Introduction
Si l’histoire du droit administratif est celle de la soumission croissante de l’administration au droit, il demeure, encore aujourd’hui, des actes que le juge administratif s’abstient de contrôler. Il en va, ainsi, des actes de Gouvernement parce qu’ils traduisent plus l’exercice de la fonction gouvernementale que celui de la fonction administrative. C’est aussi le cas des mesures d’ordre intérieur (MOI) dont l’objet est d’assurer un certain ordre au sein des services publics, mais qui sont de trop faible importance pour pouvoir faire l’objet d’un recours. Cette situation peut, cependant, heurter quand la mesure a, en fait, des effets non négligeables. Aussi, le Conseil d’Etat a entrepris, au tournant des années 1990, un vaste mouvement de restriction du champ des MOI. L’arrêt Hardouin en constitue l’une des étapes.
Dans cette affaire, M. Hardouin, maître timonier, est retourné, le 08/11/1985 vers 0 h 45, sur son unité navale d’affectation en état d’ébriété et a refusé de se soumettre à l’épreuve d’alcootest. Une punition de 10 jours d’arrêt lui a été infligée le 08/11/1985 par le commandant de son unité. L’intéressé a, alors, exercé un recours hiérarchique devant le ministre de la défense qui l’a rejeté le 14/03/1986. M. Hardouin a donc saisi le Tribunal administratif de Rennes afin de faire annuler ces deux décisions. Les juges de Rennes ont rejeté cette requête le 06/04/1989 au motif que cette sanction constitue une mesure d’ordre intérieur. Le militaire a, alors, saisi le Conseil d’Etat qui a, le 17/02/1995, par un arrêt d’assemblée, également rejeté le recours, mais après l’avoir examiné au fond.
Si les deux recours connaissent la même issue, les motivations des juges de première instance et du Conseil d’Etat ne sont pas les mêmes. Alors que les premiers considéraient que la sanction infligée à M. Hardouin constitue, conformément à la jurisprudence traditionnelle, une MOI, le second la regarde, désormais, comme une mesure faisant grief. En d’autres termes, elle n’est plus qualifiée de mesure d’ordre intérieur et peut, par suite, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Cette solution n’est rendue possible que par une nouvelle approche de la catégorie des MOI, fondée sur une meilleure prise en compte de leurs effets. Cette décision marque le début d’un vaste de mouvement de rétrécissement de la catégorie des mesures d’ordre intérieur, dont bénéficiera le même jour le milieu carcéral. Un mouvement qui permettra un renforcement de l’Etat de droit, puisque ces mesures, ainsi déqualifiées de MOI, peuvent, désormais, faire l’objet d’un contrôle de légalité. C’est ce que fait le Conseil d’Etat en l’espèce, bien qu’il juge légales les deux décisions contestées par M. Hardouin. La requête de l’intéressé subit donc le même sort qu’en première instance, mais pour des raisons différentes : il ne s’agit plus d’un problème de recevabilité, mais de fond.
Il convient donc de démontrer, dans une première partie, que la punition infligée à M. Hardouin n’est pas une MOI (I) et d’analyser, dans une seconde partie, la légalité de cette sanction (II).
I – La punition de M. Hardouin n'est pas une MOI
Le Conseil d’Etat décide, en l’espèce, que la sanction infligée à M. Hardouin n’est pas une MOI. Cette solution, qui rompt avec la jurisprudence traditionnelle, apparait comme le résultat d’un changement de perspective du juge administratif (A) et se fonde sur les effets concrets de la mesure à l’égard de l’intéressé (B).
A – Une solution fruit d'un nouveau regard porté sur les MOI
Les mesures d’ordre intérieur correspondent à toutes les mesures dont la finalité est d’assurer un certain ordre au sein du service public : il s’agit, à travers, elles, de règlementer l’organisation et le fonctionnement interne de ces services. A l’inverse des circulaires et des directives – lignes directrices, les MOI sont de véritables décisions. Elles se distinguent, toutefois, des actes administratifs unilatéraux « ordinaires » par leur faible influence sur la situation juridique de leurs destinataires. C’est, en grande partie, pour cette raison que le juge administratif n’admet pas que puisse être exercé contre elles un recours pour excès de pouvoir ou une action en responsabilité. Cette explication est souvent résumée par l’invocation de l’adage de minimis non curat praetor, qui signifie que le juge ne s’occupe pas de ce qui est d’importance minime. Leur immunité juridictionnelle tiendrait, ainsi, à la volonté du juge administratif de ne pas voir son prétoire encombré d’affaires sans réelle importance. Une autre explication est parfois, invoquée : il s’agirait de laisser une certaine marge de manœuvre à l’autorité administrative dans l’organisation interne des services publics.
