Introduction
« Préserver les générations futures du fléau de la guerre », telle est l’ambition proclamée par la Charte des Nations Unies dans son préambule en 1945. Huit décennies plus tard, alors que les conflits armés se multiplient et que les rivalités géopolitiques paralysent nombre d’organisations internationales, une question centrale demeure : l’ONU est-elle encore à la hauteur de sa mission fondatrice ?
L’Organisation des Nations Unies (ONU) est une organisation internationale universelle fondée en 1945 par la Charte de San Francisco. Regroupant aujourd’hui 193 États membres, elle a pour mission principale le maintien de la paix et de la sécurité internationales, aux côtés d’autres objectifs comme la promotion des droits humains, le développement ou la coopération entre nations. Cette mission de sécurité est confiée principalement au Conseil de sécurité, organe décisionnel chargé de prendre des mesures coercitives (sanctions, autorisation de l’usage de la force) ou non coercitives (médiation, prévention, diplomatie) pour réagir aux menaces à la paix. L’ONU agit aussi par le biais des opérations de maintien de la paix (OMP), déployées sur mandat du Conseil de sécurité, dans des contextes post-conflit ou de prévention de guerre civile. Le présent sujet nous amène à nous interroger sur l’ « efficacité » de l’ONU, c’est à dire sur sa capacité réelle à atteindre ses objectifs déclarés, à savoir empêcher les guerres, stabiliser les régions en crise, accompagner les transitions politiques, ou protéger les populations civiles. Il s’agit donc d’évaluer dans quelle mesure l’ONU est capable de réagir concrètement aux menaces contemporaines et si elle dispose des moyens juridiques, politiques et opérationnels pour remplir sa mission dans un monde en mutation.
L’ONU est née en 1945, dans le contexte traumatique de la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec pour ambition de remplacer la Société des Nations, créé après le premier conflit mondial mais jugée inefficace face à l’avènement des régimes totalitaires. Sa Charte affirme la volonté des États membres de préserver la paix par la coopération, la prévention des conflits et le respect du droit international. Pendant la Guerre froide, l’action du Conseil de sécurité est souvent bloquée par l’usage du veto des membres permanents, mais l’ONU développe tout de même une diplomatie préventive et déploie ses premières opérations de maintien de la paix (Suez, Congo, Chypre). Avec la fin de la bipolarité en 1991, l’ONU entre dans une période d’activisme renforcé : multiplication des missions (Namibie, Cambodge, Mozambique, ex-Yougoslavie…), développement des fonctions de médiation et d’observation électorale, élargissement de son rôle aux questions humanitaires. Cependant, les échecs retentissants au Rwanda (génocide de 1994) et en Bosnie (Srebrenica, 1995) remettent en cause sa crédibilité. Depuis les années 2000, l’ONU évolue dans un contexte de retour des rivalités géopolitiques, d’affaiblissement du multilatéralisme, de conflits asymétriques et d’ingérences multiples. Elle demeure néanmoins présente sur de nombreux théâtres d’opération, tout en faisant face à des critiques croissantes sur son impartialité, sa lenteur décisionnelle et sa dépendance aux intérêts des grandes puissances.
Dans un monde multipolaire, conflictuel et fragmenté, l’ONU est-elle encore un acteur central et crédible capable de garantir efficacement la paix et la sécurité ou est-elle devenue une institution affaiblie, paralysée et dépassée par les enjeux contemporains ?
Pour répondre à cette question, nous verrons d’abord que l’ONU joue un rôle majeur dans le maintien de la paix et demeure un acteur multilatéral incontournable (I), avant d’examiner les limites structurelles et politiques qui freinent son efficacité opérationnelle (II).
I - Le rôle central de l’ONU dans la promotion de la paix et de la sécurité internationales
Malgré les critiques récurrentes sur son efficacité, l’Organisation des Nations Unies reste un acteur incontournable du multilatéralisme et de la régulation des conflits armés. Sa structure, son mandat et sa portée universelle lui confèrent une légitimité unique pour intervenir dans les affaires internationales, avec des outils variés allant de la diplomatie à l’usage autorisé de la force (A). L’ONU mène aussi des actions concrètes sur le terrain, notamment à travers les opérations de maintien de la paix (B).
