Introduction
Le pouvoir fiscal peut être défini comme le pouvoir d'établir sur les citoyens une prestation pécuniaire, sous forme d'impôt ou de toute autre sorte de prélèvement obligatoire, au profit de l'Etat et, plus généralement, des collectivités publiques. Son histoire est étroitement liée à celle des organisations sociales.
L’impôt, et donc le pouvoir fiscal, apparaissent, ainsi, dès les premières ébauches de structurations sociales de l’humanité et se développent à mesure que les civilisations humaines se complexifient. Mais, ce n’est qu’à compter du XVIII° siècle que le pouvoir fiscal prend sa forme contemporaine avec la consécration du principe de consentement à l’impôt.
De nos jours, en France, la lettre de la Constitution de 1958 fait du Parlement le détenteur unique de la compétence en matière fiscale. Mais, la pratique fait apparaitre une réalité plus complexe où l’essentiel du pouvoir de décision appartient, en fait, à l’Exécutif. Cette situation est, cependant, appelée à évoluer du fait de l’internationalisation des échanges économiques et de l’intervention de nouveaux acteurs que sont l’Union européenne et les collectivités locales.
Enfin, si le principe même de l’impôt n’est plus contesté depuis de longue date, l’histoire française est marquée par différents phénomènes de contestation du pouvoir fiscal, au travers, notamment, des révoltes fiscales et de la fraude fiscale.
Il convient donc d’étudier, dans une première partie, les origines du pouvoir fiscal (I), d’analyser, dans une seconde partie, l’organisation du pouvoir fiscal aujourd’hui (II) et d’examiner, dans une troisième partie, la contestation du pouvoir fiscal (III).
I - Les origines du pouvoir fiscal
Les origines de l’impôt sont aussi anciennes que celles des sociétés humaines (A). En revanche, l’apparition du pouvoir fiscal moderne est, elle, plus récente (B).
A - L'apparition de l'impôt
Deux types de facteurs expliquent qu’aient été, progressivement, mis en place des mécanismes de prélèvements obligatoires : les uns sont d’ordre économique et politique (1), les autres sont d’ordre religieux (2).
1 – Les facteurs d’ordre économique et politique
L’apparition de l’impôt est, intimement, liée au niveau de développement des sociétés humaines.
D’un point de vue économique, c’est à partir du moment où les sociétés sont parvenues, par le développement de l’agriculture, à produire plus que leurs besoins qu’une forme de prélèvement a été rendu possible.
D’un point de vue politique, après avoir pris la forme de pillages désordonnés, ces prélèvements vont, progressivement, revêtir le caractère de tributs destinés à entretenir l’organisation politique institutionnalisée. Cette transition est facilitée par l’évolution des sociétés qui se sédentarisent, apprennent à gérer les surplus de production et élaborent des mécanismes de relations sociales de plus en plus complexes. L’impôt est, ainsi, intimement, lié à l’apparition de l’Etat.
Ces deux phénomènes se nourrissent, d’ailleurs, mutuellement : l’Etat marque la domination nécessaire à la réalisation du prélèvement, mais, en retour, l’impôt consolide les rapports de domination par le développement d’une armée et d’une administration qu’il permet.
2 – Les facteurs d’ordre religieux
D’une certaine façon, l’impôt, que l’on appelle parfois sacrifice fiscal, peut être regardée comme la continuité du rituel sacrificiel qui anime l’espèce humaine depuis la nuit des temps.
Selon certaines théories, en effet, l’Homme se considèrerait comme éternellement débiteur des dieux et n’aurait de cesse que de se livrer à de tels sacrifices pour tenter de renouer avec la communauté originelle, celle des dieux. Ce sacrifice apparait, ainsi, comme remplissant une fonction d’intégration au sein d’un ordre universel transcendant toute forme d’organisation sociale.
Plus tard, l’apparition de l’Etat, c’est-à-dire d’une entité détenant le pouvoir sur la société, aurait conduit à « laïciser » le sacrifice religieux. A la césure hommes / dieux aurait succédé la césure hommes / Etat et le sentiment de dette aurait été transféré des dieux vers l’Etat.
