Introduction

« L’avènement des droits de l’homme dans l’ordre international suppose une double transformation de celui-ci, tant du point de vue politico-juridique par la remise en question de la souveraineté de l’État, qu’au plan éthique par l’affirmation du caractère universel des droits de l’homme. » Par ces mots, prononcés lors de son cours « Communauté internationale et droits de l’homme » au Collège de France, René-Jean Dupuy souligne une rupture essentielle dans l’architecture du droit international contemporain : l’érosion du monopole étatique au profit d’une reconnaissance croissante d’acteurs non étatiques, au premier rang desquels figure l’individu. Ce basculement met en lumière une question centrale : le statut juridique des acteurs privés dans un ordre juridique historiquement conçu comme exclusivement interétatique.

Le droit international public est classiquement défini comme l’ensemble des règles juridiques régissant les relations entre sujets de droit international, principalement les États et les organisations internationales. Il repose historiquement sur le principe de souveraineté étatique, selon lequel seuls les États ont la capacité de créer des normes internationales, de les faire appliquer et d’engager leur responsabilité. Cette architecture, longtemps considérée comme strictement interétatique, a néanmoins évolué au fil du temps. Les acteurs privés désignent, par opposition, des entités non étatiques : individus, entreprises, ONG, fondations, mouvements transnationaux. Le statut d’un acteur en droit international ne renvoie pas simplement à sa présence sur la scène internationale, mais à sa reconnaissance comme sujet de droit, c’est-à-dire comme entité titulaire de droits et/ou d’obligations juridiques internationales. Les acteurs privés ont en effet une double relation vis-à-vis du droit international. Ceux-ci ont une relation de fait avec l’ordre juridique international en influençant les relations internationales par leur poids économique, politique ou social mais également une relation de droit puisque ceux-ci peuvent se prévaloir de droits internationaux et être tenus directement responsables en vertu de normes de droit international public.

Le droit international public s’est historiquement construit autour d’un paradigme stato-centré, fondé sur le principe de souveraineté. Durant des siècles, seuls les États étaient considérés comme sujets du droit international, et les individus n’étaient que des objets de leurs relations diplomatiques. Cette conception a été consolidée par le positivisme juridique du XIXe siècle, selon lequel seules les entités dotées de la volonté juridique, en l’occurrence, les États, pouvaient créer et être liées par des normes internationales. Toutefois, ce modèle a été progressivement remis en question au XXe siècle. La Société des Nations, puis surtout l’Organisation des Nations Unies, ont inauguré une ouverture du système à des enjeux et à des acteurs nouveaux. L’essor du droit international des droits de l’homme, avec la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, marque une rupture. L’individu devient véritablement titulaire de droits internationalement protégés. Parallèlement, l’émergence des tribunaux pénaux internationaux ad hoc puis la création de la Cour pénale internationale (CPI) a permis de reconnaitre la responsabilité pénale directe des personnes physiques en droit international. De même, les entreprises multinationales, les ONG et d’autres entités non étatiques ont acquis une place croissante dans les relations internationales. Leur statut juridique reste toutefois ambigu, révélant les tensions entre ouverture fonctionnelle et préservation de la souveraineté étatique.

Il convient dès lors de se demander comment s’organise aujourd’hui, dans un ordre juridique historiquement construit autour des États, la place des acteurs privés en droit international public et s’ils sont véritablement devenus pleinement sujets de droit international. 

Afin de répondre à cette problématique, nous verrons que si les acteurs privés bénéficient d’une reconnaissance juridique croissante dans certains domaines du droit international (I), leur statut demeure partiel et encadré, révélant les limites de leur subjectivité juridique (II).

I - La reconnaissance croissante des acteurs privés dans l’ordre juridique international

L’ordre juridique international contemporain n’est plus exclusivement fondé sur les relations interétatiques. Il s’est ouvert, sous l’effet des mutations politiques, économiques et sociales, à une diversité d’acteurs non étatiques. Cette reconnaissance progressive ne signifie pas que ces acteurs disposent tous d’une subjectivité juridique pleine, mais elle traduit une évolution marquante vers une prise en compte fonctionnelle de leur rôle dans la production, l’application et le contrôle du droit. Cette reconnaissance concerne au premier chef l’individu, dont le statut a profondément évolué au fil du XXe siècle (A), mais elle s’étend aussi à d’autres entités privées, telles que les entreprises multinationales et les ONG (B).

