Feu la jurisprudence Peyrot : la fin d’une exception au critère organique des contrats administratifs (TC, 9/03/2015, Mme. Rispal)

Introduction

Depuis le début des années 2000, la France s’est engagée dans un important mouvement de privatisation de ses autoroutes. En effet, la majeure partie d’entre-elles est désormais concédée à des sociétés à capitaux privés. Cette tendance n’est pas sans conséquences juridiques, les contrats conclus par les sociétés concessionnaires d’autoroute relevant, généralement et jusqu’à très récemment, de la compétence du juge administratif. Le juge des conflits a été amené à se prononcer sur la pertinence de cette compétence pour les contrats passés entre une société concessionnaire et une autre personne privée.

En l’espèce, la société Autoroutes du Sud de la France (ASF) a conclu avec une personne privée (Mme A.), le 23 avril 1990, un contrat prévoyant la réalisation de différentes esquisses d’œuvres d’art. La sculpture retenue – si la société ASF était choisie comme concessionnaire de l'autoroute A 89 et si elle trouvait satisfaction parmi les projets présentés – devrait être implantée ensuite sur une aire de repos de cette voie autoroutière. Le décret du 7 février 1992 a désigné la société ASF comme concessionnaire de l’A 89. Le projet d’œuvres d’art est cependant abandonné par la société concessionnaire, qui en informe Mme A., par un courrier en date du 7 juin 2005. La réalisatrice des esquisses d’œuvres d’art souhaite donc demander réparation des préjudices qu’elle aurait subi, mais la Cour de cassation considère que le juge judiciaire qu’elle a saisi n’est pas compétent pour statuer sur les modalités d’exécution de ce contrat. De la même manière, la Cour administrative d’appel (CAA) de Paris relevait, dans un arrêt du 21 octobre 2014, l’incompétence du juge administratif et saisissait le tribunal des conflits.

Pour la juridiction des conflits, ce type de contrats conclus par une société concessionnaire d’autoroute, avec une personne privée, ne doit pas être regardé comme un contrat dans le cadre d’une action pour le compte de l’État. Les litiges relatifs à leur exécution relèveraient donc de la compétence du juge judiciaire. Le juge remet ainsi en cause une jurisprudence constante en la matière (I), tout en modulant l’application de ce revirement dans le temps avec une nouvelle répartition des compétences entre les juges administratif et judiciaire (II).

I - Une remise en cause de la jurisprudence Peyrot : la fin d'une exception au critère organique des contrats administratifs

Le Tribunal des conflits met fin à l’application de sa jurisprudence Peyrot qui, depuis 1963, avait reconnu la compétence du juge administratif en la matière (A), renforçant ainsi le critère organique dans l’identification du caractère administratif d’un contrat (B).

A - La compétence du juge administratif retenue dans la jurisprudence Peyrot

En effet, à travers son arrêt du 8 juillet 1963 (TC, 8 juillet 1963, Sté entreprise Peyrot, n° 01804, Lebon p. 787), le Tribunal des conflits avait reconnu le caractère administratif des marchés de travaux effectués par des sociétés concessionnaires d’autoroute (1). Pour autant, les évolutions économiques et juridiques l’ont poussé, dans l’arrêt Mme Rispal, à abandonner cette jurisprudence vieillissante qu’il était nécessaire de faire évoluer (2).

1 - Le caractère de contrat administratif dévolu aux marchés de travaux des sociétés concessionnaires d’autoroute