B - L'apparition du pouvoir fiscal moderne
Le pouvoir fiscal, tel qu’on le connait aujourd’hui, est apparu avec la consécration du principe de consentement à l’impôt. Ce principe, qui implique que soit accepté la levée de l’impôt par les citoyens ou leurs représentants, a, d’abord, été affirmé en Angleterre (Magna Carta en 1215, Petition of Right en 1628 et Bill of Right en 1689), puis aux Etats-Unis (Déclaration d’indépendance de 1776 et Constitution américaine de 1787) ; en France, il a été consacré par l’article 14 de la Déclaration de 1789.
Ce principe va, d’abord, permettre l’apparition de l’Etat parlementaire. Confronté à l’impossibilité de couvrir ses charges par ses propres revenus, le roi va, en effet, être obligé de négocier des subsides, de manière ponctuelle puis régulière, avec les différents ordres composant la société. C’est sur cette base que sont, ainsi, constituées les premières assemblées, qu’il s’agisse des Etats généraux en France ou du Parlement en Grande-Bretagne.
Dans le même temps, le principe de consentement à l’impôt, associé aux principes de légalité fiscale et de nécessité de l’impôt, va fonder la légitimité du pouvoir fiscal moderne du fait que l’impôt est régulièrement consenti par les représentants des citoyens.
II - L'organisation du pouvoir fiscal en France aujourd'hui
Au regard du texte constitutionnel, le pouvoir fiscal appartient au Parlement. La pratique fait, cependant, apparaitre une réalité plus complexe où le rôle du législateur se trouve limité (A) quand l’essentiel du pouvoir de décision appartient au Gouvernement (B). Cet état de fait est appelé à évoluer sous l’effet de différents facteurs (C).
A – Le Parlement : un rôle limité dans les faits
L’article 34 de la Constitution de 1958 confie, en principe, la compétence en matière fiscale au seul Parlement. Celui-ci prévoit, en effet, que « la loi fixe les règles concernant … l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures » et non pas simplement les principes fondamentaux. Dans les faits, cependant, le rôle du Parlement apparaît plus limité.
D’une part, le législateur ne dispose, ni du temps, ni des moyens, pour exercer pleinement la compétence fiscale que lui attribue la Constitution : dès lors, au lieu de fixer toutes les règles d’une imposition, le législateur se contente, la plupart du temps, d’en délimiter l’ossature, laissant au pouvoir règlementaire le soin de préciser tous les détails du régime. Ainsi, ce qui n’est, au départ, qu’un simple pouvoir d’application des lois voit sa portée être d’autant plus grande que de nombreuses législations fiscales présentent un caractère très général.
D’autre part, plusieurs dispositions constitutionnelles limitent les prérogatives parlementaires. Tel est le cas de l’article 40 de la norme suprême qui prohibe les propositions de loi qui auraient pour conséquence une diminution des ressources publiques. Le Gouvernement dispose, par ailleurs, de la faculté de contraindre l’Assemblée nationale à se prononcer par un seul vote sur tout ou partie du texte en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par lui. Dans le même sens, le Gouvernement peut engager sa responsabilité devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un texte, notamment fiscal.
B - Le Gouvernement : un rôle majeur dans les faits
Outre la place laissée en partie libre par le Parlement s’agissant de l’exercice de la compétence fiscale, diverses raisons expliquent le rôle central joué par le pouvoir exécutif.
La première tient à la technicité de la matière fiscale. En effet, le Gouvernement, par les services administratifs dont il dispose, est mieux à même que le Parlement d’élaborer la loi fiscale. C’est, ainsi, à lui, qu’est rattachée la Direction de la législation fiscale dont la mission essentielle est d’étudier et de préparer les textes des projets de lois fiscales et de leurs règlements d’application. Cette direction assiste, également, le ministre lors des débats parlementaires en lui proposant des avis ou des solutions.
La seconde est liée au caractère sensible de la matière. Les textes fiscaux sont souvent le fruit de compromis, de concertations faisant intervenir différents acteurs. Là encore, le Gouvernement apparait mieux armé pour mener les négociations et trancher entre les différents points de vue. Il peut, en effet, décider la mise en place de commissions de concertation réunissant les personnes directement concernées par le projet (représentants d’associations professionnelles, personnalités qualifiées, représentants de l’administration fiscale).
C - Vers une réorganisation du pouvoir fiscal ?
Le pouvoir fiscal, tel qu’il s’est construit depuis deux siècles, connait, depuis quelques années, des bouleversements majeurs qui tiennent à la mondialisation des échanges (1) et à la montée en puissance de nouveaux acteurs comme l’Union européenne (2) et les collectivités locales (3). Dès lors, se pose la question d’un réagencement du pouvoir fiscal afin de tenir compte de cette nouvelle réalité.
