L’ordre juridictionnel (cas pratiques)

Présentation de l’exercice

Aux côtés des autorités qui édictent les règles de droit (au premier rang desquels figurent le législateur), on trouve les autorités qui « disent le droit » (du latin juris dictio) : les juridictions. Ces dernières sont historiquement divisées en deux ordres, qui suivent peu ou prou la distinction entre droit public et droit privé : l’ordre juridictionnel administratif et l’ordre juridictionnel judiciaire. 

Ces ordres connaissent des divisions internes, horizontale et verticale. De manière horizontale, l’ordre administratif comme l’ordre judiciaire sont composés d’un certain nombre de juridictions selon leur compétence d’attribution (ratione materiae) et territoriale (ratione loci ou ratione personae). De manière verticale, chaque ordre est composé de juridictions de 1re instance (par ex. tribunaux judiciaires ou administratifs), de juridictions d’appel (cours d’appel et cours administratives d’appel) et d’une juridiction suprême (Cour de cassation ou Conseil d’État). En principe, les décisions rendues par une juridiction de 1re instance sont susceptibles de faire l’objet d’un appel. On dit alors que le tribunal juge en 1er ressort et que la juridiction d’appel juge en dernier ressort. Cependant, il existe des cas dans lesquels le tribunal jugera en 1er et dernier ressort (dans l’ordre judiciaire, cela est le cas si le montant du litige est inférieur à 5 000€).

Les cas pratiques ci-après proposent de se familiariser avec les différentes juridictions des ordres administratif et judiciaire. Des questions guident la résolution du cas afin de trouver quelle juridiction est matériellement et territorialement compétente. 

Pour chaque cas présenté, répondez aux différentes questions : 

1)    Qui est le demandeur ? Le défendeur ? Donnez le plus d’informations sur leurs qualités respectives ;

2)    Quel est l’objet du litige ? Quelle est la matière concernée par le litige ?  

3)    Qu’est-ce que cela nous apprend sur la nature du litige (privé/public, etc.) ? Quel est l’ordre juridictionnel compétent ? 

4)    Quelle juridiction est compétente ratione materiae

5)    Quelle juridiction est compétente ratione loci

6)    La juridiction jugera-t-elle en premier ou en dernier ressort ? 

Cas pratique n° 1

Michel reçoit un avis de contravention dressé par la police municipale. Le maire rejette son recours gracieux. Michel souhaite contester la légalité de la décision de rejet. 

Cas pratique n° 2

La SAS Yapluka réclame 12 000 € à la SARL Cédubo pour une livraison non payée ; aucune clause attributive n’est mentionnée.

Cas pratique n° 3

Asma et Paulo se rencontrent à Lille durant un séminaire. C’est le coup de foudre, mais il y a un problème : Asma est déjà en couple avec Marco… Neuf mois après cette courte idylle, Asma donne naissance à un enfant dans un hôpital parisien, où elle réside avec son mari. Ce dernier est automatiquement reconnu comme le père de l’enfant. 

Quelques années passent. Paulo, qui réside à Dijon, apprend la nouvelle. Persuadé que l’enfant est le sien, il réalise un test génétique sauvage sur internet. Les résultats sont sans appel : il est le géniteur de cet enfant ! Désireux de s’impliquer dans ce nouveau rôle, il fait part de la nouvelle à Asma et lui demande ce qu’elle compte faire. 

Asma est ravie de cette nouvelle. Elle a divorcé de son mari et s’est installée à Lille, là où tout a commencé. Elle souhaite donc agir pour contester la paternité de son ex-mari envers son enfant, et établir par la suite la filiation de l’enfant avec Paulo. 

Cas pratique n° 4

La société PhoneTop, dont le siège social se situe à Lille, se dit victime d’une escroquerie. Un homme, M. R., s’est présenté dans l’une de ses agences lyonnaises et a emporté vingt smartphones après avoir montré une fausse preuve de virement. 

Certains appareils sont ensuite revendus à Marseille par un complice âgé de 16 ans. Des achats en ligne avec deux des téléphones, assortis de faux profils, sont réalisés depuis une connexion à Rennes.

M. R réside à Grenoble. Il est interpellé à Nice lors d’un contrôle routier. Dans sa voiture, trois smartphones encore scellés et des captures d’écran de faux virement. Le mineur est identifié et localisé à Marseille. La société PhoneTop envisage une constitution de partie civile.

Le parquet de Lyon ouvre une enquête au lieu des faits d’escroquerie ; celui de Nice revendique aussi la compétence au vu de l’arrestation.

Cas pratique n° 1

Énoncé

Michel reçoit un avis de contravention dressé par la police municipale. Le maire rejette son recours gracieux. Michel souhaite contester la légalité de la décision de rejet.

