Le rôle de l’Exécutif local en matière de finances locales (dissertation)

Introduction

Les finances locales font intervenir, pour leur mise en œuvre, deux grands types d’acteurs : l’Exécutif de la collectivité et son assemblée délibérative. Le rôle du premier apparaît, toutefois, plus important que celui de la seconde. Il en va ainsi tant en ce qui concerne l’adoption que l’exécution des budgets locaux.

Sur le premier point, la répartition des rôles semble, au premier abord, équilibrée. En effet, l’Exécutif local a la charge exclusive de la préparation du budget quand l’assemblée locale peut seule le voter. Un examen attentif de la situation atteste, cependant, que, dans les faits, l’Exécutif dispose d’une capacité d’influence significative lors de la procédure de vote du budget.

Sur le second point, le constat est, nettement, plus marqué, bien qu’empreint d’un paradoxe. L’exécution du budget relève, en effet, essentiellement de l’Exécutif local. Mais, celui-ci ne fait pas l’objet d’un régime de responsabilité à la mesure de ces prérogatives.

Ce rôle majeur de l’Exécutif local peut, donc, s’observer du point de vue de l’adoption des budgets locaux (I) et du point de vue de leur exécution (II).

I – Le rôle de l'Exécutif local dans l'adoption du budget

L’adoption du budget se décompose en deux grandes phases : une phase de préparation du projet de budget et une phase de vote. La première relève exclusivement de l’Exécutif local (A). La seconde, en revanche, est de la compétence de l’assemblée locale, même si le rôle de l’Exécutif ne doit pas être sous-estimé (B).

A – Une compétence exclusive pour préparer le projet de budget

La préparation du projet de budget relève de l’Exécutif local. Celui-ci n’exerce, toutefois, pas cette compétence seul : différents services et autorités l’assistent en effet (1). En revanche, il n’est pas contraint par les assemblées locales puisque celles-ci sont simplement consultées lors de cette phase (2).

1 – Une compétence que l’Exécutif local n’exerce pas seul

La phase de préparation du projet de budget incombe au seul Exécutif local : le maire pour les communes, le président du conseil départemental pour les départements et le président du conseil régional pour les régions. Cet entité « Exécutif local » doit, toutefois, être appréciée largement. Elle inclue, en effet, d’autres autorités ou services qui assistent le maire ou le président du conseil départemental ou régional dans la préparation du projet de texte et qui lui demeurent subordonnés.

D’une part, l’Exécutif est aidé dans sa tâche par d’autres autorités politiques : les adjoints aux finances pour les communes et les vice-présidents chargés des finances dans les départements et les régions.

D’autre part, différents services de la collectivité, placés sous l’autorité de l’Exécutif local, apportent, également, leur aide. Ces services varient selon la taille de la collectivité. Dans les communes de petite taille, c’est, souvent, le secrétaire de mairie, voire le receveur municipal, qui prépare le budget. Dans les communes plus importantes, ainsi que dans les départements et les régions, l’Exécutif local, dispose, généralement, d’un personnel administratif compétent et spécialisé pour l’élaboration du budget, qu’il s’agisse des services dépensiers à qui il revient de faire des propositions ou des services financiers proprement dit qui élaborent le budget compte tenu des informations en leur possession et de la politique décidée par l’Exécutif local. Il convient, également, de noter que les services de l’Etat apportent aux collectivités différentes informations nécessaires à l’établissement de leur budget (bases d’imposition des quatre taxes locales, dotations étatiques, …).

Dans l’exercice de cette mission, l’Exécutif local compose, ainsi, un quasi monologue. Celui-ci n’est contrarié que par le droit des assemblées à être consultées.

2 – Des assemblées locales simplement consultées

Lors de la phase de préparation du projet budget, les assemblées locales sont relativement discrètes. Elles ne sont, en effet, associées à ce travail que par le biais d’un débat d’orientation budgétaire qui est obligatoire, hormis pour les communes de petite taille. Cette procédure, instaurée initialement par la loi du 2 mars 1982 pour les départements, a été étendue, par la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, aux communes comptant au moins 3 500 habitants et aux régions.

Bien que son contenu ne soit pas formalisé, son principe est de permettre à l’Exécutif local d’informer l’assemblée sur la situation financière de la collectivité et de lui présenter les grandes lignes et les principales options du futur budget. Différentes garanties procédurales permettent de garantir cette bonne information des assemblées. Ce débat doit, ainsi, faire l’objet d’une délibération distincte de celle du budget et s’effectuer dans les conditions applicables à toute séance de l’assemblée délibérante. Par ailleurs, s’il doit être organisé dans les deux mois qui précèdent l’examen du budget pour les communes et les départements et dans les dix semaines précédant le même évènement pour les régions, la jurisprudence interdit qu’il ait lieu à une échéance trop proche du vote du budget.

