Introduction
« On estime à plus de 10 000 le nombre de circulaires émises chaque année par les seules autorités centrales, relayées ensuite par les autorité déconcentrées », rappelle le Pr. Morand-Deviller (J. MORAND-DEVILLER, Droit administratif, 13ème Ed., L.G.D.J, 2013, p. 323). Comme l’explique également le Pr. Didier Truchet, « l’Administration n’est jamais tenue de prendre une circulaire mais en pratique, elle en prend beaucoup, au point que les services les attendent pour appliquer concrètement une loi ou un règlement nouveaux » (Didier TRUCHET, Droit administratif, 7ème Ed., PUF, 2017, p. 307).
Traditionnellement, le droit administratif français distingue deux grandes catégories de circulaires : les circulaires interprétatives, c’est-à-dire celles qui viennent préciser l’application d’une norme législative ou réglementaire préexistante, et les circulaires réglementaires, c’est-à-dire celles qui édictent des normes juridiques nouvelles. Cette distinction a révélé plusieurs difficultés, dans sa mise en œuvre par les juridictions administratives pour permettre ou non aux justiciables d’attaquer des circulaires dans le cadre d’un recours en excès de pouvoir (REP). Classiquement, les circulaires interprétatives sont insusceptibles de recours, car le juge administratif a toujours considéré qu’elles ne faisaient pas grief.
En l’espèce, Mme Duvignères a demandé au Garde des sceaux d’abroger le décret du 19 décembre 1991 et la circulaire du 26 mars 1997, les deux textes n’excluant pas l’aide personnalisée au logement (APL) des ressources prises en compte pour déterminer si un justiciable a droit ou non au bénéfice de l’aide juridictionnelle. Dans une lettre du 23 février 2001, le Ministère de la justice refuse de faire droit à cette demande. Dans une requête adressée au Conseil d’État, en date du 27 avril 2001, Mme Duvignères demande l’annulation de cette décision de refus, arguant de l’illégalité de la disposition du décret qui porterait atteinte au principe d’égalité. En effet, le décret prend en compte les APL dans les ressources, mais pas l’allocation de logement familiale. La requérante considère aussi que la circulaire en question fait grief et peut être contestée en conséquence pour ses dispositions impératives à caractère général. Les juges du Palais-Royal font alors droit à la demande de Mme Duvignères, dans l’arrêt du 18 décembre 2002.
L’arrêt de section du Conseil d’État met ainsi fin à la distinction opérée jusqu’alors par la jurisprudence sur les circulaires (I), permettant la mise en œuvre d’un contrôle renouvelé du juge administratif sur ces textes (II).
I – Vers la fin d'une distinction opérée par la jurisprudence sur les circulaires
La Haute-juridiction induit la fin de la distinction opérée de longue date, par la jurisprudence, distinguant jusqu’alors les circulaires réglementaires des circulaires interprétatives (A). Le juge administratif met ainsi en avant les défauts d’une distinction jugée discutable et devant évoluer (B).
A - Une distinction classique entre circulaires réglementaires et interprétatives
Cette distinction classique avait évidemment des conséquences sur la possibilité d’intenter un recours devant le juge de l’excès de pouvoir. Le REP n’était pas admis à l’encontre des « simples » circulaires interprétatives (1). A contrario, il demeurait possible à l’encontre des circulaires réglementaires (2).
1 - L’impossible recours à l’encontre des circulaires interprétatives
La majeure partie des circulaires semble constituée des circulaires interprétatives qui se bornent à commenter, préciser ou encore décrypter un texte législatif ou réglementaire. Ces circulaires demeurent notamment utiles à l’administration centrale qui détaille ainsi l’application des lois et décrets auprès de ses nombreux services. Leur essence même conduisait à ce qu’elles soient considérées comme des actes ne faisant pas grief, de la même manière que les mesures d’ordre intérieur (v. la jurisprudence sur les MOI et actes faisant grief, dans les prisons, les établissements scolaires ou les casernes).
Dans les années 1990, le Conseil d’État avait déjà pu considérer que la circulaire sur le port des signes religieux, que le Ministère de l’Éducation nationale avait adressé aux directions d’établissements scolaires, ne pouvait faire l’objet d’un REP. En effet, pour le juge administratif, dès lors que la circulaire « ne contient, par elle-même, aucune disposition directement opposable aux administrés (…) », elle n’est pas « susceptible d'être discutée par la voie du recours pour excès de pouvoir » (CE 10 juillet 1995, Association Un Sysiphe, n° 162718, Lebon). Il en allait ainsi de même pour bon nombre de circulaires qui se bornaient à interpréter un texte législatif ou réglementaire récemment introduit dans l’ordre juridique, tandis que le REP apparaissant uniquement possible à l’encontre des circulaires réglementaires.