Le Tribunal des conflits reconnaissait ainsi que la construction des routes nationales était généralement réalisée en régie directe et que ces travaux avaient le caractère de travaux publics. Les marchés passés pour cette réalisation étaient évidemment soumis au droit public et aux règles s’y attachant. En 1963, la juridiction des conflits avait également considéré « qu’il doit en être de même pour les marchés passés par le maître de l’ouvrage pour la construction d’autoroutes (…) sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que la construction est assurée de manière normale directement par l’ État, ou à titre exceptionnel par un concessionnaire agissant en pareil cas pour le compte de l’État, que ce concessionnaire soit une personne morale de droit public, ou une société d’économie mixte, nonobstant la qualité de personne morale de droit privé d’une telle société ». Enfin, cette jurisprudence précise que « quelles que soient les modalités adoptées pour la construction d’une autoroute, les marchés passés avec les entrepreneurs par l’administration ou par son concessionnaire ont le caractère de marchés de travaux publics ». Les litiges par rapport à l’exécution de ce type de contrats relevaient donc de la juridiction administrative, faisant ainsi exception au critère organique.

Il faut bien remarquer ici que le juge des conflits met surtout en lumière l’existence d’une mission régalienne de l’État, à l’époque : la construction des infrastructures routières et autoroutières. Ce critère suffisait donc, en l’application de cette jurisprudence de longue date, à qualifier de tels marchés de contrats administratifs, sans la présence directe d’une personne publique, mais avec un concessionnaire personne privée.

2 - Une jurisprudence vieillissante : la nécessité d’une évolution du tribunal des conflits

L’application de cette jurisprudence n’a pas été sans susciter un certain nombre de questionnements et d’inquiétudes, comme le rappelle d’ailleurs largement la doctrine. Le Pr. Marguerite Canedo-Paris ne manque pas d’ailleurs de s’interroger, comme d’autres, sur le bien-fondé de cette décision et de sa persistance jusqu’en 2015 : « Pourquoi, lorsque de tels travaux sont réalisés par une société concessionnaire d'autoroute, faut-il considérer que celle-ci agit alors ‘’pour le compte de l'État’’ alors qu'il est traditionnellement enseigné que les concessionnaires agissent pour leur propre compte, à leurs ‘’risques et périls’’ ? Comment est-il possible que cette action ‘’pour le compte de l'État’’ conduise à qualifier de contrats administratifs les contrats conclus par ces sociétés concessionnaires avec des entrepreneurs pour la réalisation de ces travaux alors qu'il est acquis en doctrine que la formule ‘’pour le compte de’’ ne traduit pas ici l'existence d'un mandat ? Autant d'interrogations auxquelles il n'a pas été possible de trouver de réponse logique et satisfaisante, ce qui semblait confirmer que la jurisprudence Société Entreprise Peyrot était une ‘’anomalie juridique’’ essentiellement justifiée par la volonté de conserver dans la sphère publique certains travaux considérés à l'époque comme ‘’régaliens’’ » (Marguerite Canedo-Paris, Note ss. TC 9 mars 2015, RFDA 2015, p. 273). D’autres auteurs se félicitent également du revirement opéré par le tribunal dans l’arrêt Mme Rispal (v. Jean-Claude Ricci et Frédéric Lombard, Droit administratif des obligations. Contrats, quasi-contrats, responsabilité, Coll. LMD Sirey, Dalloz, 2018, p. 73).

La place prise par les acteurs privés en matière de construction de voirie et de gestion des autoroutes induisait un revirement nécessaire, à l’heure où l’hypothèse d’une concession d’autres voies routières est également évoquée. Ce revirement est aussi la traduction juridique des conséquences de la volonté de l’État de faire des économies, dans un environnement budgétaire désormais plus contraint, en abandonnant réellement certaines missions jugées régaliennes dans les années 1960. C’est notamment le cas de la construction et de l’entretien des voiries (transferts des routes nationales aux départements, concessions autoroutières, gestion des forfaits de stationnement dans les villes par des agents privés…) qui sont particulièrement coûteux. A travers l’arrêt Mme Rispal, le juge des conflits démontre aussi sa volonté de redonner un poids considérable au critère organique pour lequel il restreint les exceptions.

B - L'identification nouvellement privilégiée par le juge des conflits à travers le critère organique

Ce revirement jurisprudentiel apparaît donc justifié par l’absence d’un agissement de la société concessionnaire pour le compte de l’État (1) et confirme l’élan entrepris déjà en 2012 par le Tribunal des conflits (2).

