La résiliation pour motif d’intérêt général : requiem pour l’immunité (CE, sect., 21/03/2011, Commune de Béziers, dit Béziers II)

Introduction

Les arrêts de principe, que l’on appelle aussi « grands arrêts », sont souvent issus de problématiques ponctuelles. Lorsque, du fait des circonvolutions de la procédure contentieuse, le Conseil d’État est saisi deux ou plusieurs fois, les arrêts postérieurs ne retiennent que rarement l’attention de la doctrine. Une fois n’est pas coutume, l’affaire opposant la Ville de Béziers à sa voisine de Villeneuve-les-Béziers durant presque 20 ans, aura donné 3 grands arrêts à la matière du contrat administratif. L’arrêt CE, Sect, 21 mars 2011, Commune de Béziers, dit Béziers II, req. n°304806 est le deuxième. 

En 1969, plusieurs communes de l’arrondissement créèrent un Syndicat intercommunal à vocation multiple afin de créer une zone industrielle. Plusieurs établissements se sont implantées sur le territoire de Villeneuve-les-Béziers. Pour rétablir une forme d’équité, cette dernière et sa voisine ont conclu, en 1986 un contrat par lequel la première s’engageait à reverser à l’autre une partie de la taxe professionnelle qu’elle percevrait du fait de l’implantation des industries. 10 ans plus tard, en 1996, la commune de Villeneuve-les-Béziers a unilatéralement résilié le contrat au motif que les conditions de sa conclusion étaient illégales. Le fond du problème résidait en réalité dans le déséquilibre initial de la convention qui faisait profiter la ville de Béziers d’un avantage indu, selon sa voisine. La ville de Béziers a saisi le juge afin de faire se voir attribuer un dédommagement. Le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté cette demande. La Cour administrative d’appel de Marseille a annulé le jugement pour irrégularité, mais a maintenu la solution du rejet de la demande de la ville de Béziers. Le Conseil d’État a été saisi une première fois et annulé l’arrêt de la Cour. Il a, par son arrêt CE, Ass, 29 décembre 2009, req. n°304802, imposé au juge de préserver le principe de loyauté des relations contractuelles en refusant la possibilité de considérer que le vice tiré de la simple absence de transmission au préfet de la délibération autorisant le maire à signer le contrat était d’une gravité telle qu’elle empêche de continuer la résolution du litige sur le terrain du contrat. L’affaire a été renvoyée, sur le fond, à la Cour administrative d’appel de Marseille, autrement composée. Parallèlement, la Ville de Béziers avait introduit une requête en excès de pouvoir contre la décision de résilier. Le Tribunal administratif, ainsi que la Cour avaient tous deux jugés qu’un tel recours était irrecevable. Le Conseil d’État est ici saisi du pourvoi contre ce second arrêt.

La question posée au Conseil d’État portait, cette fois-ci, sur la recevabilité d’un recours contre la décision de résiliation unilatérale d’un contrat administratif par une personne publique. La solution du Conseil est pour le moins novatrice : de façon prétorienne, au sens propre du terme et de la fonction, il ouvre le droit pour les cocontractants de l’administration de saisir le juge contre une décision de rupture unilatérale du contrat administratif. Cette solution n’est pas évidente. Elle doit être comprise dans son mécanisme (I). Le Conseil prend également soin de définir avec précision l’office complexe du juge (II). 

I - La création prétorienne d'un nouveau recours

En admettant l’ouverture d’un recours de plein contentieux contre la décision de rupture unilatérale des relations contractuelles par une personne publique, le Conseil revient sur une jurisprudence antérieure plus que séculaire (A). De la sorte, ce nouveau recours n’est pas anodin et doit être détaillé dans sa justification et sa logique propre (B).