Ainsi définies, l’existence des MOI apparaît peu critiquable. Un examen attentif de la jurisprudence administrative devait, cependant, révéler que de nombreuses décisions regardées comme des MOI par le juge avaient, en réalité, des effets notables sur leurs destinataires. Tel était le cas, en particulier, dans les domaines scolaire, militaire et pénitentiaire où, du fait du rôle majeur que la fonction d’ordre y occupe, ces mesures trouvaient un terrain d’élection particulièrement propice. Cette situation faisait l’objet de vives critiques de la part de la doctrine. Des critiques que reprend à son compte le commissaire du Gouvernement Patrick Frydman dans ses conclusions sous les arrêts Hardouin et Marie.
Pour M. Frydman, le refus traditionnel de soumettre au contrôle juridictionnel les sanctions disciplinaires prises à l’encontre des militaires et des détenus constitue, ainsi, une manifestation d’archaïsme « difficilement compatible avec les principes de l’Etat de droit tel qu’il est aujourd’hui entendu ». D’autant plus que, comme le souligne l’intéressé, certaines de ces mesures ont, en réalité, des effets de droit et de faits significatifs sur ceux-ci. L’analyse de la position française au regard du droit international est toute aussi critiquable pour le commissaire du Gouvernement : d’une part, la jurisprudence classique du Conseil d’Etat apparaît peu compatible avec les engagements internationaux souscrits par France, et, notamment, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et, d’autre part, la plupart des pays comparables à la France ont entrepris d’entendre la recevabilité des recours dirigés contre de telles sanctions. Enfin, M. Frydman conclut en indiquant que les milieux militaire et pénitentiaire tendent depuis quelques années à mieux reconnaître les droits de l’individu et à s’ouvrir sur un contrôle extérieur. Dès lors, l’évolution défendue ne ferait qu’accompagner un mouvement plus général.
Ces principes avaient déjà été appliqués par le Conseil d’Etat au milieu scolaire. En effet, alors que le règlement intérieur d’un lycée interdisant le port d’un insigne était, par le passé, considéré comme une MOI (CE, sect., 21/10/1938, Lote), le Conseil d’Etat changea radicalement de perspective au tournant de l’année 1990 en acceptant de contrôler le règlement intérieur d’un collège relatif au port de signes religieux du fait de ses incidences sur la liberté religieuse (CE, 21/11/1992, Kherouaa). L’armée (ainsi que les prisons) restait, cependant, à l’écart de ce mouvement. Une situation à laquelle met fin l’arrêt Hardouin.
B – Une solution justifiée par les effets de la mesure
Les punitions prises à l’encontre des militaires étaient, jusqu’à présent, considérées comme des MOI (CE, sect, 11/07/1947, Dewavrin). L’arrêt Hardouin vient mettre un terme à cette jurisprudence. Dans cette affaire, le Conseil d’Etat considère que la punition des arrêts infligée à l’intéressé constitue une mesure faisant grief : en d’autres termes, cette mesure n’est plus regardée comme une mesure d’ordre intérieur et est, par voie de conséquence, susceptible d’être déférée au juge pour contrôle. La Haute juridiction utilise deux critères pour justifier cette solution. Le premier est lié aux effets de la mesure sur la liberté d’aller et venir de M. Hardouin : ainsi, celui-ci ne peut, en dehors du service, quitter son unité ou le lieu désigné par son chef de corps ; il ne peut, non plus, prétendre au bénéfice d’une permission ; et, il peut en aller de la sorte pendant 40 jours (durée maximale du nombre de jours d’arrêt). Le second concerne les conséquences de la punition sur l’avancement ou le renouvellement des contrats d’engagement de M. Hardouin : au cas particulier, la sanction est inscrite à son dossier, ce qui est de nature à handicaper sa carrière au sein de l’institution militaire.