A - L’ONU : une organisation dotée de compétences uniques et d’une légitimité universelle
L’efficacité de l’ONU dans le maintien de la paix repose d’abord sur son architecture institutionnelle, qui lui confère à la fois une capacité de décision inégalée et une légitimité juridique à portée mondiale. Le Conseil de sécurité, en tant qu’organe exécutif central, dispose du pouvoir d’adopter des mesures contraignantes pour faire face aux menaces contre la paix ; cette capacité unique de décision internationale en matière de sécurité constitue un levier essentiel de l’action onusienne (1). Mais l’autorité de l’ONU s’exprime aussi à travers sa légitimité normative : en incarnant un cadre de concertation multilatéral reconnu par la quasi-totalité des États, elle favorise la prévention des conflits par la diplomatie, la médiation et le développement d’un corpus juridique international destiné à encadrer le recours à la force (2).
1 - Le Conseil de sécurité : organe décisionnel au cœur du dispositif de sécurité collective
Le Conseil de sécurité constitue l’organe central de l’ONU en matière de paix et de sécurité. Conformément à l’article 24 de la Charte, il est investi de la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Il est le seul organe ayant le pouvoir de prendre des décisions contraignantes à l’égard des États membres, conformément au chapitre VII de la Charte.
Composé de 15 membres — dont 5 permanents (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) dotés d’un droit de veto — le Conseil peut adopter une gamme variée de mesures : résolutions, sanctions économiques, embargos, création de tribunaux spéciaux, ou autorisation du recours à la force. Il est aussi le seul à pouvoir mandater des opérations de maintien de la paix. Ce pouvoir décisionnel fait du Conseil de sécurité un pivot du système de sécurité collective fondé sur le multilatéralisme. Ses résolutions constituent des instruments juridiques à portée universelle, encadrant les actions des États et légitimant les interventions internationales.
En dépit des critiques sur son fonctionnement (notamment liées au droit de veto), le Conseil conserve une autorité normative unique, qui fait de l’ONU un acteur institutionnel majeur dans la gestion des conflits internationaux, des situations de crise et de la lutte contre les menaces globales (terrorisme, prolifération, instabilité régionale…).
2 - La légitimité normative de l’ONU dans la prévention des conflits et la diplomatie multilatérale
Au-delà de son pouvoir décisionnel formel via le Conseil de sécurité, l’ONU exerce une influence majeure par sa légitimité normative, fondée sur le droit international, le dialogue multilatéral et la reconnaissance universelle de sa Charte. En tant que cadre institutionnel global, elle incarne un lieu de concertation pacifique où les États peuvent prévenir les conflits par la diplomatie, la médiation et la négociation, dans le respect des principes de la souveraineté et de l’intégrité territoriale.
Cette fonction préventive s’appuie notamment sur l’action du Secrétaire général, qui peut user de ses « bons offices » pour désamorcer les tensions. De nombreuses crises ont ainsi été évitées ou contenues grâce à des médiations onusiennes discrètes mais décisives, comme en Macédoine du Nord, au Kenya (2008), ou encore dans certains processus de désarmement ou de transition politique. L’ONU a aussi joué un rôle déterminant dans l’institutionnalisation du dialogue diplomatique, en créant des forums permanents d’échange, comme l’Assemblée générale ou le Conseil des droits de l’homme.
Par ailleurs, l’ONU participe à la production et à la diffusion du droit international, en promouvant des normes universelles sur le recours à la force, la protection des civils, le droit des réfugiés ou le désarmement. Ces normes, souvent issues de résolutions non contraignantes ou de déclarations, n’en sont pas moins structurantes. L’Organisation agit ainsi comme un gardien des principes juridiques fondamentaux, même lorsqu’elle ne peut les imposer directement.
Enfin, l’ONU constitue un espace de légitimation politique, capable de peser sur la perception internationale d’un conflit. Lorsqu’une résolution est adoptée à l’unanimité, elle crée un consensus diplomatique et moral qui renforce l’autorité de l’action internationale. Même en l’absence de mesures coercitives, la parole onusienne peut servir de référence symbolique et normative, capable d’influencer les comportements étatiques.
