Introduction
En vertu du principe de la hiérarchie des normes, le pouvoir règlementaire ne peut modifier ce que le Parlement a décidé dans une loi. Cette règle est valable en matière de lois de finances. Pourtant, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1° août 2001 prévoit des dispositifs permettant à l’Exécutif de déroger à l’autorisation budgétaire donnée par le Parlement : c’est ce que l’on appelle la régulation budgétaire.
Cette inversion de la hiérarchie des normes s’explique par des impératifs d’intérêt général tenant, pour les uns, à la nécessité de permettre au Gouvernement de s’adapter à des circonstances nouvelles et, pour les autres, à des considérations d’ordre budgétaire. Certes, les lois de finances rectificatives ont pour objet de répondre à de telles exigences, mais la lourdeur et la durée des procédures qui les caractérisent imposent que cette voie ne soit pas la seule à permettre l’ajustement budgétaire en cours d’exercice.
Il n’en demeure pas moins que cette « voie règlementaire » porte atteinte à un principe cardinal de la théorie juridique. Aussi, les différents dispositifs de régulation budgétaire sont-ils assortis de garanties visant à encadrer leur usage. La LOLF a, notamment, eu pour objet de les renforcer.
C’est au travers de ce double prisme que sera analysée la régulation budgétaire, qu’il s’agisse de la modification de la répartition des crédits, de leur montant ou de leur utilisation dans le temps.
Il convient donc d’étudier, dans une première partie, les impératifs qui justifient la régulation budgétaire (I) et d’analyser, dans une seconde partie, les garanties dont celle-ci est assortie (II).
I – Une régulation budgétaire motivée par des impératifs d'intérêt général
La régulation budgétaire apporte à l’autorisation parlementaire en matière de dépenses des limites : certaines sont justifiées par un impératif d’adaptation aux circonstances (A), d’autres par un impératif d’ordre budgétaire (B).
A - Un impératif d'adaptation aux circonstances
L’autorité reconnue à la loi de finances doit, parfois, être « mise de côté » afin de permettre au Gouvernement de s’adapter à des circonstances non prévues initialement. Il s’agit, alors, soit de modifier l’affectation des crédits, soit de dépasser le montant des crédits autorisés.
Le premier dispositif permet de changer la répartition des crédits, c’est-à-dire de modifier la destination des crédits décidée par la loi de finances. Le but est d’offrir à l’Exécutif la possibilité de s’adapter lorsque, du fait de prévisions erronées, certaines dépenses s’avèrent sous-évaluées ou surévaluées. Deux instruments existent à cette fin (art. 12 de la LOLF). D’une part, les virements de crédits permettent de modifier la répartition des crédits, entre programmes relevant d’un même ministère, afin de l’adapter aux besoins. D’autre part, les transferts de crédits visent à modifier la répartition des crédits entre programmes de ministères distincts, mais, ici, l’emploi des crédits ainsi transférés doit, pour un objet déterminé, correspondre à des actions du programme d’origine : les transferts ont, ici, pour objet d’accompagner des modifications d’attributions entre différents ministères.
Le second dispositif permet au Gouvernement de dépasser les crédits inscrits en loi de finances. Le but est d’éviter les blocages dans le fonctionnement de l’Etat en cas de situation d’urgence nécessitant d’aller au-delà du montant des crédits votés. De tout temps, il a donc été prévu que le Gouvernement puisse abonder les crédits dans certaines situations. Ainsi, la loi du 12 décembre 1879 donnait au Gouvernement, en cas d’absence des chambres et pour certaines dépenses, la possibilité d’ouvrir provisoirement par décret des crédits supplémentaires qui devaient, toutefois, être soumis à ratification ultérieure des chambres. Le principe a été repris par l’ordonnance du 2 janvier 1959, puis par la LOLF en son article 13 : ce dispositif est, désormais, mis en œuvre par le biais de décrets d’avance. Ces derniers permettent d’ouvrir des crédits supplémentaires en cours d’année dans des conditions qui varient selon qu’il y a urgence ou urgence et nécessité impérieuse d’intérêt national.
