Introduction
Les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) sont une nouvelle catégorie de lois créée par la révision constitutionnelle du 22 février 1996 afin d’associer le Parlement à la gestion de ce secteur des finances publiques et de juguler les déficits le qui caractérisent. Cette réforme constitutionnelle a été complétée par la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, ainsi que par une autre loi organique ayant le même objet du 14 mars 2022.
Destinées à maîtriser les dépenses sociales et, ainsi, à parvenir à un équilibre des finances sociales, les LFSS voient, toutefois, leur portée limitée. Ce constat s’explique par la nature même de ces lois qui sont des lois de financement et non des lois de finances et qui, de ce fait, ne comportent que peu de dispositions contraignantes.
Il en va ainsi tant des dispositions afférentes aux recettes sociales qui constituent de simples prévisions que des dispositions relatives aux dépenses sociales pour lesquelles le Parlement ne vote que de simples objectifs qui peuvent, donc, être dépassés.
Il convient, donc, d’étudier, dans une première partie, la portée limitée des LFSS du fait de la nature même de ces lois (I) et de démonter, dans une seconde partie, que le caractère limité de cette portée concerne tant les recettes que les dépenses sociales (II).
I – Une portée limitée qui tient à la nature des LFSS
La portée limitée des LFSS tient au fait qu’il s’agit de lois de financement et non de lois de finances (A). Elle explique, alors, que ces lois ne contiennent que peu de dispositions contraignantes (B).
A - Des lois de financement et non des lois de finances
L’existence des LFSS est prévue par l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958. Celui-ci dispose : « Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». Les lois régissant les administrations de sécurité sociale sont, ainsi, définies comme des lois de financement et non des lois de finances.
Cette différence de termes n’est pas sans conséquence. Elle traduit le fait que les LFSS ne présentent pas la même nature que les lois de finances de l’Etat. Il faut comprendre par-là que les LFSS n’ont pas de portée budgétaire. En d’autres termes, les elles n’autorisent pas la perception des recettes ; elles ne font que les prévoir. De même, les objectifs de dépenses, votés par le Parlement, évaluent les dépenses, mais ne les limitent pas. Il ne s’agit donc pas d’une enveloppe budgétaire limitative (dont on comprend aisément l’impossibilité, puisqu'elle impliquerait de cesser les remboursements aux assurés une fois le plafond de l’enveloppe atteint).
Ainsi s’explique qu’elles ne contiennent que peu de dispositions contraignantes.
B - Des lois qui ne comportent que peu de dispositions contraignantes
Les LFSS ne comportent que peu de dispositions contraignantes. Tout au plus peut-on citer celles qui ne peuvent être contenues que dans de telles lois et qui, par suite, présentent un caractère impératif. Ainsi, en va-t-il, notamment, de la création ou de la modification des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations ou de contributions de sécurité sociale affectées aux régimes obligatoires de base ou, encore, de l'affectation, totale ou partielle, d'une recette exclusive des régimes obligatoires de base de sécurité sociale ou des organismes concourant à leur financement à toute autre personne morale.
Hormis ces dispositions, la loi organique du 14 mars 2022 prévoit la nécessité pour le Gouvernement d’adresser aux commissions des deux chambres saisies au fond des LFSS un rapport lorsque, en cours d'exercice, les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale déterminées en LFSS sont remises en cause. Ce rapport doit présenter les raisons de la dégradation de la situation financière de la sécurité sociale, les modifications projetées des tableaux d'équilibre établis dans la précédente loi de financement ainsi que la révision projetée, le cas échéant, des objectifs de dépenses par branche et de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, et les mesures envisagées de redressement des comptes de la sécurité sociale pour l'année en cours. Cette disposition ne donne pas, à proprement parler, un caractère contraignant aux conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale déterminées en LFSS, mais elle lui confère une certaine autorité puisqu’elle impose au Gouvernement de s’expliquer lorsque la trajectoire des finances sociales s’en écarte en cours d’année.
L’ensemble de ces considérations emporte des conséquences sur l’objet principal des LFSS, à savoir la fixation des recettes et des dépenses sociales.
II – Une portée limitée de l'ensemble des dispositions des LFSS
La portée limitée des LFSS concerne aussi bien les recettes (A) que les dépenses (B).
A - Les recettes : de simples prévisions
A l’instar de ce qui a cours pour les finances de l’Etat, les recettes sociales sont encaissées par les caisses sociales sans aucune limite : ces organismes perçoivent, en effet, les cotisations sociales jusqu’à épuisement des sommes à recouvrer, même si, par un heureux hasard, elles viennent à excéder les sommes initialement prévues.
Les deux recettes, celles des organismes de sécurité sociale et celles de l’Etat, présentent, toutefois, une différence quant à leur régime juridique. Cette différence tient au fait que les lois de finances autorisent la levée des impôts (sans quoi ceux-ci ne pourraient pas être perçus par l’Etat), alors que les LFSS ne font que prévoir les recettes sociales. La loi organique du 14 mars 2022 prévoit, ainsi, que la LFSS « prévoit les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base, par branche, ainsi que celles des organismes concourant au financement de ces régimes ». En d’autres termes, les LFSS n’autorisent pas la perception des recettes sociales : ces dernières peuvent être encaissées indépendamment de toute disposition contenues dans la LFSS. Il s’ensuit que le rôle des LFSS en matière de recettes sociales se limite à un simple exercice de prévision.
La même portée limitée peut être reconnue aux dépenses des organismes de sécurité sociale.
B - Les dépenses : de simples objectifs
Les dépenses des organismes de sécurité sociale présentent avec les dépenses de l’Etat deux grandes différences.
La première tient à leur régime juridique. Si les lois de finances de l’Etat autorisent ses dépenses (sans quoi celui-ci ne pourrait les mettre en œuvre), les LFSS ne fixent que des objectifs. Ainsi, la loi organique du 14 mars 2022 prévoit que la LFSS « fixe les objectifs de dépenses de l'ensemble des régimes obligatoires de base, par branche, ainsi que, le cas échéant, leurs sous-objectifs [et] fixe l'objectif national de dépenses d'assurance maladie [ONDAM] de l'ensemble des régimes obligatoires de base ainsi que ses sous-objectifs. » Autrement dit, les LFSS évaluent les dépenses, effectuent des projections, bref, fixent des objectifs, mais ne les autorisent pas.
La seconde tient à l’existence ou non d’un plafond pour ces dépenses. En matière de finances étatiques, le montant des dépenses fixé en loi de finances constitue un plafond que l’Etat ne peut dépasser. A l’inverse, le montant des dépenses fixé en LFSS peut être dépassé, puisqu’il s’agit d’un simple objectif. Le contraire impliquerait de cesser le remboursement des soins aux patients, ce qui est, factuellement, impossible.
Juridiquement, l’encadrement des dépenses des organismes de sécurité sociale est, donc, relativement souple. Mais, les LFSS constituent un outils à même de rationaliser leur exécution. C’est, ainsi, que, de 2010 à 2019, l’ONDAM a été respecté. Par ailleurs, les LFSS présentent, également, une portée politique non négligeable : s’en écarter trop présenterait un risque politique non négligeable pour le Gouvernement, de sorte que celui-ci n’a pas intérêt à réaliser des prévisions trop optimistes ou à laisser filer les dépenses, hormis bien sûr en cas de crise, telle que celle débutée en 2020.
