La définition négative de la règle de droit (fiche d’arrêt – Cass., Civ. 1re, 16 déc. 2020, n° 19-19.387, « Gleeden » - extraits)

Présentation de l’exercice

L’élaboration d’une fiche d’arrêt est une étape indispensable à la bonne compréhension de la décision étudiée, ainsi qu’un préalable à la réalisation du commentaire d’arrêt. Il s’agit donc du premier vrai exercice juridique exigé des étudiants en droit. Élaborer une fiche d’arrêt suppose de savoir correctement lire et déchiffrer une décision de justice (sur ce point, voir les fiches sur le vocabulaire et la qualification juridiques). 

La fiche d’arrêt a pour objectif de présenter, de manière structurée et synthétique, une décision de justice : en partant des faits bruts proposés, l’étudiant doit être capable de retracer l’histoire procédurale du litige, de présenter les arguments en tension de part et d’autre, d’en déduire le problème de droit posé à la juridiction dont la décision est étudiée, et de présenter clairement la solution choisie par les juges.

Il convient d’abord de prendre connaissance de la décision à étudier et de la liste des questions. Les réponses aux séries de questions posées (Exercice 1) doivent permettre, ensuite, à l’étudiant de rédiger une fiche d’arrêt complète (Exercice 2) ainsi que de comprendre la valeur et la portée de l’arrêt proposé. 

Corpus documentaire et questions

Décision étudiée : Cass., Civ. 1re, 16 déc. 2020, n° 19-19.387, « Gleeden » - extraits

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 mai 2019), la société Blackdivine, société de droit américain, éditrice du site de rencontres en ligne www.gleeden.com, a procédé en 2015 à la publicité de son site par une campagne d'affichage sur les autobus, à Paris et en Ile-de-France. Sur ces affiches figurait une pomme croquée accompagnée du slogan : « Le premier site de rencontres extra-conjugales ».

2. Le 22 janvier 2015, la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC) a assigné la société Blackdivine devant le tribunal de grande instance de Paris afin de faire juger nuls les contrats conclus entre celle-ci et les utilisateurs du site Gleeden.com, au motif qu'ils étaient fondés sur une cause illicite, interdire, sous astreinte, les publicités faisant référence à l'infidélité, ordonner à la société Blackdivine de diffuser ses conditions commerciales et ses conditions de protection des données, et la faire condamner au paiement de dommages-intérêts. Un jugement du 9 février 2017 a déclaré la CNAFC pour partie irrecevable et pour partie non fondée en ses demandes.

3. En cause d'appel, celle-ci a renoncé à certaines demandes et n'a maintenu que celle relative à la publicité litigieuse, sollicitant, outre des dommages-intérêts, qu'il soit ordonné à la société Blackdivine, sous astreinte, de cesser de faire référence, de quelque manière que ce soit, à l'infidélité ou au caractère extra-conjugal de son activité, à l'occasion de ses campagnes de publicité.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Énoncé du moyen

4. La CNAFC fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors :
« 1°/ que le devoir de fidélité entre époux ressortit à l'ordre public de direction ; qu'en ayant jugé que l'infidélité ne constituait qu'une faute civile ne pouvant être invoquée que par un époux contre l'autre et qu'elle ressortait ainsi seulement de l'ordre public de protection et non de direction, quand ce devoir ne tend pas seulement à protéger les intérêts privés des époux, mais comporte une dimension sociale, la cour d'appel a violé l'article 212 du code civil ;
2°/ que les époux ne peuvent déroger par convention particulière aux obligations nées du mariage ; qu'en ayant jugé que le devoir de fidélité ne ressortissait qu'à un ordre public de protection, car il pouvait y être dérogé par consentement mutuel des époux, la cour d'appel a violé les articles 212 et 226 du code civil ;
3°/ que si l'infidélité peut être excusée ou pardonnée, elle n'en reste pas moins illicite ; qu'en ayant jugé que le devoir de fidélité ne ressortissait pas à l'ordre public de direction, car l'infidélité peut être excusée dans une procédure de divorce, quand une telle excusabilité n'enlève rien à l'illicéité d'un tel comportement, la cour d'appel a violé l'article 212 du code civil ;
4°/ que l'infidélité caractérise un comportement à la fois illicite et antisocial ; qu'en ayant jugé le contraire, au postulat erroné que le devoir de fidélité ne ressortissait qu'à un ordre public de protection, la cour d'appel a violé les articles 212 du code civil 
[…]
6°/ que la liberté d'expression doit céder devant l'intérêt supérieur que représente le devoir de fidélité au sein d'un couple qui dépasse les simples intérêts privés de ses membres ; qu'en ayant jugé le contraire, pour refuser de faire interdire les campagnes de publicité télévisuelle diffusées par la société Blackdivine, prônant l'infidélité dans le mariage pour attirer des clients sur le site Gleeden.com, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour

