Introduction
Il est des sagas judiciaires qui occupent les tribunaux de longues années durant. Bien souvent, elles apportent à la dynamique du droit une contribution décisive. Mais rares sont celles qui produisent ces effets à ce point. L’affaire du litige entre la ville de Béziers et sa voisine de Villeneuve les Béziers aura duré presque 20 ans et aura offert à la matière du contentieux contractuel des développements majeurs. L’arrêt CE, Ass, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, req. n°304802, constitue le premier volet de l’intrigue.
En 1969, plusieurs communes de l’arrondissement créèrent un Syndicat intercommunal à vocation multiple afin de créer une zone industrielle. Plusieurs établissements se sont implantées sur le territoire de Villeneuve-les-Béziers. Pour rétablir une forme d’équité, cette dernière et sa voisine ont conclu, en 1986 un contrat par lequel la première s’engageait à reverser à l’autre une partie de la taxe professionnelle qu’elle percevrait du fait de l’implantation des industries. 10 ans plus tard, en 1996, la commune de Villeneuve-les-Béziers a unilatéralement résilié le contrat au motif que les conditions de sa conclusion étaient illégales. Le fond du problème résidait en réalité dans le déséquilibre initial de la convention qui faisait profiter la ville de Béziers d’un avantage indu, selon sa voisine. La ville de Béziers a saisi le juge afin de faire se voir attribuer un dédommagement. Le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande. La Cour administrative d’appel de Marseille a annulé le jugement pour irrégularité, mais a maintenu la solution du rejet de la demande de la ville de Béziers. Le Conseil d’État a été saisi une première fois et annulé l’arrêt de la Cour. Il a, par son arrêt CE, Ass, 29 décembre 2009, req. n°304802, imposé au juge de préserver le principe de loyauté des relations contractuelles en interdisant de considérer que la simple absence de transmission au préfet de la délibération autorisant le maire à signer le contrat n’était pas d’une gravité telle qu’elle empêche de continuer la résolution du litige sur le terrain du contrat. L’affaire a été renvoyée, sur le fond, à la Cour administrative d’appel de Marseille, autrement composée.
Le Conseil, dans une rédaction qui entend faire œuvre de pédagogie, établit un nouveau considérant de principe : « les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d'un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie », qui ouvre une nouvelle voie de droit, pour l’exercice de laquelle il définit l’office du juge : « il incombe en principe (au juge), eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat », sauf les exceptions qu’il détaille.
Cette espèce démontre que, dans le contentieux contractuel, le juge se trouve face à la nécessité de concilier plusieurs objectifs : le respect de la légalité, l’intérêt général ainsi que le principe de stabilité des relations contractuelles. Face à cela, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État a innové en créant une exigence de loyauté des relations contractuelles (I), mécanisme de conciliation des différents intérêts en présence, ce qui l’autorise à remodeler l’office du juge du contrat (II).
I - La loyauté des relations contractuelles, un nouveau principe du droit des contrats administratifs
Par l’arrêt commenté, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État fonde un nouveau principe applicable aux contrats administratifs. Pour l’essentiel, ce nouveau principe ne joue qu’un rôle contentieux (A). Par ailleurs, l’application de ce principe démontre un contenu restrictif (B).
A - Le rôle essentiellement contentieux du principe
Le principe de loyauté des relations contractuelles prend place, dans la présentation du Conseil d’État, comme une exigence liée à l’office du juge saisi d’une action en validité du contrat. Il apparaît en effet, ainsi formulé : « lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ». Le principe apparaît comme une exigence à laquelle est astreinte le juge.
Le principe de loyauté des relations contractuelles peut renvoyer à la logique de la bonne foi dans l’exécution des conventions privées, telle qu’elle apparaissait dans l’ancien article 1314 du Code civil. On peut légitimement penser que les cocontractants à un contrat administratif entendent exécuter leurs obligations réciproques. La conclusion semble d’autant plus forte que la passation d’un contrat administratif est de plus en plus soumise au respect d’exigences procédurales préalables, qui s’avèrent lourdes et complexes. C’est le cas en ce qui concerne la passation des marchés publics et des conventions de service public en particulier.