A - Un revirement bienvenu de la jurisprudence antérieure

L’arrêt Commune de Béziers II, revient sur une jurisprudence plus que centenaire qui fermait la porte du prétoire aux cocontractants de l’administration qui sollicitaient la reprise des relations contractuelles. On trouve trace de cette logique dans un arrêt ancien : CE, 20 février 1868, Goguelati, req. n°39761. Le Conseil y jugeait que « la résiliation est une mesure administrative dont il n’appartient pas au conseil de préfecture de prononcer la réformation ». Dans la même lignée, il jugeait dans son arrêt CE, Sect., 24 novembre 1972, Société des ateliers de nettoyage, teinture et apprêts de Fontainebleau, req. n°84504 : « que le juge des contestations relatives aux marchés administratifs n'a pas le pouvoir de prononcer l'annulation des mesures prises par l'administration a l'encontre de son cocontractant ». Cette position jurisprudentielle était d’autant plus sensible que le Conseil a reconnu à l’administration le droit de résilier tout contrat administratif pour motif d’intérêt général, et non pas uniquement pour faute, et ce même sans texte. En ce sens, le droit de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général constitue un principe général du droit des contrats administratifs (CE, Ass, 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval). 

Si l’on met en perspective l’arrêt commenté avec le contentieux administratif général, on notera qu’au moment où la jurisprudence antérieure à l’arrêt Béziers II a été établie, le juge administratif n’était pas enclain à enjoindre à l’administration de prendre des mesures particulières. C’est avec la loi du 8 février 1995 que le juge administratif s’est vu reconnaître la possibilité d’enjoindre l’administration de faire, afin de tirer toutes les conséquences de ses décisions (art. L.911-1 CJA). En un sens, en statuant sur la décision de résiliation, le juge se mettait potentiellement dans la situation de devoir ordonner la reprise des relations contractuelles. Le juge a toujours souhaité rester en recul de l’acte d’administration, en ce sens qu’il ne peut apprécier qu’en droit la légalité d’un acte administratif. En revanche, dès lors que plusieurs mesures d’exécution peuvent toutes être légales pour tirer les conséquences d’une décision de justice, le juge demeure en recul pour préserver la marge d’appréciation de l’administration. 

La solution antérieure ne constituait pas tout à fait un déni de justice. Si le juge administratif refusait de revenir sur la décision de résiliation en tant que telle, il s’était reconnu le droit d’une part de vérifier que le motif invoqué par l’administration – faute ou motif d’intérêt général – était réel ; d’autre part, le cas échéant, il ouvrait la possibilité d’un recours en responsabilité contre la décision de résiliation devant permettre au cocontractant de voir son préjudice réparé par l’octroi de dommages et intérêts. Cette solution devait permettre d’allier la préservation des droits des cocontractants de l’administration, et la nécessité de recul du juge. Elle mettait toutefois le cocontractant de l’administration dans une situation délicate, car il devait alors faire face à la difficulté de prouver son préjudice, notamment économique. 

B - La ratio du nouveau recours

Le Conseil d’État présente, de façon pédagogique la structure du nouveau recours. Il replace en premier lieu le nouveau recours dans le cadre plus général du contrôle des mesures d’exécution. Il préserve donc la jurisprudence antérieure en rappelant que « le juge du contrat, saisi par une partie d’un litige relatif à une mesure d’exécution d’un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité ». Il maintient donc le « principe » d’une limitation des voies de recours contre les actes, en général, d’exécution du contrat. Cette solution se comprend si l’on veut bien admettre que de tels actes relèvent d’une logique contractuelle. Sauf le cas spécifique des actes détachables du contrat (CE, 4 août 1905, Martin), il ne peut s’agir d’actes administratifs unilatéraux. Ces actes sont, en quelque sorte, absorbés, par la nature contractuelle de la relation. De ce fait, le juge ne peut être saisi qu’en plein contentieux, et non d’un REP, avec pour conséquence que, le plein contentieux étant essentiellement un contentieux de l’indemnisation, le juge administratif n’a pas à être saisi de conclusions à fin d’annulation. C’est la raison pour laquelle le juge continue de préserver le « principe » d’un contentieux de la responsabilité contractuelle, s’agissant des actes d’exécution des contrats.     

