Le rôle des organisations internationales dans la régulation des relations internationales (dissertation)

Introduction

« Il n’y a pas de souveraineté. Il n’y a que des doctrines de la souveraineté, dont le contenu et la fonction varient selon les systèmes juridiques dans lesquels elles sont nées. » Cette formule du juriste Michel Troper invite à repenser la souveraineté non comme une réalité figée, mais comme une construction évolutive, contextuelle et relative. Dans un monde marqué par la mondialisation, l’interdépendance croissante et la multiplication des enjeux transnationaux, cette conception devient particulièrement pertinente. Les organisations internationales, créées par les États mais dotées de mécanismes propres, participent désormais activement à la régulation des relations internationales. Leur rôle croissant interroge la place réelle de la souveraineté étatique dans un ordre juridique international en constante mutation.

Les organisations internationales sont des entités créées par des accords entre États, dotées de la personnalité juridique internationale et d’organes permanents. Elles exercent des missions spécifiques, souvent dans un cadre multilatéral, et peuvent être universelles (comme l’ONU) ou spécialisées (comme l’OMS ou l’OMC). Bien qu’elles ne soient pas souveraines, elles disposent d’une capacité d’action propre qui peut influencer, voire encadrer, les politiques des États. La régulation des relations internationales désigne l’ensemble des règles, procédures et institutions qui organisent les interactions entre acteurs internationaux, afin de garantir la stabilité, la coopération et la gestion des enjeux communs. Il s’agit moins d’imposer une autorité supérieure que d’instaurer un ordre juridico-politique fonctionnel dans un système fondamentalement marqué par l’anarchie. Ainsi, les organisations internationales, tout en étant créées par les États, jouent un rôle croissant dans l’organisation des relations internationales, posant la question de l’équilibre entre leur autorité fonctionnelle et la souveraineté étatique.

L’émergence des organisations internationales modernes trouve ses racines au XIXe siècle, avec la création d’organes techniques comme la Commission du Danube (1856), l’Union postale universelle (1874) ou encore le Bureau international des poids et mesures (1875), visant à coordonner les activités entre États dans des domaines précis. Toutefois, c’est à la suite des deux guerres mondiales que leur rôle prend une ampleur nouvelle. La Société des Nations, fondée en 1919 par le traité de Versailles, constitue la première tentative globale de régulation institutionnalisée des relations internationales, bien qu’elle échoue à prévenir un nouveau conflit mondial. En 1945, la création de l’Organisation des Nations Unies (ONU) marque une rupture majeure. Fondée sur la Charte de San Francisco, l’ONU se dote d’organes permanents (Assemblée générale, Conseil de sécurité, Cour internationale de justice) et d’institutions spécialisées chargées d’encadrer la coopération dans des domaines variés tels que la santé, la culture ou le commerce. L’après-guerre voit également l’émergence de grandes institutions économiques internationales, comme le FMI et la Banque mondiale, mais aussi la construction d’organisations régionales, à commencer par la Communauté européenne, future Union européenne. Depuis, le paysage institutionnel international s’est considérablement densifié. Les organisations internationales sont devenues des acteurs structurants de la scène internationale, appelés à jouer un rôle central dans la réponse aux crises globales (conflits, pandémies, climat). Elles incarnent la volonté des États de construire un ordre fondé sur le droit, tout en posant de nouvelles questions quant à l’articulation entre coopération multilatérale et souveraineté nationale.

Il est ainsi cohérent de poser la problématique suivante : Dans quelle mesure les organisations internationales participent-elles à la régulation effective des relations internationales, entre encadrement normatif, médiation politique et gestion des enjeux globaux ?

Les organisations internationales sont en effet des instruments majeurs de structuration du système international et de coopération entre États, leur permettant de se concerter et de prendre de nombreuses décisions en matière de sécurité collective, comme en matière climatique par exemple ou de navigation (I). Ces organisations ont un rôle important et leur fonctionnement est indissociable des États qui les composent et qui expriment en leur sein leur souveraineté. Celles-ci sont toutefois par là même objets de critiques, notamment par les mouvements politiques nationalistes souverainistes, lorsque leur mode de fonctionnement ou leurs décisions sont considérées comme entravant la souveraineté étatique (II).