De cette argumentation se dégagent deux grandes catégories de sanctions qui doivent pouvoir être déférées au juge. Il s’agit, selon le commissaire du Gouvernement, des punitions qui entrainent soit « une atteinte sensible à des libertés ou droits protégés », soit « une atteinte substantielle à la situation statutaire ou administrative de l’intéressé ». Cette approche renouvelle complètement la problématique des mesures d’ordre intérieur : en effet, là où, par le passé, le juge administratif adoptait une vision d’ensemble en décidant que toute une catégorie de mesures étaient présumées être des MOI, il suit, désormais, une démarche beaucoup plus pragmatique, d’analyse, au cas par cas, des effets concrets de chaque mesure.
Le Conseil d’Etat appliquera, le même jour, cette méthode au milieu pénitentiaire. Là encore, la jurisprudence assimilait traditionnellement les sanctions prises contre les détenus à des MOI (voir notamment pour un placement en quartier de plus grande sécurité : CE, ass., 27/01/1984, Caillol). Dorénavant, la mise en cellule de punition est regardée comme une mesure faisant grief (CE, ass., 17/02/1995, Marie). Le Conseil d’Etat se fonde sur la nature et la gravité de la mesure. Si les mots de la Haute juridiction sont, ici, moins explicites, l’analyse concrète de la mesure corrobore l’approche de l’arrêt Hardouin : ainsi, le détenu doit occuper seul sa cellule, il est privé de cantine et de visite, des restrictions sont apportées à sa correspondance autre que familiale et il est possible de supprimer les réductions de peine qui lui ont été accordées. Le Conseil d’Etat poursuivra, via une jurisprudence prolifique, son effort de réduction du champ des MOI en milieu carcéral par la suite. Il franchira un pas supplémentaire en 2007 au travers de trois arrêts rendus le même jour par lesquels il tentera de fixer une grille de lecture permettant d’assurer une meilleure prévisibilité de ses solutions (CE, ass. 14/12/2007, Boussouar – Planchenault – Payet).
Les solutions rendues en matière militaire se feront, elles, plus rares. Tout au plus peut-on noter l’admission du recours pour excès de pouvoir contre un blâme (CE, 12/07/1995, Maufroy). Ce constat peut s’expliquer par le rapprochement du statut des militaires avec celui des fonctionnaires civils effectué par la loi du 24/03/2005. Cependant, compte tenu du poids de l’exigence de discipline au sein de l’armée, les mesures d’ordre intérieur semblent devoir y conserver un terrain d’élection particulièrement fertile. Reste qu’une brèche a été ouverte par l’arrêt Hardouin, une brèche qui, lorsqu’elle est empruntée, permet au juge administratif d’exercer la plénitude de son contrôle.
II – La punition de M. Hardouin est légale
Hardouin soulevait en l’espèce des moyens de légalité externe (A) et des moyens de légalité interne (B). Le Conseil d’Etat les rejette un à un.
A – Une mesure régulière sur le plan de la légalité externe
Mr. Hardouin estime que la sanction prise à son encontre est illégale au motif, d’une part, qu’il n’a pas été mis à même de s’expliquer devant son chef de corps avant son prononcé et, d’autre part, que les dispositions de la loi du 11/07/1979 sur la motivation de certains actes administratifs unilatéraux n’ont pas été respectées.
Le premier moyen touche à la procédure d’élaboration de l’acte, que l’on appelle aussi, parfois, la procédure administrative non contentieuse : à ce titre, il peut s’agir d’imposer à l’administration de respecter certains délais, de demander des avis à des organismes tiers ou bien de conférer à la prise de décision un caractère contradictoire. C’est cette troisième branche du vice de procédure qu’invoque, en l’espèce, M. Hardouin. Celui-ci reproche à l’institution militaire de ne pas avoir pu présenter ses observations avant que la sanction ne soit prise. Or, en vertu de nombreux textes (par exemple, l’article 65 de la loi de finances du 22/04/1905) ou du principe général des droits de la défense (CE, ass., 26/10/1945, Aramu), une sanction disciplinaire ne peut être prise à l’encontre d’un agent public qu’après que celui-ci ait été mise à même de présenter ses observations. Le Conseil d’Etat considère, cependant, que, conformément au décret du 28/07/1975, M. Hardouin a pu présenter sa défense préalablement à l’énoncé de la punition.
De nos jours, la question du vice de procédure est régie par la jurisprudence Danthony (CE, ass., 23/12/2011). Dans le dessein d’assurer un juste équilibre entre la garantie des droits et l’efficacité de l’action administrative, le Conseil d’Etat considère, désormais, qu’« un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie ». Le respect du contradictoire en matière disciplinaire relève de la seconde hypothèse : apprécié à l’aune de ces principes, le moyen soulevé par M. Hardouin aurait, donc, pu être, encore aujourd’hui, regardé comme opérant, bien que non fondé en fait.