A - L’individu, acteur privé central dans l’évolution du droit international

Longtemps ignoré comme sujet de droit international, l’individu a acquis une reconnaissance progressive, notamment à travers la consolidation du droit international des droits de l’homme et la création de juridictions pénales internationales. Deux éléments d’évolution sont ainsi particulièrement intéressant dans le cadre de la présente analyse : d’une part la consécration de ses droits fondamentaux (1), et d’autre part sa responsabilité pénale directe devant certaines juridictions internationales (2).

1 - La reconnaissance des droits fondamentaux de l’individu

L’évolution du droit international après 1945 marque une rupture fondamentale dans la place juridique de l’individu. Longtemps considéré comme un simple objet des relations interétatiques, l’individu devient progressivement titulaire de droits reconnus et protégés à l’échelle internationale. Cette transformation est au cœur de la naissance du droit international des droits de l’homme. La DUDH de 1948, bien qu’initialement non contraignante, a posé les bases d’un ensemble de normes progressivement codifiées dans des instruments contraignants, tels que la Convention européenne des droits de l’homme en 1950, la Convention américaine des droits de l’homme en 1969, ou encore les Pactes de 1966 de l’ONU (PIDESC et PIDCP). Ces traités consacrent une série de droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels au bénéfice direct des individus, indépendamment de leur nationalité ou de leur statut.

L’innovation majeure réside dans la possibilité offerte aux individus de faire valoir leurs droits devant des juridictions internationales ou quasi-juridictionnelles. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) permet à tout individu de former un recours contre son propre État, à condition d’avoir épuisé les voies de recours internes. De même, le Comité des droits de l’homme de l’ONU reçoit des communications individuelles dans les États ayant accepté sa compétence. La Cour interaméricaine des droits de l’homme et la Commission interaméricaine des droits de l’homme veillent également au respect des droits de l’homme sur le continent américain et à la bonne application de la Convention américaine des droits de l’homme. Cette capacité d’action directe traduit une forme de subjectivité juridique internationale partielle : l’individu n’est plus seulement protégé par l’État, il est également protégé contre l’État. Cette reconnaissance a été renforcée par l’obligation faite aux États d’adapter leur droit interne aux exigences des normes internationales relatives aux droits de l’homme. Cependant, cette subjectivité demeure encadrée : l’individu ne peut pas agir en tant que véritable partie prenante à la formation du droit international, ni prétendre à une personnalité juridique équivalente à celle des États. Il reste un sujet de droits, non de souveraineté, ce qui témoigne d’une reconnaissance fonctionnelle mais incomplète.

Si la reconnaissance de l’individu en tant que titulaire de droits fondamentaux constitue une avancée majeure, elle ne représente qu’une facette de son intégration dans l’ordre juridique international. L’autre versant, plus contraignant, réside dans la reconnaissance de sa responsabilité personnelle en cas de violation des normes les plus fondamentales. Cette évolution témoigne d’un changement de paradigme : l’individu n’est plus uniquement protégé par le droit international, il peut également en être tenu responsable, indépendamment de l’État auquel il appartient ou pour lequel il agit.

2 - La consécration de la responsabilité pénale individuelle devant les juridictions internationales

La reconnaissance de l’individu comme titulaire de droits en droit international s’est accompagnée, de manière complémentaire, de la reconnaissance de sa responsabilité directe en cas de violation des normes fondamentales. Cette évolution s’est matérialisée dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec la création du Tribunal militaire international de Nuremberg et celui de Tokyo, qui ont permis, pour la première fois, de juger des individus pour des crimes commis dans le cadre de leurs fonctions étatiques. Cette avancée a consacré l’idée que certaines normes du droit international, en particulier celles relevant du jus cogens, comme l’interdiction des crimes contre l’humanité, du génocide, de la guerre d’agression ou des crimes de guerre, s’imposent aux individus eux-mêmes, indépendamment de leur statut officiel ou de la souveraineté de l’État pour lequel ils agissent. L’argument de l’ordre reçu ou de l’immunité liée à la fonction n’est plus suffisant pour échapper à la responsabilité.