1 - L’absence d’un agissement de la société concessionnaire pour le compte de l’État

Les critères pour déterminer le caractère administratif d’un contrat sont essentiellement jurisprudentiels, le juge ne se limitant pas à la qualification par les parties (v. Jean-Claude Ricci et Frédéric Lombard, Op. Cit., p. 67 et s.). Si la jurisprudence Sté entreprise Peyrot a longuement privilégié le critère matériel, c’est-à-dire l’objet même du contrat et notamment l’existence d’un intérêt général indispensable, le critère organique, soit la présence d’au moins une personne publique ou d’une personne privée représentant et agissant pour le compte d’une personne publique (TC 7 juillet 1975, Commune d’Agde), tendait à s’effacer. Ce dernier fût d’ailleurs relativement critiqué, notamment par la doctrine, de nombreuses voix appelant à l’écarter pour garantir une meilleure cohérence juridique.

À travers son arrêt Mme Rispal, le Tribunal des conflits réaffirme pourtant son attachement au critère organique. C’est ainsi qu’il précise « qu'une société concessionnaire d'autoroute qui conclut avec une autre personne privée un contrat ayant pour objet la construction, l'exploitation ou l'entretien de l'autoroute ne peut, en l'absence de conditions particulières, être regardée comme ayant agi pour le compte de l'État ». Une société concessionnaire n’étant pas une personne publique, le juge des conflits confirme que les litiges liés à l’exécution de ce contrat relèvent donc de la compétence du juge judiciaire, puisqu’il n’est pas possible de prouver qu’elle a agi pour le compte de l’État. Cette évolution, concernant les sociétés concessionnaires d’autoroute, réduit ainsi les exceptions au critère organique en matière de contrats administratifs (la jurisprudence reconnaissait ainsi un agissement pour le compte de l’État, sans que la société privée soit réellement mandataire de l’État : CE Sect. 30 mai 1975, Sté d’équipement de la région montpelliéraine, Lebon p. 326). Elle apparait comme la confirmation d’une tendance jurisprudentielle naissante.

2 - La confirmation d’une tendance jurisprudentielle naissante

En effet, le Tribunal des conflits avait déjà rendu un arrêt en 2012 (TC 9 juill. 2012, Compagnie générale des eaux c/ Ministère de l'écologie et du développement durable, n° 3834, Lebon), où il portait un premier infléchissement à la jurisprudence Peyrot, la question de l’action pour le compte de l’État apparaissant au cœur de ce premier revirement. En effet, le juge rappelait que le caractère administratif d’un contrat est pleinement reconnu dès lors qu’une des personnes privées partie au contrat agit pour le compte d’une personne publique. Dans cet arrêt de 2012, sur la construction et l’exploitation d’une station d’épuration, le juge des conflits considère que la société qui en est chargée et qui conclut des contrats avec d’autres sociétés privées, « a agi pour son propre compte et non pour celui de la personne publique ». La société concessionnaire n’agit pas comme mandataire de l’État. Le contrat est une concession et la société va exploiter l’équipement pour une durée de trente ans. C’est seulement à l’issue de cette période que la personne publique pourra prendre possession de l’ouvrage. Dans ces conditions, les contrats conclus avec deux sociétés privées, par le concessionnaire, sont des contrats de droit privé, dès lors que la société a agi pour son compte et qu’il n’est pas possible de prouver un contrôle suffisant de la part des services de l’État (CE 18 juin 1976, Dame Culard, Lebon p. 320). La compétence du juge judiciaire est donc reconnue pleinement dans cette situation. Si la jurisprudence Mme Rispal reprend ce raisonnement, ses effets sont modulés dans le temps et l’intervention du juge administratif sera maintenue pour les contrats conclus avant la publication de cet arrêt, tandis qu’une nouvelle répartition des compétences est opérée entre les juges administratif et judiciaire pour l’avenir.