En somme, la légitimité de l’ONU ne tient pas seulement à sa capacité d’agir, mais à sa fonction de régulation symbolique et juridique, qui contribue à encadrer les comportements des États et à promouvoir une culture du règlement pacifique des différends.
B - Une action concrète sur le terrain par les opérations de maintien de la paix
Au-delà de son rôle institutionnel et normatif, l’ONU déploie une action directe dans les zones de conflit grâce à ses opérations de maintien de la paix, qui incarnent la dimension opérationnelle de son mandat. Ces missions, mandatées par le Conseil de sécurité et menées par des casques bleus, reposent sur des principes spécifiques qui en font des outils souples mais ambitieux pour stabiliser les situations post-conflit (1). L’évolution de leurs objectifs, de leurs méthodes et de leur présence géographique montre leur capacité d’adaptation, tandis que certaines d’entre elles, dans des contextes comme la Namibie, le Libéria ou le Mozambique, sont saluées comme de véritables succès du multilatéralisme onusien (2).
1 - Le déploiement des OMP : missions, principes et évolutions
Les opérations de maintien de la paix (OMP) constituent l’instrument emblématique de l’ONU pour intervenir concrètement sur le terrain en réponse à des conflits. Ces missions, autorisées par le Conseil de sécurité et mises en œuvre par le Département des opérations de paix, visent à stabiliser des zones de conflit, protéger les civils, soutenir les processus de paix, accompagner des transitions politiques ou encore favoriser le désarmement et la réintégration des anciens combattants.
Les OMP reposent historiquement sur trois principes fondateurs : le consentement des parties au conflit, l’impartialité des forces déployées, et le non-recours à la force, sauf en cas de légitime défense ou de protection du mandat. Ces principes ont permis à l’ONU de jouer un rôle de médiateur accepté, dans des contextes où une force armée étrangère aurait été perçue comme une intrusion.
Depuis la fin de la Guerre froide, les OMP ont connu une évolution significative. De simples forces d’interposition (comme au Liban ou à Chypre), elles sont devenues des missions multidimensionnelles intégrant des fonctions politiques, humanitaires, policières, judiciaires et administratives. Des missions comme la MONUC (puis MONUSCO) en République démocratique du Congo, la MINUSMA au Mali ou la MINUSCA en Centrafrique montrent l’élargissement des mandats, parfois jusqu’au soutien à la reconstruction étatique.
En 2024, l’ONU comptait encore plus d’une dizaine d’OMP en activité, mobilisant environ 75 000 personnels militaires, policiers et civils venus de dizaines d’États membres. Ces missions incarnent une forme de solidarité internationale et de mutualisation des ressources au service de la paix.
Toutefois, la complexification des mandats, la détérioration des environnements sécuritaires et l’augmentation des attentes à l’égard des casques bleus rendent ces missions plus sensibles aux critiques. Malgré cela, elles restent un outil unique du multilatéralisme onusien, à la fois souple, adaptable et légitimé par un mandat collectif.
2 - Des réussites significatives pour les OMP malgré des contextes complexes
Malgré les difficultés et les critiques, les opérations de maintien de la paix de l’ONU ont permis, dans de nombreux cas, d’éviter une reprise des hostilités, de stabiliser durablement des régions et de favoriser des transitions politiques pacifiques. Ces réussites montrent que, dans certains contextes, l’ONU est capable de jouer un rôle déterminant dans la reconstruction de la paix.
L’exemple de la Namibie (1989-1990) est souvent cité comme une réussite emblématique. La mission onusienne (UNTAG) y a accompagné la transition vers l’indépendance, supervisé des élections libres et assuré le retrait des troupes sud-africaines. Elle est parvenue à instaurer une paix durable dans une région longtemps marquée par la guerre civile.
De même, la mission déployée au Mozambique (ONUMOZ, 1992-1994) a permis de mettre en œuvre l’accord de paix entre le gouvernement et la guérilla de la RENAMO, après une guerre civile meurtrière. L’ONU a supervisé le désarmement, organisé les élections et appuyé la réintégration des combattants, contribuant ainsi à une pacification durable.