Dans les années 1990, cette dynamique s’est poursuivie avec la création de juridictions pénales internationales ad hoc, notamment le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui ont poursuivi et condamné des dirigeants civils et militaires. La consécration institutionnelle de cette tendance est intervenue avec la création de la CPI par le Statut de Rome de 1998, entré en vigueur en 2002. La CPI est compétente pour juger des personnes physiques accusées de crimes internationaux, sans l’intermédiation d’un État. Elle incarne une forme de responsabilité pénale individuelle universelle, bien que son action reste limitée par la compétence territoriale, la coopération des États et les ratifications du Statut. Cette évolution confirme que l’individu est désormais sujet de droit international non seulement passif mais aussi actif, pouvant être titulaire de droits et porteur d’obligations pénales internationales. Toutefois, cette reconnaissance demeure sectorielle et limitée aux crimes les plus graves, et ne consacre pas une subjectivité juridique générale comparable à celle des États. L’individu n’est cependant pas le seul acteur privé à bénéficier d’une reconnaissance juridique croissante en droit international. D’autres entités non étatiques, telles que les entreprises multinationales, les ONG ou les fondations privées, participent elles-aussi de manière significative à la dynamique normative internationale. Leur statut mérite d’être examiné à son tour.

B - La reconnaissance d’une multiplicité d’acteurs privés dans des domaines spécialisés

Au-delà de l’individu, le droit international contemporain a dû composer avec la multiplication d’autres acteurs privés influents, notamment les entreprises multinationales et les organisations non gouvernementales. Bien qu’ils ne bénéficient pas d’une subjectivité juridique aussi affirmée que celle des États ou des organisations internationales, ces acteurs jouent un rôle croissant dans la régulation de nombreux secteurs transnationaux. Les entreprises multinationales sont ainsi marquées par la particularité de leur statut au vu de leur influence croissante sur des pans entiers du droit international (1). Outre la place croissante de ces entreprises, les ONG et autres entités non étatiques prennent également de plus en plus part dans les processus d’élaboration et d’application du droit (2).

1 - Les entreprises multinationales comme sujets d'obligations et producteurs de normes internationales privées

Les entreprises multinationales, par leur puissance économique et leur implantation transnationale, sont devenues des acteurs incontournables du système international. Longtemps ignorées par le droit international classique, elles sont désormais prises en compte dans plusieurs branches spécialisées du droit international, notamment le droit des investissements, le droit de l’environnement et le droit des droits de l’homme. Dans le domaine des investissements étrangers, les entreprises peuvent conclure des contrats internationaux avec des États hôtes et être parties à des procédures d’arbitrage international, notamment devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Cette possibilité de saisir directement une instance internationale marque une reconnaissance fonctionnelle de leur capacité juridique internationale. 

Sur le plan normatif, les entreprises sont aussi soumises à des standards internationaux non contraignants, comme les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, ou les lignes directrices de l’OCDE. Ces instruments affirment leur devoir de respecter les droits humains, même en l’absence d’obligation juridique formelle. De plus, plusieurs États, comme la France, ont adopté des législations à portée extraterritoriale pour imposer aux entreprises un devoir de vigilance. Ainsi les entreprises peuvent être considérées à bien des égards comme sujettes de droit international. Les entreprises ont la capacité de créer des normes internationales, souvent par l’intermédiaire de codes de conduite. Elles se voient également appliquer des normes de droit international public leur conférant des droits, à l’instar des traités bilatéraux d’investissement, ou leur fixant des obligations, à l’instar des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme ou encore des principes directeurs de l’OCDE évoqués plus haut. Les entreprises sont ainsi bien soumises à des droits et obligations en droit international et sont de ce point de vue sujettes de droit international, bien que leur capacité juridique reste moins étendue que celle des États puisqu’elles ne participent pas à la création de normes de droit international public à proprement parler, comme l’établissement de traités par exemple. Leur reconnaissance demeure assez largement fonctionnelle, contextuelle et dépendante du cadre étatique ou conventionnel dans lequel elles opèrent.

