Introduction
Les mesures d’ordre intérieur (MOI) régissent, selon le Doyen Hauriou, « la vie intérieure des services » (v. notamment Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, Dalloz, 12e réédition, 2002). En effet, il s’agit de mesures adoptées par le pouvoir hiérarchique s’agissant du fonctionnement et de l’organisation interne des casernes, des prisons ou encore des établissements scolaires. En droit français, le juge administratif n’a pas à contrôler les MOI, qui s’imposent aux agents du service public et n’ont que peu de conséquences sur les administrés. Mais dans certaines situations sensibles, la Cour européenne des droits de l’Homme, de même que le juge administratif, ont fait évoluer leur jurisprudence en qualifiant certaines mesures d’actes faisant grief, alors même qu’ils les considéraient autrefois comme des MOI. Cette nouvelle qualification autorise ainsi un contrôle juridictionnel à travers le recours pour excès de pouvoir (REP) à l’encontre de tels actes lorsqu’ils sont ainsi qualifiés.
En l’espèce, deux arrêts du Conseil d’État réuni en assemblée concernent la vie carcérale et les mesures prises à l’encontre de détenus. D’une part, en 1987, un détenu conteste devant le tribunal administratif (TA) de Versailles, la sanction de mise en cellule de punition pendant huit jours avec sursis, prise par le directeur de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Une sanction infligée pour un courrier de plainte du détenu, adressé au chef du service de l’inspection, sur le fonctionnement du service médical de l’établissement. Mais dans une décision du 29 février 1988, le TA rejette ce recours pour excès de pouvoir, comme étant irrecevable. Le Conseil d’État se prononce, dans un arrêt du 17 février 1995, où il décide d’annuler la décision de rejet de la juridiction administrative, considérant la sanction comme une décision faisant grief et pouvant faire l’objet d’un REP.
D’autre part, un détenu occupant le poste d’auxiliaire de cuisine, au sein de la maison d’arrêt de Nantes, a contesté la décision de la directrice de l’établissement de le déclasser de son emploi. La direction régionale des services pénitentiaires a d’ailleurs rejeté son recours hiérarchique en date du 15 octobre 2001. Le détenu a alors introduit un recours, demandant l’annulation de la décision, qui a été rejeté par le tribunal administratif de Nantes en date du 4 août 2004. De même, la Cour administrative d’appel (CAA) de Nantes a confirmé cette décision, dans un arrêt du 29 juin 2005, arguant qu’il s’agissait d’une MOI insusceptible de recours devant le juge administratif. C’est cet arrêt que le détenu conteste devant le Conseil d’État, qui constatera l’erreur de droit de la CAA en ce qui concerne la qualification de la mesure. Dans son arrêt du 14 décembre 2007, la Haute-juridiction considère donc que la mesure est susceptible d’être contestée devant le juge, mais que cet acte faisant grief n’a pas à être annulé et apparaît justifié eu égard aux faits de l’espèce.
Ces deux arrêts d’assemblée démontrent les évolutions du juge administratif sur la question des MOI, plus particulièrement au sein des prisons. En effet, le Conseil d’État acte ainsi la quasi-disparition des MOI (I), permettant qu’un contrôle du juge administratif soit effectué sur de nombreuses mesures adoptées en milieu pénitentiaire (II).
I - Des mesures d'ordre intérieur en voie de disparition
D’une manière générale, le juge administratif va opérer un large revirement en qualifiant certaines mesures d’actes faisant grief, alors qu’il les considérait comme des MOI jusqu’alors (A). Pour autant, certaines catégories de MOI continuent à exister (B).
A – Un changement de qualification : des MOI hier, des actes faisant grief aujourd'hui
De nombreuses sanctions, notamment dans les établissements pénitentiaires, sont nouvellement qualifiées d’actes faisant grief (1), pouvant être contestés par un recours pour excès de pouvoir (2).