La MINUL au Libéria (2003-2018) et la MINUSIL en Sierra Leone (1999-2005) sont également des exemples de reconstructions réussies après des conflits particulièrement violents. Dans ces cas, les missions ont joué un rôle crucial dans la restauration de l’autorité de l’État, la formation de forces de sécurité nationales et l’accompagnement de processus démocratiques.
Ces succès doivent toutefois être replacés dans leur contexte : ils ont été possibles dans des situations post-conflit, avec un consensus international relativement stable et une volonté des parties de parvenir à la paix. Ils montrent que, lorsque les conditions sont réunies, l’ONU peut faire preuve d’efficacité, de légitimité et de capacité opérationnelle, en mobilisant ses ressources civiles, militaires et diplomatiques.
Ainsi, même si tous les théâtres d’intervention ne connaissent pas le même succès, ces exemples prouvent que l’ONU, bien que parfois lente et contrainte, reste capable d’assurer un rôle stabilisateur, en particulier dans les contextes où elle agit avec l’appui des États membres et l’adhésion des populations locales.
II - L’efficacité relative de l’ONU, entravée par les blocages politiques et les limites structurelles
Si l’ONU a démontré sa capacité à stabiliser certains contextes de crise, son action reste profondément affectée par les blocages politiques internes, en particulier au sein du Conseil de sécurité, où les intérêts divergents des grandes puissances paralysent souvent la prise de décision et limitent les possibilités d’intervention rapide et cohérente (A). À cela s’ajoutent des faiblesses structurelles et opérationnelles sur le terrain, qui affectent la mise en œuvre de ses mandats : mandats flous, ressources limitées, absence de moyens coercitifs autonomes ou encore controverses liées à l’impartialité et à la conduite des troupes (B).
A - Les obstacles liés au fonctionnement du Conseil de sécurité
L’organe chargé de garantir la sécurité collective est aussi celui qui incarne les principales limites politiques de l’action onusienne. Le Conseil de sécurité fonctionne sur une logique de pouvoir inégalitaire, où les cinq membres permanents disposent d’un droit de veto leur permettant de bloquer toute décision contraire à leurs intérêts. Ce mécanisme, conçu à l’origine pour garantir la participation des grandes puissances au système multilatéral, constitue aujourd’hui l’un des principaux facteurs de paralysie dans les crises internationales les plus graves (1). Cette situation alimente de fortes contestations, notamment de la part des pays du Sud, qui dénoncent une gouvernance déséquilibrée et obsolète (2).
1 - Le droit de veto et la paralysie du Conseil de sécurité face aux crises majeures
Le droit de veto accordé aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) est sans doute le frein le plus décisif à l’efficacité de l’ONU en matière de sécurité internationale. Chaque fois qu’un de ces membres s’oppose à une résolution, celle-ci est automatiquement rejetée, quelles que soient les majorités réunies autour d’elle.
Ce mécanisme, hérité du compromis de 1945, visait à éviter l’exclusion des grandes puissances du système onusien. Pourtant, dans la pratique contemporaine, il conduit à une forme de diplomatie du blocage, dans laquelle les intérêts géopolitiques priment sur l’intérêt général. La guerre en Syrie en offre un exemple emblématique : la Russie a opposé son veto à plus d’une quinzaine de résolutions depuis 2011, empêchant toute action collective significative pour protéger les civils ou sanctionner le régime syrien. De même, en Ukraine, la Russie a bloqué toute résolution condamnant son invasion de l’Ukraine de 2022, soulignant l’impuissance du Conseil lorsqu’un agresseur est lui-même juge et partie. Face à ces blocages, l’Assemblée générale peut adopter des résolutions symboliques, mais celles-ci ne sont ni contraignantes ni exécutoires, ce qui limite leur impact réel.