Cependant, ce n’est pas tout à fait cette conception que l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État semble vouloir suivre. Le respect de la loyauté des relations contractuelles n’est pas, à proprement parler et assez paradoxalement, une obligation des parties mais du juge. Il revient au juge de faire application du contrat « eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles ». De cette façon, c’est au juge qu’il appartient de faire respecter cette obligation, contre la volonté manifeste des parties puisque ce principe doit le conduire à privilégier la solution du maintien des relations contractuelles, dans le cadre d’une action relative à l’exécution du contrat. Le principe de loyauté incite le juge à résoudre le litige sur le terrain contractuel. En ce sens, la loyauté des relations contractuelles s’exprime comme un avatar de l’exigence de stabilité des relations contractuelles, dans un domaine où, selon le principe civiliste, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».
Selon cette lecture, la loyauté des relations contractuelles fait directement écho et constitue la déclinaison de l’objectif de maintien des relations contractuelles que doit préserver le juge saisi d’une action en contestation de validité du contrat : il revient en effet au juge « après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise et en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles » de décider la continuation du contrat ou sa résiliation.
B - Le contenu restrictif du principe
Plusieurs conséquences découlent de cette exigence de respect du principe de loyauté. La première consiste à maintenir l’intégrité du contrat. Cela signifie que le juge doit trouver la solution dans les stipulations du contrat. Le juge doit donc privilégier l’interprétation du contrat.
La jurisprudence antérieure permet de profiler un contenu au principe de loyauté. En tout premier lieu, la jurisprudence a établi une limite au contenu du principe. L’espèce ayant donné lieu à l’arrêt CE, 7 décembre 2015, Société ASA Réunion, req. n°382363 peut être résumée comme suit. Un syndicat mixte gestionnaire d’un aéroport avait conclu un contrat avec une société pour la réalisation d’une prestation de contrôle des passagers. Le syndicat a par la suite résilié le contrat au motif d’un déséquilibre économique, en réponse de quoi le syndicat a émis un titre exécutoire pour compenser le surcoût de la continuation de la prestation. Le Conseil d’État juge que « le principe de loyauté des relations contractuelles n'impose pas à la personne publique d'informer préalablement son cocontractant des mesures d'exécution du contrat qu'elle entend prendre » ; il ajoute que, « par suite, en relevant que le syndicat avait méconnu le principe de loyauté des relations contractuelles en omettant d'informer préalablement son cocontractant de la compensation à laquelle il entendait procéder, la cour a commis une erreur de droit ». La solution se comprend si l’on suit la lecture contentieuse du principe : il invite essentiellement le juge à faire application du contrat pour résoudre un litige. Or, en l’espèce, la société était à l’initiative de la rupture de la relation contractuelle et invoquait le principe de loyauté pour contester un acte postérieur. Dans la même logique, la tardiveté de la demande de pénalité de retard par une personne publique à son cocontractant ne peut être contraire au principe de loyauté des relations contractuelles (CE, 20 juin 2016, Société Eurovia Haute-Normandie, req. n°376235). Là encore, il s’agit d’une mesure d’exécution du contrat, prévue directement par lui.
S’agissant de l’approche positive du principe de loyauté, c’est la question de la compétence de l’autorité signataire qui semble susciter le plus l’activité de la Haute juridiction. La raison est simple à saisir : l’incompétence du signataire est souvent mise en avant par une partie pour conclure à la nullité du contrat et échapper à ses obligations. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, comme dans d’autres postérieures, le juge administratif fait application de la nouvelle souplesse accordée. Ainsi, il estime que le défaut de transmission préalable de la délibération du conseil municipal qui autorise le Maire à signer le contrat préalablement à cette signature n’est pas d’une gravité telle qu’il doive écarter le contrat (CE, 23 juin 2010, Commune d'Amigny-Rouy, req. n° 339244). S’il est exact que les actes des collectivités territoriales ne deviennent exécutoires qu’après leur transmission au contrôle de légalité, en application de l’article L. 2131-1 du Code général des collectivités territoriales, le simple fait que le Conseil municipal ait délibéré suffit à démontrer son consentement au contrat. De ce fait, le vice est essentiellement procédural.