5. L'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que :
« 1.- Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.
2.- L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ».

6. Aux termes de l'article 212 du code civil, les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance.

[…]

8. L'arrêt énonce, d'abord, à bon droit, que si les époux se doivent mutuellement fidélité et si l'adultère constitue une faute civile, celle-ci ne peut être utilement invoquée que par un époux contre l'autre à l'occasion d'une procédure de divorce.

9. Il constate, ensuite […] que les publicités ne proposent en elles-mêmes aucune photo qui pourrait être considérée comme indécente, ni ne contiennent d'incitation au mensonge ou à la duplicité mais utilisent des évocations, des jeux de mots ou des phrases à double sens et la possibilité d'utiliser le service offert par le site Gleeden, tout un chacun étant libre de se sentir concerné ou pas par cette proposition commerciale, les slogans étant de surcroît libellés avec suffisamment d'ambiguïté pour ne pouvoir être compris avant un certain âge de maturité enfantine et n'utilisant aucun vocabulaire qui pourrait, par lui-même, choquer les enfants.

10. Il retient, enfin, que, si la publicité litigieuse vante l' « amanturière », « la femme mariée s'accordant le droit de vivre sa vie avec passion » ou se termine par le message « Gleeden, la rencontre extra-conjugale pensée par des femmes », ce qui pourrait choquer les convictions religieuses de certains spectateurs en faisant la promotion de l'adultère au sein de couples mariés, l'interdire porterait une atteinte disproportionnée au droit à la liberté d'expression, qui occupe une place éminente dans une société démocratique.

11. Ayant ainsi fait ressortir l'absence de sanction civile de l'adultère en dehors de la sphère des relations entre époux, partant, l'absence d'interdiction légale de la promotion à des fins commerciales des rencontres extra-conjugales, et, en tout état de cause, le caractère disproportionné de l'ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression que constituerait l'interdiction de la campagne publicitaire litigieuse, la cour d'appel a, par ces seuls motifs […], légalement justifié sa décision.

[…]

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Liste des questions

I.    Les faits matériels

1.    Quelle est la partie mise en cause dans cette affaire ? Quelle qualification lui donner ?
2.    Quel type de service propose-t-elle ? En quoi ce service est critiqué ? 
3.    Qui saisit le juge de première instance ? En quelle qualité intervient cette partie ?
4.    Que demande-t-elle au juge de première instance ? Sur quel fondement juridique ?

II.    Les faits procéduraux

1.    Quelle juridiction a été saisie en premier ? À quelle date ? Quelle a été sa décision ? À quelle date l’a-t-elle rendue ?
2.    Sait-on qui a saisi la cour d’appel ? De quelle cour d’appel s’agit-il ? À quelle date rend-elle sa décision ? 
3.    La cour d’appel a-t-elle confirmé ou infirmé cette décision ? 
4.    Qui forme un pourvoi en cassation ? 

III.    Les prétentions des parties et la formulation du problème de droit

1.    Sur quels arguments se fonde la cour d’appel pour rendre sa décision ? 
2.    Quelles sont les critiques adressées à la solution de la cour d’appel ? Sur quels fondements s’appuient-elles ? 
3.    Quelles sont les deux normes juridiques en tension dans cette affaire ? Quelles sont les deux visions du rôle du droit en présence ?  
4.    Quel était alors le problème de droit posé aux juges de la Cour de cassation ?