Corrigé

1)    Qui est le demandeur ? Le défendeur ? Donnez le plus d’informations sur leurs qualités respectives. 

Michel est le demandeur au litige. C’est un usager personne physique.

La commune, représentée par le maire, est le défendeur. Il s’agit d’une personne morale de droit public. 

2)    Quel est l’objet du litige ? Quelle est la matière concernée par le litige ?  

Le litige a pour objet de contrôler la légalité d’un rejet de demande gracieuse sur un avis de contravention, c’est-à-dire un acte administratif. Il s’agit d’un contentieux administratif. 

3)    Qu’est-ce que cela nous apprend sur la nature du litige (privé/public, etc.) ? Quel est l’ordre juridictionnel compétent ? 

La présence d’une personne publique agissant par prérogatives de puissance publique et d’un acte administratif à contrôler indiquent un litige de droit public. C’est donc l’ordre administratif qui est compétent. 

4)    Quelle juridiction est compétente ratione materiae

S’agissant d’un litige mettant en cause une personne publique, c’est le tribunal administratif qui est compétent. 

5)    Quelle juridiction est compétente ratione loci

Le tribunal administratif compétent est celui dans le ressort duquel a son siège l’autorité qui a pris la décision attaquée. En l’espèce, il s’agira donc du tribunal administratif du ressort de la commune dont émane la décision de rejet. Il s’agit ici d’un recours pour excès de pouvoir.

6)    La juridiction jugera-t-elle en premier ou en dernier ressort ? 

Le tribunal administratif jugera en premier ressort. Sa décision est donc susceptible d’appel devant la cour administrative d’appel.  

Cas pratique n° 2

Énoncé

La SAS Yapluka réclame 12 000 € à la SARL Cédubo pour une livraison non payée ; aucune clause attributive n’est mentionnée.

Corrigé

1)    Qui est le demandeur ? Le défendeur ? Donnez le plus d’informations sur leurs qualités respectives. 

Le demandeur est la société Yapluka. Il s’agit d’une personne morale de droit privé. Elle a la qualité de commerçante, ici venderesse. 

Le défendeur est la société Cédubo. Il s’agit d’une personne morale de droit privé. Elle a la qualité de commerçante, ici acquéreuse.

2)    Quel est l’objet du litige ? Quelle est la matière concernée par le litige ?  

Le litige concerne le paiement d’une facture de 12 000€ pour la livraison effectuée. Il s’agit donc d’un litige portant sur l’exécution d’un contrat entre deux commerçants. Il s’agit d’un contentieux commercial. 

3)    Qu’est-ce que cela nous apprend sur la nature du litige (privé/public, etc.) ? Quel est l’ordre juridictionnel compétent ? 

La présence de deux commerçants et l’objet du litige (exécution du contrat) indiquent un litige de droit privé. C’est donc l’ordre judiciaire qui est compétent. 

4)    Quelle juridiction est compétente ratione materiae

S’agissant d’un litige entre deux commerçants relatif au respect des engagements pris en cette qualité, c’est le tribunal de commerce qui est compétent. 

5)    Quelle juridiction est compétente ratione loci

Le principe posé par l’article 42 du Code de procédure civile est que le tribunal compétent est celui du lieu où demeure le défendeur. Une alternative est posée par l’article 46 du Code de procédure civile pour la matière contractuelle : le tribunal compétent peut aussi être celui du lieu de livraison effective. Dans un litige opposant deux commerçants, une clause attributive de compétence peut écarter les règles précitées et attribuer la compétence au tribunal choisi par les parties. 

En l’espèce, aucune clause de compétence n’a été rédigée. La SAS Yapluka aura donc le choix entre saisir le tribunal du lieu du siège social de la SAS Cédubo ou le tribunal du lieu de livraison effective de la chose. 

6)    La juridiction jugera-t-elle en premier ou en dernier ressort ? 

Le tribunal juge en 1er et dernier ressort lorsque la valeur du litige est inférieure à 5 000€. En l’espèce, le litige porte sur une somme de 12 000€. Le seuil étant dépassé, le tribunal de commerce statuera en 1er ressort et sa décision sera susceptible d’appel. 

Cas pratique n° 3

Énoncé

Asma et Paulo se rencontrent à Lille durant un séminaire. C’est le coup de foudre, mais il y a un problème : Asma est déjà en couple avec Marco… Neuf mois après cette courte idylle, Asma donne naissance à un enfant dans un hôpital parisien, où elle réside avec son mari. Ce dernier est automatiquement reconnu comme le père de l’enfant. 