A l’inverse, dès lors qu’il est impossible de trouver des indices de la volonté de l’organe délibérant d’engager la collectivité, le vice devient d’une telle gravité que l’application du contrat doit non seulement être écartée, mais qu’en plus le contrat doit être considéré comme nul. On retrouve une application de cette solution dans un arrêt récent CE, 9 juin 2017, Société Pointe-à-Pitre distribution, req. n°399581. En l’espèce, aucune délibération du conseil municipal n’était intervenue. Le juge d’appel, confirmé par le Conseil d’État en cassation, s’était fondé sur « l'absence de toute circonstance permettant d'estimer que le conseil municipal avait ensuite donné son accord à la conclusion du contrat ».
Le contrat doit également être écarté lorsque la personne publique modifie unilatéralement les conditions essentielles du contrat de sorte que le prestataire n’a pas d’autre choix que de les accepter, alors même qu’une telle modification bouleverse l’équilibre économique initial (CE, 1er juillet 2015, Office public de l’habitat de Loire-Atlantique, req. n° 384209). Deux éléments confortent cette solution : d’une part, la violation en l’espèce du principe du maintien de l’équilibre financier du contrat dont doit bénéficier le cocontractant de l’administration en cas de modification unilatérale (CE,24 mars 1916, Compagnie générale du gaz de Bordeaux) ; d’autre part, le cocontractant n’a pas eu la possibilité de refuser, en cours d’exécution du contrat, la modification, de sorte qu’il est impossible de considérer qu’il a fourni son consentement.
Sur le terrain de la compétence, le principe de loyauté des relations contractuelle plie devant le respect du principe de compétence. Une personne publique ne peut renoncer, par contrat, à exercer sa compétence. En l’espèce, la loi réglant les modalités de calcul de la contribution des collectivités territoriales au Service départemental d’incendie et de secours, ce dernier ne peut conclure une convention avec un de ses contributeurs pour modifier ces règles de calcul (CE, 20 juin 2012, SDIS du Nord, req. n°342843).
II - Un office étendu du juge dans l'action en validité du contrat
L’arrêt innove également par la création d’une action en contestation de validité du contrat (ouverte aux parties pendant toute la durée d’exécution du contrat : CE, sect., 11/07/2019, Ass. pour le musée des îles Saint-Pierre-et-Miquelon). Il constitue une atténuation certaine de la jurisprudence Préfet de la Côte-d’Or (A) et doit être lu dans une perspective plus large de renouvellement de l’office et des méthodes du juge administratif (B).
A - Une atténuation de la jurisprudence Préfet de la Côte-d'or
La jurisprudence issue de l’avis contentieux CE, Sect, Avis, 1à juin 1996, Préfet de la Cote-d’Or, req. n° 176873 aboutissait à annuler tout contrat dont les conditions de passation s’avéraient illégales. Cet automatisme était critiqué par la doctrine. Il offrait en effet une porte de sortie facile pour toute partie qui avait connaissance d’un vice initial et qui décidait de l’utiliser dès lors que les conditions d’exécution du contrat ne lui convenaient plus. Cette règle s’écartait de l’application du principe nemo auditur.
On l’a vu, le recours au principe de loyauté des relations contractuelles permet d’atténuer les conséquences d’un vice initial. Désormais le juge est tenu de prendre en compte la portée et la gravité de ce vice, avant de tirer les conséquences. En un sens, la jurisprudence Béziers I abolit l’automatisme de l’annulation.
Mais, ce faisant, l’arrêt commenté renforce l’office du juge. En l’autorisant à apprécier la nature et la gravité du vice, il enrichit également son contrôle qui s’exprime désormais sous la forme d’une conciliation. Le considérant, qui mérite d’être lu avec toute l’attention possible, est très clair : « les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d'un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie ; qu'il appartient alors au juge, lorsqu'il constate l'existence d'irrégularités, d'en apprécier l'importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu'elles peuvent, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui ; qu'il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise et en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulement d'une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, son annulation ».