I - Les organisations internationales comme instruments de structuration et de coopération du système international

Les organisations internationales disposent de prérogatives et de rôles divers. Celles-ci disposent d’un pouvoir normatif leur permettant d’encadrer juridiquement les relations entre États dans de nombreux domaines (A). De plus, leurs instances de concertation et de règlement des différends permettent une coopération accrue entre les États (B).

A - L’élaboration d’un cadre normatif commun pour encadrer les relations entre États

Les organisations internationales disposent d’un pouvoir normatif leur permettant d’édicter des normes contraignantes en droit international et ainsi d’encadrer directement les activités des États en leur donnant la possibilité d’adopter des traités internationaux dans le cadre de leurs organes de concertation (1). Outre les normes contraignantes, les organisations internationales émettent un grand nombre de normes de soft law sous forme de rapports ou encore de recommandations dont l’importance est grandissante sur la scène internationale (2).

1 - Des organisations détentrices d’un pouvoir normatif en droit international

L’une des fonctions principales des organisations internationales est la création, la diffusion et la consolidation de normes juridiques internationales, qui encadrent les comportements des États et favorisent la prévisibilité des relations internationales. À travers leurs organes délibérants ou spécialisés, elles jouent un rôle central dans l’élaboration de traités multilatéraux, de conventions techniques, ou encore de résolutions à portée normative ou politique. L’Organisation des Nations Unies (ONU), à travers ses institutions comme l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité ou la Commission du droit international, contribue de manière décisive à la codification et au développement progressif du droit international public. Le droit des traités, le droit de la mer, avec la Convention de Montego Bay de 1982, le droit international de l’environnement avec la CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’Accord de Paris, ou encore le droit pénal international, avec l’adoption du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, sont ainsi très largement issus de travaux menés sous l’égide des Nations Unies.

Les autres organisations, qu’elles soient à vocation universelle ou spécialisées, participent également à cette dynamique normative. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) édicte des règles contraignantes sur le commerce international et dispose d’un organe de règlement des différends pour régler les conflits intervenant dans l’application du droit de l’OMC. L’Organisation internationale du travail (OIT) adopte des conventions internationales relatives aux droits sociaux. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) fixe des normes sanitaires reconnues mondialement, notamment à travers le Règlement sanitaire international. Ainsi, les organisations internationales sont devenues des acteurs centraux de la fabrication du droit international, dans une logique de coopération, mais aussi de régulation. Outre la production de normes, par la portée mondiale de ces organisations, celles-ci participent ensuite à la diffusion de standards juridiques et éthiques au niveau global.

2 - La diffusion par les organisations internationales de standards techniques, juridiques et éthiques à portée globale

Au-delà des règles formellement contraignantes, les organisations internationales assurent la diffusion de standards non obligatoires mais largement suivis, qui influencent les législations nationales et les pratiques étatiques. Cette fonction de soft law est devenue essentielle dans un contexte de mondialisation, où la coordination technique et normative est indispensable au bon fonctionnement des échanges et à la gestion des enjeux transnationaux. Ces standards peuvent prendre la forme de recommandations, lignes directrices, principes directeurs ou bonnes pratiques.

Par exemple, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publie des guides sur la gouvernance des entreprises ou la fiscalité internationale qui, bien que non contraignants, ont une forte valeur incitative. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU adopte des résolutions qui contribuent à façonner les normes de protection des droits fondamentaux à l’échelle mondiale. De même, le GIEC, bien qu’il ne soit pas une organisation au sens classique, produit des rapports scientifiques qui orientent les décisions politiques sur le climat. Ces normes souples, qui complètent le droit dur (hard law), contribuent à l’unification des cadres d’action à l’échelle globale et à la construction d’un ordre international fondé sur des principes partagés. Elles participent à la régulation des comportements étatiques sans remettre frontalement en cause la souveraineté, ce qui renforce leur acceptabilité. Cette capacité d’influence normative des organisations internationales, y compris en dehors des normes contraignantes, constitue un levier de régulation efficace.