2 - Les ONG, fondations et autres entités privées, des organes participant à l’élaboration du droit

Parallèlement aux entreprises multinationales, les ONG, fondations, réseaux d’experts ou mouvements transnationaux occupent aujourd’hui une place croissante dans les processus de formation, de diffusion et d’interprétation du droit international. Bien que ces entités privées ne soient pas investies de la qualité de sujet de droit international au sens strict, elles exercent une influence normative indirecte mais réelle. Certaines ONG jouent un rôle historique et reconnu, à l’image du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), acteur central dans l’élaboration et la mise en œuvre du droit international humanitaire. Le CICR bénéficie d’un statut particulier reconnu par les Conventions de Genève, ce qui lui permet d’agir comme interlocuteur officiel auprès des États, y compris en temps de conflit armé. L’article 2 de son statut dispose ainsi que l’organisation « bénéficie d’un statut équivalent à celui d’une organisation internationale et possède une personnalité juridique internationale dans l’exercice de ses fonctions. ». 

Plus largement, de nombreuses ONG participent à la négociation de traités (notamment dans les domaines de l’environnement, du désarmement ou des droits humains), en tant qu’experts ou parties prenantes dans les processus multilatéraux. Elles sont souvent accréditées auprès d’organisations internationales, en particulier à l’ONU, via un statut consultatif auprès du Conseil économique et social (ECOSOC), ce qui leur permet de soumettre des rapports, de proposer des textes ou d’exercer un rôle de veille critique. Les ONG peuvent également agir devant certaines juridictions, en tant qu’amicus curiae, ou encore par une démarche de contentieux stratégique, en accompagnant des victimes ou en déposant des recours indirects devant les instances internationales. Elles participent ainsi à la construction jurisprudentielle du droit, sans pour autant être parties aux procédures au même titre qu’un État.

Enfin, les fondations privées, les consortiums scientifiques ou les mouvements transnationaux (par exemple dans le domaine du climat ou du numérique) contribuent à la création de standards techniques ou éthiques qui, bien que non contraignants, guident l’interprétation et la mise en œuvre des normes existantes. Ainsi, ces acteurs privés disposent d’une capacité d’influence normative réelle, sans toutefois bénéficier d’une subjectivité juridique pleine dans l’ordre international.

II - Un encadrement juridique encore lacunaire et largement soumis à la souveraineté étatique

Malgré une reconnaissance croissante dans certains domaines spécialisés, les acteurs privés n’ont pas encore acquis un véritable statut de sujets de droit international public au sens plein. Leur intégration dans l’ordre juridique international demeure partielle, encadrée et fonctionnelle, toujours subordonnée à la volonté et à l’intervention des États. Un certain nombre de limites juridiques à cette reconnaissance peuvent ainsi être relevées, d’une part à travers l’absence d’une subjectivité juridique équivalente à celle des États (A), et d’autre part à travers les difficultés persistantes liées à la responsabilité internationale directe de ces acteurs (B).

A - Des sujets de droits à la capacité restreinte et fonctionnelle

Si les acteurs privés peuvent se voir reconnaître certains droits ou une certaine capacité juridique en droit international, cette reconnaissance demeure circonstanciée et instrumentale, sans que leur personnalité juridique soit pleinement établie. Les droits leur étant reconnus sont ainsi assez restreints et encadrés (1) et le rôle des acteurs privés dans la création de normes de droit international demeure marginal (2).

1 - Des droits internationaux reconnus mais sujets à un encadrement étatique fort

La reconnaissance croissante d’acteurs privés dans le champ du droit international ne signifie pas que ces derniers sont devenus des sujets de droits autonomes au même titre que les États. Leurs droits restent strictement encadrés par les États, qui en définissent les contours, les conditions d’exercice et les voies de recours. Cette dépendance traduit une subjectivité partielle, fonctionnelle et souvent dérivée de la volonté souveraine des États. L’exemple des droits de l’homme illustre cette situation. Si l’individu est désormais titulaire de droits internationaux, son accès aux mécanismes de recours demeure conditionné. Devant la Cour européenne des droits de l’homme ou les organes de l’ONU, l’exercice de ces droits suppose l’épuisement préalable des voies de recours internes. De plus, seule une minorité d’États reconnaît la compétence contraignante des organes de contrôle et ceux-ci demeurent des organes régionaux. Les États-Unis ne reconnaissent par exemple pas la juridiction de la Cour interaméricaine des droits de l’homme. En d’autres termes, l’effectivité de ces droits dépend encore du cadre juridique et procédural mis en place par les États.