1 - Des sanctions qualifiées d’actes faisant grief
Dans son arrêt Marie, le Conseil d’État opère un important revirement de jurisprudence sur la question des mesures d’ordre intérieur, particulièrement au sein des prisons. En effet, jusqu’alors ce type de mesures – en l’espèce, une sanction de mise en cellule de punition durant huit jours – étaient qualifiées de MOI (il en était de même pour le placement d’un détenu dans un quartier de plus grande sécurité : CE Ass., 27 janvier 1984, Caillol, n° 31985, Lebon). Dans son arrêt du même jour (CE Ass., 17 février 1995, Hardouin), les juges du Palais-Royal ont considéré que la punition infligée à un militaire est un acte faisant grief au regard de ses conséquences à la fois sur la liberté d’aller et de venir, mais aussi sur l’évolution de carrière. C’est un raisonnement semblable qui conduit la Haute-juridiction à considérer qu’eu « égard à la nature et à la gravité de cette mesure, la punition de cellule constitue une décision faisant grief ». De même, en 2007, le Conseil d’État confirmera ce point dans l’arrêt Planchenault, où il précise qu’eu « égard à sa nature et à l’importance de ses effets sur la situation des détenus, une décision de déclassement d’emploi constitue un acte administratif » faisant grief.
Il faut dire que cette notion « d’actes faisant grief » est appliquée de manière très large, puisque de nombreuses décisions jurisprudentielles s’y affaireront. Sont qualifiés comme tels, un changement d’affectation d’une maison centrale à une maison d’arrêt (CE Ass., 14 décembre 2007, Garde des sceaux c/ Boussouar, Lebon), le placement du détenu sous le régime des rotations de sécurité (CE, Ass., 14 décembre 2007, Payet, Lebon), les décisions relatives aux visites des détenus (CE, 26 novembre 2010, Garde des sceaux c/ Bompard), les mises à l’isolement (CE, 30 juillet 2003, Garde des sceaux c/ Remli, Lebon ; CE, 17 décembre 2008, Section française de l’Observatoire international des prisons) etc. Cette qualification permettra que ces sanctions ou décisions soient contestées devant le juge administratif par un recours pour excès de pouvoir (REP).
2 - L’accès au recours pour excès de pouvoir à l’encontre de ces actes
La qualification des décisions et sanctions précédemment évoquées en actes faisant grief permet d’ouvrir l’accès au REP pour les détenus. En effet, lorsque ces sanctions étaient qualifiées de mesures d’ordre intérieur elles bénéficiaient d’une « immunité juridictionnelle ». En ce sens, on les rapproche très souvent de la théorie des actes de gouvernement (v. à ce sujet : CE 19 février 1985, Prince Napoléon) qui font également l’objet d’une telle immunité, c’est-à-dire qu’ils demeurent insusceptibles de recours.
Dans l’arrêt Marie, le Conseil d’État reconnaît ainsi que la sanction est « une décision (…) susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir ». De même, dans l’arrêt Planchenault, le juge, qui considère que le juge d’appel a commis une erreur de droit en qualifiant le déclassement d’emploi en MOI, précise que cette décision constitue « un acte (…) susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ».
Ce recours pour excès de pouvoir est ouvert, au-delà des sanctions adoptées au sein des établissements pénitentiaires, d’une manière bien plus large. Ainsi, le règlement intérieur d’un établissement scolaire, dans une affaire concernant le port du voile islamique, n’est plus considéré par la jurisprudence comme une MOI (CE, 2 novembre 1992, Kherouaa). Il en va de même pour les règlements régissant le fonctionnement d’une assemblée locale, telle qu’un conseil municipal (CE, 10 février 1995, Richl). Enfin, il en est de même pour les punitions infligées aux militaires au sein des casernes dès lors qu’elles ont des conséquences importantes (CE Ass., 17 février 1995, Hardouin). Ainsi, tous ces actes sont susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir et donc d’un contrôle du juge administratif. Pour autant, certaines mesures continuent à être qualifiées de MOI.