Malgré ces garanties, le rôle des assemblées demeure passif. Elles sont, en effet, simplement informées de la teneur du futur budget. Tout au plus peuvent-elles tenter de faire fléchir l’Exécutif local par le poids politique de leurs différentes composantes. Mais, il ne s’agit, là, que d’un rapport de force d’ordre politique et en rien d’une prérogative juridique. C’est, d’ailleurs, là, la situation dans laquelle se retrouve l’Exécutif local lorsqu’il s’agit du vote du budget.

B – Une intervention lors du vote du budget plus signifiante qu'il n'y paraît

Le vote du budget relève de la seule compétence des assemblées locales. Toutefois, l’Exécutif local jouit, en la matière, d’une capacité d’influence significative (2). Il a, par ailleurs, la charge d’initier la discussion budgétaire (1).           

1 – Un Exécutif local à qui revient la charge d’initier la discussion budgétaire

Il revient à l’Exécutif local d’initier la discussion budgétaire. Il faut comprendre par-là qu’il s’agit pour lui de mettre à même l’assemblée locale de discuter et de voter le budget. Deux tâches lui incombent à cette fin.

La première le conduit à convoquer les membres de l’assemblée délibérante. Cette convocation obéit à certaines règles dont le but est de permettre aux intéressés de préparer de manière optimale la discussion budgétaire. A cette fin, la convocation, accompagnée des pièces informatives, doit parvenir aux conseillers départementaux et régionaux au moins douze jours francs avant l’examen du budget. Pour les communes comptant au moins 3 500 habitants, ce délai est de cinq jours francs minimum (trois jours francs au moins pour les autres communes). Ces délais peuvent être abrégés en cas d’urgence, sans, toutefois, pouvoir être inférieurs à un jour franc.

La seconde lui impose d’associer à la convocation, outre le projet de budget, les différents documents budgétaires destinés à l’information des membres des assemblées. Ainsi, les conseillers départementaux et régionaux se voient remettre un rapport, quand les membres du conseil municipal doivent être destinataires d’une note de synthèse suffisamment détaillée. En plus de ces documents, pour les régions, les départements et les communes de plus de 3 500 habitants, les élus doivent, également, recevoir communication de certaines annexes, telles que la liste des subventions versées aux associations, un tableau retraçant les emprunts garantis ou, encore, une consolidation des budgets annexes et du budget principal. Enfin, tout membre de ces assemblées peut demander la communication de pièces complémentaires susceptibles d’éclairer le débat.

Une fois les élus locaux informés, commence la discussion budgétaire proprement dite. En principe, ce sont, ici, les assemblées locales qui jouent le rôle majeur. Mais, la pratique impose d’adopter une position plus nuancée.

2 – Une compétence exclusive des assemblées pour voter le budget qui ne doit pas masquer le poids de l’Exécutif local

L’assemblée délibérante est, juridiquement, seule compétente pour se prononcer sur le projet de budget présenté par l'Exécutif de la collectivité : il s’agit du conseil municipal pour les communes, du conseil départemental pour les départements et du conseil régional pour les régions.

L’Exécutif local n’est, toutefois, pas absent de cette phase. Il lui revient, en effet, de défendre son texte, de répondre aux questions et observations des élus locaux ou, encore, de communiquer des documents d’informations supplémentaires que ces derniers peuvent lui demander.

Mais, surtout, l’Exécutif local dispose d’un poids politique non négligeable qui lui permet d’influer, significativement, sur la discussion budgétaire. En effet, il est issu de la majorité présente à l’assemblée. Or, celle-ci est, généralement, du fait du mode de scrutin (pour les communes et les régions, notamment), relativement conséquente et unie. Aussi, même si, juridiquement, le vote du budget ne relève pas de sa compétence, l’Exécutif local bénéficie, la plupart du temps, d’un fort soutien de sa majorité qui lui garantit une adoption facilitée du texte.

L’Exécutif local jouit donc d’une position prééminente en matière d’adoption du budget. Un constat similaire peut être fait lorsqu’il s’agit de son exécution.

II – Le rôle de l'Exécutif local dans l'exécution du budget

La place de l’Exécutif local dans l’exécution du budget d’une collectivité est empreinte d’un paradoxe qui voit l’élu local jouer un rôle majeur à cette occasion (A) tout en n’encourant qu’une responsabilité limitée (B).

