public. D’ailleurs, certaines activités de prescription, comme la police, ne peuvent être délégués à des personnes privées (CE, 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary). La problématique se retrouve sous une autre forme en droit de l’Union. La définition de ce que le droit de l’Union appelle service d’intérêt économique général, et qui correspond à la notion de service public économique, est laissée à la libre appréciation des États membres. Malgré une large marge d’appréciation, toutes les activités publiques ne peuvent être considérées comme services d’intérêt général (voir pour un exemple récent, TPIUE, 1er mars 2017, France c/Commission).

Elle est ensuite trop étroite car certaines activités sont bien d’intérêt général, mais ne sont pas prises en charge par des personnes publiques. On peut penser aux activités anciennement de service public, qui ont été attribuées à des personnes privées, sociétés à but lucratif, comme EDF ou La poste. Plus encore, certaines activités sont bien d’intérêt général mais émanent totalement des personnes privées et sont totalement prises en charge par elles. Parfois même, elles se sont créées en réponse aux lacunes et défaillances de l’État et des personnes publiques dans la gestion de l’intérêt collectif. On peut ici penser à des associations comme les associations humanitaires, qui agissent en France et à l’étranger.  Enfin, cette méthode de détermination est porteuse d’un vice logique dans la mesure où le juge se fonde sur le régime de dévolution pour déterminer la nature de l’activité, alors qu’il eût été plus naturel de qualifier d’abord la nature du service exercé, pour ensuite lui appliquer le régime adéquat.

2 - La détermination du service public délégué

Paradoxalement, la délimitation des activités de service public est plus aisée lorsqu’elles sont prises en charge par des personnes privées. L’arrêt Narcy (CE, 28 juin 1963), par exemple, exige la réunion d’un faisceau d’indices pour qualifier une activité déléguée d’activité de service public, et notamment, le caractère relevant de l’intérêt général de l’activité, le contrôle étroit et continu de la personne publique et, surtout, la dévolution de prérogatives puissance publique à la personne privée. Ces indices signent la volonté d’éviter un éparpillement du service public vers le secteur privé. La raison en est que la reconnaissance d’un service public peut entraîner l’application du droit administratif (TC, 15 janvier 1968, Époux Barbier) et donc la compétence du juge administratif. Or, dans la conception française de la séparation des pouvoirs, le droit administratif est un droit d’exception : il ne s’applique que tant que les règles de droit privé ne peuvent trouver à s’appliquer (TC, 8 février 1873, Blanco). Il s’agit donc d’éviter l’éparpillement du service public, et donc, potentiellement, du droit administratif.

Par un arrêt précédant immédiatement l’arrêt commenté, le Conseil d’État était toutefois revenu sur la rigidité de l’arrêt Narcy, laquelle conduisait parfois à voir une activité changer de nature lorsque celui qui l’assumait changeait. Avec l’arrêt CE, Sect., 22 février 2007, Association des personnels relevant des établissements pour inadaptés, le Conseil a rééquilibré le faisceau d’indices nécessaire à la qualification d’une activité de service public délégué. Il n’exige, selon cette seconde option, plus de dévolution de prérogatives de puissance publique, mais renforce l’exigence du contrôle, sans toutefois que cette approche règle totalement les lacunes de l’arrêt Narcy (CE, 2 mai 2011, Commune de Six-fours-les-plages). Cela n’a toutefois pas empêché, d’abord le Conseil d’État, puis le législateur,  d’organiser assez précisément le régime de gestion des services publics.

B – Les modes de gestion du service public

L’arrêt commenté mérite une attention particulière dans la mesure où il envisage l’ensemble des solutions possibles pour gérer un service public. Il convient de distinguer selon que la gestion est assumée en régie directe (1) ou dévolue à une personne tierce (2) car les problématiques ne sont pas posées de la même façon selon les cas.