L’innovation essentielle réside dans l’ouverture d’un recours en reprise des relations contractuelles, et qui correspond, dans l’esprit, à un recours en annulation de l’acte décisoire de résilier le contrat par l’administration. La rédaction de la décision est sans équivoque possible celle d’une exception « toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles ». La justification de cette voie est fondée sur la gravité, la radicalité, la « portée » d’une telle mesure. On pourrait y voir une tendance du juge administratif à faire passer en plein contentieux le contrôle des mesures les plus graves, contribuant de ce fait à un brouillage des contentieux. C’est en suivant cette logique que le Conseil d’État a fait passer le contentieux des sanctions de l’administration contre un administré du REP au plein contentieux, avec sa décision CE, Ass, 16 février 2009, Société Atom, req. n°274000. On parle aujourd’hui de contentieux objectif de pleine juridiction pour évoquer ces formes nouvelles de contrôle. L’avantage du plein contentieux est de permettre d’une part au juge de se placer au moment où il statue pour apprécier la légalité de l’acte litigieux, et, d’autre part, de bénéficier d’une large gamme de pouvoirs, y compris celui de réformation et modification, là où le REP ne l’autorise, de façon un peu artificielle et tranchée, qu'à annuler ou maintenir l’acte attaqué. 

Sur le plan procédural, le Conseil d’État apporte deux précisions majeures. La première est ainsi formulée : la partie au contrat qui entend contester la décision de résiliation « doit exercer ce recours, y compris si le contrat en cause est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de la mesure de résiliation ».  Cette précision est importante, car la matière des travaux publics est, depuis la loi du 28 pluviose de l’an VIII de la Révolution, implicitement reprise à l’article R. 421-1 du Code de justice administrative, exemptée du respect du délai de recours contentieux de droit commun de deux mois. Par cette décision, le Conseil entend déroger à cette exception et unifier le contentieux nouveau. Il suit de plus en plus cette logique par exception dans le cadre du renouvellement du contentieux contractuel : il avait jugé ainsi dans son arrêt CE, Ass, 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux signalisation, req. n°291545, ainsi que dans le très célèbre arrêt CE, Ass, 4 avril 2014, Département du Tarn et Garonne, req. n° 358994. 

Enfin, il autorise le requérant à déposer, en parallèle de son recours au fond, et dans le but de rendre efficace ce dernier, des conclusions sur le fondement de l’article L.52-1 du Code de justice administrative (référé-suspension) : « de telles conclusions peuvent être assorties d'une demande tendant, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de la résiliation, afin que les relations contractuelles soient provisoirement reprises ». Cette solution était loin d’être évidente. L’article L.521-1 vise les situations dans lesquelles « une décision administrative (…) fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation » et vise, a priori, plutôt les REP. Mais, d’une part, on l’a vu, le recours peut être qualifié de recours objectif de plein contentieux, et, d’autre part, le juge l’avait déjà admis en plein contentieux, et, en particulier, en matière contractuelle (CE, Ass, 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux, préc.). Cette solution est, pourtant, frappée du bon sens : une action judiciaire qui tarderait par trop à se réaliser serait, dans les faits, inefficace. Il suffirait à l’administration qui a souhaité se dégager de ses obligations vis-à-vis d’un cocontractant trop gênant de contracter avec une autre personne de son choix, pendant la durée du recours. L’action en reprise des relations contractuelles n’aurait, pour ainsi dire plus d’objet, ou, à tout le moins, serait particulièrement compliquée à mettre en œuvre. Au nom de la stabilité des relations contractuelles, le juge devrait annuler un autre contrat…et porter atteinte tant à l’exigence de stabilité des relations contractuelles qu’aux droits d’un tiers. Aussi, la possibilité de « cristalliser » la situation initiale, précédant immédiatement la résiliation, doit être saluée.

Pour terminer, il convient de noter que le Conseil d’Etat a précisé que ce recours en reprise des relations contractuelles ne s’applique pas à la décision de non-renouvellement d’un contrat parvenu à son terme, qui n’a ni pour objet ni pour effet de mettre unilatéralement fin à une convention en cours (CE, 06/06/2018, So. Orange). De même, le juge administratif peut ne pas décider la reprise des relations contractuelles, même si la décision de résiliation est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé, si, au moment où le juge statue, le contrat a atteint son terme (CE, 27/02/2019, Département de la Seine-Saint-Denis).

II - Un remodelage de l'office du juge

À suivre les conclusions du rapporteur public, la création du nouveau recours ne pouvait pas aller sans un remodelage de l’office du juge. Cet office est orienté, comme pour de nombreuses innovations jurisprudentielles récentes, vers une recherche de la conciliation (A). Pour autant, il convient de s’assurer de la compatibilité et de la fluidité de l’articulation avec les autres offices du juge du contrat (B). 