A – Un rôle majeur pour exécuter le budget

A l’instar de tout budget public, le budget d’une collectivité territoriale est exécuté par un ordonnateur et un comptable public. Au niveau local, la qualité d’ordonnateur est reconnue au seul Exécutif local (1), même si cette exclusivité connaît des limites (2).

1 – Un Exécutif local qui dispose, seul, de la qualité d’ordonnateur … en principe

Comme pour les finances nationales, il existe au niveau local une distinction entre l’ordonnateur et le comptable public. Le premier engage la dépense ou constate la recette, puis liquide et ordonnance l’opération. Le second a la charge du maniement des deniers publics afin de payer la dépense et de recouvrer la recette. Telle est, en tout cas, la distinction classique : en effet, cette séparation est appelée à évoluer ; en témoignent, les agences comptables et services facturiers qui ont été mis en place au niveau local ces dernières années et qui tendent à remettre en cause le principe traditionnel.

Sur le plan local, la qualité d’ordonnateur principal est reconnue au seul Exécutif local. Il n’existe pas d’ordonnateur secondaire. Cette fonction est, donc, occupée par le maire pour les communes, le président du conseil départemental pour les départements et le président du conseil régional pour les régions. Ces pouvoirs peuvent, toutefois, être délégués à d’autres élus locaux, voire à des agents publics territoriaux, la délégation étant, simplement, de signature dans cette dernière hypothèse. La fonction de comptable public est, elle, occupée notamment par les comptables de la Direction générale des finances publiques (DGFIP).

Ce quasi-monopole dont dispose l’Exécutif local rencontre, toutefois, des limites.

2 – Une fonction d’ordonnateur, parfois, exercée par d’autres autorités en lieu et place de l’Exécutif local

Il existe certaines situations où la fonction d’ordonnateur est exercée par d’autres personnes que l’Exécutif local. Celles-ci sont au nombre de trois.

La première a trait aux impôts locaux. En la matière, l’Exécutif local n’intervient pas dans leur recouvrement : l’ordre de recouvrer est, en effet, émis par les services de la DGFIP.

La seconde concerne les dépenses obligatoires. Certaines dépenses des collectivités locales doivent, en effet, être obligatoirement inscrites au budget : il s’agit, notamment, des dépenses liées aux secteurs de compétence de la collectivité (par exemple, les lycées pour les régions), des dépenses de personnel, des intérêts d’emprunt ou, encore, du remboursement en capital de la dette. En l’absence d’inscription d’une telle dépense au budget, le préfet peut saisir la Chambre régionale et territoriale des comptes qui demande à la collectivité de rectifier l’oubli et, à défaut, autorise le préfet à les y inscrire d’office si l’Exécutif local n’y a pas procédé dans le mois qui suit la mise en demeure qui lui a été adressée par le représentant de l’Etat.

La troisième hypothèse est celle où l’Exécutif local a été déclaré comptable de fait par le juge des comptes. En pareil cas, il est suspendu de sa qualité d’ordonnateur jusqu’à ce qu’il ait reçu quitus de sa gestion : l’assemblée de la collectivité doit, alors, confier cette mission à l’adjoint du maire dans le cas des communes ou au vice-président du conseil départemental ou régional s’il s’agit d’un département ou d’une région.

Malgré ces atténuations, l’Exécutif local conserve de larges compétences en matière d’exécution budgétaire. Celles-ci ne sont, toutefois, pas associées à un régime de responsabilité adéquat.

B – Une responsabilité limitée

La responsabilité que l’Exécutif local encourt au titre de sa fonction d’ordonnateur apparaît limitée : celui-ci n’est, en effet, pas justiciable des juridictions financières (1). Quant aux contrôles non juridictionnels qui s’exercent sur lui, leur portée s’avère limitée (2).

1 – Un Exécutif local qui échappe au contrôle des juridictions financières

En sa qualité d’ordonnateur, l’Exécutif local n’est astreint à aucun contrôle juridictionnel. Cette irresponsabilité classique est appelée à perdurer.

A ce jour, le régime de responsabilité des ordonnateurs est mis en œuvre par la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). Il s’agit, là, d’une juridiction administrative spéciale ayant pour fonction principale de sanctionner les infractions aux règles du droit budgétaire et de la comptabilité publique, l’octroi d’un avantage injustifié à autrui au préjudice du Trésor ou, encore, l’inexécution d’une décision de justice. Seule peut, ainsi, être sanctionnée la violation de la légalité budgétaire et financière et en aucun cas la faute de gestion.