B - La persistance in concreto de certaines catégories de MOI
Effectivement, certaines mesures continuent à être considérées comme des MOI ne pouvant être contestées devant le juge de l’excès de pouvoir, tant au sein des établissements pénitentiaires (1), que d’une manière plus générale, dès lors qu’’elles n’emportent pas de conséquences trop graves sur les droits et libertés (2).
1 - Les MOI au sein des établissements pénitentiaires
Au sein des établissements pénitentiaires, certaines décisions ou sanctions sont toujours considérées comme des mesures d’ordre intérieur insusceptibles de faire l’objet d’un REP. Pour le juge administratif, c’est notamment le cas, dans l’arrêt Planchenault, « des refus opposés à une demande d’emploi (…) sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus ». Dans un autre arrêt, le Conseil d’État considère que « la décision par laquelle le directeur de la maison d'arrêt (…) a refusé d'acheminer un courrier adressé (…) à un autre détenu (…) présente, quel que soit le contenu de cette correspondance, le caractère d'une mesure d'ordre intérieur ; qu'ainsi, elle ne peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir » (CE, 8 décembre 2000, Frérot, n° 162995, Lebon). De même, les décisions de changement d’affectation entre établissements de même nature seront considérées comme de simples MOI (CE Ass., 14 décembre 2007, Garde des sceaux c/ Boussouar, Lebon).
Pour autant, le juge administratif va démontrer son intention de qualifier in concreto les mesures de MOI ou d’actes faisant grief, en prenant notamment en compte les atteintes aux droits fondamentaux et aux libertés des détenus (CE, 9 avril 2008, Rogier, Lebon). Il en sera de même, ailleurs qu’en prison, où certaines sanctions sont considérées par la jurisprudence comme des mesures d’ordre intérieur.
2 - D’autres sanctions sans conséquence sur les droits et libertés
Les exemples de décisions ou sanctions persistants à être qualifiées de MOI, dans de nombreux domaines, sont multiples.
Dans le domaine de l’éducation, l’affectation d’un étudiant à un groupe de travaux dirigés ou à une classe en particulier, reste une mesure d’ordre intérieur qui n’est pas susceptible de recours. La jurisprudence sur cette question est amenée à persister (CE, 11 janvier 1967, Bricq). Aussi, une « mesure de changement d'affectation (…) prise pour tenir compte de l'état de santé » d’un agent public, dès lors qu’elle n’a pas d’incidences pécuniaires négatives, qu’elle ne constitue pas une sanction déguisée et qu’elle ne traduit pas l’existence d’une discrimination, est considérée comme une MOI insusceptible de recours (CE, 7 décembre 2018, Conseil régional Nord-Pas-de-Calais, n° 401812).
D’une manière très générale, on peut dire que seules les décisions qui n’emportent pas des conséquences trop graves sur les droits et libertés des détenus, des étudiants, des militaires, des agents publics etc., sont encore qualifiées de MOI.
II - Un contrôle renouvelé du juge administratif sur les mesures prises en milieu carcéral
Ce contrôle du juge administratif, engendré par la qualification des mesures en actes faisant grief, traduit la nécessité démocratique d’un accès au juge de l’excès de pouvoir à l’encontre des mesures prises en milieu carcéral (A). Dans ce cadre, le juge de l’excès de pouvoir effectue un véritable contrôle de légalité sur les mesures prises auquel il faut s’intéresser (B).
A - La nécessité d'un accès au juge de l'excès de pouvoir
Ces qualifications d’actes faisant grief, plus nombreuses dans la jurisprudence, ont permis une nouvelle mise en lumière de l’accès au juge comme nécessité au sein d’un État démocratique. Ainsi, dans le milieu carcéral, les sanctions ou décisions de l’administration sont qualifiées comme telles et peuvent faire l’objet d’un REP en raison des conséquences graves qu’elles emportent sur la vie des détenus (1). Cet infléchissement du juge administratif suit d’ailleurs le chemin tracé par le juge de la Cour européenne des droits de l’Homme, en la matière (2).