A - Un office orienté vers une recherche de la conciliation

Comme il devient habituel, le Conseil d’État, agissant dans sa fonction prétorienne, au sens strict du terme, prend grand soin de détailler précisément les éléments qui doivent conduire le raisonnement du juge. Ce faisant, il définit une méthode, dont Pascal disait est « la voie pour bien conduire sa pensée ». En l’espèce, le Conseil précise non seulement les éléments à prendre en compte, mais également l’articulation qu’ils doivent entretenir entre eux. Ainsi, il juge que « Considérant que, pour déterminer s'il y a lieu de faire droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il incombe au juge du contrat d'apprécier, eu égard à la gravité des vices constatés et, le cas échéant, à celle des manquements du requérant à ses obligations contractuelles, ainsi qu'aux motifs de la résiliation, si une telle reprise n'est pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse ». On peut décomposer cette prose juridique. 

Dans une premier temps, on souligne que le Conseil se place très explicitement dans la lignée de l’arrêt précurseur de celui commenté CE, Ass, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, req. n°304802 : il impose de prendre en compte la « gravité » des vices constatés. On comprend d’emblée que seuls les vices les plus graves devront conduire le juge à se déterminer dans un sens précis. Ce faisant, le Conseil affirme clairement sa volonté de limiter le formalisme et d’atténuer la rigueur de la ratio legis en passant sur les vices mineurs, c’est-à-dire ceux qui, soit relèvent d’une coquille procédurale, sans changer le fond ni la nature de la relation contractuelle, soit ceux qui, s’attachant à la substance du droit, sont mineurs. On peut, du reste s’interroger sur une éventuelle recomposition de l’adage De minimis non curat praetor. On peut également s’interroger sur la montée en puissance de la prise en compte par le juge administratif de l’effet de ses décisions sur le mouvement de l’administration active : nul besoin de troubler outre mesure ce mouvement lorsque l’illégalité est mineure.

Dans un deuxième temps, il faut prendre avec toute l’importance qui lui échoit le critère de la « gravité (…) des manquements du requérant à ses obligations contractuelles » et celui du « motif de la résiliation ». Dans la mesure où le recours vise à contester la décision de résiliation par l’administration, il va de soi que le requérant est nécessairement le cocontractant de l’administration. Mais il ne faut pas en conclure qu’il s’agit nécessairement d’une personne privée. Les faits d’espèce le démontrent aisément puisqu’était en cause un contrat conclu entre deux communes. On sait que l’administration ne dispose en réalité que de deux motifs pouvant conduire à la résiliation : la faute du cocontractant et l’intérêt général. Si la résiliation pour faute est commune au droit privé et au droit administratif, et n’appelle pas de spécificité particulière, la résiliation pour motif d’intérêt général relève, elle, des principes généraux et dérogatoires du droit des contrats administratifs (CE, Ass. 2 mai 1958. Distillerie de Magnac Laval et CE, 6 mai 1985, Eurolat). En réalité, le juge doit suivre l’alternative dont dispose l’administration : soit elle se fonde sur la faute, mais devra la prouver, soit elle recours à l’intérêt général. Dans la situation antérieure, la seconde branche était certes contrôlée par le juge mais ne pouvait donner lieu qu’à des indemnités compensatrices du préjudice subi. Le Conseil d’État impose donc au juge administratif de prendre en compte, dans le cadre d’un contrôle le plus poussé (puisque le recours relève du plein contentieux) l’ensemble des éléments factuels et juridiques qui fondent la décision. 

Une fois qu’il a déterminé les responsabilités respectives des parties et apprécié le caractère fondé ou non du motif d’intérêt général, il revient au juge d’opérer la conciliation entre plusieurs principes, exigences et objectifs. La responsabilité de l’une ou l’autre des parties, les nécessités de l’intérêt général doivent être mises en balance avec d’une part l’intérêt général qui s’attache à l’absence de reprise du contrat et, d’autre part, le droit des tiers, c’est-à-dire, aux droits de l’éventuel nouveau cocontractant de l’administration.