En matière de budgets locaux, sa compétence est, toutefois, limitée en raison du fait que les élus locaux n’en sont pas justiciables (tout comme les ministres au niveau national). Autrement dit, la violation des règles budgétaires et de comptabilité publique qu’ils commettent échappe aux sanctions spéciales prévues par le droit financier à l’égard des ordonnateurs. II n’est fait exception à cette règle que dans deux hypothèses : lorsqu’un élu local a engagé sa responsabilité propre à l’occasion d’un ordre de réquisition et qu’il a procuré à autrui un avantage injustifié, ainsi qu’en cas d’absence d’exécution d’une décision de justice.

En revanche, la Cour a compétence vis-à-vis des ordonnateurs « non politiques », tels que les agents des collectivités locales et des établissements publics locaux. La CDBF ne prononce, toutefois, que rarement des sanctions. En effet, les personnes qui exécutent les budgets locaux le font, la plupart du temps, sous l'autorité d'un élu local. Ces derniers ne pouvant être jugés par elle, la Cour répugne, alors, à sanctionner des personnes qui n'ont fait qu'exécuter leurs ordres.

Cette irresponsabilité de l’Exécutif local au titre de sa qualité d’ordonnateur n’a pas été remise en cause par l’ordonnance n° 2022 - 408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics. Celle-ci a, en effet, supprimé le régime de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics au profit d’un régime unifié des gestionnaires publics qui concernent tant les ordonnateurs que les comptables publics et qui sera mis en œuvre à compter de 2023 devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes. Mais, elle a préservé l’immunité dont bénéficient les élus locaux et les ministres.

Le constat qui peut être fait s’agissant des contrôles non juridictionnels ne se révèle guère plus satisfaisant.

2 – Une responsabilité toute relative à l’occasion des contrôles non juridictionnels

L’Exécutif local est astreint à trois grands types de contrôles non juridictionnels. Leur portée se révèle limitée.

Le premier est le fait des membres de l’assemblée locale. Ceux-ci doivent être tenus informés des affaires de la collectivité lorsqu’elles donnent lieu à délibération. A cette occasion, ils peuvent demander des explications et des justifications à l'ordonnateur au travers de questions orales ou de missions d’information et d’évaluation. Leur contrôle s’exerce, également, lors du vote du compte administratif et des différentes décisions modificatrices. Il s’agit, là, pour l’Exécutif local d’une responsabilité de type politique qui dépend, par conséquent, du rapport de force qui existe au sein de l’assemblée.

Un contrôle est, aussi, opéré par les comptables publics assignés aux collectivités locales. Ceux-ci sont, en effet, chargés d’exercer un contrôle de régularité des ordres de recettes et de dépenses qui sont émis par les ordonnateurs. Il s’agit d’un contrôle a priori avant l’encaissement ou le décaissement effectif. En matière de recettes, le contrôle porte sur la régularité de l’autorisation de percevoir la recette ou, encore, la régularité des réductions ou annulations d’ordres de recouvrer. En matière de dépenses, il s’agit de vérifier la qualité de l’ordonnateur, l’exacte imputation des dépenses au regard du principe de spécialité des crédits, la disponibilité des crédits, la validité de la dette (notamment au regard de la règle du service fait) et le caractère libératoire du paiement. Le contrôle des dépenses a, toutefois, été allégé ces dernières années. En effet, au contrôle exhaustif s’est substitué un contrôle dit hiérarchisé et partenarial : il s’agit d’un contrôle qui n’est plus systématique, mais qui est, au contraire, modulé selon une évaluation des risques et fondé sur des sondages. Avec cette évolution, les exigences de performance priment, désormais, sur celles de régularité juridique, de sorte que ce type de contrôle n’apparaît plus à même d’assurer un contrôle effectif de l’Exécutif local.

Enfin, les Chambres régionales et territoriales des comptes peuvent présenter a posteriori des observations sur la gestion des collectivités locales. Il s’agit d’un examen de la gestion des ordonnateurs qui ne doit porter que sur la régularité des opérations, sur l’économie des moyens mis en œuvre et sur l’évaluation des résultats atteints par rapport aux objectifs fixés par l’assemblée délibérante. Il ne peut, en revanche, en aucun cas, être jugé de l'opportunité des objectifs fixés. Mais, ce mode de contrôle ne se traduit que par des rapports d’observation transmis à l’exécutif de la collectivité qui doit les communiquer à l’assemblée délibérante. Ils donnent, alors, lieu à une procédure contradictoire, ainsi qu’à un débat devant l’assemblée.

Les contrôles exercés sur l’Exécutif local au titre de sa fonction d’ordonnateur apparaissent, donc, limités. Cette large immunité contraste avec les prérogatives qui sont les siennes tant en matière de préparation que d’exécution budgétaires. L’Exécutif local joue, ainsi, un rôle majeur en matière de finances locales sans être, paradoxalement, l’objet d’un contrôle adéquat.