En outre, l’usage du veto n’est pas réservé aux crises majeures : les États-Unis l’utilisent régulièrement pour bloquer les résolutions relatives au conflit israélo-palestinien, ce qui alimente des accusations de partialité et d’instrumentalisation politique du Conseil. Ainsi, le droit de veto, loin d’être un outil de stabilisation, apparaît aujourd’hui comme un obstacle majeur à l’unité d’action de l’ONU, et donc à sa capacité d’intervenir efficacement dans les situations les plus critiques.
2 - Une gouvernance du Conseil de sécurité déséquilibrée et contestée par les États du Sud
Au-delà du droit de veto, l’efficacité du Conseil de sécurité est également mise en cause en raison de sa structure de gouvernance obsolète, héritée de l’après-Seconde Guerre mondiale, qui ne reflète plus l’équilibre réel des puissances et des dynamiques régionales actuelles. Cette situation alimente un sentiment croissant d’injustice chez de nombreux États, en particulier au sein du « Sud global », qui contestent l’exclusivité des grandes puissances dans les processus décisionnels.
Le Conseil de sécurité repose sur une division inégalitaire entre cinq membres permanents disposant du droit de veto, et dix membres non permanents, élus pour deux ans et sans pouvoir de blocage. Or, cette répartition ne tient pas compte de l’évolution du système international depuis 1945. Des puissances régionales comme l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, le Japon ou l’Allemagne revendiquent une représentation permanente au nom de leur poids démographique, économique et diplomatique. L’Afrique, quant à elle, ne dispose d’aucun siège permanent, alors qu’elle constitue le principal théâtre des opérations de maintien de la paix.
Cette gouvernance figée donne lieu à une crise de légitimité : les décisions du Conseil sont parfois perçues comme imposées par un petit cercle d’États, au mépris des intérêts des autres membres de la communauté internationale. Ce déséquilibre fragilise l’adhésion aux décisions onusiennes, réduit la portée normative des résolutions, et alimente la défiance à l’égard du multilatéralisme.
Face à ces critiques, plusieurs projets de réforme du Conseil de sécurité ont été proposés depuis les années 1990, sans jamais aboutir, en raison des divergences d’intérêts entre États membres et de la nécessité d’un accord des membres permanents. L’immobilisme institutionnel renforce l’idée d’une ONU représentant davantage l’ordre ancien que les réalités du monde contemporain.
Ainsi, l’inefficacité du Conseil ne tient pas seulement à son fonctionnement, mais à sa structure même, perçue comme inéquitable, peu représentative et résistante au changement, ce qui affaiblit la légitimité globale de l’Organisation dans son rôle de garant de la paix.
B - Les limites opérationnelles de l’ONU sur le terrain
Même lorsque des résolutions sont adoptées et que des missions sont déployées, l’ONU se heurte à des obstacles opérationnels majeurs qui entravent l’efficacité de ses actions sur le terrain. Les opérations de maintien de la paix souffrent souvent de mandats flous, de ressources humaines et matérielles limitées, et de chaînes de commandement peu réactives, ce qui affecte leur capacité à protéger les populations et à stabiliser durablement les zones de crise (1). Par ailleurs, des critiques récurrentes sont adressées à certaines missions en raison d’agissements controversés, de retards d’intervention, voire de manquements graves à l’éthique, qui remettent en cause la crédibilité de l’institution auprès des populations locales et des opinions publiques (2).
1 - Mandats ambigus, moyens insuffisants, vulnérabilité des casques bleus : les limites des opérations de maintien de la paix
L’efficacité opérationnelle des missions de maintien de la paix de l’ONU est souvent limitée par des mandats peu clairs, difficilement applicables sur le terrain, et par une insuffisance chronique de moyens humains, logistiques et financiers. Ces faiblesses structurelles compromettent leur capacité à agir de manière décisive dans des contextes de crise.
Les mandats confiés aux casques bleus sont parfois flous ou trop ambitieux par rapport aux moyens déployés. Ils doivent assurer simultanément la protection des civils, le soutien au processus politique, le désarmement, la réforme du secteur de sécurité, ou encore la reconstruction de l’État. Cette dispersion des objectifs rend l’action difficilement lisible, et expose les troupes à des situations pour lesquelles elles ne sont ni préparées ni équipées.