1 - La régie directe

La régie directe ne doit pas être considérée comme le mode de gestion le plus naturel, ni historiquement, ni pratiquement, ni logiquement. D’abord de nombreux services publics ont été, dès l’origine, assumés par des personnes privées, que l’on pense aux charges de l’ancien régime (notaire par exemple) ou, plus récemment, durant la révolution industrielle, les chemins de fer. Ensuite, certaines compétences ne sont pas détenues par les personnes publiques, notamment dans les petites communes, ou ne peuvent être réalisées qu’à des coûts beaucoup plus élevés, notamment à cause du manque d’opportunité d’économies d’échelle. Enfin, la notion de service public n’implique pas, à elle seule, que ces activités soient naturellement exercées par des personnes publiques ; il faut, mais il suffit, que l’on y retrouve la volonté publique.

Le guide que le Conseil d’État fournit est assez limpide : « Considérant que, lorsqu'elles sont responsables d'un service public, des collectivités publiques peuvent aussi décider d'en assurer directement la gestion ; qu'elles peuvent, à cette fin, le gérer en simple régie, ou encore, s'il s'agit de collectivités territoriales, dans le cadre d'une régie à laquelle elles ont conféré une autonomie financière et, le cas échéant, une personnalité juridique propre ; qu'elles doivent aussi être regardées comme gérant directement le service public si elles créent à cette fin un organisme dont l'objet statutaire exclusif est, sous réserve d'une diversification purement accessoire, de gérer ce service et si elles exercent sur cet organisme un contrôle comparable à celui qu'elles exercent sur leurs propres services leur donnant notamment les moyens de s'assurer du strict respect de son objet statutaire, cet organisme devant en effet être regardé, alors, comme n'étant pas un opérateur auquel les collectivités publiques ne pourraient faire appel qu'en concluant un contrat de délégation de service public ou un marché public de service ; qu'un tel organisme peut notamment être mis en place lorsque plusieurs collectivités publiques décident de créer et de gérer ensemble un service public ».

Toutes les hypothèses légales et possibles sont envisagées. Les personnes publiques peuvent gérer les services directement, dans le cadre, par exemple, d’un service ou d’un département interne. Mais elles peuvent également décider d’externaliser totalement ou partiellement la gestion de l’activité, sans toutefois recourir à une privatisation. C’est l’hypothèse des régies. Elles peuvent être simples, c’est-à-dire, non dotées de la personnalité juridique, mais bénéficiant d’un budget propre. La forme la plus poussée d’externalisation vers le secteur public est atteint lorsqu’une régie dotée de l’autonomie financière et de la personnalité morale est créée. Dans ce cas, on parle d’établissement public.

L’hypothèse de l’ « organisme dont l'objet statutaire exclusif est,(…), de gérer ce service et si elles exercent sur cet organisme un contrôle comparable à celui qu'elles exercent sur leurs propres services » est issue du droit européen. Elle renvoie à une exception jurisprudentielle (CJCE, 18 novembre 1999, Teckal) à l’exigence de passation des contrats de la commande publique. L’intégration de cette exception tient à ce que la forme juridique (établissement public, société d’économie mixte, société privée, association, etc.) importe peu au droit de l’Union, qui apprécie la situation au regard de critères purement fonctionnels. Seuls comptent les critères de l’activité et du contrôle exercé par la personne publique. Dans ce cadre, en application de la jurisprudence CJCE, 11 janvier 2005, Stadt Halle, le Conseil d’État réserve la possibilité que les personnes publiques se groupent pour assurer en commun une activité dévolue en dehors des règles de passation des contrats publics. Cette hypothèse est appelée « in-house » et sort du cadre de la dévolution. Elle continue d’être considérée comme hypothèse de gestion en régie de l’activité.

2 - La dévolution

Plus loin dans le processus d’externalisation, la personne publique peut décider de faire sortir l’activité du champ public pour l’attribuer au privé. On ne parle pas encore de « privatisation » au sens strict du terme dans la mesure où la personne publique conserve un contrôle sur l’activité. La privatisation intervient lorsque la personne publique décide de ne plus assumer la responsabilité, et donc le contrôle, de l’activité.