1 - Une nécessité démocratique en raison des conséquences sur les détenus
Dans de nombreux arrêts sur les actes faisant grief, au sein d’établissements pénitentiaires, il apparaît nécessaire d’assurer un contrôle du juge administratif, en raison des conséquences importantes des mesures sur la vie des détenus, leurs droits, leurs libertés et le déroulement de cette détention. Le commissaire du gouvernement, Patrick Frydman, fait d’ailleurs part de ces points, au sein de ses conclusions, dans l’affaire Marie.
Dans l’arrêt Marie, « la nature et (…) la gravité » de la mesure de mise en cellule de punition, se déduit des conséquences qu’elle emporte. En effet, dans le cadre de cette sanction, le Code de procédure pénale (CPP) précise que « la mise en cellule de punition entraine pendant toute sa durée, la privation de cantine et des visites. Elle comporte aussi des restrictions à la correspondance autre que familiale » (CPP, art. D. 169).
De même, dans l’arrêt Planchenault, le juge administratif considère que le déclassement du détenu dans son emploi a aussi des conséquences graves. Il précise ainsi « que le travail auquel les détenus peuvent prétendre constitue pour eux non seulement une source de revenus mais encore un mode de meilleure insertion dans la vie collective de l’établissement, tout en leur permettant de faire valoir des capacités de réinsertion ». Il est donc nécessaire de permettre l’accès au REP à l’encontre d’une telle mesure, « eu égard à sa nature et à l’importance de ses effets sur la situation des détenus ».
Considérant que ces mesures ont des effets considérables sur les conditions de détention des détenus, le juge administratif se place dans les pas du juge de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), particulièrement attentif à cette problématique et à la nécessité de permettre l’accès au REP à l’encontre de tels actes.
2 - Le juge français dans les pas des juges de la CEDH
Si les actes de gouvernement et les MOI échappent à l’exigence d’un accès au recours, le juge administratif a suivi le juge de la CEDH. En effet, le juge de Strasbourg est particulièrement attentif au droit au procès équitable garanti par l’article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés (CESDH).
Aussi, l’article 13 de cette même convention, sur le droit au recours effectif, est particulièrement intéressant quant à la distinction entre MOI et actes faisant grief. Il précise ainsi que « toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ».
La question des droits des détenus a pris une importance considérable dans la jurisprudence des juges de la Cour européenne des droits de l’Homme (v. notamment sur cette question : Béatrice BELDA, Les droits de l’homme des personnes privées de libertés. Contribution à l’étude du pouvoir normatif de la Cour européenne des droits de l’homme, Thèse Université de Montpellier, 2017). Quelques décisions importantes sont à retenir en la matière, notamment l’affaire Golder c/ Royaume-Uni (CEDH, 21 février 1975, Golder c./ R-U), mais aussi l’affaire Campbell et Fell c/ Royaume-Uni (CEDH, 28 juin 1984, Campbell et Fell c./ R-U). La Cour apparaît ici particulièrement précurseur dans la garantie de l’accès au juge en milieu pénitentiaire (v. Mattias GUYOMAR, Obs. sous arrêt Planchenault, RFDA 2008, p. 87). De même, le juge français a suivi l’évolution jurisprudentielle de nombreux pays européens, permettant ainsi un contrôle complet sur les mesures adoptées à l’encontre des détenus.
B - L'étendue du contrôle de légalité du juge sur les mesures adoptées
Cette évolution jurisprudentielle, entrainant enfin un accès au juge administratif, permet un contrôle de légalité, à la fois sur des décisions au caractère individuel, comme en l’espèce (1), mais aussi sur des actes réglementaires (2).
1 - Marie et Planchenault : le contrôle du juge sur les décisions individuelles
Dans ces deux arrêts, le Conseil d’État juge qu’il s’agit d’actes faisant grief qui doivent donc pouvoir faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Il en profite, pour juger les deux affaires au fond et donc pour se prononcer sur la légalité ou encore la justification de ces décisions individuelles.