II - Les suites de l'arrêt Mme. Rispal : une répartition des compétences entre juges administratif et judiciaire variable dans le temps

Le Tribunal des conflits reste prudent, maintenant une ultime compétence du juge administratif pour les contrats signés par le passé (A), reconnaissant ainsi une nouvelle répartition des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire à l’avenir (B).

A - Une ultime compétence du juge administratif pour le passé

Le Tribunal des conflits, dans notre affaire, confirme un principe reconnu par la jurisprudence (1). Cette juridiction avait d’ailleurs très largement admis, dans plusieurs décisions précédentes, cette modulation des effets dans le temps (2).

1 - La confirmation d’un principe reconnu par la jurisprudence

Déjà en 2006, la juridiction des conflits reconnaissait « que, sauf disposition législative contraire, la nature juridique d'un contrat s'apprécie à la date à laquelle il a été conclu » (TC 16 octobre 2006, Caisse centrale de réassurance c./ Mutuelle des architectes français). C’est en application de cette jurisprudence constante que le Tribunal des conflits a précisé que les contrats conclus « antérieurement par une société concessionnaire d'autoroute sous le régime des contrats administratifs demeurent », reconnaissant ainsi le caractère administratif du contrat, à la lumière de son objet, adopté au début des années 1990. Ainsi, les juridictions administratives conservent une ultime compétence, laissant les contrats les plus récents – entre une société concessionnaire d’autoroute et une personne privée – entrer dans l’office du juge judiciaire. En l’espèce, les litiges nés du contrat signé en 1990 relèvent encore du juge administratif.

Ce raisonnement apparaît comme un gage du respect dévolu au principe de sécurité juridique, déjà évoqué dans la jurisprudence Tarn-et-Garonne, (v. par exemple, concernant la sécurité juridique : A.-L. Valembois, La constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français, LGDJ, 2005 ; CE 24 mars 2006, Sté KPMG ; CE, ass., 04/04/2014, Département de Tarn-et-Garonne) et c’est aussi ce qui explique qu’il soit affirmé dans une conception très large en matière de contrats administratifs.

2 - Un principe très large en droit des contrats administratifs

Il faut dire que, dans sa jurisprudence, le Tribunal des conflits reconnaît très largement ce principe de qualification et d’effets à la date à laquelle le contrat a été conclu. En effet, il va même plus loin, quelques mois plus tard, en reconnaissant l’application de ce principe et ce même si la situation des personnes contractantes a changé. Ainsi, il va jusqu’à ignorer la modification du statut de la personne publique, partie au contrat, qui se serait transformée en personne privée. Cela ne modifie pas, selon cette juridiction, la nature du contrat puisque l’un des signataires avait le statut de personne publique au moment de la conclusion. Il précise, par exemple, que le contrat sur la construction d’une infrastructure gazière, conclu au printemps 2004, est un contrat administratif au moment de sa conclusion et que « ni la modification du statut de Gaz de France, devenu société anonyme en application de l'article 24 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004, ni la cession du contrat à la société Fosmax A...avec effet rétroactif au jour de sa conclusion n'ont eu pour effet d'en modifier la nature juridique » (TC 11 avril 2016, Sté Fosmax Lng).

Le Tribunal des conflits n’a fait donc, par la suite, que renforcer sa décision Mme Rispal, en ce qui concerne l’appréciation de la nature juridique du contrat. Il vient redéfinir la compétence des juges administratif et judiciaires pour l’avenir.

B - Une compétence des juges administratif et judiciaire redéfinie pour l'avenir

La compétence du juge administratif est confirmée s’agissant de certaines exceptions au critère organique (1), mais la place du juge judiciaire est réaffirmée à l’avenir pour la quasi-totalité des contrats signés par une société concessionnaire d’autoroute (2).

