Le droit administratif est, souvent, un droit d’équilibriste dont l’objet vise à concilier deux droits ou principes antagonistes. La confrontation entre le principe de continuité des services publics et le droit de grève des agents publics relève de cette logique. L’arrêt Dehaene, outre qu’il reconnaît la valeur juridique du préambule de la Constitution de 1946, est l’arrêt qui encadre, encore aujourd’hui, cette question, tant pour l’exigence de conciliation qu’il pose que pour la détermination de l’autorité qui en a la charge.
Dans cette affaire, un mouvement de grève touchant les préfectures a eu lieu en juillet 1948. Le Gouvernement a interdit la participation des chefs de bureau à ce mouvement social. Malgré cette interdiction, M. Dehaene, qui occupait la fonction en cause à la préfecture d’Indre-et-Loire, a fait grève du 13 au 20 juillet 1948. Le préfet de ce département l’a, alors, suspendu de ses fonctions par un arrêté du 13/07/1948 et lui a infligé un blâme par un arrêté du 30/07/1948. M. Dehaene a saisi le Conseil d’Etat afin de faire annuler ces deux décisions. Par un arrêt d’assemblée rendu le 07/07/1950, le juge administratif suprême a, d’abord, déclaré le recours portant sur la suspension de fonction sans objet, la mesure ayant été rapportée le 20/07/1948. Puis, il a rejeté la requête sur le second point.
M. Dehaene fondait sa contestation de la décision lui infligeant un blâme sur la méconnaissance par cette dernière du droit de grève reconnu par le préambule de la Constitution de 1946. En effet, après avoir été longtemps refusé aux agents publics, le droit de grève s’est vu consacré à la Libération tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Cette reconnaissance apparaissait, néanmoins, imparfaite dans la mesure où les constituants prévoyaient l’adoption d’une loi d’ensemble pour encadrer l’exercice de ce droit. Or, en 1950 (tout comme encore aujourd’hui, d’ailleurs), la loi annoncée en 1946 n’avait pas été adoptée s’agissant des services publics. Aussi, le Conseil d’Etat a-t-il décidé, en l’espèce, de suppléer à la carence du législateur, en décidant que le Gouvernement avait compétence pour règlementer la grève des agents publics. C’est ce principe qui lui a permis de valider tant la décision d’interdire la participation des chefs de bureau au mouvement de grève de juillet 1948 que le blâme infligé à M. Dehaene.
Il convient donc d’étudier, dans une première partie, la lente reconnaissance du droit de grève dans les services publics (I) et d’analyser, dans une seconde partie, l’apport du Conseil d’Etat pour parachever la reconnaissance de ce droit (II).
- I – Une lente reconnaissance du droit de grève
- A – D’une interdiction jurisprudentielle totale …
- B - … à une consécration constitutionnelle imparfaite
- II – Une reconnaissance du droit de grève parachevée par le Conseil d’Etat
- A – Une construction audacieuse pour suppléer la carence du législateur
- B – Un régime essentiellement jurisprudentiel
- CE, ass., 07/07/1950, Dehaene