Dans l’arrêt Aix-en-Provence, le Conseil rappelle que : « Considérant que, lorsque des collectivités publiques sont responsables d'un service public, elles peuvent, dès lors que la nature de ce service n'y fait pas par elle-même obstacle, décider de confier sa gestion à un tiers ; qu'à cette fin, sauf si un texte en dispose autrement, elles doivent en principe conclure avec un opérateur, quel que soit son statut juridique et alors même qu'elles l'auraient créé ou auraient contribué à sa création ou encore qu'elles en seraient membres, associés ou actionnaires, un contrat de délégation de service public ou, si la rémunération de leur cocontractant n'est pas substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service, un marché public de service ; qu'elles peuvent toutefois ne pas passer un tel contrat lorsque, eu égard à la nature de l'activité en cause et aux conditions particulières dans lesquelles il l'exerce, le tiers auquel elles s'adressent ne saurait être regardé comme un opérateur sur un marché concurrentiel ».

Cette synthèse intéresse autant le droit des services publics que celui des contrats publics. La dévolution n’est, tout d’abord, possible que lorsque « la nature de ce service n'y fait pas par elle-même obstacle ». Cette incise renvoie à la problématique de la délégabilité de certains services. C’est notamment le cas des activités de police, qui ne peuvent être exercées par une personne privée (CE, Ass., 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary).

Le Conseil rappelle ensuite que lorsque la personne tierce est un opérateur sur un marché concurrentiel, le principe (qui ne souffre en réalité pas d’exception directe) exige qu’un contrat conclu après mise en concurrence soit passé. Le contrat peut être soit un marché public, soit une délégation de service public. La logique initiale, suivie par le Conseil est que cette seconde forme est, en général, privilégiée. La délégation de service public consiste à laisser une personne privée assumer le service, sous le contrôle étroit de la personne publique. Le délégataire se rémunère sur l’exploitation du service. Il doit assumer les risques et charges de la gestion du service. Cette condition est caractéristique de la délégation de service public. Lorsque ce n’est pas le cas, c’est-à-dire lorsque « la rémunération (du) cocontractant n’est pas substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service », alors le contrat ne peut être qu’un contrat de marché public. Il s’agit là d’une reprise de la jurisprudence (CE, 30 juin 1999, SMITOM, reprise dans le droit écrit postérieurement). Dans le cadre d’un marché public, le cocontractant est rémunéré de façon fixe par la personne publique, sans assumer de risque. Le Conseil réserve toutefois les hypothèses dans lesquelles le prestataire de la personne publique n’est pas un opérateur sur un marché concurrentiel. Outre la situation de régie, ce peut être, parfois, le cas des associations.

II - Les problèmes posés par la dévolution à une association

Malgré son apport indiscutable, l’arrêt ne résout pas tous les problèmes. Il maintient notamment la complexité du financement des associations (A) et renforce celle issue de la caractérisation ex post du service public (B). 

A - Le financement incertain des associations

Une association n’est pas une personne prestataire de service comme les autres. Bien que les bénéfices éventuellement générés ne puissent être reversés aux associés - membres « propriétaires » de l’association, elle peut parfois être qualifiée d’opérateur économique (1). Dans ce cas, sa nature propre ne peut empêcher l’application des règles communes. En revanche, cette forme de personnalité juridique privée permet seule de considérer, sous certaines conditions, qu’elle ne soit pas une opérateur économique et bénéficie alors d’un régime spécifique (2).