L’articulation la plus problématique des objectifs est sûrement celle qui concerne la prise en compte de l’intérêt général. D’un côté, le contrat administratif est nécessairement porteur d’intérêt général. D’un autre côté, le refus d’ordonner la reprise des relations peut être également être vu comme protecteur de l’intérêt général. De ce fait, le juge doit évaluer le même critère à l’aune de deux options contraires. Quant au droit des tiers, il ne semble pas qu’il puisse acquérir le même poids que le maintien de l’intérêt général. Même si la tendance lourde de ces dernières décennies tend au rééquilibrage des positions respectives de l’administration et des administrés devant le juge administratif, le critère – ou l’argument - du droit des tiers ne devrait intervenir que comme soutien à l’une ou l’autre des options ouvertes au juge, et ne devrait pas nécessairement pouvoir s’autonomiser.

B - Une délicate articulation contentieuse

Comme à chaque fois lorsque le juge crée un nouveau recours prétorien, la question doit être posée de son articulation avec les voies préalablement existantes.  Dans le cas présent, le nouveau recours intervient comme revirement d’une position antérieurement close. Cependant, il prend place dans un mouvement bien étendu de réforme prétorienne du contentieux des contrats administratifs. 

Le premier point qui peut être soulevé concerne les relations de la requête en reprise des relations contractuelles avec le recours en excès de pouvoir. Assez rapidement après l’arrêt commenté, le Conseil d’État a été amené à statuer sur cette question. Un requérant contestait la légalité de la décision de la personne publique de signer un nouveau contrat avec son successeur. Par voie d’exception, il a contesté la décision de résiliation préalable le concernant. Face à cette architecture contentieuse, le Conseil d’État fait primer le nouveau recours. Il « réinterprète » les recours dont il est saisi et « découvre » un recours Béziers 2. Il juge « qu’il résulte de l'instruction que sa demande tendant à l'annulation de cette décision de résiliation doit être regardée comme contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles » (CE, 30 mai 2012, SARL PRORESTO, req. n°357151). La solution est compréhensible. D’une part, elle permet d’alléger les procédures connexes et l’organisation des moyens et des conclusions en plaçant le débat sur un terrain spécialement conçu pour les accueillir. D’autre part, elle demeure conforme au principe selon lequel le REP doit demeurer un recours subsidiaire à tout autre. Pour autant, une telle solution emporte des conséquences certaines pour le requérant : en requalifiant le recours, le juge en déduit logiquement toutes les conséquences, à commencer par la nécessité de respecter le délai impératif de 2 mois pour l’introduire. Il constate, dans cette espèce, que la demande est tardive, par une innovation qui consiste à considérer que les éventuels recours administratifs sont insusceptibles de proroger le délai contentieux, « eu égard aux particularités de ce recours contentieux ». 

Le second point réside dans l’articulation entre ce recours et les recours éventuels qu’un ancien titulaire pourrait introduire sur le fondement de la jurisprudence Tarn et Garonne (CE, Ass 4 avril 2014, préc.). Cette jurisprudence revient sur une solution ancienne CE, 4 août 1905, Martin qui n’ouvrait aux tiers au contrat que le REP contre les actes dits détachables du contrat, dont la décision de le conclure. Avec le nouveau recours Tarn et Garonne, les tiers (et non plus uniquement les concurrents évincés issus du recours crée par CE, Ass, 7 juillet 2007, Société Tropic Travaux, préc.) peuvent contester le contrat dans son principe ou dans ses clauses. Avec le recours Tropic, il aurait fallu que l’ancien titulaire du contrat soumissionne à la nouvelle procédure engagée postérieurement à la résiliation, à supposer qu’il y en ait eu une. Avec le recours Tarn et Garonne, il suffit qu’il puisse être qualifié de « tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine ». Le fait d’invoquer une atteinte à ses droits par la résiliation illégale du précédent contrat semble devoir être admissible. Toute la question demeure de savoir comment, concrètement, le juge délimitera les effets de l’autorité de la chose jugée dans l’hypothèse où un premier recours fondé sur l’arrêt Béziers II aurait été rejeté. Il est vrai que ni la logique générale des deux recours ni les moyens invocables, ni encore les finalités, ne sont identiques. La cause, en tant que telle, peut être différente. Dans le premier cas, elle est fondée sur l’ancien contrat, dans le second, sur le nouveau.