B - La mise en place au sein des organisations internationales de forums institutionnels de médiation, d’arbitrage et de coordination entre États

Les organisations internationales permettent aux États de régler pacifiquement leurs différends et de prendre des décisions communes, que ce soit par le biais des organes judiciaires internationaux ou des organismes intégrés de règlement des différends leur permettant de mener des procédures contentieuses (1) ou encore par le biais des avis consultatifs aux organes judiciaires ainsi que par les organes de consultation prévus au sein de ces organisations (2).

1 - La mise en place de mécanismes de règlement pacifique des différend

Les organisations internationales jouent un rôle central dans la résolution pacifique des différends entre États, en offrant des enceintes permanentes de médiation, de conciliation, d’arbitrage ou de jugement. Cette fonction est au cœur de la régulation des relations internationales, car elle permet d’encadrer les conflits et de limiter le recours à la force, conformément à l’article 2 §3 et §4 de la Charte des Nations Unies. Le recours à la force est d’ailleurs lui-même juridiquement encadré par le Chapitre VII de la Charte. La Cour internationale de justice (CIJ), organe judiciaire principal de l’ONU, tranche des différends juridiques entre États sur la base du droit international. Elle rend des décisions obligatoires pour les parties et contribue à l’interprétation des normes internationales. Son rôle particulièrement important fait même parler de judiciarisation croissante des relations interétatiques. 

Certaines organisations internationales possèdent également un organe intégré de règlement des différends. L’OMC dispose par exemple d’un Organe de règlement des différends, chargé de trancher les litiges commerciaux. Ce mécanisme quasi-juridictionnel permet d’apporter des solutions encadrées à des conflits économiques complexes. Un autre exemple intéressant est celui du Tribunal international du droit de la mer (TIDM), créé par la Convention de Montego Bay et basé à Hambourg. Le TIDM a une compétence contentieuse et consultative, comme la CIJ. Il veille à l’application de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM). Le TIDM est ainsi compétent pour régler les différends relatifs à l’interprétation et à l’application du droit de la mer, qu’il s’agisse par exemple de questions de délimitations maritimes, d’accès aux ressources, ou de liberté de navigation.

D’autres organisations jouent un rôle de médiateur ou de facilitateur politique, notamment le Secrétaire général de l’ONU, souvent impliqué dans des missions de bons offices, ou l’Union africaine, qui a institutionnalisé des mécanismes de prévention et de gestion des conflits régionaux. Ces instances permettent d’institutionnaliser le dialogue et de faire prévaloir des solutions diplomatiques dans un ordre international encore dépourvu d’autorité centrale. Ces mécanismes participent au rôle central des organisations internationales de coopération entre États pour gérer les enjeux globaux tels que le climat ou encore la santé et la sécurité.

2 - Les organisations internationales comme organes de coopération entre États dans la gestion d’enjeux globaux

Outre le règlement pacifique des différends entre États, les organisations internationales assument une mission essentielle de coordination face aux enjeux globaux, qui dépassent les capacités d’action individuelles des États. Ces défis concernent des domaines divers tels que la santé, le climat, la sécurité internationale, ou encore la cybersécurité. Dans ces domaines, les organisations servent de plateformes de coopération et de gestion collective.

L’OMS coordonne ainsi par exemple les réponses sanitaires internationales, comme cela a été le cas, malgré certaines limites, lors de la pandémie de Covid-19. Elle centralise les données, émet des recommandations, coordonne la réponse technique et organise la solidarité internationale en matière de vaccination ou de financement. En matière de sécurité, les opérations de maintien de la paix de l’ONU sont l’une des expressions les plus concrètes de cette régulation collective : des casques bleus sont déployés sur mandat du Conseil de sécurité pour stabiliser des zones en conflit, surveiller des cessez-le-feu ou protéger les populations civiles. Sur le plan environnemental, les COP, offrent un cadre de négociation multilatéral pour construire des politiques climatiques coordonnées et mettre en œuvre les textes internationaux en matière environnementale, comme l’Accord de Paris de 2015.