Un autre motif justifie, également, les limites apportées à l’autorisation budgétaire accordée par le Parlement.
B - Un impératif d'ordre budgétaire
Les crédits qui sont mis à disposition par la loi de finances s’analysent comme une simple autorisation juridique de dépense et non comme un droit définitivement acquis par les services. Les crédits sont, donc, toujours susceptibles d’être remis en cause. Il peut en aller ainsi pour deux raisons principales : éviter la tentation de consommer dans la précipitation les crédits disponibles en fin d’année et contenir le déficit budgétaire de l’exercice. Trois instruments sont mis à la disposition du Gouvernement à cette fin.
Le premier permet de reporter des crédits non utilisés d’un exercice sur l’autre (art. 15 de la LOLF). Ces reports de crédits concernent tant les autorisations d’engagement (AE) que les crédits de paiement (CP). Les AE et les CP disponibles sur un programme à la fin de l’année peuvent, ainsi, être reportées sur le même programme ou, à défaut, sur un programme poursuivant les mêmes objectifs.
Le second permet d’annuler des crédits (art. 14 de la LOLF). Ce mécanisme existait sous l’ordonnance de 1959 : celle-ci prévoyait que les crédits devenus sans objet en cours d’année pouvaient être annulés sur simple arrêté du ministre des Finances avec l’accord du ministre intéressé. Cependant, ce système, qui visait à adapter, en cours d’exécution, les autorisations de crédits aux circonstances nouvelles, a vite été détourné de son objet pour en faire un instrument de régulation budgétaire destiné à contenir le déficit budgétaire. Le LOLF a, donc, officialisé ce rôle : ainsi, les annulations de crédits sont, comme par le passé, autorisées pour les crédits devenus sans objet, mais aussi, à présent, à titre préventif pour prévenir une détérioration éventuelle de l’équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances.
Le troisième concerne la mise en réserve, au début de l’exercice, d’une partie des crédits ouverts par la loi de finances. Concrètement, les ordonnateurs n’ont plus ces crédits à disposition. On parle de « gels » de crédits, lesquels peuvent être, par la suite, « dégelés » – lorsque besoin, accepté par le ministère des finances, il y a –, reportés sur l’année suivante ou annulés. Afin d’obtenir un dégel, il revient aux ministères techniques de démontrer au ministère des finances le bien-fondé des dépenses concernées. Si le but de ce dispositif est, théoriquement, de faire face aux besoins de la régulation qui sont susceptibles d’évoluer en cours d’année, ainsi qu’aux imprévus et aux aléas de gestion, dans les faits, toutefois, la réserve de précaution est, essentiellement, utilisée pour prévenir la détérioration du solde budgétaire.
Etant donné les conséquences que l’ensemble des dispositifs de régulation budgétaire emportent en termes de non-respect de l’autorisation budgétaire accordée par le Parlement, il apparaît logique qu’ils soient assortis de garanties pour en contrôler l’usage.
II – Une régulation budgétaire assortie de garanties
Les dispositifs de régulation budgétaire sont assortis de garanties : certaines tiennent à des mécanismes de plafonnement (A), d’autres consistent en des conditions formelles (B).
A - Des garanties liées à des mécanismes de plafonnement
Les possibilités de déroger à l’autorisation parlementaire sont strictement encadrées : la LOLF prévoit, en effet, des mécanismes de plafonnement des dispositifs de régulation budgétaire. Ces mécanismes attestent du caractère dérogatoire de ces dispositifs et de la volonté d’éviter tout abus dans leur usage.
S’agissant des modifications de la répartition des crédits, le montant total des sommes pouvant, au cours d’une année, faire l’objet de virements ne peut excéder 2 % des crédits ouverts par la loi de finances de l’année pour chacun des programmes concernés. Aucune limite n’est, en revanche, imposée pour les transferts de crédits.
S’agissant des modifications du montant des crédits, le montant cumulé des crédits ouverts par des décrets d’avance pris en cas d’urgence ne peut excéder 1 % des crédits initiaux de la loi de finances de l’année. A l’inverse, lorsqu’est en cause une situation d’urgence et de nécessité impérieuse d’intérêt national, aucun plafond n’est prévu : cela s’explique par le fait qu’il s’agit de faire face à des circonstances d’une particulière gravité.