1 – La mondialisation des échanges
L’internationalisation des échanges depuis plusieurs décennies a conduit à un développement aigu de la concurrence fiscale. Ainsi, afin d’inciter les entreprises à s’installer sur leur territoire, certains Etats pratiquent des politiques fiscales avantageuses auxquelles les grandes entreprises multinationales sont, c’est le moins que l’on puisse dire, particulièrement sensibles.
Ce phénomène apparait comme de nature à entamer le libre arbitre des Etats dans une matière aussi régalienne que la fiscalité. Pire, cette compétition fiscale peut, également, entraîner des conséquences sur leur structure même, puisque ceux qui disposent d’une fiscalité moins avantageuse que celle des autres peuvent voir leurs ressources diminuer et être, ainsi, conduits à diminuer leurs interventions dans la société.
La solution passe, alors, par un processus d’harmonisation, mais la diversité des intérêts en présence et le souci des différents Etats de préserver leur souveraineté rendent cette tâche difficile. Ainsi, en va-t-il de la taxation des grandes entreprises du numérique, dites GAFA. La France a, à ce sujet, adopté en 2019 une taxe sur les services numériques dont l’objet est de taxer ces entreprises à hauteur de 3 % de leur chiffre d’affaires réalisé en France. Un projet similaire est en cours de négociation au niveau de l’OCDE (organisation de coopération et de développement économique).
2 – Fiscalité et Union européenne
Un débat existe depuis plusieurs années sur la mise en place d’un éventuel impôt européen qui permettrait à l’Union européenne de disposer d’une réelle ressource propre dans la mesure où, avec la diminution de la part des droits de douane et des prélèvements agricoles, les recettes de l’Union sont de plus en plus dépendantes des États via la ressource RNB et donc de moins en moins « propres » à l'Union.
Plusieurs pistes sont envisagées : une taxe sur les transactions financières, un impôt commun sur les sociétés (au minimum au niveau de la zone euro).
Cette question prend, aujourd’hui, une certaine urgence. En effet, le plan de relance voté en décembre 2020 pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire liée au COVID-19 autorise la Commission européenne à emprunter jusqu’à 750 milliards d’euros, une somme qui devrait être remboursée, notamment, par la création de nouveaux impôts.
3 – Fiscalité et collectivités locales
Les collectivités locales perçoivent le produit de plusieurs impôts locaux. Si elles ne peuvent créer, modifier ou supprimer un impôt local, elles peuvent, en revanche, en déterminer librement le taux (dans certaines limites).
Toutefois, ces dernières années, le législateur a, à de multiples occasions, décidé d’alléger la charge fiscale des contribuables locaux par diverses mesures d’exonération (notamment, concernant la taxe d’habitation). Aussi, afin de compenser le manque à gagner pour les collectivités, des subventions leurs sont versées par l’Etat, de sorte que leurs ressources propres diminuent sans cesse. Si cette évolution peut s’expliquer par la volonté du pouvoir central de mieux contrôler les finances locales au regard des contraintes budgétaires européennes, elle va à contrecourant des multiples transferts de compétences opérés depuis près de 40 ans. La question de la reconnaissance d’un véritable pouvoir fiscal aux collectivités locales ou, à tout le moins, celle d’une refonte globale de la fiscalité locale devra, alors, un jour être posée.
III - La contestation du pouvoir fiscal
Les contestations du pouvoir fiscal et donc de l’impôt sont anciennes. Elles prennent la forme de révoltes collectives ponctuelles (A) ou se traduisent par des comportements individuels et permanents avec la fraude fiscale (B). A côté, existent des procédés de contestation secondaires (C).
A - Les révoltes fiscales
Si les partisans des révoltes fiscales contestent le pouvoir fiscal, ils ne vont, toutefois, jamais jusqu’à contester son existence même. En d’autres termes, ce n’est pas le principe de l’impôt qui est en cause, mais le montant du sacrifice fiscal.
L’histoire de France est marquée par de tels mouvements. Sous l’Ancien Régime, de nombreuses révoltes fiscales eurent lieu, mais de manière cantonnée à certaines provinces (par exemple, la révolte des Croquants dans le Périgord). Sous la Fronde, c’est l’ensemble des corps qui se révoltent pour contester la montée en puissance de l’Etat et exiger le maintien de l’ordre féodal traditionnel.