En effet, le juge administratif considère dans l’arrêt Marie, que le directeur de la maison d’arrêt a pris une sanction injustifiée. Selon la Haute-juridiction, la lettre de plainte, qui lui était adressée et qui a entrainé la sanction de mise en cellule de punition, ne comportait pas d’outrages, de menaces ou d’insultes justifiant une telle sanction. Dans l’affaire Planchenault, le Conseil d’État confirme la décision de déclassement du détenu dans son emploi, en la justifiant par la procédure mise en œuvre au préalable (entretien préalable, observations écrites du détenu…) et par l’intérêt du service (mauvaise volonté du détenu dans l’accomplissement de ses missions, climat conflictuel…).
De même, la jurisprudence française, toujours dans les pas de la CEDH, a évolué vers un contrôle normal afin d’étudier si la mesure adoptée est proportionnée au comportement du détenu et à la gravité des faits retenus (v. notamment : CE 1er juin 2015, Boromée, n° 380449). Au-delà du REP, la voie du référé-liberté peut aussi être utilisée dans une situation urgente. Révolu le temps où de telles mesures ne pouvaient même pas faire l’objet d’un recours et cette évolution ne s’arrête pas aux décisions individuelles. Le juge administratif est également amené à contrôler des mesures réglementaires et plus générales.
2 - Un contrôle étendu aux mesures réglementaires
Des mesures à caractère réglementaire, qui ont une influence prononcée sur la vie des détenus au sein des établissements pénitentiaires, sont désormais également contrôlées par le juge administratif. Elles ont une portée plus générale et ne vise pas un individu en particulier.
Le juge a été ainsi amené à contrôler plusieurs mesures réglementaires sur la communication entre les détenus et un avocat (CE 24 octobre 2014, Stojanovic), la rémunération des détenus (CE 12 mars 2014, Vincent, Lebon) ou encore sur le caractère individuel de l’encellulement au sein des maisons d’arrêt (CE 29 mars 2010, Scté française de l’observatoire international des prisons, Lebon). Là encore ces mesures touchent pleinement la vie des détenus au sein de nos prisons.
L’arrêt Marie a ainsi lancé un mouvement jurisprudentiel conséquent, en faveur de la qualification des mesures prises à l’encontre des détenus comme actes faisant grief, permettant un contrôle très large du juge administratif. Il en va de même dans d’autres domaines, comme nous l’avons rappelé, avec les contrôles opérés par le magistrat administratif sur les règlements des assemblées délibérantes de collectivités ou encore les règlements intérieurs des établissements scolaires.
CE, ass., 17/02/1995, Marie
Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mai 1988 et 10 juin 1988 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés par M. Pascal X..., demeurant ... prolongée à Tulle (19000) ; M. X... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Versailles qui, le 29 février 1988, a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 29 juin 1987 par laquelle le directeur de la maison d'arrêt des hommes de Fleury-Mérogis lui a infligé la sanction de la mise en cellule de punition pour une durée de huit jours, avec sursis, ensemble la décision implicite du directeur régional des services penitentiaires rejetant son recours contre ladite sanction ;
2°) d'annuler ces deux décisions pour excès de pouvoir ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Philippe Boucher, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Frydman, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article D. 167 du code de procédure pénale : "La punition de cellule consiste dans le placement du détenu dans une cellule aménagée à cet effet et qu'il doit occuper seul ; sa durée ne peut excéder quarante cinq jours ..." ; que l'article D. 169 du même code prévoit que "La mise en cellule de punition entraîne pendant toute sa durée, la privation de cantine et des visites. Elle comporte aussi des restrictions à la correspondance autre que familiale ..." ; qu'en vertu de l'article 721 du même code, des réductions de peine peuvent être accordées aux condamnés détenus en exécution de peines privatives de liberté "s'ils ont donné des preuves suffisantes de bonne conduite" et que les réductions ainsi octroyées peuvent être rapportées "en cas de mauvaise conduite du condamné en détention" ; que, eu égard à la nature et à la gravité de cette mesure, la punition de cellule constitue une décision faisant grief susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir ; que M. X... est, dès lors, fondé à demander l'annulation du jugement attaqué, par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté comme non recevable sa demande tendant à l'annulation de la décision du 29 juin 1987 par laquelle le directeur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis lui a infligé la sanction de mise en cellule de punition pour une durée de huit jours, avec sursis, ainsi que de la décision implicite du directeur régional des services pénitentiaires rejetant son recours hiérarchique contre cette décision ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Versailles ;