1 - Un caractère administratif persistant pour certaines exceptions au critère organique

Pour les contrats passés entre une société concessionnaire d’autoroute et une personne privée, le juge administratif conserve une ultime compétence dès lors qu’ils ont été conclus avant cette jurisprudence Mme Rispal. Évidemment, les juridictions administratives restent aussi compétentes pour l’ensemble des contrats qualifiés de contrats administratifs sur le fondement de l’application des critères traditionnels en la matière. Enfin, si les contrats conclus entre deux personnes privées ne peuvent, en général, plus être qualifiés de contrats administratifs, le juge des conflits laisse tout de même une brèche ouverte : celle de l’existence de « conditions particulières », sans plus de précision. La doctrine y voit la persistance de plusieurs exceptions au critère organique : notamment les cas des contrats passés par le mandataire personne privée représentant une personne publique, ou encore des contrats qui seraient de simples accessoires à un contrat administratif. Dans le premier cas, l’action du mandataire, représentant ainsi la collectivité, est différente de l’agissement « pour le compte de l’État » de la jurisprudence Entreprise Peyrot et Mme. Rispal. En effet, dans cette décision, le concessionnaire n’était pas vu comme un mandataire direct de l’État.

Enfin, ce raisonnement nouveau adopté par le Tribunal des conflits a également fait disparaître des Grands arrêts de la jurisprudence administrative (dès la 20ème Edition : v. GAJA, 20ème Ed., Dalloz, p. 936), la décision Société Entreprise Peyrot de 1963 devenue obsolète, sauf pour les contrats ayant été conclus avant le 9 mars 2015.

2 - Une place réaffirmée pour le juge judiciaire à l’avenir

Le raisonnement du Tribunal des conflits, dans l’affaire Mme Rispal, est également repris directement par le Conseil d’État qui considère qu’un contrat entre deux personnes privées ne peut être qualifié de contrat administratif, même s’il porte sur le litige né d’un marché pour la réfection de voies autoroutières concédées. Cependant, le marché ayant été conclu avant le revirement de jurisprudence du tribunal des conflits, la compétence du juge administratif est confirmée par la Haute-juridiction dans le cas d’espèce, mais le juge judicaire sera compétent à l’avenir pour ce type de contrats (CE Sect., 17 juin 2015, Sté des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, n° 383203).

De plus, même si elle n’est pas une application directe de Mme Rispal, une autre décision du Tribunal des conflits – prise le même jour – fait écho à la place du juge judiciaire et à ce débat autour de l’action « pour le compte de l’État ». C’est ainsi que le Tribunal des conflits a reconnu la compétence, immédiate contrairement à Mme Rispal, des juridictions judiciaires pour les contrats passés entre une société concessionnaire et une société de dépannage. Il précise donc que « que la société ASF, personne privée à qui l'État a concédé l'exploitation d'une autoroute, ne peut être regardée comme agissant pour le compte de celui-ci quand elle conclut avec d'autres personnes privées des contrats portant sur le dépannage des véhicules » (TC 9 mars 2015, n° 3992, Société Autoroutes du sud de la France c/ Société Garage des pins, RFDA 2015, p. 270). Cette jurisprudence traditionnelle et les restrictions portées aux exceptions au critère organique, met évidemment en lumière la compétence du juge judiciaire.

TC, 9/03/2015, Mme. Rispal

Vu, enregistrée à son secrétariat le 23 octobre 2014, l'expédition de l'arrêt du 21 octobre 2014 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, saisie d'une demande de Mme A... tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris du 23 janvier 2013 ayant rejeté sa demande formée contre la société des Autoroutes du Sud de la France (ASF) en réparation du préjudice résultant de la résiliation de la convention du 23 avril 1990, a renvoyé au Tribunal, en application de l'article 34 du décret du 26 octobre 1849 modifié, le soin de décider sur la question de la compétence ;

Vu l'arrêt du 17 février 2010 par lequel la Cour de cassation a décliné la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ;