Le juge doit décomposer son office en cinq temps. Premièrement, il doit vérifier que les parties sont recevables à invoquer les vices qui fondent leurs moyens respectifs.
Deuxièmement, il doit mesurer l’importance et les conséquences du vice, afin de réserver le fait d’écarter l’application du contrat aux seuls cas les plus graves. Cette étape est obligatoire et son omission par le juge du fond constitue une erreur de droit qui peut être sanctionnée par la juridiction supérieure (CE, 31 mai 2010, Communauté d’agglomération Vichy-Val-d’Allier, req. n°329483).
Troisièmement, même lorsque les vices sont d’une gravité particulière, il peut décider de préserver le contrat. Dans ce cas, il lui est loisible d’ordonner les mesures de régularisations qui peuvent s’avérer nécessaires aux fins d’atténuer ou d’annuler les conséquences du vice invoqué. Il pourrait en être ainsi de l’adoption en bonne et due forme par l’assemblée délibérante de l’autorisation de conclure le contrat qui était absente ou insuffisante (CE, 11/05/2016, Rouveyre).
Quatrièmement, si la solution précédente n’est pas possible, il est en mesure de prononcer la résiliation – c’est-à-dire la fin du contrat pour l’avenir uniquement - du contrat. Il peut assortir cette décision d’un effet différé. Cette solution s’explique par le fait que le jugement est exécutoire dès lors qu’il devient définitif, c’est-à-dire, selon les cas, soit parce qu’il s’agit d’un jugement rendu en dernier ressort, soit parce que le délai de recours, appel ou cassation, est dépassé. La possibilité de recourir à l’effet différé doit permettre de préserver l’intérêt général. En effet, un contrat administratif est toujours lié à la recherche de la satisfaction d’un intérêt général. L’effet différé permet donc d’éviter une rupture trop brutale du contrat et permet de préserver, lorsque c’est possible, la continuité des activités de l’administration, au premier rang desquelles, la continuité du service public.
Enfin, cinquièmement, ce n’est que face à un vice d’une particulière gravité, « relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement », que le juge peut prononcer la résolution – c’est-à-dire l’annulation rétroactive – du contrat. Ainsi, c’est, par exception, « eu égard d’une part à la gravité de l’illégalité et d’autre part aux cironstances dans lesquelles elle a été commise » que le contrat pourra être jugé invalide (CE, 12/01/2011, Manoukian). Cette hypothèse, qui devient l’hypothèse la plus extrême, est limitée dans son champ d’application et emporte les conséquences les plus graves puisque l’annulation rétroactive doit conduire à remettre les parties dans leur état initial. Dans ce cas, puisqu’il n’est plus possible de recourir aux stipulations du contrat, les parties devront se fonder sur l’enrichissement sans cause ou la responsabilité quasi-délictuelle pour rétablir la situation antérieure. Ainsi, les parties seront autorisées à invoquer ces nouvelles causes juridiques en cours d’instance, en faisant exception au principe de cristallisation des moyens. Cette possibilité était déjà offerte par la jurisprudence CE, Sect, 20 octobre 2000, Société Citécable Est, req. n°196553.
Dans ces deux dernières hypothèses, si l’irrégualrité n’affecte que des clauses divisibles du contrat, le juge peut ne prononcer que la résiliation ou l’annulation de ces clauses (CE, 17/05/2024, So. SMA Energie).
On le voit, l’office du juge est particulièrement étendu. Il doit le conduire en faisant systématiquement preuve de mesure et en prenant en compte l’ensemble des effets prévisibles de sa décision. Indépendamment des conclusions des parties, le juge voit renforcé son office.
B - Un office nouveau prélude à une révolution du contentieux contractuel
L’arrêt commenté doit être replacé dans un mouvement jurisprudentiel qui a largement réformé, voire révolutionné, en quelques années seulement, un contentieux des contrats qui s’était formé par sédimentation tout au long du XXème siècle. La place prise par le mode contractuel dans la conduite des activités publiques, le renforcement de l’État de droit, l’apparition et la consolidation des droits fondamentaux, au premier rang desquels la liberté contractuelle (CC, 19 décembre 2000, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, n°2000-437 DC, qui revient sur la jurisprudence CC, 3 août 1994, Loi relative à la protection sociale complémentaire, n°94-348 DC qui jugeait qu’aucune disposition de la Constitution ne garantit le principe de liberté contractuelle) et le droit à la préservation de ses biens (article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme et le droit de propriété garantit par l’article 2 de la DDHC de 1789).