De même, dans le domaine de l’investissement, les entreprises multinationales peuvent saisir certaines juridictions internationales comme le CIRDI, mais uniquement si l’État a consenti à l’arbitrage, soit par traité bilatéral d’investissement, soit par clause contractuelle. Le droit d’accès à ces mécanismes juridictionnels reste donc subordonné au consentement préalable des États, et n’est pas une prérogative autonome du sujet privé. Même les ONG reconnues par les Nations Unies au titre du statut consultatif auprès de l’ECOSOC n’exercent leurs fonctions qu’à titre consultatif, et leur agrément peut être retiré unilatéralement. Elles n’ont pas de droit d’initiative, ni de pouvoir décisionnel dans les instances intergouvernementales. Cette situation montre que les acteurs privés ne bénéficient pas d’une capacité juridique équivalente à celle des États ou des organisations internationales. Leur reconnaissance en droit international reste circonstancielle, dépendante du cadre défini par les États, et encadrée dans ses modalités d’exercice.

2 - L’impossibilité pour les acteurs privés d’édicter des normes contraignantes en droit international

Une autre limite majeure au statut juridique des acteurs privés en droit international réside dans leur exclusion du processus formel de création des normes internationales. Contrairement aux États et aux organisations internationales, les acteurs privés ne disposent d’aucune capacité normative propre, ni d’un rôle reconnu dans l’adoption des traités ou des coutumes. Cette réalité confirme que s’ils peuvent être considérés à certains égards comme des sujets de droit international, ils ne possèdent pas une capacité juridique aussi étendue que les sujets primaires de droit international. Les traités internationaux, principale source du droit international, sont conclus exclusivement entre États ou entre organisations internationales dotées de la personnalité juridique. Les acteurs privés n’ont aucune capacité de négociation, de ratification ou de signature, même s’ils peuvent être consultés ou impliqués à titre informel. De même, les règles coutumières supposent une pratique étatique constante et une opinio juris étatique. La pratique des entités privées ne suffit pas à elle seule à faire émerger une norme coutumière.

En matière de soft law, certaines ONG, entreprises ou réseaux transnationaux élaborent des normes techniques, éthiques ou sectorielles, mais ces textes, même largement diffusés, n’acquièrent pas en eux-mêmes force obligatoire. Leur autorité dépend de leur réception par les États ou d’une intégration dans des instruments conventionnels. Autrement dit, les normes issues d’acteurs privés ne relèvent pas du droit positif tant qu’elles ne sont pas reprises par les sujets primaires du droit international. De plus, les acteurs privés n’ont pas de rôle officiel dans les grandes enceintes de négociation multilatérale. Ils peuvent être présents à titre consultatif, soumettre des observations ou participer à la société civile organisée autour des forums internationaux, mais ils ne prennent pas part au processus décisionnel. Le pouvoir normatif reste réservé aux États, seuls détenteurs de la souveraineté juridique. Ainsi, même si les acteurs privés peuvent influencer l’évolution du droit international, leur rôle reste celui d’auxiliaires ou de vecteurs indirects, non de créateurs autonomes de normes. Leur statut juridique reflète donc une fonctionnalité dépendante, en marge de la souveraineté normative étatique.

B - Une responsabilité internationale en construction, bien qu’encore incomplète

Au-delà des limites liées à leur capacité normative, les acteurs privés font l’objet d’une reconnaissance incomplète de leur responsabilité juridique internationale. Si l’individu peut aujourd’hui être tenu responsable de violations graves du droit international, cette évolution reste partielle, et les autres entités privées, notamment les entreprises, échappent encore largement à une responsabilité autonome sur la scène internationale (1) et les États conservent un rôle central dans l’encadrement et la mise en œuvre des obligations imposées aux acteurs privés (2).