CE, sect., 21/03/2011, Commune de Béziers, dit Béziers II

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 avril et 13 juin 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE DE BEZIERS, représentée par son maire ; la COMMUNE DE BEZIERS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 12 février 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'elle a formé contre le jugement du 25 mars 2005 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a rejeté sa demande dirigée contre la mesure par laquelle la commune de Villeneuve-lès-Béziers a résilié, à compter du 1er septembre 1996, la convention qu'elles ont conclue le 10 octobre 1986 ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Villeneuve-lès-Béziers la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Xavier Domino, Maître des Requêtes-rapporteur,
- les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la COMMUNE DE BEZIERS et de la SCP Odent, Poulet, avocat de la commune de Villeneuve-lès-Béziers,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public,

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la COMMUNE DE BEZIERS et à la SCP Odent, Poulet, avocat de la commune de Villeneuve-lès-Béziers ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans le cadre d'un syndicat intercommunal à vocation multiple qu'elles avaient créé à cette fin, les communes de BEZIERS et de Villeneuve-lès-Béziers ont mené à bien une opération d'extension d'une zone industrielle intégralement située sur le territoire de la commune de Villeneuve-lès-Béziers ; que, par une convention signée par leurs deux maires le 10 octobre 1986, ces collectivités sont convenues que la commune de Villeneuve-lès-Béziers verserait à la COMMUNE DE BEZIERS une fraction des sommes qu'elle percevrait au titre de la taxe professionnelle, afin de tenir compte de la diminution de recettes entraînée par la relocalisation, dans la zone industrielle ainsi créée, d'entreprises jusqu'ici implantées sur le territoire de la COMMUNE DE BEZIERS ; que, par une délibération du 14 mars 1996, le conseil municipal de la commune de Villeneuve-lès-Béziers a décidé que la commune ne devait plus exécuter la convention de 1986 à compter du 1er septembre suivant et que, par lettre du 22 mars 1996, le maire de la commune de Villeneuve-lès-Béziers a informé le maire de la COMMUNE DE BEZIERS de la résiliation de la convention ; que la COMMUNE DE BEZIERS se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 12 février 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'elle a formé contre le jugement du 25 mars 2005 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande dirigée contre cette mesure de résiliation ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 2-I de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, désormais codifiées à l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales : " Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès lors qu'il a été procédé à leur publication ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans le département " ; que l'absence de transmission de la délibération autorisant le maire à signer un contrat avant la date à laquelle le maire procède à sa signature constitue un vice affectant les conditions dans lesquelles la commune a donné son consentement ; que, toutefois, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, ce seul vice ne saurait être regardé comme d'une gravité telle que le juge doive annuler le contrat ou l'écarter pour régler un litige relatif à son exécution ;

Considérant, dès lors, qu'en jugeant que la convention conclue le 10 octobre 1986 entre les communes de Villeneuve-lès-Béziers et de Béziers devait être " déclarée nulle " au seul motif que les délibérations des 29 septembre 1986 et 3 octobre 1986 autorisant les maires de ces communes à la signer n'ont été transmises à la sous-préfecture que le 16 octobre 1986, pour en déduire que la demande dirigée contre la résiliation de cette convention était privée d'objet et rejeter son appel pour ce motif, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit ; que, par suite, la COMMUNE DE BEZIERS est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que la COMMUNE DE BEZIERS soutient que le tribunal administratif de Montpellier ne pouvait rejeter comme irrecevables ses conclusions dirigées contre la résiliation de la convention du 10 octobre 1986 au motif que les conditions dans lesquelles la résiliation d'un tel contrat intervient ne sont susceptibles d'ouvrir droit qu'à indemnité ;

Sur les voies de droit dont dispose une partie à un contrat administratif qui a fait l'objet d'une mesure de résiliation :

Considérant que le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité ; que, toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles ; qu'elle doit exercer ce recours, y compris si le contrat en cause est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de la mesure de résiliation ; que de telles conclusions peuvent être assorties d'une demande tendant, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de la résiliation, afin que les relations contractuelles soient provisoirement reprises ;

Sur l'office du juge du contrat saisi d'un recours de plein contentieux tendant à la reprise des relations contractuelles :