IV.    La solution de la Cour de cassation

1.    S’agit-il d’un arrêt de rejet ou de cassation ? La publicité litigieuse est-elle autorisée ou interdite par la Cour de cassation ? 
2.    Quelle règle de droit la Cour de cassation privilégie-t-elle pour prendre sa décision ? 

V.    Pour aller plus loin : sens, valeur, portée (facultatif)

1.    Qu’est-ce que la Cour dit de la notion juridique du « devoir de fidélité » ? Ce devoir concerne-t-il les époux entre eux ou les tiers ? S’agit-il alors d’un devoir moral ou d’une obligation juridique ? Pourquoi ? 
2.    Le contenu de la publicité est-il considéré comme choquant ? Est-ce que cela exerce une influence sur la décision de la Cour ? 
3.    Quelle norme la Cour de cassation fait-elle primer ? Quel est son raisonnement ? 
4.    En généralisant la solution de l’arrêt, est-ce qu’un comportement jugé immoral est nécessairement interdit par le droit ?

Exercice 1 : Répondez aux questions suivantes

I.    Les faits matériels

On appelle les « faits matériels » la reprise des éléments factuels de l’arrêt. Il ne faut cependant pas tomber dans l’écueil d’un recopiage de l’arrêt. Il est attendu de l’étudiant qu’il synthétise les seuls faits pertinents, mais aussi qu’il qualifie les parties et les situations litigieuses. 

1.    Quelle est la partie mise en cause dans cette affaire ? Quelle qualification lui donner ?

Il s’agit de la société Blackdivine. Elle peut être qualifiée de « société ». 

2.    Quel type de service propose-t-elle ? En quoi ce service est critiqué ? 

La société est éditrice d’un site de rencontres. Ce service est critiqué car il est spécialisé dans les rencontres extra-conjugales. La société fait de la publicité et propose aux utilisateurs de s’inscrire sur la plateforme. 

3.    Qui saisit le juge de première instance ? En quelle qualité intervient cette partie ?

Le juge de première instance est saisi par la Confédération nationale des associations familiales catholiques. Elle peut être qualifiée d’« association », mais aussi de « demanderesse initiale ».

4.    Que demande-t-elle au juge de première instance ? Sur quel fondement juridique ?

L’association demande au juge de première instance d’annuler les contrats conclus avec les utilisateurs du site, d’interdire la diffusion des publicités pour le site de rencontres, d’ordonner à la société de diffuser ses conditions commerciales et ses conditions de protection des données et de la condamner au paiement de dommages et intérêts. 

L’association se fonde sur le caractère illicite de l’activité de la société, qui promeut l’infidélité. Aucun fondement juridique n’est précisé à ce stade. 

II.    Les faits procéduraux

On appelle les « faits procéduraux » l’ensemble des étapes de la procédure. Elle débute le plus souvent avec une assignation, ou avec une requête. Il s’agit de retracer le déroulé de la procédure jusqu’au pourvoi devant la juridiction suprême. 

1.    Quelle juridiction a été saisie en premier ? À quelle date ? Quelle a été sa décision ? À quelle date l’a-t-elle rendue ?

La demanderesse initiale a saisi le juge de grande instance* de Paris, le 22 janvier 2015.

Par un jugement en date du 9 février 2017, les juges de première instance ont déclaré irrecevables certaines demandes et ont rejeté certaines demandes. L’association est donc déboutée. 

* Les tribunaux de grande instance ont fusionné avec les tribunaux d’instance au sein des tribunaux judiciaires depuis le 1er janvier 2020 (Loi organique n° 2019-221 du 23 mars 2019 relative au renforcement de l’organisation des juridictions). 

2.    Sait-on qui a saisi la cour d’appel ? De quelle cour d’appel s’agit-il ? À quelle date rend-elle sa décision ? 

Il n’est pas indiqué clairement qui a interjeté appel. Mais considérant que l’association n’a pas obtenu gain de cause en première instance, on peut légitimement considérer que c’est elle qui a interjeté appel, devant la cour d’appel de Paris. 