1 - L’association – opérateur économique

Dans l’arrêt commenté, c’est bien l’assimilation à un opérateur économique qui avait fondé les moyens essentiels des requérants. Les exigences de mise en concurrence ne peuvent, en effet, être opérantes que dans le cas où il existe un opérateur concurrentiel. La Cour administrative d’appel avait d’ailleurs jugé que la dévolution du service public aurait dû être effectuée selon les règles de la commande publique. Le Conseil d’État censure cet arrêt d’appel sur le motif d’une erreur de droit. Il estime que la Cour aurait du rechercher « si, pour l’une des raisons analysées ci-dessus, la passation d’un tel contrat pouvait ou devait être exclue ».

Le droit de l’Union, duquel procèdent un certain nombre de règles de la commande publique – en matière de marché public, et, depuis 2014, en matière concessive – est insensible à la nature de l’opérateur. Toute entité, quelle que soit sa forme juridique, peut être qualifiée d’entreprise, pourvu qu’elle respecte les critères. Ceux-ci proviennent de l’arrêt Höfner rendu par le CJCE, le 23 avril 1991. En substance, est susceptible d’être qualifiée d’entreprise toute entité exerçant une activité économique, laquelle est comprise comme toute activité consistant à vendre des biens ou des services sur un marché. Dans le secteur public ou para-public, seules sont exclues les entités qui mettent en œuvre le principe de solidarité (CJCE, 17 février 1993, Poucet et Pistre) ou l’autorité publique (CJCE, 26 mars 2009, Eurocontrol).  

De la même façon, du point de vue du droit interne, le fait qu’une association prenne en charge ce type d’activité, ne fait pas présumer l’absence d’applicabilité des règles de la commande publique (CE, 21 mars 2007, Commune de Boulogne Billancourt). Pourtant, dans certaines circonstances, la forme associative permet d’envisager d’autres formes de relations contractuelles.

2 - L’association – opérateur à part

Le domaine du subventionnement est le domaine par excellence des associations. On sait que nombre d’association ne vivent pas des seules cotisations de leurs membres. Aussi, les contributions publiques sont indispensables à la vitalité du tissu associatif. Les articles 9-1 et 10 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations prévoient la possibilité pour les personnes publiques d’attribuer des subventions. La définition est la suivante : « Constituent des subventions, au sens de la présente loi, les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l'acte d'attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d'un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d'une action ou d'un projet d'investissement, à la contribution au développement d'activités ou au financement global de l'activité de l'organisme de droit privé bénéficiaire ». L’article 10 institue par ailleurs l’exigence de conventionnement, afin de déterminer précisément le périmètre des engagements réciproques des parties.

Deux précisions méritent d’être relevées : la première tient au dernier alinéa de l’article 9-1 de la loi précitée qui dispose que : « Ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les accordent. ». Ce faisant, le législateur a souhaité éviter tout conflit de loi avec l’article 1er du code des marchés publics qui les définit comme « les contrats conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs définis à l'article 2 et des opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services ». L’absence de contrepartie à un besoin de la collectivité ne signifie pas l’absence de contrepartie à une subvention. Dans ce cas, l’attribution de la somme d’argent devrait être considérée comme une libéralité, interdite en vertu du principe posé par l’arrêt CE, Sect., 19 mars 1971, Sieur Mergui. Cependant, la contrepartie peut être souplement appréciée et une association recevant une subvention au titre de son fonctionnement général doit se contenter de continuer ses activités.

C’est ce raisonnement qui a conduit à censurer l’appréciation de la Cour administrative d’appel selon laquelle « une association ne pouvait gérer un service public et bénéficier à ce titre d'une subvention qu'à la condition d'être titulaire d'un contrat de délégation de service public ».

Par ailleurs, il faut mentionner que l’article 9-1 précise encore à la dernière phrase du 1er alinéa que « Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en œuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires ». La primauté de l’initiative par la personne tierce est essentielle. Ce point constitue l’un des apports les plus discutables de l’arrêt commenté.