Ce rôle est par ailleurs imbriqué avec celui des organes de règlement des différends et ne se manifeste pas de manière totalement distincte. Un bon exemple de cela est la décision rendue en 2024 par le TIDM sur une demande d’avis consultatif sur les changements climatiques et le droit international posée par la Commission des petits États insulaires. Le TIDM a, de manière historique, donné raisons aux Etats insulaires en estimant que les Etats ont l’obligation de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de protéger l’environnement marin des méfaits du changement climatique. Cette décision a eu plusieurs effets qu’il convient de relever. D’une part, elle impacte directement la coopération entre État en faisant peser sur eux une responsabilité de protéger l’environnement marin. D’autre part, cette affaire très importante a été l’occasion pour les États insulaires, dont le poids diplomatique est faible, de s’exprimer devant toute la planète sur les risques des changements climatiques, l’impact de la pollution marine, le risque de disparition auquel ils font face du fait de la montée du niveau de la mer et la clarification des obligations des États en vertu du droit international. Le TIDM a alors été à la fois un organe judiciaire mais a été également utilisé par les États insulaires comme un organe diplomatique et un forum leur permettant d’exprimer leur position.

Ainsi, les organisations internationales ne se contentent pas d’encadrer les relations internationales, elles en sont aussi des opératrices concrètes, en assurant la coordination de politiques globales, en mobilisant des ressources et en mettant en œuvre des réponses collectives. Ce rôle des organisations internationales s’inscrit dans une réalité politique complexe et navigue entre les positions divergentes des États, voire leur remise en question au nom de la souveraineté étatique.

II - Les organisations internationales à l’épreuve des souverainetés étatiques et des déséquilibres du multilatéralisme

Les organisations internationales sont par essence liées aux États qui les composent et qui sont à l’origine de leur existence même. Leur fonctionnement repose ainsi sur une indépendance toute relative et leur efficacité est très largement conditionnée par la volonté politique des États (A). Les États montrent toutefois des signes croissants de défiance vis-à-vis de leur légitimité dans un contexte de montée des mouvements souverainistes et nationalistes dans de nombreux États (B).

A - Une efficacité conditionnée par la volonté politique des États

Les organisations internationales sont des sujets de droit international. Toutefois, elles n’ont pas la même capacité juridique que les États et ne disposent pas d’une souveraineté propre, qui est l’attribut exclusif des États. Leur pouvoir normatif et décisionnel est ainsi nécessairement limité par la volonté étatique (1). Dans ce cadre, les organisations internationales sont ainsi dépendantes des rapports de force entre les États et par conséquent de la volonté des grandes puissances qui les financent et dont l’adhésion est fondamentale pour leur légitimité politique (2).

1 - Les limites du pouvoir normatif et décisionnel des organisations internationales en l’absence de souveraineté propre

Les organisations internationales ne sont pas des entités souveraines. Elles tirent leur légitimité, leur budget et leurs compétences des États qui les créent et les contrôlent. En ce sens, leur efficacité dépend directement de la volonté politique des États membres et de leur capacité à coopérer. Ce caractère intergouvernemental limite fortement leur pouvoir d’action, en particulier lorsque les intérêts des États divergent.

La paralysie du Conseil de sécurité des Nations Unies illustre clairement ces limites. Si cet organe dispose d’un pouvoir décisif en matière de maintien de la paix et de la sécurité collective, il est souvent bloqué par l’usage du droit de veto par ses cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni). Cette règle, héritée de l’après-Seconde Guerre mondiale, empêche toute décision contraignante en cas de désaccord entre grandes puissances. Elle a conduit à l’inaction du Conseil face à des crises majeures, comme la guerre en Syrie ou l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui est membre permanent du Conseil. 