Considérant qu'il incombe au juge du contrat, saisi par une partie d'un recours de plein contentieux contestant la validité d'une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu'il constate que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé, de déterminer s'il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n'est pas sans objet, à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d'une date qu'il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d'ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité ; que, dans l'hypothèse où il fait droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il peut décider, si des conclusions sont formulées en ce sens, que le requérant a droit à l'indemnisation du préjudice que lui a, le cas échéant, causé la résiliation, notamment du fait de la non-exécution du contrat entre la date de sa résiliation et la date fixée pour la reprise des relations contractuelles ;

Considérant que, pour déterminer s'il y a lieu de faire droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il incombe au juge du contrat d'apprécier, eu égard à la gravité des vices constatés et, le cas échéant, à celle des manquements du requérant à ses obligations contractuelles, ainsi qu'aux motifs de la résiliation, si une telle reprise n'est pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse ;

Sur l'office du juge du contrat saisi de conclusions tendant à la suspension de l'exécution d'une mesure de résiliation :

Considérant, en premier lieu, qu'il incombe au juge des référés saisi, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de conclusions tendant à la suspension d'une mesure de résiliation, après avoir vérifié que l'exécution du contrat n'est pas devenue sans objet, de prendre en compte, pour apprécier la condition d'urgence, d'une part les atteintes graves et immédiates que la résiliation litigieuse est susceptible de porter à un intérêt public ou aux intérêts du requérant, notamment à la situation financière de ce dernier ou à l'exercice même de son activité, d'autre part l'intérêt général ou l'intérêt de tiers, notamment du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse, qui peut s'attacher à l'exécution immédiate de la mesure de résiliation ;

Considérant, en second lieu, que, pour déterminer si un moyen est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la validité de la mesure de résiliation litigieuse, il incombe au juge des référés d'apprécier si, en l'état de l'instruction, les vices invoqués paraissent d'une gravité suffisante pour conduire à la reprise des relations contractuelles et non à la seule indemnisation du préjudice résultant, pour le requérant, de la résiliation ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui vient d'être dit que c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a jugé que les conclusions de la COMMUNE DE BEZIERS dirigées contre la mesure de résiliation de la convention du 10 octobre 1986 étaient irrecevables au motif que les conditions dans lesquelles la résiliation d'un tel contrat intervient ne sont susceptibles d'ouvrir droit qu'à indemnité ;

Considérant toutefois que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le recours qu'une partie à un contrat administratif peut former devant le juge du contrat pour contester la validité d'une mesure de résiliation et demander la reprise des relations contractuelles doit être exercé par elle dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle elle a été informée de cette mesure ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la demande de la COMMUNE DE BEZIERS dirigée contre la résiliation, par la commune de Villeneuve-lès-Béziers, de la convention du 10 octobre 1986 a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Montpellier le 2 mars 2000 ; que la COMMUNE DE BEZIERS ne peut sérieusement contester avoir eu connaissance de cette mesure au plus tard par la lettre du 22 mars 1996, reçue le 25 mars suivant, par laquelle le maire de la commune de Villeneuve-lès-Béziers a informé son maire de la résiliation de la convention à compter du 1er septembre 1996 ; qu'aucun principe ni aucune disposition, notamment pas les dispositions de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, qui ne sont pas applicables à un recours de plein contentieux tendant à la reprise des relations contractuelles, n'imposent qu'une mesure de résiliation soit notifiée avec mention des voies et délais de recours ; que, dès lors, la demande présentée par la COMMUNE DE BEZIERS devant le tribunal administratif de Montpellier était tardive et, par suite, irrecevable ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la COMMUNE DE BEZIERS n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté comme irrecevables ses conclusions dirigées contre la mesure de résiliation de la convention du 10 octobre 1986 par la commune de Villeneuve-Les-Béziers ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Villeneuve-lès-Béziers qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la COMMUNE DE BEZIERS et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la COMMUNE DE BEZIERS la somme de 1 000 euros à verser à la commune de Villeneuve-lès-Béziers au même titre ;

DECIDE :
Article 1er : L'arrêt du 12 février 2007 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 2 : La requête présentée par la COMMUNE DE BEZIERS devant la cour administrative d'appel de Marseille est rejetée.
Article 3 : La COMMUNE DE BEZIERS versera la somme de 1 000 euros à la commune de Villeneuve-lès-Béziers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la COMMUNE DE BEZIERS au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE BEZIERS et à la commune de Villeneuve-lès-Béziers.
Une copie en sera adressée pour information à la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.