On retrouve des éléments de ce nouvel office dans le contentieux du recours en excès de pouvoir. Par certains aspects, et même si le contentieux contractuel relève du plein contentieux, on peut lire l’arrêt commenté et certains autres qui lui succèdent comme une volonté d’importer les outils façonnés dans le cadre du REP. Ces outils permettent au juge d’affiner son office et son contrôle en lui permettant de le rendre plus efficace et plus à l’écoute des conséquences de ses décisions. Ainsi, le prononcé de l’annulation avec effet différé se retrouve dans la jurisprudence CE, 11 mai 2004, Association AC !, req. n°255886. Dans le REP comme dans le contentieux contractuel le fondement est identique : la préservation de l’intérêt général peut passer par l’évitement d’une solution aux conséquences trop immédiates et trop brutales. Dans le même ordre d’idée, on peut lire l’arrêt commenté comme un prélude dans le contentieux contractuel de la logique d’atténuation de l’automatisme de l’annulation des actes forgé par la jurisprudence CE, 23 décembre 2011, Danthony, req. n°335033. Là encore, on retrouve, derrière l’identité du mécanisme, une identité de logique : le recul du formalisme procédural pour lui préférer un empirisme qualitatif. Ce faisant, les vices ne conduiront à des solutions graduellement plus importantes et plus définitives uniquement dans la mesure où ils présentent une gravité particulière. Dans le cadre du REP et de l’arrêt Danthony, il s’agit des vices qui privent les administrés d’une garantie ou qui ont influé sur le sens de la décision. Dans la décision commentée, seuls les vices qui ont influencés les conditions dans lesquelles le consentement a été accordé sont susceptibles de conduire à une résolution, alors que ceux qui peuvent être régularisables doivent l’être avant de prononcer la résiliation, laquelle ne peut, en toute hypothèse, n’être admise que si elle ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général et, le cas échéant, avec un effet différé. En résumé, la volonté prend une place déterminante face au formalisme procédural qui n’est pris en compte que dans la mesure où il influence la volonté. C’est le cas en REP (vices qui influent le sens de la décision et violation des garanties) comme en contentieux contractuel (vices qui portent atteinte au consentement et vices graves).
On peut également lire la décision commentée comme un prélude à une évolution majeure du contentieux contractuel, qui ne sera explicitée que dans l’arrêt CE, Ass, 4 avril 2014, Département du Tarn-et- Garonne. Cette évolution consiste à limiter la recevabilité, non pas du recours, mais des moyens qui sont soulevés par les parties. Dans la logique antérieure, une fois le recours déclaré recevable, les parties étaient admises à soulever n’importe quel moyen susceptible de fonder leurs conclusions. Si un lien direct était nécessaire pour reconnaître la recevabilité du recours, il n’était pas exigé s’agissant des moyens. Cette évolution se lit en filigrane dans l’arrêt commenté. Le Conseil pose le fait qu’il revient au juge de vérifier « que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu'elles peuvent, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui ».
CE, ass., 28/12/2009, Commune de Béziers dit Béziers I
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 avril et 13 juin 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE BEZIERS, représentée par son maire ; la COMMUNE DE BEZIERS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 12 février 2007 de la cour administrative d'appel de Marseille, en tant qu'après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 25 mars 2005, il rejette sa demande tendant à ce que la commune de Villeneuve-lès-Béziers soit condamnée à lui verser une indemnité de 591 103,78 euros, au titre des sommes que cette commune aurait dû lui verser en application des clauses d'une convention signée le 10 octobre 1986 ainsi que 45 374,70 euros au titre des dommages et intérêts ;
2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Villeneuve-lès-Béziers la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Xavier Domino, Auditeur,
- les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la COMMUNE DE BEZIERS et de Me Odent, avocat de la commune de Villeneuve-les-Béziers,
- les conclusions de M. Emmanuel Glaser, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la COMMUNE DE BEZIERS et à Me Odent, avocat de la commune de Villeneuve-les-Béziers.