D’autres organisations connaissent des blocages similaires. À l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Organe d’appel du mécanisme de règlement des différends est paralysé depuis 2019, en raison du refus des États-Unis de nommer de nouveaux juges. Cela empêche la résolution finale des différends commerciaux et remet en question l’efficacité de l’institution dans son ensemble. Les États-Unis tirent d’ailleurs partie de cette situation de blocage, Donald Trump ayant adopté des droits de douane contraires au droit de l’OMC contre presque tous les pays de la planète. La politique mise en place par le Président Trump contribue par ailleurs à bloquer ou affaiblir nombre d’organisations internationales, à l’instar de l’OMS, dont les États-Unis ont annoncé leur retrait. L ‘UNESCO avait également connu un retrait des États-Unis durant le premier mandat de Donald Trump, avant de demander leur réintégration sous la présidence de Joe Biden. Ces exemples montrent à la fois que, sans consensus politique, les organisations internationales perdent leur capacité régulatrice, même lorsqu’elles disposent d’outils juridiques, et sont totalement dépendantes du bon vouloir des grandes puissances mondiales.

2 - La dépendance structurelle des organisations internationales vis-à-vis des grandes puissances

Outre les blocages politiques, les organisations internationales sont confrontées à un déséquilibre structurel. Tous les États n’y exercent pas une influence égale. Les grandes puissances, notamment les membres permanents du Conseil de sécurité ou les pays les plus contributeurs aux budgets des organisations, disposent d’un poids politique, financier et diplomatique disproportionné. Le FMI et la Banque mondiale sont souvent critiqués à cet égard. Leur gouvernance repose sur un système de quotas de vote qui accorde une influence prépondérante aux pays du Nord, et notamment aux États-Unis. Cette domination se reflète aussi dans les conditions imposées aux pays emprunteurs, souvent accusées d’être inadaptées ou attentatoires à leur souveraineté économique

L’ONU elle-même n’échappe pas à ce déséquilibre. Les grandes puissances y disposent de privilèges institutionnels, diplomatiques et logistiques qui renforcent leur poids. Dans certaines enceintes, comme l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ou l’Organisation internationale de la police criminelle (Interpol), les capacités techniques et le lobbying des puissances influentes conditionnent les orientations stratégiques. Ce déséquilibre fragilise la légitimité démocratique des organisations internationales, et alimente la défiance des pays du Sud, qui dénoncent un multilatéralisme à géométrie variable. Tant que ces institutions resteront dépendantes du bon vouloir des puissances dominantes, leur capacité à réguler équitablement les relations internationales restera partielle. Les organisations internationales sont toutefois par essence des organes intergouvernementaux et sont confrontées à la souveraineté des États et à la volonté de leurs membres. Elles disposent d’un traité constitutif établissant leur statut et leurs organes mais n’ont une existence propre que partielle puisqu-‘elles dépendent des États pour leur fonctionnement et leur financement. Leur tâche est ainsi rendue de plus en plus complexe au fur et à mesure que s’affirment les nationalismes et les replis souverainistes dans de nombreux pays.

B - Une légitimité contestée dans un contexte de repli souverainiste

Les organisations internationales sont soumises à des critiques grandissantes émanant notamment des mouvements nationalistes les accusant d’être des structures technocratiques, biaisées et s’ingérant dans les affaires internes des États (1). Ce mouvement s’inscrit dans un contexte plus large de remise en cause du multilatéralisme par un nombre croissant d’États et d’une montée des tensions internationales dans un contexte de guerres commerciales et de multiplication des conflits armés (2).

1 - Des organisations internationales soumises à des critiques concernant leur neutralité ou leur éloignement des réalités sociale

À mesure que leur rôle s’est accru, les organisations internationales ont vu leur légitimité mise en question, tant par des États que par des acteurs de la société civile. L’une des critiques les plus fréquentes concerne leur caractère technocratique. Certaines organisations, notamment économiques ou financières, sont perçues comme éloignées des réalités nationales, imposant des décisions prises par des élites internationales déconnectées des peuples concernés. Ainsi, le FMI et la Banque mondiale ont longtemps été accusés d’imposer des programmes d’ajustement structurel standardisés, sans réelle prise en compte des contextes socio-économiques locaux. De même, les directives ou recommandations de l’OMS lors de la crise du Covid-19 ont suscité des contestations, certains gouvernements les jugeant excessives, contradictoires ou inadaptées à leurs spécificités sanitaires.