Considérant qu'aux termes de l'article D. 262 du code de procédure pénale, "Les détenus peuvent, à tout moment, adresser des lettres aux autorités administratives et judiciaires françaises ( ...) Les détenus qui mettraient à profit la faculté qui leur est ainsi accordée soit pour formuler des outrages, des menaces ou des imputations calomnieuses, soit pour multiplier des réclamations injustifiées ayant déjà fait l'objet d'une décision de rejet, encourent une sanction disciplinaire, sans préjudice de sanctions pénales éventuelles" ;
Considérant que, pour infliger à M. X... la sanction de huit jours, avec sursis, de cellule de punition, le directeur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis s'est fondé sur ce que la lettre du 4 juin 1987 adressée par ce détenu au chef du service de l'inspection générale des affaires sociales, pour se plaindre du fonctionnement du service médical de l'établissement, avait le caractère d'une réclamation injustifiée ;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et qu'il n'est du reste pas allégué, que cette réclamation, à la supposer injustifiée, ait fait suite à de précédentes plaintes ayant fait l'objet de décisions de rejet ; que si le Garde des sceaux, ministre de la justice soutient que cette réclamation comportait des imputations calomnieuses, un tel grief ne figure pas dans les motifs de la décision attaquée et qu'au surplus, si la lettre de M. X... énonce des critiques dans des termes peu mesurés, elle ne contient ni outrage, ni menace, ni imputation pouvant être qualifiés de calomnieux ; que, dès lors, en prenant la décision attaquée, le directeur de la maison d'arrêt dont la décision a été implicitement confirmée par le directeur régional des services pénitentiaires, s'est fondé sur des faits qui ne sont pas de nature à justifier une sanction ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. X... est fondé à demander l'annulation de ces décisions ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 29 février 1988 du tribunal administratif de Versailles est annulé.
Article 2 : La décision susvisée du 29 juin 1987 du directeur de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, ensemble la décision implicite du directeur régional des services pénitentiaires, sont annulées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Pascal X... et au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice.
CE, ass., 14/12/2007, Planchenault
Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 20 février et 20 juin 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Franck A, demeurant au centre de détention de Nantes, 68, boulevard Einstein à Nantes (44316) ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt en date du 29 juin 2005 de la cour administrative d'appel de Nantes par lequel celle-ci a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 4 août 2004 par lequel celui-ci a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la directrice de la maison d'arrêt de Nantes du 12 juillet 2001 le déclassant de son emploi d'auxiliaire de cuisine dans cet établissement pénitentiaire ainsi que de la décision du 15 octobre 2001 du directeur régional des services pénitentiaires rejetant son recours hiérarchique ;
2°) statuant au fond, au titre de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 4 août 2004 et d'annuler la décision de la directrice de la maison d'arrêt de Nantes du 12 juillet 2001 le déclassant de son emploi d'auxiliaire de cuisine au centre de détention ainsi que la décision du 15 octobre 2001 du directeur régional des services pénitentiaires rejetant son recours hiérarchique et d'enjoindre au directeur régional de l'administration pénitentiaire de réexaminer ses droits à rémunération et à remises de peines spéciales et de communiquer la décision à venir au magistrat chargé de l'application des peines, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 modifiée ;
Vu la loi n° 2000-231 du 12 avril 2000 modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Decout-Paolini, chargé des fonctions de Maître des Requêtes, rapporteur,
- les observations de Me Spinosi, avocat de M. A,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par une décision en date du 12 juillet 2001, confirmée sur recours hiérarchique par le directeur régional des services pénitentiaires le 15 octobre 2001, la directrice de la maison d'arrêt de Nantes a, dans l'intérêt du service, déclassé M. A, alors détenu dans cet établissement, de son emploi d'auxiliaire de cuisine au service général ;