Quelques années passent. Paulo, qui réside à Dijon, apprend la nouvelle. Persuadé que l’enfant est le sien, il réalise un test génétique sauvage sur internet. Les résultats sont sans appel : il est le géniteur de cet enfant ! Désireux de s’impliquer dans ce nouveau rôle, il fait part de la nouvelle à Asma et lui demande ce qu’elle compte faire. 

Asma est ravie de cette nouvelle. Elle a divorcé de son mari et s’est installée à Lille, là où tout a commencé. Elle souhaite donc agir pour contester la paternité de son ex-mari envers son enfant, et établir par la suite la filiation de l’enfant avec Paulo. 

Corrigé

1)    Qui est le demandeur ? Le défendeur ? Donnez le plus d’informations sur leurs qualités respectives. 

Le demandeur est Asma. Il s’agit d’une personne physique de droit privé. Elle est la mère d’un enfant dont la filiation est débattue.  

Le défendeur est Marco. Il s’agit d’une personne physique de droit privé. Il est l’actuel père de l’enfant, dont la filiation est contestée. 

2)    Quel est l’objet du litige ? Quelle est la matière concernée par le litige ?  

Le litige concerne la contestation de la filiation paternelle d’un enfant. Il s’agit d’une action relative à la filiation. Le litige concerne le droit de la famille. 

3)    Qu’est-ce que cela nous apprend sur la nature du litige (privé/public, etc.) ? Quel est l’ordre juridictionnel compétent ? 

La présence de deux personnes privées ainsi que l’objet du litige (état des personnes) indiquent un litige de droit privé. C’est donc l’ordre judiciaire qui est compétent. 

4)    Quelle juridiction est compétente ratione materiae

La juridiction compétente est le tribunal judiciaire (C. civ., art. 318-1). 

5)    Quelle juridiction est compétente ratione loci

Le principe posé par l’article 42 du Code de procédure civile est que le tribunal compétent est celui du lieu où demeure le défendeur. 

Asma devra donc saisir le tribunal du ressort du lieu de résidence de son ex-mari, lieu qui n’est pas connu ici (il peut s’agit du tribunal de Paris, dernier lieu de résidence connu de l’ex-mari). 

6)    La juridiction jugera-t-elle en premier ou en dernier ressort ? 

Le tribunal judiciaire statuera en premier ressort, peu important la valeur du litige car nous sommes ici en matière d’état des personnes. La décision est susceptible d’appel. 

Cas pratique n° 4

Énoncé

La société PhoneTop, dont le siège social se situe à Lille, se dit victime d’une escroquerie. Un homme, M. R., s’est présenté dans l’une de ses agences lyonnaises et a emporté vingt smartphones après avoir montré une fausse preuve de virement. 

Certains appareils sont ensuite revendus à Marseille par un complice âgé de 16 ans. Des achats en ligne avec deux des téléphones, assortis de faux profils, sont réalisés depuis une connexion à Rennes.

M. R réside à Grenoble. Il est interpellé à Nice lors d’un contrôle routier. Dans sa voiture, trois smartphones encore scellés et des captures d’écran de faux virement. Le mineur est identifié et localisé à Marseille. La société PhoneTop envisage une constitution de partie civile.

Le parquet de Lyon ouvre une enquête au lieu des faits d’escroquerie ; celui de Nice revendique aussi la compétence au vu de l’arrestation.

Corrigé

1)    Qui est le demandeur ? Le défendeur ? Donnez le plus d’informations sur leurs qualités respectives.

Le Ministère public sera la partie poursuivante. La société PhoneTop, personne morale de droit privé, est victime et peut à ce titre se constituer partie civile. 

Le défendeur est M. R. (personne physique majeure de droit privé) et son complice (personne physique mineure de droit privé).

2)    Quel est l’objet du litige ? Quelle est la matière concernée par le litige ?  

Le litige porte sur des infractions pénales réalisées : escroquerie, faux et usage, recel. Nous sommes donc en matière pénale, plus précisément en matière délictuelle.

3)    Qu’est-ce que cela nous apprend sur la nature du litige (privé/public, etc.) ? Quel est l’ordre juridictionnel compétent ? 

Lorsque le litige est répressif, c’est l’ordre judiciaire qui est compétent. 

4)    Quelle juridiction est compétente ratione materiae

Il s’agit d’infractions délictuelles, c’est donc le tribunal correctionnel qui est compétent par principe. À l’égard du mis en cause mineur, le tribunal pour enfants sera compétent. 