2 - Le recours pour excès de pouvoir autorisé à l’encontre des circulaires réglementaires
C’est l’arrêt Institution Notre-Dame du Kreisker (CE Ass., 29 janvier 1954, Inst. Notre-Dame du Kreisker, n° 07134, Lebon) qui a consacré pleinement cette distinction classique à laquelle l’arrêt Mme Duvignères mettra fin.
En effet, dans l’arrêt Notre-Dame du Kreisker, le juge administratif a admis le recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’une circulaire au caractère qu’il a jugé réglementaire. En effet, le Conseil d’État précise ainsi « que, par la circulaire du 11 janvier 1950, qui a pour objet l'application des dispositions de l'article 69 de la loi du 15 mars 1850 en ce qui concerne les demandes de subvention adressées à des départements ou à des communes par des établissements privés d'instruction secondaire, le ministre de l'Éducation nationale ne s'est pas borné à interpréter les textes en vigueur, mais a, dans les dispositions attaquées, fixé des règles nouvelles relatives à la constitution des dossiers de ces demandes de subventions », ce qui lui confère un caractère réglementaire et permet qu’un contrôle soit opéré ici par le juge administratif. Déjà quelques années auparavant, la Haute-juridiction en avait fait de même pour la circulaire qui décidait de la suppression des services d’aumônerie dans des établissements du secondaire (CE Ass., 1er avril 1949, Cheveneau, Lebon).
Une circulaire apparaît ainsi comme ayant un caractère réglementaire dès lors qu’elle a une influence sur les justiciables en créant des règles opposables et non prévues par des textes législatifs ou réglementaires. Pour autant, cette distinction apparaissait parfois discutable et dépassée faisant écho à la nécessité d’une évolution inévitable mise en avant dans l’arrêt Mme Duvignères.
B - Le refus d'une distinction discutable et dépassée
Cette distinction retenue historiquement par le juge administratif démontre la nécessité de faire évoluer la jurisprudence. Le Conseil d’État met ainsi en avant les risques que peuvent comporter des circulaires dans leur dimension interprétative (1), tandis que plusieurs décisions démontrent que cette distinction est parfois délicate à mettre en œuvre (2).
1 - Les risques inhérents à la dimension interprétative des circulaires
Dès les années 1930, la jurisprudence Jamart (CE Sect., 7 février 1936, Jamart, n° 43321, Lebon) était venue délimiter le pouvoir réglementaire attribué aux Ministres. Pour autant, la distinction classique que nous avons évoquée comportait un risque considérable : certaines circulaires interprétatives pouvaient finalement interpréter un texte de façon discutable et ainsi démontrer qu’un Ministre s’attribue en réalité un pouvoir réglementaire allant bien au-delà des limites émises de prime abord. Elles demeuraient pourtant insusceptibles de recours, échappant ainsi au contrôle du juge de l’excès de pouvoir.
Évidemment une consonance politique peut résider dans certaines circulaires interprétatives en orientant plus ou moins précisément la manière dont doit être appliqué une loi ou un règlement. Malgré tout, la jurisprudence n’a pas souhaité durant longtemps les considérer comme des circulaires pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE 10 mai 1996, Féd. Nationale des travaux publics, Lebon).
Aussi, le risque d’une interprétation illégale ou inexacte va également révéler des difficultés d’application de la distinction classique sur les circulaires, entrainant une évolution jurisprudentielle précédant l’arrêt Mme Duvignères.
2 - La délicate mise en œuvre de la distinction jurisprudentielle classique
Au départ, la circulaire interprétative qui comportait une erreur manifeste d’interprétation ne pouvait faire l’objet d’aucun recours. Par la suite, le juge a admis des évolutions concernant ce raisonnement. Ainsi, seule l’exactitude de l’interprétation permet à la circulaire de conserver son caractère interprétatif et de ne pas pouvoir faire l’objet d’un recours (CE Sect., 20 décembre 1963, Conféd. générale des vignerons, n° 53968, Lebon). L’illégalité de la circulaire et son caractère impératif permettent que le texte puisse faire l’objet d’un REP (v. CE, 15 mai 1987, Ordre des avocats à la Cour de Paris, Lebon ; CE, 29 juin 1990, GISTI et a., Lebon). Dans cette jurisprudence, le juge procède d’abord au contrôle de légalité de l’acte juridique en question, puis en déduit ensuite la nature.