Considérant qu'aux termes de l'article D. 99 du code de procédure pénale : Les détenus, quelle que soit leur catégorie pénale, peuvent demander qu'il leur soit proposé un travail./ L'inobservation par les détenus des ordres et instructions donnés pour l'exécution d'une tâche peut entraîner la mise à pied ou le déclassement de l'emploi ; qu'aux termes de l'article D. 100 du même code : Les dispositions nécessaires doivent être prises pour qu'un travail productif et suffisant pour occuper la durée normale d'une journée de travail soit fourni aux détenus ; qu'aux termes de l'article D. 101 : Le travail est procuré aux détenus compte tenu du régime pénitentiaire auquel ceux-ci sont soumis, des nécessités de bon fonctionnement des établissements ainsi que des possibilités locales d'emploi. Dans la mesure du possible, le travail de chaque détenu est choisi en fonction non seulement de ses capacités physiques et intellectuelles, mais encore de l'influence que ce travail peut exercer sur les perspectives de sa réinsertion. Il est aussi tenu compte de sa situation familiale et de l'existence de parties civiles à indemniser (...) ; qu'aux termes de l'article D. 102 : L'organisation, les méthodes et les rémunérations du travail doivent se rapprocher autant que possible de celles des activités professionnelles extérieures afin notamment de préparer les détenus aux conditions normales du travail libre ; qu'il résulte de ces dispositions que le travail auquel les détenus peuvent prétendre constitue pour eux non seulement une source de revenus mais encore un mode de meilleure insertion dans la vie collective de l'établissement, tout en leur permettant de faire valoir des capacités de réinsertion ;
Considérant qu'ainsi, eu égard à sa nature et à l'importance de ses effets sur la situation des détenus, une décision de déclassement d'emploi constitue un acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; qu'il en va autrement des refus opposés à une demande d'emploi ainsi que des décisions de classement, sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus ; qu'en jugeant que le déclassement de M. A, du fait des circonstances particulières dans lesquelles il était intervenu et notamment du délai dans lequel l'intéressé avait été reclassé, constituait une mesure d'ordre intérieur, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que, par suite, M. A est fondé à demander l'annulation de cet arrêt ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la mesure de déclassement d'emploi contestée est de nature à faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; que, par suite, M. A est fondé à demander l'annulation du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande comme irrecevable ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Nantes ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la décision de déclassement de M. A, précédée par un entretien au cours duquel l'intéressé a présenté ses observations écrites, mentionne l'ensemble des circonstances qui la justifient ; qu'ainsi, les moyens tirés de son insuffisante motivation et de ce que le requérant n'a pas été mis à même de présenter préalablement ses observations doivent être écartés ; qu'il ressort des pièces du dossier que les décisions attaquées n'ont pas été signées par des autorités incompétentes ;
Considérant qu'il ressort également des pièces du dossier que le comportement de M. A, affecté aux cuisines de la maison d'arrêt de Nantes, se caractérisait, deux mois après son arrivée dans ce service, par une mauvaise volonté à accomplir les tâches qui lui étaient dévolues, en particulier s'agissant de l'aide aux autres détenus, ainsi que par le climat conflictuel qu'il entretenait par ses gestes et commentaires ; qu'en décidant, pour ces raisons, dans l'intérêt du service et non pour des motifs disciplinaires, le déclassement de l'intéressé sur le fondement de l'article D. 99 précité, la directrice de la maison d'arrêt de Nantes n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ; que, par suite, M. A n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions attaquées ; que ses conclusions aux fins d'injonction et ses conclusions tendant à ce qu'il soit fait application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être également rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : L'arrêt en date du 29 juin 2005 de la cour d'appel administrative de Nantes est annulé.
Article 2 : Le jugement en date du 4 août 2004 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. A devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A devant le Conseil d'Etat est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Franck A et au garde des sceaux, ministre de la justice.