5)    Quelle juridiction est compétente ratione loci

En matière délictuelle, sont compétents au choix (C. proc. pén., art. 382) le tribunal du lieu de commission de l’infraction principale, le tribunal du lieu de résidence du mise en cause ou le tribunal du lieu d’interpellation. Pour les délits commis par des mineurs, le tribunal compétent est soit celui du lieu de l’infraction, soit celui du lieu de résidence du mineur. Les procédures adultes et mineurs peuvent être séparées.

Ici, le tribunal compétent pour statuer sur la culpabilité de M. R. peut donc être celui de Lyon (lieu de l’escroquerie), de Marseille (lieu du recel), de Grenoble (lieu de résidence du mis en cause) ou de Nice (lieu d’interpellation). La réalisation des faits dans une agence lyonnaise et la saisine prioritaire du parquet de Lyon tendent vers la compétence du tribunal de Lyon. 

À l’égard du mineur complice, il s’agira du tribunal de Marseille (lieu du recel et lieu de résidence du mineur). 

6)    La juridiction jugera-t-elle en premier ou en dernier ressort ? 

Les délits sont jugés en premier ressort par le tribunal correctionnel et par le tribunal pour enfants. Un appel est donc possible.  

Questions complémentaires sur le 2° cas

Énoncé

Devant le tribunal de commerce et la cour d’appel, la société Yapluka obtient la condamnation intégrale de la société Cédubo (12 000 €). Les juges ont retenu la preuve de la livraison (bon de livraison et mail produit par la société Yapluka). Souhaitant former un pourvoi en cassation, la société Cédubo vous demande désormais conseil.

1)    Parmi ces trois hypothèses, laquelle vous semble être la meilleure stratégie de la société Cédubo devant la Cour de cassation ? Pourquoi ? 

Hypothèse n°1 : La société Cédubo a omis de présenter un mail dans lequel la société Yapluka accepte un échelonnement du paiement de la livraison. Elle souhaite donc présenter cette nouvelle pièce devant la Cour de cassation.

Hypothèse n° 2 : la société Cédubo reproche à la cour d’appel de ne pas avoir répondu sur le moyen relatif à la force majeure. En effet, si la société Cédubo n’a pas pu payer dans les temps, c’est parce qu’elle connaissait une panne généralisée de son système de paiement et de virement. 

Hypothèse n° 3 : avant d’assigner la société Cédubo, la société Yapluka devait la mettre en demeure de s’exécuter. La société Cédubo souhaite reprocher à la cour d’appel d’avoir considéré que l’appel téléphonique que Yapluka a passé avec Cédubo constituait cette mise en demeure.

2)    En cas de cassation de l’arrêt d’appel, la cour d’appel de renvoi est-elle obligée de suivre la solution retenue par la Cour de cassation ? Que se passe-t-il si la cour d’appel résiste encore ? Un second pourvoi est-il envisageable ? Devant qui ? 

Corrigé

1)    Parmi ces trois hypothèses, laquelle vous semble être la meilleure stratégie de la société Cédubo devant la Cour de cassation ? Pourquoi ? 

Il faut recommander à la société Cédubo de défendre prioritaire l’hypothèse n° 2. La cour d’appel a ici omis d’appliquer un texte légal (C. civ. art. 1218) et n’a pas répondu aux conclusions de la société, ce qui est un vice de motivation. La Cour de cassation contrôle strictement le respect de la forme des arrêts d’appel. Elle contrôle aussi strictement l’application des textes par les juges d’appel, en tant que juge du droit. 

Subsidiairement, la société Cédubo peut défendre l’hypothèse n° 3. Ce moyen sera recevable si la société Cédubo critique en droit la qualification de l’appel téléphonique comme mise en demeure. Il lui faudra alors revenir sur les critères juridiques de qualification de la mise en demeure, et démontrer en quoi l’appel téléphonique ne répond pas à ces exigences. La Cour de cassation contrôlera l’interprétation et l’application des critères légaux. En revanche, la société Cédubo ne peut pas critiquer l’appréciation souveraine des juges des faits. La Cour de cassation n’est pas juge du fait. 

Enfin, il faut déconseiller à la société Cédubo de partir sur l’hypothèse n° 1. Ce moyen est irrecevable devant la Cour de cassation car il s’agit d’un moyen de fait. 

2)    En cas de cassation de l’arrêt d’appel, la cour d’appel de renvoi est-elle obligée de suivre la solution retenue par la Cour de cassation ? Que se passe-t-il si la cour d’appel résiste encore ? Un second pourvoi est-il envisageable ? Devant qui ? 

La cour d’appel de renvoi n’est pas tenue de suivre la solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt de cassation. Si elle résiste, et que le pourvoi formé attaque les mêmes moyens, alors le litige sera porté devant l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation. Sa décision s’imposera alors à la cour d’appel de renvoi.