Progressivement, le principe de l’impôt apparait comme acquis, mais, les modalités de son recouvrement et surtout l’existence de trop d’impôts indirects, tels que la gabelle, suscitent régulièrement des tensions qui seront l’une des causes du déclenchement de la Révolution de 1789.
Dans la période contemporaine, trois mouvements ont marqué l’histoire des révoltes fiscales en France. Le premier est initié par Pierre Poujade. Fondé sur les difficultés d’adaptation des artisans et des petits commerçants à l’économie moderne et sur la contestation du contrôle fiscal, ce mouvement prit, rapidement, une ampleur nationale avec la création de l’Union de défense des commerçants et artisans. Il ne se cantonna, d’ailleurs, pas à un simple rôle de contestation, puisqu’il se transforma en véritable mouvement politique avec l’entrée à l’Assemblée nationale en 1956 d’une cinquantaine de députés issus de ses rangs. Un autre mouvement eu lieu dans les années 1970 autour de Gérard Nicoud, mais sans traduction politique. Plus près de nous, le mouvement des « Gilets jaunes » en 2018 a, même si ses fondements sont beaucoup plus larges, trouvé dans la contestation fiscale un terreau sur lequel prospérer.
A l’étranger, c’est au Etats-Unis que l’on trouve un phénomène de contestation de l’impôt de grande ampleur. Fondés sur des courants de pensée néolibéraux, les mouvements initiés de la fin des années 1960 aux années 1970 visaient principalement à réduire le rôle et le poids de l’Etat. Ils ont connu leur consécration en Californie en 1978 avec l’adoption par le peuple d’une disposition diminuant drastiquement les impôts. Ce mouvement, qui fut suivi par une vingtaine d’autres Etats, conduisit, toutefois, à une dégradation importante des services publics.
B - La fraude fiscale
La fraude fiscale trouve ses origines dans des motivations multiples et variées : inadaptation du système fiscal, refus des contraintes, idéologie antiétatisme, conjoncture économique ou, encore, poids de la pression fiscale.
Elle peut être définie comme un acte délictuel volontaire ayant pour but d’échapper à l’impôt ou d’en diminuer le montant. Elle se distingue de l’évasion fiscale qui consiste à profiter de certains vides juridiques ou à user des possibilités de montages complexes offertes sur le plan international pour diminuer la charge fiscale. Si ce phénomène ne se traduit pas par une violation de la loi, il partage, en revanche, avec la fraude fiscale un point commun caractérisé par le manquement à l’éthique sociale.
De nos jours, les procédés de fraudes se sont diversifiés en raison de l’internationalisation des échanges, du développement de l’économie numérique, ou, pour l’Europe, de la suppression des barrières douanières et de l’absence d’harmonisation des procédures de contrôle.
Aussi, depuis la crise économique de 2008 et face au creusement des déficits publics, les Etats ont renforcé les mesures permettant de lutter contre cette fraude avec, notamment, la remise en cause du secret bancaire, la transparence et l’échange de renseignements en matière fiscale imposés à certains paradis fiscaux ou, encore, le développement des échanges d’informations entre administrations fiscales.
C - Les autres formes de contestation du pouvoir fiscal
Plusieurs procédés peuvent être relevés.
a / La grève de l’impôt : elle consiste à organiser un refus collectif de l’impôt ; les différents mouvements lancés sur cette base n’ont jamais connu le succès, même ceux fondés sur une contestation de l’utilisation des deniers publics, tels que les mouvements antinucléaires ou antimilitaires ; ce procédé est interdit et peut faire l’objet de sanctions pénales.
b / L’anachorésis fiscale : elle consiste pour un individu, face à la pression fiscale, à cesser de travailler ou à se réfugier dans des lieux retirés de manière à ne plus être taxé ; par exemple, certains membres de professions libérales, estimant que la part de revenu qui leurs reste après paiement de l’impôt s’avère sans proportion avec la quantité de travail fournie, décident soit de moins travailler, soit de s’exiler.
c / L’économie souterraine : ce phénomène, qui permet d’échapper à l’impôt, s’est, notamment, développé aux Etats-Unis parallèlement au mouvement de révolte contre l’impôt.
d / Les groupements antifiscaux : il existe des partis antifiscaux, des ligues de contribuables ou, encore, des groupes de pression très actifs lors de l’élaboration des textes.