La cour d’appel de Paris rend sa décision le 17 mai 2019. 

3.    La cour d’appel a-t-elle confirmé ou infirmé cette décision ? 

La cour d’appel confirme le jugement de première instance, car elle a rejeté l’ensemble des demandes de l’association. 

4.    Qui forme un pourvoi en cassation ? 

L’association forme un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation. Elle est donc « demanderesse au pourvoi ».

III.    Les prétentions des parties et la formulation du problème de droit

Une fois les éléments factuels et procéduraux posés et compris, il faut plonger davantage dans le fond du raisonnement : que souhaitent l’une et l’autre des parties ? En confrontant les prétentions de chacune des parties à l’instance, il sera possible d’en déterminer la question posée aux juges. 

1.    Sur quels arguments se fonde la cour d’appel pour rendre sa décision ? 

La cour d’appel considère que le devoir de fidélité est du domaine de l’ordre public de protection, car il ne concerne que les époux, qui peuvent y déroger par consentement mutuel, et que l’infidélité peut être excusée dans une procédure de divorce. De cette circonstance, la cour d’appel en déduit que la liberté d’expression prime sur le devoir de fidélité. 

2.    Quelles sont les critiques adressées à la solution de la cour d’appel ? Sur quels fondements s’appuient-elles ? 

La principale critique s’appuie sur la qualification du devoir de fidélité. Pour la demanderesse au pourvoi, le devoir de fidélité fait partie de l’ordre public de direction, et non de protection. Ce devoir concerne la société dans son ensemble, et non seulement les époux dans leurs relations privées. En cela, la cour d’appel aurait violé l’article 212 du Code civil*. 

L’autre critique adressée concerne les limites à la liberté d’expression. Le pourvoi considère que la liberté d’expression cède devant le devoir de fidélité, qui concerne la société dans son ensemble. Dès lors, la cour d’appel aurait violé l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (Convention EDH)**. 

* C. civ. art. 212 : « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance ». 

** Conv. EDH art. 10 (extraits) : « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. […] 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

3.    Quelles sont les deux normes juridiques en tension dans cette affaire ? Quelles sont les deux visions du rôle du droit en présence ?  

Le principal fondement juridique utilisé par la cour d’appel et le pourvoi est l’article 212 du Code civil relatif au devoir de fidélité. L’autre fondement en tension est l’article 10 de la Convention EDH relatif à la liberté d’expression. 

Nous sommes en présence de deux normes de source et de philosophie différentes.

L’article 212 du Code civil est un héritage du Code Napoléon de 1804. Il reflète l’ordre moral relatif à l’institution du mariage et constitue un rempart contre certaines atteintes qui pourraient être considérées comme immorales ou non socialement acceptées. En ce sens, le mariage est l’union de deux personnes sur laquelle se fonde le droit de la filiation pour déterminer les parents d’un enfant. Le devoir de fidélité est donc un pilier de l’institution matrimoniale. La demanderesse au pourvoi considère donc que l’article 212 du Code civil prescrit un comportement social qui interdit toute infidélité et, au-delà, toute promotion de l’infidélité. Le droit est donc porteur de valeurs sociales. 

L’article 10 de la Convention EDH est un texte supranational issu du Conseil de l’Europe. Il garantit la liberté d’expression à tout justiciable résidant sur le territoire d’un État-membre du Conseil de l’Europe. Ces libertés, qualifiées de libertés fondamentales ou de droits fondamentaux, priment en principe sur toute autre norme. Cependant, leur exercice n’est pas absolu et peut être limité. Il revient alors au juge de vérifier l’équilibre entre liberté fondamentale et potentielle atteinte à un droit de nature privée. Le droit est donc avant tout garant des libertés publiques. 

En l’espèce, il était demandé au juge de statuer sur la conformité des publicités – et donc, plus généralement, sur la liberté d’expression de la société – dès lors qu’elles portaient atteinte au devoir de fidélité de l’article 212 du Code civil. 

4.    Quel était alors le problème de droit posé aux juges de la Cour de cassation ?

La Cour de cassation devait se prononcer sur la question de savoir si le devoir de fidélité de l’article 212 du Code civil justifie une restriction à la liberté d’expression dans le cadre d’une publicité commerciale.