Le Conseil d’État précise aussi que « l'interprétation donnée par l'autorité administrative des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en œuvre, au moyen de dispositions impératives à caractère général, n'est susceptible d'être directement déférée au juge de l'excès de pouvoir que si et dans la mesure où ladite interprétation méconnaît le sens et la portée des prescriptions législatives ou réglementaires qu'elle se propose d'expliciter ou contrevient aux exigences inhérentes à la hiérarchie des normes juridiques » (CE 18 juin 1993, IFOP, n° 137317, 137369, 137553, Lebon).
De même, la question des circulaires interprétatives prévoyant l’application de textes illégaux a également créé un débat jurisprudentiel et doctrinal. En 1996, le Conseil d’État considère qu’une circulaire n’est pas réglementaire, ni susceptible de recours, même dans la situation où elle interprète un texte illégal (CE, 15 avril 1996, Union des industriels chimiques c/ Min. Intérieur et Min. de l’environnement, n° 136488). Le célèbre arrêt Meyet, précise de son côté, qu’est susceptible de faire l’objet d’un REP, la circulaire qui interprète mal un texte, mais aussi celle qui prescrit l’application d’un texte illégal (CE, 2 juin 1999, Meyet, n° 207752). L’arrêt Villemain (CE 28 juin 2002, Villemain, n° 220361, Lebon) est venu ensuite préciser cette question en poursuivant la jurisprudence IFOP de 1993 pour les circulaires impératives. En revanche, le juge refuse de se prononcer sur la légalité de circulaires qui seraient dénuées de caractère impératif (sur les jurisprudences IFOP et Villemain, v. : Francis DONNAT et Didier CASAS, « Les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction faisant grief », AJDA 2003, p. 487). Sans marquer une rupture trop importante avec ces dernières décisions, l’arrêt Mme Duvignères vient en nuancer certains points permettant ainsi un contrôle renouvelé du juge administratif qui ne fait plus reposer la recevabilité du recours sur les moyens présentés par les parties.
II – Un contrôle renouvelé du juge administratif sur les circulaires
Dans l’arrêt Mme Duvignères, le juge administratif a fait de l’examen du caractère impératif des circulaires un élément déterminant (A), tandis que le contrôle des circulaires est ainsi renforcé et plus avantageux (B).
A - L'examen déterminant du caractère impératif des circulaires
Lors de cet examen, le juge administratif s’attache à contrôler les effets de la circulaire pour déterminer son caractère impératif (1), tandis qu’il met en œuvre une nouvelle distinction entre les circulaires impératives et non-impératives (2).
1 - Le contrôle des effets des circulaires
Pour déterminer ce caractère impératif, nécessaire pour que la circulaire soit susceptible de faire l’objet d’un REP, le juge dans l’arrêt Mme Duvignères s’intéresse surtout aux effets de celle-ci et non plus uniquement à son objet. Par ces effets, l’ensemble de la doctrine entend évoquer les obligations qui ressortent des consignes impératives formulées au sein des circulaires.
Les circulaires impératives n’ajoutent finalement rien aux textes législatifs ou réglementaires, elles les interprètent mais leurs effets sont considérables quant à leur application par les fonctionnaires et chefs de services.
Ainsi, la circulaire du 26 mars 1997 contestée par Mme Duvignères comporte bien des dispositions impératives à caractère général qui précisent les éléments d’aide sociale qui doivent être pris en compte parmi les ressources déterminantes dans le cadre des demandes d’éligibilité à l’aide juridictionnelle. C’est une nouvelle distinction qui s’opère avec cet arrêt, mettant fin à la distinction traditionnelle entre circulaires interprétatives et réglementaires pour la possibilité de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
2 - Une nouvelle distinction entre circulaires impératives et non impératives
En effet, ce n’est plus seulement le caractère réglementaire de la circulaire qui permet aux justiciables de la contester devant le juge de l’excès de pouvoir. Dans l’arrêt Mme Duvignères, le Conseil d’État précise tout d’abord que « l'interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d'instructions l'autorité administrative donne des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en œuvre n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu'en soit le bien-fondé, faire grief ».