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le cadre d'un syndicat intercommunal à vocation multiple qu'elles avaient créé à cette fin, les communes de BEZIERS et de Villeneuve-lès-Béziers ont mené à bien une opération d'extension d'une zone industrielle intégralement située sur le territoire de la commune de Villeneuve-lès-Béziers ; que, par une convention signée par leurs deux maires le 10 octobre 1986, ces collectivités sont convenues que la commune de Villeneuve-lès-Béziers verserait à la COMMUNE DE BEZIERS une fraction des sommes qu'elle percevrait au titre de la taxe professionnelle, afin de tenir compte de la diminution de recettes entraînée par la relocalisation, dans la zone industrielle ainsi créée, d'entreprises jusqu'ici implantées sur le territoire de la COMMUNE DE BEZIERS ; que, par lettre du 22 mars 1996, le maire de Villeneuve-lès-Béziers a informé le maire de BEZIERS de son intention de résilier cette convention à compter du 1er septembre 1996 ; que, par un jugement du 25 mars 2005, le tribunal administratif de Montpellier, saisi par la COMMUNE DE BEZIERS, a rejeté sa demande tendant à ce que la commune de Villeneuve-lès-Béziers soit condamnée à lui verser une indemnité de 591 103,78 euros au titre des sommes non versées depuis la résiliation de la convention, ainsi qu'une somme de 45 374,70 euros au titre des dommages et intérêts ; que, par un arrêt du 13 juin 2007, contre lequel la COMMUNE DE BEZIERS se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Marseille a, après avoir annulé pour irrégularité le jugement du tribunal administratif de Montpellier, jugé que la convention du 10 octobre 1986 devait être " déclarée nulle " et rejeté la demande de la COMMUNE DE BEZIERS ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant, en premier lieu, que les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d'un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie ; qu'il appartient alors au juge, lorsqu'il constate l'existence d'irrégularités, d'en apprécier l'importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu'elles peuvent, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui ; qu'il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise et en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulement d'une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, son annulation ;
Considérant, en second lieu, que, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l' exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ;
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 2-I de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, désormais codifiées à l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales : " Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès lors qu'il a été procédé à leur publication ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans le département " ; que l'absence de transmission de la délibération autorisant le maire à signer un contrat avant la date à laquelle le maire procède à sa signature constitue un vice affectant les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ; que, toutefois, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, ce seul vice ne saurait être regardé comme d'une gravité telle que le juge doive écarter le contrat et que le litige qui oppose les parties ne doive pas être tranché sur le terrain contractuel ;
Considérant, dès lors, qu'en jugeant que la convention conclue le 10 octobre 1986 entre les communes de Villeneuve-lès-Béziers et de Béziers devait être " déclarée nulle " au seul motif que les délibérations du 29 septembre 1986 et du 3 octobre 1986 autorisant les maires de ces communes à la signer n'avaient été transmises à la sous-préfecture que le 16 octobre 1986 et qu'une telle circonstance faisait obstacle à ce que les stipulations du contrat soient invoquées dans le cadre du litige dont elle était saisie, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit ; que, par suite, la COMMUNE DE BEZIERS est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la COMMUNE DE BEZIERS, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Villeneuve-lès-Béziers demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, sur le fondement des mêmes dispositions, de mettre à la charge de Villeneuve-lès-Béziers une somme de 3 000 euros à verser à la COMMUNE DE BEZIERS ;
DECIDE :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 12 février 2007 est annulé en tant qu'il rejette la demande de la COMMUNE DE BEZIERS.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure devant la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : La commune de Villeneuve-lès-Béziers versera à la COMMUNE DE BEZIERS la somme de 3 000 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Villeneuve-lès-Béziers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE BEZIERS et à la commune de Villeneuve-lès-Béziers.
Copie en sera transmise pour information au ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