IV.    La solution de la Cour de cassation

La fiche se termine avec la solution de la juridiction dont la décision est étudiée. Il s’agit de comprendre le sens de la décision, le raisonnement emprunté, les fondements choisis. Il s’agit également de synthétiser et de reformuler le raisonnement pour qu’en une phrase ou deux, l’essentiel puisse être retenu.

1.    S’agit-il d’un arrêt de rejet ou de cassation ? La publicité litigieuse est-elle autorisée ou interdite par la Cour de cassation ? 

Il s’agit d’un arrêt de rejet. Cela signifie donc que la Cour de cassation confirme la solution d’appel. Les publicités ne sont donc pas annulées, elles peuvent continuer à être diffusées. 

2.    Quelle règle de droit la Cour de cassation privilégie-t-elle pour prendre sa décision ? 

La Cour de cassation se fonde principalement sur les articles 10 de la Convention EDH (§ 5) et 212 du Code civil (§ 6) pour rendre sa décision. 

V.    Pour aller plus loin : sens, valeur, portée (facultatif) 

Les dernières questions préparent l’étudiant à raisonner en vue de la construction du plan et de la rédaction du commentaire. Elles portent sur le raisonnement employé par la Cour de cassation pour parvenir à sa décision. 

1.    Qu’est-ce que la Cour dit de la notion juridique du « devoir de fidélité » ? Ce devoir concerne-t-il les époux entre eux ou les tiers ? S’agit-il alors d’un devoir moral ou d’une obligation juridique ? Pourquoi ? 

La Cour considère que le devoir de fidélité est une « faute civile » mais qu’elle ne concerne que les relations interpersonnelles entre les époux, notamment dans le cadre d’un divorce (§ 8). 

Autrement dit, s’il existe bien un devoir moral de fidélité, exprimé dans un comportement social inhérent à l’institution du mariage, il n’existe pas de devoir général et absolu de fidélité dans le mariage qui pourrait être invoqué par les tiers en dehors des relations interpersonnelles et matrimoniales. Dès lors, la promotion de l’adultère est un comportement moral (et religieux) répréhensible, mais qui n’est pas juridiquement sanctionnable. 

2.    Le contenu de la publicité est-il considéré comme choquant ? Est-ce que cela exerce une influence sur la décision de la Cour ? 

La Cour de cassation précise que les publicités litigieuses ne comportent pas de photo jugée indécente, incitant au mensonge ou à la duplicité. Aucune photo ne peut être comprise avant un certain degré de maturité ou choquer un jeune public. Au contraire, les photos exploitent des sous-entendus afin d’amener les adultes à utiliser la plateforme, laissant toute liberté aux adultes (§ 9).

Il est possible de considérer que l’absence de contenu choquant ou compréhensible pour un jeune public est un argument pris en compte pour aller dans le sens de la solution de rejet de l’interdiction des publicités. 

3.    Quelle norme la Cour de cassation fait-elle primer ? Quel est son raisonnement ? 

La Cour de cassation fait primer la liberté d’expression de l’article 10 de la Convention EDH sur le devoir de fidélité de l’article 212 du Code civil (§ 10). 

Elle rappelle implicitement que la liberté d’expression, en tant que droit fondamental, peut être limité. Elle précise ensuite les contours de cette limitation : elle doit être proportionnée au regard de la liberté d’expression, qui est une liberté éminemment démocratique. Or, en l’espèce, la liberté d’expression est mise en porte-à-faux avec le devoir de fidélité. La Cour considère que le devoir de fidélité, telle qu’elle l’a défini, n’est pas un fondement suffisant pour limiter la liberté d’expression de la société et ainsi interdire les publicités litigieuses. On peut en déduire que la promotion de l’adultère ne constitue pas un trouble suffisant à l’ordre public pour limiter la liberté d’expression. 

4.    En généralisant la solution de l’arrêt, est-ce qu’un comportement jugé immoral est nécessairement interdit par le droit ?