B - Les limites de la reconnaissance ex post du service public

Les méthodes de reconnaissance du service public établis par la jurisprudence constituent des méthodes de reconnaissance ex post. On a déjà soulevé la problématique de cette approche. L’arrêt ne la règle pas et ajoute de la complexité au problème. Il reconnaît que les personnes privées peuvent être à l’initiative d’activité pouvant recevoir un « label » de service public (1). Cet complexification n’est pas sans conséquence sur la solidité des subventions aux associations (2).

1 - L’indétermination du « caractère de service public »

L’une des évolutions  les plus intéressantes de l’arrêt commenté réside dans le considérant de principe concluant la synthèse pédagogique du Conseil et rédigé comme suit : « Considérant en outre que, lorsqu'une personne privée exerce, sous sa responsabilité et sans qu'une personne publique en détermine le contenu, une activité dont elle a pris l'initiative, elle ne peut, en tout état de cause, être regardée comme bénéficiant de la part d'une personne publique de la dévolution d'une mission de service public ; que son activité peut cependant se voir reconnaître un caractère de service public, alors même qu'elle n'a fait l'objet d'aucun contrat de délégation de service public procédant à sa dévolution, si une personne publique, en raison de l'intérêt général qui s'y attache et de l'importance qu'elle revêt à ses yeux, exerce un droit de regard sur son organisation et, le cas échéant, lui accorde, dès lors qu'aucune règle ni aucun principe n'y font obstacle, des financements ». 

La rédaction est incertaine. Lorsqu’une personne est à l’initiative d’une activité d’intérêt général qu’elle assume de façon autonome, elle ne peut « en tout état de cause » se voir reconnaître de dévolution de service public. Cette solution est logique : la dévolution suppose un mouvement d’une personne originaire vers une personne dépositaire. Dans le cas où la personne privée est à l’origine de l’activité, il ne peut y avoir de dévolution. En revanche, la reconnaissance ex post par la personne publique du « caractère de service public » de l’activité pose une double question. D’une part, il est délicat de déterminer si une activité de service public et une activité présentant un « caractère » de service sont tout à fait la même chose. L’incertitude est d’autant plus grande que la conséquence de cette reconnaissance est simplement la possibilité d’accorder « des financements », sans que le Conseil n’indique sous quelle forme. S’il avait précisé la nature du contrat, l’on aurait pu saisir avec un peu plus de clarté le sens de la notion.  D’autre part, la première opportunité pour la personne publique de reconnaître un tel caractère est de pouvoir « exercer un droit de regard » sur les activités de l’association. Il n’est pas certain que cette position soit tout à fait libérale.  

On peut également ajouter que, dans le cas d’espèce, la question de l’initiative « privée » est assez artificielle. L’arrêt commenté constitue le premier exemple d’application postérieur à l’arrêt APREI. Le Conseil y applique la nouvelle méthode de qualification du service public délégué. Pour aboutir à cette conclusion, il souligne que l'Etat, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, le département des Bouches-du-Rhône et la commune d'Aix-en-Provence sont à l’origine de l’association, que ces personnes nomment 11 des 15 membres de son conseil d’administration et pourvoient à l’essentiel de ses besoins financiers. La frontière de la qualification entre volonté publique et volonté privée est assez mince. On peut également considérer que l’on entre dans la qualification « in-house » reprise dans le considérant immédiatement précédent. Dans tous les cas, cette méthode crée un environnement instable pour le subventionnement des associations.

2 - Les incidences sur la validité du soutien financier

Dans le domaine des transferts financiers entre personnes publiques et associations, tout est question de doigté. Encore faut-il qu’il soit particulièrement délicat. Tous les éléments de qualification résultent de méthodes d’analyse ex post ou  a posteriori : la nature de l’activité déléguée, la nature du contrat, la reconnaissance du caractère de service public sont autant d’éléments qui ne sont pas déterminés ni assurés dès le départ. Il devient donc compliqué d’assurer la légalité des actes passés. Ce problème est renforcé par le fait que les frontières entre les différentes notions concurrentes sont souvent bien minces.

CE, sect., 06/04/2007, Commune d’Aix en Provence

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000032698859/