Il précise également qu’a contrario, « les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les abroger ». Les circulaires concernées par des dispositions impératives générales sont donc susceptibles d’être contestées devant le juge administratif, dans le cadre d’un REP, tandis que l’absence de dispositions impératives ne permet pas de considérer que le texte fait grief. Il est donc, dans ce dernier cas, insusceptible de recours. La notion d’impératif fonde évidemment la nécessité de permettre une contestation devant le juge, dans une société démocratique. Le contrôle juridictionnel sur les circulaires est donc renforcé et plus avantageux.
B - Un contrôle juridictionnel des circulaires renforcé et avantageux
Le contrôle du juge administratif, dans le cadre du REP, est désormais renforcé et plus avantageux. Il permet de mettre fin aux ambiguïtés de la jurisprudence antérieure (1), tout en mettant en place un contrôle de légalité assez large (2).
1 - La fin des ambiguïtés de la jurisprudence antérieure
Cette décision met fin à une jurisprudence incertaine, à une distinction ambiguë en ce qui concerne les circulaires et renforce le contrôle opéré par le juge de l’excès de pouvoir.
Tout d’abord, il faut rappeler que le Conseil d’État met fin aux jurisprudences Ordre des avocats (CE, 15 mai 1987, Ordre des avocats à la Cour de Paris, Lebon) et Notre Dame du Kreisker, en dissociant possibilité de contrôle du juge administratif et caractère réglementaire de la circulaire. De la même façon, avec l’arrêt Mme Duvignères, la Haute-juridiction permet de rendre une certaine logique juridique à la démarche du juge administratif. En effet, ce n’est plus l’illégalité de la circulaire qui permet de déterminer la recevabilité du recours. Désormais, sur les circulaires en question, le juge se prononce successivement sur la recevabilité du recours et ensuite sur le fond, dans le cadre d’un large contrôle de légalité.
2 - Un large contrôle de légalité
Les ambiguïtés jurisprudentielles levées, le contrôle du juge n’en fut que renforcé. Le Conseil d’État, dans l’arrêt Mme Duvignères, évoque ainsi très concrètement les différentes perspectives d’illégalités des circulaires impératives. Il précise donc que le recours formé à l’encontre des circulaires impératives « doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d'incompétence ou si, alors même qu'elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu'elles sont illégales pour d'autres motifs ; qu'il en va de même s'il est soutenu à bon droit que l'interprétation qu'elles prescrivent d'adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure ».
C’est ainsi que la Haute-juridiction considère « que (…) la circulaire contestée du 26 mars 1997 se borne à tirer les conséquences de l’article 2 du décret du 19 décembre 1991 ». Le juge administratif précise que cette dernière « réitère (…), au moyen de dispositions impératives à caractère général, la règle qu’a illégalement fixée cette disposition ». En conséquence, il annule le refus d’abroger la circulaire contestée par Mme Duvignères. Si la jurisprudence met donc en œuvre un large contrôle de légalité sur ces actes, ce qui n’était guère possible auparavant, ce dernier se limite principalement à des éléments de légalité interne lorsque la circulaire réitère une disposition illégale (CE, 2 décembre 2011, CFTC, n° 333472, Lebon).
CE, sect., 18/12/2002, Mme. Duvignères
Vu la requête, enregistrée le 27 avril 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Joëlle X, demeurant ... ; Mme X demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 23 février 2001 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de faire droit à sa demande tendant à l'abrogation, d'une part, du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique en tant que ce décret n'exclut pas l'aide personnalisée au logement des ressources à prendre en compte pour l'appréciation du droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle et, d'autre part, dans la même mesure, de la circulaire du 26 mars 1997 ;
2°) de condamner l'Etat à lui rembourser le droit de timbre, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de la construction et de l'habitation ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
Vu le décret n° 88-1111 du 12 décembre 1988 relatif à la détermination du revenu minimum d'insertion ;
Vu le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Landais, Auditeur,
- les conclusions de Mlle Fombeur, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la demande de Mme X, à laquelle la lettre du 23 février 2001 du garde des sceaux, ministre de la justice, dont l'annulation est demandée, a opposé un refus, doit être regardée, contrairement à ce qui est soutenu en défense, comme tendant à l'abrogation, d'une part, du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et, d'autre part, de la circulaire du 26 mars 1997 relative à la procédure d'aide juridictionnelle en tant que ces deux textes n'excluent pas l'aide personnalisée au logement des ressources à prendre en compte pour l'appréciation du droit des intéressés au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la lettre du 23 février 2001 en tant qu'elle porte refus d'abroger partiellement le décret du 19 décembre 1991 :