Non, un comportement qui pourrait être jugé immoral n’est pas nécessairement interdit par la loi. Ici, le fait de promouvoir l’adultère n’est pas interdit, alors même que la fidélité est un des piliers de l’institution du mariage. 

La Cour fait ici une distinction entre le droit et la morale. Certains comportements peuvent être moralement répréhensibles, sans être juridiquement réprimés. D’autres en revanche sont juridiquement réprimés, alors même qu’ils ne constituent pas une atteinte à la moralité. Ce n’est que si le législateur décide, au travers d’un texte, de réprimer un comportement immoral, que ce comportement immoral deviendra également illicite. La règle morale se doublera alors d’une force juridique obligatoire. 

Or, la Cour de cassation indique ici que l’infidélité dans le mariage est bien un comportement juridique répréhensible, mais uniquement dans les relations entre époux. Cela signifie que le droit ne punit l’infidélité que dans un cadre déterminé. Les tiers à la relation ne peuvent pas s’en servir pour exercer une action en justice, comme le souhaite l’association en l’espèce. On retrouve l’idée selon laquelle le droit vise la régulation de la société dans son ensemble, alors que la morale ressortit de la conscience de chacun et de son perfectionnement intérieur. Le droit ne postule pas la perfection (c’est-à-dire que chaque citoyen soit fidèle) et ne fait que réprimer le passage à l’acte, ce qui suppose d’une part d’être dans une relation matrimoniale, et d’autre part de subir l’infidélité. 

Exercice 2 : Rédigez une fiche d’arrêt

Énoncé

A l’aide des réponses aux questions précédentes, rédigez une fiche d’arrêt structurée et proposez une annonce de plan.

Corrigé

En l’espèce, une société spécialisée dans les rencontres extra-conjugales fait de la publicité pour son site. Une association l’assigne, notamment aux fins d’interdire la diffusion des publicités jugées illicites et immorales. 

Par un jugement en date du 9 février 2017, les juges de première instance ont déclaré irrecevables certaines demandes et ont rejeté les autres demandes. Ce jugement est confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 17 mai 2019. Les juges d’appel ont considéré que le devoir de fidélité constitue une norme d’odre public de protection, car il ne concerne que les époux, qui peuvent y déroger consensuellement ou l’excuser. La cour d’appel en déduit que la liberté d’expression prime sur le devoir de fidélité.

L’association forme un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation. Elle fait valoir que le devoir de fidélité constitue une norme d’ordre public de direction, justifiant une restriction à la liberté d’expression de la société. Elle reproche ainsi à la cour d’appel d’avoir violé les articles 212 du Code civil et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Ainsi, la Cour de cassation devait se prononcer sur la question de savoir si le devoir de fidélité de l’article 212 du Code civil justifie une restriction à la liberté d’expression dans le cadre d’une publicité commerciale.

La première chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt en date du 16 décembre 2020, rejette le pourvoi. Pour statuer en ce sens, elle se fonde principalement sur les articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et 212 du Code civil pour rendre sa décision. La Cour considère que le devoir de fidélité ne s’impose qu’aux époux, et non aux tiers. Autrement dit, il n’existe pas de devoir général de fidélité invocable par un tiers en dehors des relations matrimoniales. La promotion de l’adultère est un comportement moral répréhensible, mais qui n’est pas juridiquement sanctionnable. Par conséquent, la Cour de cassation décide de faire primer la liberté d’expression de l’article 10 de la Convention EDH sur le devoir de fidélité de l’article 212 du Code civil. Si la liberté d’expression peut faire l’objet de restrictions, le devoir de fidélité ne constitue pas une justification suffisante en l’espèce. 

Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation devait d’abord se prononcer sur la valeur et la portée à donner au devoir de fidélité contenu à l’article 212 du Code civil (I). Ce n’est que parce qu’elle n’y voit qu’une portée juridique limitée qu’elle parvient à la conclusion que ce fondement est insuffisant à limiter la liberté d’expression de la société défenderesse (II).

I – La valeur et la portée du devoir de fidélité prévu par l’article 212 du Code civil

II – L’impossible limitation de la liberté d’expression par le devoir de fidélité