Une autre critique récurrente porte sur l’ingérence perçue dans les affaires internes des États. Lorsque les organisations internationales s’expriment sur les droits de l’homme, la démocratie ou l’État de droit, elles sont parfois accusées de véhiculer des normes occidentales, ou d’agir au nom de puissances dominantes. Ce soupçon de biais géopolitique affaiblit leur autorité, notamment dans les pays du Sud ou dans les régimes autoritaires, qui dénoncent un « double standard » dans l’application du droit international. Un exemple de cela est la critique de la Cour pénale internationale par de nombreux pays africains qui dénoncent le fait que l’immense majorité des mandats d’arrêts émis par la Cour et des condamnations prononcées concernent des dirigeants africains. Dans une autre mesure, lorsque le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant ont été frappés d’un mandat d’arrêt de la CPI, Israël a accusé la Cour d’antisémitisme. La Hongrie, ayant reçu Benjamin Natanyahu début avril 2025 sans l’arrêter, contrevenant ainsi au statut de Rome, a d’ailleurs annoncé son retrait de la CPI. 

Ces critiques sont également particulièrement importantes en Europe, où l’Union européenne est régulièrement ciblée par les partis d’extrême droite ou souverainistes. Ces formations dénoncent une Union perçue comme une structure technocratique opaque, dominée par des élites non élues (notamment la Commission européenne), qui imposerait aux peuples des normes économiques, migratoires ou sociétales contraires à leur volonté nationale. En France, en Hongrie, en Italie ou en Pologne, les partis populistes accusent l’Union de diluer la souveraineté nationale, de favoriser une « mondialisation libérale » au détriment des intérêts des travailleurs ou de soutenir une vision des droits fondamentaux jugée trop progressiste. Ces discours nourrissent une remise en cause du projet d’intégration régionale, avec des appels à la renationalisation des politiques publiques, voire à la sortie de l’Union. Ainsi, même les organisations les plus intégrées et juridiquement puissantes, comme l’Union européenne, ne sont pas épargnées par une contestation croissante de leur légitimité démocratique, qui reflète un malaise plus profond vis-à-vis du fonctionnement du multilatéralisme contemporain.

2 - Les remises en cause du multilatéralisme par les stratégies de repli nationalistes de certains États

Cette défiance s’inscrit dans un contexte plus large de repli souverainiste, marqué par une remise en cause du multilatéralisme et une réaffirmation des États comme seuls détenteurs légitimes du pouvoir. Ce phénomène s’est accentué au cours de la dernière décennie, sous l’effet de crises économiques, migratoires, sanitaires et géopolitiques. L’exemple le plus emblématique est celui des États-Unis sous la présidence de Donald Trump, qui ont adopté une posture résolument unilatérale : désengagement de l’OMS, paralysie de l’Organe d’appel de l’OMC, imposition de droits douanes sur toute la planète, remise en cause des négociations sur le climat et retrait de l’Accord de Paris, menaces d’usage de la force militaire pour prendre possession du Groenland, critiques ouvertes de ses alliés historiques. Ce rejet assumé des mécanismes multilatéraux a fragilisé la coopération internationale, en envoyant un signal fort de désengagement.

En Europe, le Brexit et la montée des partis nationalistes ont également alimenté une critique virulente de l’Union européenne, accusée d’empiéter sur la souveraineté des États membres. Cette dynamique s’est traduite par une volonté accrue de reprendre le contrôle des frontières, des politiques économiques et des normes nationales, souvent au détriment des engagements internationaux. Ces stratégies unilatérales affaiblissent la capacité des organisations internationales à remplir leur mission régulatrice. Elles contribuent à un climat de fragmentation, d’instabilité normative et de compétition stratégique, qui va à rebours de la logique de coopération sur laquelle repose le multilatéralisme. Si les organisations internationales peuvent atténuer certaines tensions, elles ne peuvent s’imposer durablement sans le soutien actif, cohérent et continu des États.