Le second moyen concerne la motivation de la décision par laquelle le ministre de la défense a rejeté le recours hiérarchique de M. Hardouin contre la punition. Il s’agit, là, d’un vice de forme, c’est-à-dire d’un vice qui affecte la présentation extérieure de l’acte. Plus précisément, la motivation fait référence à l’exposé des considérations de fait et de droit qui ont justifiées la décision. Le Conseil d’Etat n’impose aucune obligation en la matière. Il n’en va différemment qu’en cas de dispositions législatives ou règlementaires contraires. Le texte le plus emblématique reste la loi du 11/07/1979. Cette dernière prévoit l’obligation de motiver, hors le cas, notamment, de mise en cause du secret de la défense nationale ou d’urgence absolue, les décisions individuelles qui dérogent aux règles générales fixées par une loi ou un règlement, ainsi que certains actes individuels défavorables à leurs destinataires dont elle dresse la liste limitative : l’on trouve, notamment, dans cette seconde catégorie, les actes restreignant l’exercice des libertés publiques ou constituant une mesure de police, les actes retirant ou abrogeant une décision créatrice de droits ou, encore, les actes infligeant une sanction. En l’espèce, l’affaire concerne une sanction. Mais, l’argument relatif à la motivation est invoqué à propos de la décision du ministre de la défense. Or, le Conseil d’Etat relève que « l’obligation de motivation des sanctions … concerne la décision infligeant la sanction et non la décision qui se borne à rejeter la réclamation contre cette sanction ». Ce second moyen de légalité externe est donc aussi rejeté.
Les arguments de légalité interne subissent le même sort.
B – Une mesure régulière sur le plan de la légalité interne
Dans cette affaire, M. Hardouin manifestait des signes d’ébriété lors de son retour le 08/11/1985 vers 0 h 45 sur son unité navale d’affectation. Il a, de surcroît, refusé de se soumettre à l’épreuve d’alcootest. Le Conseil d’Etat considère, donc, que « ces faits étaient de nature à justifier une punition disciplinaire et qu’en infligeant une punition de 10 jours d’arrêt, l’autorité militaire n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation ». Deux temps rythment le raisonnement du juge administratif : le constant d’une faute et le choix de la sanction.
S’agissant du premier point, le Conseil d’Etat opère un contrôle de la qualification juridique des faits : il vérifie que les faits imputables à M. Hardouin sont constitutifs d’une faute. Inauguré par l’arrêt Gomel (CE, 04/04/1914), ce contrôle, dit normal, consiste à déterminer si un fait donné rentre ou non dans un catégorie juridique préétablie. Il n’est possible que dans l’hypothèse où l’administration agit dans le cadre d’une compétence liée : en effet, ici, les textes ou la jurisprudence soumettent l’action de l’administration au respect de certaines conditions ; le contrôle opéré par le juge consiste, alors, à vérifier que ces conditions sont remplies. En l’espèce, l’autorité militaire agit en compétence liée dans la mesure où une sanction disciplinaire ne peut être infligée que si une faute a été commise. Aussi, le juge vérifie-t-il que les faits reprochés à M. Hardouin constituent bien une faute. Tel est le cas selon le Conseil d’Etat. Une sanction était donc possible.
La seconde question porte sur le choix de la sanction au regard de la faute commise. En la matière, le Conseil d’Etat a fait évoluer sa jurisprudence. Initialement, la Haute juridiction ne contrôlait que l’erreur manifeste d’appréciation (CE, sect., 09/06/1978, Lebon). : il s’agit d’une erreur grossière, repérable par le simple bon sens et qui entraîne une solution choquante dans l’appréciation des faits par l’autorité administrative. Dit minimum, ce contrôle s’opère lorsque l’administration agit dans le cadre d’un pouvoir discrétionnaire, c’est-à-dire lorsqu’elle est libre d’agir ou de ne pas agir et, si elle agit, de décider de la mesure à prendre. N’étant pas astreint au respect de conditions, le pouvoir de l’administration ne peut, ici, faire l’objet d’un contrôle de la qualification juridique des faits. Aussi, le juge a-t-il développé ce contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation de manière à concilier le pouvoir discrétionnaire dans la mesure où une simple erreur ne suffit pas et les droits des individus puisque l’administration sera sanctionnée si elle commet une erreur trop grave. En 2013, cependant, le Conseil d’Etat a, comme il lui arrive, parfois, de la faire, approfondi son contrôle du choix des sanctions prises à l’encontre des fonctionnaires en faisant évoluer son contrôle vers un contrôle normal (CE, ass., 13/11/2013, D.).
