Introduction
La question de créer un impôt européen, c’est-à-dire de doter l’Union européenne (UE) d’une véritable ressource propre, se pose depuis plusieurs années. Longtemps objet de vifs débats, cette problématique devrait, toutefois, aboutir sous peu.
En effet, l’Union européenne apparaît trop dépendante des contributions des Etats membres, lesquelles représentent la majeure partie de ses ressources. Or, les défis qui l’attendent (la protection de l’environnement, la souveraineté numérique, …) associés aux réponses à apporter à la crise sanitaire imposent de doter l’UE de ressources à même de lui permettre de décider indépendamment des contraintes budgétaires nationales.
Aussi, la Commission européenne a proposé plusieurs pistes qui sont en cours de discussion avec le Parlement européen et le Conseil de l’UE : il est envisagé des ressources fondées sur le futur mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, sur une extension du marché carbone européen et sur l’impôt mondial sur les multinationales. Ces taxes viendraient compléter la taxe écologique sur les emballages plastiques non recyclés entrée en vigueur le 1° janvier 2021.
La mise en place d’un impôt européen s’avère, donc, nécessaire (I). Toutefois, celui-ci devrait être protéiforme et se matérialiser par plusieurs taxes et non une seule (II).
I – Un impôt européen qui se révèle nécessaire
La nécessité d’instaurer un impôt européen tient au fait que l’UE est trop dépendante des Etats pour ses recettes (A) et à l’importance des défis qui l’attendent (B).
A – Aujourd'hui : une Europe trop dépendante des Etats
L’Union européenne apparaît, aujourd’hui, comme trop dépendante des Etats pour ses ressources. En effet, ses ressources propres traditionnelles (droits de douanes et prélèvements agricoles) diminuent depuis les années quatre-vingt : elles ne représentent, ainsi, en 2022, que 11 % de ses ressources. L’essentiel de ses recettes proviennent, donc, des contributions nationales à la charge des Etats : une ressource RNB (revenu national brut) à hauteur de 67 % en 2022 et une ressource TVA à hauteur de 11 % en 2022. Il s’agit, là, de ressources collectées à travers un prélèvement européen sur les impôts nationaux qui dépendent donc des Etats.
Les recettes de l’Union sont, ainsi, étroitement tributaires des contributions nationales. Cette dépendance est de nature à limiter, considérablement, l’autonomie d’action de l’UE en vertu du principe « qui paye commande ». De plus, les difficultés économiques rencontrées par nombre de pays européens rendront, à l’avenir, certainement, moins soutenable l’effort qu’ils consentent pour financer le budget européen.
Introduire de nouvelle ressources visent, donc, à permettre aux autorités européennes de pas être esclaves des contraintes budgétaires nationales. Les priorités européennes pourraient, ainsi, être conçues en fonction de leur valeur ajoutée intrinsèque et détachées des strictes contingences nationales. Concrètement, le pouvoir de pression exercé par les Etats lors des négociations budgétaires aurait moins de répercussions sur le financement final des politiques européennes
La nécessité d’introduire de nouvelles ressources tient, également aux défis qui attendent l’Union.
B – Demain : des défis majeurs qui attendent l'Europe
Tout comme les Etats, l’UE doit assumer les grands enjeux des années à venir qui, on le sait, seront sources de coûts considérables : on pense, en particulier, aux graves questions qui concernent la sécurité, la souveraineté numérique, la protection de l’environnement ou, encore, les phénomènes migratoires. Plus récemment, la guerre en Ukraine a posé la question du rôle de l’Union vis-à-vis des efforts budgétaires des Etats en termes militaires. Autant de considérations qui posent la question du mode de financement du budget européen.
Mais c’est surtout la pandémie de Covid-19 qui a mis le sujet au centre des discussions. Il a, ainsi, été décidé, en décembre 2020, d’un plan de relance européen Next Generation EU d’un montant de 750 Md€ pour faire face aux conséquences économiques et sociales de la pandémie. Pour le financer, les Vingt-Sept ont validé le principe d’un grand emprunt commun européen qui sera remboursé à partir de 2028 grâce à de nouvelles ressources indépendantes des deniers nationaux. Les fonds empruntés peuvent être utilisés pour des prêts aux Etats à hauteur d'un montant maximal de 360 Md€, lesquels seront remboursés par les Etats eux-mêmes. En revanche, les 390 Md€ devront être remboursés par de nouvelles ressources propres de l’Union. A cette fin, plusieurs pistes de financement sont envisagées.
II – Un impôt européen qui se conjuguera au pluriel
La mise en place d’un impôt européen a déjà débuté, mais uniquement de manière très limitée (A). Les choses devraient, toutefois, se précipiter d’ici 2023 avec l’instauration non pas d’une nouvelle taxe européenne, mais de plusieurs taxes (B).