Considérant que la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique prévoit que cette dernière est accordée sous condition de ressources ; que son article 5 dispose que sont exclues de l'appréciation des ressources les prestations familiales ainsi que certaines prestations à objet spécialisé selon des modalités prévues par décret en Conseil d'Etat ; que l'article 2 du décret du 19 décembre 1991, pris sur le fondement de ces dispositions, indique que sont exclues des ressources à prendre en compte pour apprécier le droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle les prestations familiales énumérées à l'article L. 511-1 du code de la sécurité sociale ainsi que les prestations sociales à objet spécialisé énumérées à l'article 8 du décret du 12 décembre 1988 (...) ; que le premier de ces textes mentionne l'allocation de logement familiale mais non l'aide personnalisée au logement instituée par l'article L. 351-1 du code de la construction et de l'habitation ; que cette dernière prestation n'est pas non plus au nombre de celles que retient l'article 8 du décret du 12 décembre 1988 relatif à la détermination du revenu minimum d'insertion ; qu'il résulte ainsi de l'article 2 du décret du 19 décembre 1991 que l'aide personnalisée au logement doit, à la différence de l'allocation de logement familiale, être prise en compte parmi les ressources permettant d'apprécier le droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit, dans l'un comme l'autre cas, en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier ;
Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de la loi du 10 juillet 1991 que le législateur a entendu, d'une part, exclure l'allocation de logement familiale des ressources à prendre en compte pour apprécier le droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle, d'autre part, laisser au pouvoir réglementaire le soin de définir les modalités suivant lesquelles certaines prestations sociales à objet spécialisé doivent être retenues au même titre ; qu'ainsi, la possibilité de traiter de manière différente les personnes demandant le bénéfice de l'aide juridictionnelle, suivant qu'elles perçoivent l'aide personnalisée au logement ou l'allocation de logement familiale, résulte, dans son principe, de la loi ;
Considérant, toutefois, que l'aide personnalisée au logement et l'allocation de logement familiale, qui sont exclusives l'une de l'autre, poursuivent des finalités sociales similaires ; qu'en outre, l'attribution à une famille de la première ou de la seconde dépend essentiellement du régime de propriété du logement occupé et de l'existence ou non d'une convention entre le bailleur et l'Etat ; que, par suite, le décret contesté ne pouvait, sans créer une différence de traitement manifestement disproportionnée par rapport aux différences de situation séparant les demandeurs d'aide juridictionnelle suivant qu'ils sont titulaires de l'une ou de l'autre de ces prestations, inclure l'intégralité de l'aide personnalisée au logement dans les ressources à prendre en compte pour apprécier leur droit à l'aide juridictionnelle ; qu'ainsi, le décret du 19 décembre 1991 méconnaît, sur ce point, le principe d'égalité ; que, dès lors, Mme X est fondée à demander l'annulation de la décision contenue dans la lettre du 23 février 2001 par laquelle le garde des sceaux a refusé de proposer l'abrogation partielle de ce décret ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la lettre du 23 février 2001 en tant qu'elle porte refus d'abroger partiellement la circulaire du 26 mars 1997 :
Considérant que l'interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d'instructions l'autorité administrative donne des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en ouvre n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu'en soit le bien-fondé, faire grief ; qu'en revanche, les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les abroger ; que le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d'incompétence ou si, alors même qu'elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu'elles sont illégales pour d'autres motifs ; qu'il en va de même s'il est soutenu à bon droit que l'interprétation qu'elles prescrivent d'adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure ;
Considérant que si la circulaire contestée du 26 mars 1997 se borne à tirer les conséquences de l'article 2 du décret du 19 décembre 1991, elle réitère néanmoins, au moyen de dispositions impératives à caractère général, la règle qu'a illégalement fixée cette disposition ; que, par suite, Mme X est recevable et fondée à demander l'annulation de la lettre du 23 février 2001, en tant qu'elle porte refus d'abroger dans cette mesure la circulaire contestée ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions précitées et de condamner l'Etat à verser à Mme X la somme de 15 euros qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La décision du garde des sceaux, ministre de la justice, du 23 février 2001 rejetant la demande d'abrogation partielle du décret du 19 décembre 1991 et de la circulaire du 26 mars 1997 est annulée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme X la somme de 15 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme Joëlle X et au garde des sceaux, ministre de la justice.