Vu, enregistré le 27 novembre 2014, le mémoire présenté par Mme A...tendant à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire par le motif que le contrat, conclu entre deux personnes privées, ne porte pas sur un objet nécessaire pour la construction de l'autoroute ou constituant un simple accessoire à sa réalisation et que la société ASF n'a pas agi en qualité de mandataire de l'Etat ;

Vu, enregistré le 14 janvier 2015, le mémoire présenté par la société ASF tendant à la compétence des juridictions de l'ordre administratif et à l'allocation de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 par le motif que les contrats conclus par un concessionnaire d'autoroute en vue de la réalisation des ouvrages autoroutiers et de leurs accessoires relèvent du juge administratif ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie qui n'a pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Yves Maunand, membre du Tribunal,
- les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin pour la société Autoroutes du Sud de la France,
- les observations de Me B...pour MmeA...,
- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, dans le cadre des obligations faites aux sociétés concessionnaires d'autoroutes de consacrer une part du montant des travaux de construction d'une liaison autoroutière à des oeuvres d'art, la société ASF a conclu le 23 avril 1990 avec Mme A...une convention lui confiant, moyennant une rémunération forfaitaire, la mission d'établir une série de trois esquisses devant permettre à la société de choisir l'oeuvre à créer, puis la réalisation d'une maquette d'une sculpture monumentale que la société envisageait d'implanter sur une aire de service située sur le futur tracé de l'autoroute A 89 ; que la convention stipulait que la sculpture définitive ne pourrait être réalisée que si la société ASF était choisie comme concessionnaire de l'autoroute A 89 et si l'une des trois esquisses présentées était retenue par elle ; que la désignation de la société ASF en qualité de concessionnaire de l'autoroute A 89 a été approuvée par décret du 7 février 1992 ; qu'après l'achèvement des travaux de construction des ouvrages autoroutiers, la société ASF a informé MmeA..., par courrier du 7 juin 2005, de sa décision d'abandonner définitivement le projet ; que, par arrêt du 17 février 2010, la Cour de cassation a décliné la compétence du juge judiciaire saisi par Mme A... d'une demande d'indemnisation des préjudices qu'elle aurait subis du fait de la résiliation du contrat qu'elle allègue ; que, par arrêt du 21 octobre 2014, la cour administrative d'appel de Paris, estimant que le litige relevait de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire, a saisi le Tribunal des conflits en application de l'article 34 du décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Considérant qu'une société concessionnaire d'autoroute qui conclut avec une autre personne privée un contrat ayant pour objet la construction, l'exploitation ou l'entretien de l'autoroute ne peut, en l'absence de conditions particulières, être regardée comme ayant agi pour le compte de l'Etat ; que les litiges nés de l'exécution de ce contrat ressortissent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire ; 

Considérant, toutefois, que la nature juridique d'un contrat s'appréciant à la date à laquelle il a été conclu, ceux qui l'ont été antérieurement par une société concessionnaire d'autoroute sous le régime des contrats administratifs demeurent... ; 

Considérant que Mme A...poursuit la réparation des préjudices qu'elle aurait subis à la suite de la résiliation de la convention qui l'aurait liée à la société ASF et qui aurait porté sur l'implantation sur une aire de repos d'une oeuvre monumentale à la réalisation de laquelle la société concessionnaire était tenue de consacrer une part du coût des travaux, et qui présentait un lien direct avec la construction de l'autoroute ; que le litige ressortit dès lors à la compétence de la juridiction administrative ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société ASF au titre des dispositions de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 ; 

DECIDE :
Article 1er : La juridiction de l'ordre administratif est compétente pour connaître du litige opposant Mme A...à la société des Autoroutes du Sud de la France.
Article 2 : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 21 octobre 2014 est déclaré nul et non avenu. La cause et les parties sont renvoyées devant cette cour.
Article 3 : Les conclusions de la société ASF présentées sur le fondement de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à MmeA..., à la société des Autoroutes du Sud de la France et au garde des sceaux, ministre de la justice.