A – Aujourd'hui : des débuts encore timides
A l’heure actuelle, une seule ressource propre a été créée. Entrée en vigueur le 1° janvier 2021, il s’agit d’une contribution nationale calculée en fonction du poids de déchets d’emballages en plastique non recyclés avec un taux d’appel de 0,80 € par kilogramme. Cette nouvelle taxe devrait générer 6,6 Md€ de recettes annuelles.
D’autres font, encore, l’objet de discussions au niveau européen. Depuis la proposition de la Commission européenne en 2018, envisageant l’introduction d’un panier de nouvelles ressources propres, puis l’accord des dirigeants européens en 2020 sur le nouveau cadre financier pluriannuel, la nature de ces ressources a pu évoluer. Certains projets semblent avoir été abandonnés (redevance numérique, …), tandis que d’autres ont vu le jour. En décembre 2021, la Commission a, ainsi, proposé trois nouvelles sources de recettes pour le budget de l’UE afin de contribuer à rembourser le volet subventions du plan Next Generation EU. La Commission travaille, actuellement, avec le Parlement européen et les États membres de l’UE au sein du Conseil en vue d’une approbation rapide des nouvelles sources de recettes.
L’on s’oriente, donc, non pas vers un impôt européen unique qui, s’il avait sa légitimité au regard du caractère politique que présente l’UE, serait difficile à faire accepter par les citoyens européens, mais vers une diversité de taxes axées sur des problématiques moins sensibles politiquement.
B – Demain : les pistes proposées par la Commission européenne
Trois ressources propres sont, actuellement, en discussion.
La première concerne l’extension du marché carbone européen (à partir du 1° janvier 2023). Au sein de ce marché mis en place en 2005, les émissions de CO2 sont monétisées et échangées entre les entreprises. L’objectif du dispositif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre en fixant un prix élevé de la tonne de CO2 émise, assortie de quotas. La Commission européenne propose d’étendre ce marché aux secteurs aérien et maritime, et de prévoir un nouveau système pour inclure également les bâtiments (chauffage) et le transport routier (carburant). Tandis que les recettes du marché du carbone sont actuellement transférées aux Etats membres, l’exécutif européen propose qu’un quart d’entre elles alimentent désormais le budget de l’UE, ce qui représenterait une manne financière de 12 milliards d’euros par an en moyenne sur la période 2026-2030, estime la Commission.
La deuxième est une taxe carbone qui viendrait frapper tout produit importé d’un pays extérieur à l’UE qui ne dispose pas d’un système de tarification du carbone : elle s’appliquerait, dans un premier temps, au fer et à l’acier, au ciment, à l’aluminium, aux engrais et à l’électricité (à compter du 1° janvier 2023). Il s’agit, là, d’ajuster le prix des marchandises importées comme si elles étaient produites dans l’UE et de garantir l’équité pour les entreprises européennes qui sont, actuellement, soumises à des contraintes environnementales plus importantes que la concurrence étrangère. La Commission propose que 75 % des recettes de ce nouvel instrument alimentent le budget européen, soit 1 milliard d’euros par an en moyenne sur la période 2026-2030.
La troisième est un impôt mondial sur les sociétés multinationales (2023 au plus tôt). Ce projet, qui a obtenu l’accord de 136 pays le 8 octobre 2021, prévoit deux piliers : un taux d’impôt minimum de 15 % sur les bénéfices de ces sociétés partout dans le monde, et une réaffectation d’une partie de l’impôt aux Etats dans lesquels les très grandes entreprises réalisent effectivement leurs profits. La Commission propose que les Etats de l’Union réallouent eux-mêmes une partie de ces recettes au budget européen. Si l’exécutif européen envisage de préciser le fonctionnement de cette nouvelle ressource propre courant 2022, il estime que celle-ci pourrait représenter entre 2,5 et 4 milliards d’euros par an.
Le montant cumulé de ces trois nouvelles ressources propres serait de 17 Md€. La Commission souhaite l’utiliser pour rembourser le plan de relance européen, mais aussi pour financer le futur fonds social pour le climat à hauteur de 8 Md€ par an. Elle prévoit, également, d’ici la fin 2023, de présenter un deuxième panier de nouvelles ressources propres. Quant au Conseil européen, il envisage la mise en place d’une nouvelle taxe sur les transactions financières. Proposée par la Commission en septembre 2011, elle a fait l’objet de nombreux débats entre les pays européens avant d’être abandonnée en 2016. Le projet est revenu sur le devant de la scène, particulièrement depuis la crise sanitaire. Cette taxe pourrait rapporter de l’ordre de 10 Md€ par an.