Lorsque l’arrêt Hardouin a été rendu, le contrôle n’était que minimum : le Conseil d’Etat constate donc, en l’espèce, l’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans le choix de la punition de 10 jours d’arrêt. Le dernier moyen invoqué par M. Hardouin est rejeté. Et, le Conseil d’Etat conclut au rejet de la requête de l’intéressé et, par voie de conséquence, à la légalité des deux mesures contestées.
CE, ass., 17/02/1995, Hardouin
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 12 juin 1989 et 6 octobre 1989 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Philippe X..., demeurant "Le Clos", Mazet par Beaufort-en-Vallée (49250) ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 6 avril 1989 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 14 mars 1986 aux termes de laquelle le ministre de la défense a rejeté son recours hiérarchique contre la punition de dix jours d'arrêt qui lui avait été infligée le 8 novembre 1985, ensemble à l'annulation de cette dernière décision ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions des 8 novembre 1985 et 14 mars 1986 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 ;
Vu le décret n° 75-675 du 28 juillet 1975 modifié par le décret n° 78-1024 du 11 juillet 1978 et n° 85-914 du 21 août 1985 ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Philippe Boucher, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, avocat de M. Philippe X...,
- les conclusions de M. Frydman, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article 30 du décret du 28 juillet 1975 modifié portant règlement de discipline générale dans les armées : "A l'exception de l'avertissement, les sanctions disciplinaires font l'objet d'une inscription motivée au dossier individuel ou au livret matricule" ; que l'article 31 du même décret, dans sa rédaction résultant du décret du 21 août 1985 dispose : "Les arrêts sanctionnent une faute grave ou très grave ou des fautes répétées de gravité moindre. Le militaire effectue son service dans les conditions normales mais il lui est interdit, en dehors du service de quitter son unité ou le lieu désigné par son chef de corps ( ...). Le nombre de jours d'arrêt susceptibles d'être infligés est de un à quarante. Pendant l'exécution de cette punition, le militaire ne peut prétendre au bénéfice d'une permission" ; que, tant par ses effets directs sur la liberté d'aller et venir du militaire, en dehors du service, que par ses conséquences sur l'avancement ou le renouvellement des contrats d'engagement, la punition des arrêts constitue une mesure faisant grief, susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir ; que M. X... est, dès lors, fondé à demander l'annulation du jugement attaqué, par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté comme non recevables ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 14 mars 1986 par laquelle le ministre de la défense a rejeté son recours contre la punition de dix jours d'arrêts qui lui a été infligée le 8 novembre 1985 par le commandant de son unité ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Rennes ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, conformément aux dispositions de l'article 33 du décret du 28 juillet 1975 modifié, M. X... a été mis à même de s'expliquer devant son chef de corps avant qu'une punition ne lui soit infligée ;
Considérant que si M. X..., se fondant sur les dispositions de la loi du 11 juillet 1979, soutient que la décision par laquelle le ministre de la défense a rejeté son recours hiérarchique contre la décision qui lui avait infligé des arrêts, est irrégulière faute d'être motivée, l'obligation de motivation des sanctions posées par cette loi concerne la décision infligeant la sanction et non la décision qui se borne à rejeter la réclamation contre cette sanction ;
Considérant qu'il est établi que, lors de son retour le 8 novembre 1985 vers 0 h 45 sur l'unité navale sur laquelle il servait, M. X..., alors maître timonnier manifestait des signes d'ébriété ; qu'il a refusé de se soumettre à l'épreuve d'alcootest ; que ces faits étaient de nature à justifier une punition disciplinaire et qu'en infligeant une punition de 10 jours d'arrêt, l'autorité militaire n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X... n'est pas fondé à soutenir que la décision du ministre de la défense, en date du 14 mars 1986, est entachée d'excès de pouvoir ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 6 avril 1989 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Rennes, ensemble le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Philippe X... et au ministre d'Etat, ministre de la défense.