Les ressources allouées aux OMP sont fréquemment insuffisantes. Les contingents dépendent du bon vouloir des États contributeurs de troupes, qui peuvent être réticents à s’impliquer dans des contextes instables. Les casques bleus sont souvent mal équipés, faiblement formés, ou en nombre insuffisant, ce qui les empêche d’intervenir efficacement pour protéger les populations, comme cela fut tragiquement le cas à Srebrenica en 1995 ou à Bunia (RDC) en 2003.
La vulnérabilité des casques bleus est également un facteur préoccupant. Déployés dans des environnements hostiles, parfois sans soutien aérien ni logistique adapté, ils deviennent eux-mêmes cibles de groupes armés. La MINUSMA, opérant au Mali depuis 2013, a par exemple été l’une des missions les plus meurtrières de l’histoire de l’ONU. Cette exposition constante à la violence alimente une forme de prudence ou d’inaction sur le terrain, par peur des pertes humaines.
Enfin, l’absence d’une véritable force permanente rend l’ONU dépendante des États membres, ce qui limite sa réactivité et sa capacité d’anticipation. En cas d’urgence, le délai entre l’adoption d’un mandat et le déploiement effectif d’une mission peut s’étendre sur plusieurs mois.
Ainsi, les limites opérationnelles intrinsèques des OMP nuisent à l’image et à l’efficacité de l’ONU, et posent la question de sa capacité à répondre aux défis sécuritaires du XXIe siècle.
2 - Des opérations de maintien de la paix critiquées pour leur manque d’impartialité, leur lenteur d’intervention et leurs manquements à l’éthique
L’Organisation des Nations Unies est régulièrement confrontée à des critiques graves concernant la conduite de certaines de ses missions sur le terrain. Ces critiques portent aussi bien sur la perception d’un manque d’impartialité, que sur la lenteur de réaction face à des situations d’urgence, voire sur des comportements répréhensibles de certains personnels qui entachent la crédibilité de l’institution.
L’un des principes fondateurs des OMP est l’impartialité, condition de leur acceptation par les parties en conflit. Or, dans plusieurs contextes, cette neutralité a été mise en cause. Lorsque l’ONU est perçue comme soutenant un gouvernement au détriment d’un autre, ou comme inapte à protéger certaines populations, sa légitimité locale s’effondre. C’est ce qui s’est produit en République démocratique du Congo, où la MONUSCO a été accusée d’inefficacité, voire de complicité passive face aux violences, provoquant des manifestations hostiles à sa présence.
La lenteur d’intervention constitue un autre reproche majeur. Les mécanismes de décision onusiens, fondés sur le consensus entre États, impliquent des délais souvent incompatibles avec l’urgence des crises. Ainsi, lors du génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, la MINUAR, présente sur place, n’a pas reçu l’autorisation de renforcer son mandat à temps pour empêcher les massacres. Cet échec dramatique a marqué durablement l’image de l’ONU comme une institution paralysée par sa propre bureaucratie.
Enfin, des scandales liés au comportement de certains casques bleus ont profondément choqué l’opinion publique internationale. Dans plusieurs pays (Haïti, Centrafrique, RDC), des soldats ont été accusés d’agressions sexuelles, d’abus de pouvoir, ou de trafic. Ces agissements, bien que commis par des individus, mettent en cause l’absence de contrôle rigoureux et la responsabilité collective de l’organisation. De plus, l’absence d’un cadre juridique clair pour sanctionner les fautes individuelles aggrave le sentiment d’impunité.
Ainsi, au-delà des difficultés logistiques, l’ONU est confrontée à une crise de confiance nourrie par les dysfonctionnements et les dérives de certaines de ses missions. Ces critiques renforcent les appels à une réforme en profondeur de son fonctionnement et de sa doctrine d’intervention. Ainsi, l’ONU demeure un acteur indispensable mais imparfait du maintien de la paix. Plus qu’un manque de volonté, c’est souvent un manque de moyens et de réformes structurelles qui bride son efficacité. Si elle veut rester pertinente face aux défis sécuritaires du XXIe siècle, une refonte de ses mécanismes de décision, de ses capacités d’intervention et de sa gouvernance globale semble désormais incontournable.