1 - L’absence d’un régime autonome de responsabilité des entreprises privées

Les entreprises multinationales jouent un rôle majeur dans la mondialisation des échanges, parfois supérieur à celui de certains États en termes de puissance économique. Pourtant, en droit international public, elles ne font pas l’objet d’un régime autonome de responsabilité, à la différence des individus dans le cadre du droit pénal international. Cette lacune illustre les limites structurelles du statut juridique des acteurs privés dans l’ordre juridique international. Contrairement aux individus, les entreprises ne peuvent pas faire l’objet de poursuites devant des juridictions internationales. Même lorsque des entreprises sont impliquées dans de graves atteintes aux droits humains ou dans des conflits armés, la responsabilité pénale incombe, le cas échéant, aux dirigeants à titre personnel, mais l’entité morale elle-même échappe à la responsabilité internationale directe.

En matière civile ou administrative, certaines entreprises peuvent être poursuivies devant des juridictions nationales, notamment par le biais de lois à portée extraterritoriale, comme l’Alien Tort Claims Act (ATCA) aux États-Unis ou la loi française sur le devoir de vigilance (2017). Ces mécanismes visent à combler les lacunes du droit international en matière de régulation des comportements économiques ayant un impact transnational. Toutefois, ils relèvent encore du droit interne, non d’un régime international proprement dit.

Par ailleurs, les entreprises sont de plus en plus soumises à des standards éthiques ou de soft law à vocation universelle (Principes directeurs de l’ONU, normes OCDE), mais ces instruments ne disposent pas de force contraignante. Ils traduisent des attentes croissantes de la société civile et des institutions internationales, mais ne suffisent pas à établir une responsabilité juridique proprement dite. Ainsi, malgré leur influence croissante, les entreprises privées ne sont pas pleinement intégrées dans le système de responsabilité internationale, ce qui pose un défi croissant pour l’effectivité des normes dans un contexte de globalisation économique et au vu de leur importance majeure et de la gravité des atteintes que celles-ci peuvent causer à l’environnement ou aux droits humains. Face à cette situation et sous la pression des citoyens, les États tentent de manière croissante d’encadrer les activités des entreprises.

2 - L’intervention croissante des États pour encadrer les acteurs privés

Face à l’absence de véritable responsabilité directe des acteurs privés en droit international, les États demeurent les principaux garants de leur encadrement juridique. C’est encore par leur volonté que les obligations imposées aux entités non étatiques prennent corps. Cette réalité confirme que, malgré leur montée en puissance, les acteurs privés restent juridiquement subordonnés à l’action des États dans l’ordre international. Plusieurs États ont ainsi mis en place des législations nationales à portée extraterritoriale, destinées à réguler les activités des entreprises au-delà de leurs frontières. La loi française sur le devoir de vigilance impose à certaines grandes entreprises françaises de prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans l’ensemble de leur chaîne de production, y compris à l’étranger. Aux États-Unis, l’Alien Tort Claims Act permet depuis les années 1980 d’engager la responsabilité civile d’acteurs privés pour des violations du droit international commises à l’étranger, bien que son champ d’application ait été restreint récemment par la jurisprudence.

En parallèle, ce sont encore les États qui participent aux initiatives de soft law et en assurent la mise en œuvre volontaire. Les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme reposent sur un triptyque : obligation des États de protéger, responsabilité des entreprises de respecter, et droit des victimes d’accès au recours. Toutefois, sans volonté étatique de les rendre contraignants, ces principes restent non obligatoires. Enfin, dans le cadre des sanctions économiques internationales, ce sont également les États, ou les organisations internationales, elles-mêmes par ailleurs composées d’États, qui décident d’imposer des restrictions aux entreprises, notamment en matière de commerce, de finance ou de technologie. Les entreprises sont ainsi soumises à des obligations indirectes, dépendantes de la volonté normative étatique. Ce constat souligne que les acteurs privés ne disposent pas encore d’une responsabilité juridique pleinement autonome en droit international, et que leur encadrement repose encore largement sur la médiation et l’autorité des États souverains.