S’agissant des modifications des crédits dans le temps, les règles en matière de reports de crédits varient selon qu’il s’agit d’autorisations d’engagement ou de crédits de paiement. Pour les premières, la seule limite est l’interdiction de majorer les crédits relatifs aux dépenses de personnel. Pour les seconds, le report est impossible pour les crédits inscrits sur le titre des dépenses personnel depuis la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. Pour les autres crédits, le report est limité dans son montant : il ne peut excéder une limite globale fixée à 3 % des crédits initiaux, mais ce plafond peut être majoré par une disposition de la loi de finances. Le montant total des crédits de paiement ainsi reportés ne peut, toutefois, excéder 5 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année (hors le cas de nécessité impérieuse d’intérêt national). Quant aux annulations de crédits, il est prévu que le montant des crédits annulés ne puisse dépasser 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l’année en cours.
D’autres garanties, cette fois-ci formelles, existent également.
B - Des garanties formelles
Les dispositifs de régulation budgétaire comportent un ensemble de garanties formelles visant à encadrer leur usage. Celles-ci concernent, notamment, l’information préalable et a posteriori des assemblées, l’intervention du Conseil d’Etat pour avis ou, encore, l’auteur du texte décidant du recours à l’un de ces dispositifs.
S’agissant des modification de la répartition des crédits, les virements et les transferts de crédits supposent un décret pris sur le rapport du ministre chargé des Finances. Ce décret ne peut être pris, depuis la LOLF, qu’après information des commissions des finances des deux assemblées et des autres commissions concernées. Par ailleurs, l’utilisation de ces crédits doit faire l’objet d’un compte-rendu spécial inséré dans les Rapports annuels de performance (RAP) annexés à la loi de règlement, lequel doit faire connaître, par programme, les écarts avec les prévisions initiales et justifier, par titre, les mouvements de crédits.
S’agissant des modifications du montant des crédits, les règles varient selon qu’il y a urgence ou urgence et nécessité impérieuse d’intérêt national. Dans le premier cas, les décrets d’avance doivent être pris sur avis du Conseil d’Etat et après avis des commissions des finances des deux assemblées. Par ailleurs, l’ouverture des nouveaux crédits ne doit pas affecter l'équilibre budgétaire défini dans la dernière loi de finances : il s’ensuit que les décrets d’avance doivent procéder à l’annulation de crédits ou constater des recettes supplémentaires. Enfin, les nouveaux crédits doivent obligatoirement être ratifiés par la plus prochaine loi de finances afférente à l’année concernée. Dans le second cas, étant donné qu’il s’agit de faire face à des circonstances d’une particulière gravité, la condition tenant au respect de l’équilibre budgétaire de la dernière loi de finances n’est pas imposée. Le décret doit, toutefois, être pris en Conseil des ministres sur avis du Conseil d’Etat et après information des commissions des finances des deux chambres. Un projet de loi portant ratification de ces crédits doit, par ailleurs, être déposé immédiatement ou à l‘ouverture de la plus prochaine session du Parlement.
S’agissant des modifications des crédits dans le temps, les reports de crédits doivent être pris par arrêté conjoint du ministre des Finances et du ministre intéressé. Les arrêtés de report doivent être publiés au plus tard le 31 mars de l’année suivante. Quant aux décrets d’annulation, ils doivent, avant leur publication, être transmis pour information aux commissions des finances et aux autres commissions intéressées. Ils nécessitent, également, un décret pris sur rapport du ministre chargé des Finances.
L’ensemble de ces garanties se révèlent, parfaitement, justifiées si l’on considère que les dispositifs de régulation budgétaire permettent au pouvoir règlementaire de modifier l’autorisation budgétaire de nature législative. Ces dispositifs n’en sont pas moins nécessaires, la loi de finances rectificative ne pouvant être, au regard de la lourdeur et de la durée de la procédure qui la caractérise, la seule voie d’ajustement budgétaire en cours d’année.
